and all I've tried to hide, it's eating me apart (pippa)

Mi-mars 2022

Ça faisait deux semaines, à peu près, qu’Alba m’avait annoncé qu’elle était enceinte. Qu’elle était enceinte et que c’était peut-être moi le père. Que c’était peut-être Léo le père. Elle l’ignorait et elle ne voulait pas faire de test de paternité, elle ne savait même pas quoi faire de cette grossesse-là, elle ne pensait pas vouloir garder le bébé. Ça m’avait complètement déboussolé. J’étais tiraillé, parce que j’avais déjà deux gamins de deux mères différentes, comment je pourrais gérer l’idée d’en avoir trois, de trois mères différentes, alors que je n’étais même pas en couple avec l’une seule d’entre elles ? J’étais en couple avec Pippa, et ce n’était pas actuellement dans les plans, enfin, nous n’en avions jamais trop parlé, des enfants. J’avais déjà Lara et Maxwell, pour le moment Pippa s’adaptait peu à peu à son rôle de belle-mère, sans doute qu’après le sujet viendrait, je m’étais imaginé ça en tout cas, chaque chose en son temps, quoi. Mais si j’annonçais à Pippa que j’avais mis Alba enceinte, et en plus que tout ça remontait à la veille de notre tout premier rendez-vous officialisant notre relation, quelle conséquence ça aurait ?  Puis l’idée qu’Alba porte mon enfant et souhaite s’en débarrasser, ça me torturait ça aussi l’esprit. J’adorais mes enfants, autant Maxwell que Lara n’étaient pas désirés, en quelque sorte. Ils étaient tous les deux arrivés par surprise. Mais de magnifiques surprises ! Je n’avais jamais eu de regrets à leur égard. Je n’en aurais pas non plus avec cet enfant conçu avec Alba, je le savais déjà. Mais elle ne voulait rien savoir. Et je ne me sentais pas capable d’argumenter quoi que ce soit, d’autant plus qu’on ignorait si c’était mon gamin ou bien celui de Léo, ce qui me donnait encore un peu plus le goût de vomir. Bref, depuis deux semaines j’étais dans ma tête, distrait, anxieux, et sans doute que ça se ressentait. Incapable de garder le secret plus longtemps auprès de Pippa, je l’avais invitée pour un pique-nique au bord de la rivière, comme il y a deux ans, comme on en avait l’habitude avant. Je m’étais montré assez silencieux durant le trajet, sortant tout ce dont on avait besoin de la voiture pour ensuite tout traîner jusqu’à la surface rocheuse près de la rivière, où on s’installa. « T’as faim ? » Demandais-je à Pippa alors que moi, je n’aurais rien pu avaler, là.

Etre en couple avec son meilleur ami avait quelque chose d’extrêmement doux et reposant en même temps. Concho et moi nous découvrions sous un autre angle depuis quelques mois mais nous n’étions pas de parfaits étrangers. Il me connaissait, presque par coeur, et apprenait une facette de moi que je n’avais jusqu’alors réservé qu’à mes amants, comme je découvrais moi-même cette facette amoureuse de lui. Je l’aimais encore davantage, me déléctant à effeuiller chaque jours cette nouvelle couche. Etre en couple avec un homme qu’on connaissait presque par coeur, même si notre relation était jeune, observait d’autres avantages, comme celui de pouvoir lire en lui comme dans un livre ouvert. Mon amoureux n’avait pas sa forme habituel depuis quelques jours, et je commençais à me demander si quelque chose le tracassait, tant il était parfois un peu distant. Ce matin toutefois, il m’invita à partager un pique-nique sur les berges de la Bowen River. Un lieu plein de sens pour nous deux. J’aimais passer du temps avec lui, néanmoins, son silence éveilla davantage mes soupçons, Concho était préoccupé et je commençai à éprouver une légère anxiété quand à ce pique-nique. Avait-il besoin de me dire quelque chose ? On s’installa sur les roches puis Concho me demanda si j’avais faim. En réalité, mon estomac n’était pas vraiment ma préoccupation première, mais je décidai néanmoins de donner le change, et me parai d’un large sourire.
— J’ai hâte de goûter ce que tu as préparé surtout ! répondis-je avec enthousiasme.
Mes talents de cuisinier étant catastrophiques - au point que j’étais capable de râter un simple plat de pâtes au beurre - j’étais toujours bluffée par ceux des autres. Je regardai mon amoureux sortir notre repas de son panier, je gardai le silence, puis, ne tenant plus j’inspirai pour me donner un peu de force puis m’approchai de Conchobáhr pour prendre sa main avec tendresse.
— Qu’est-ce qui se passe, Concho ? Tu as l’air…distrait.

Je tentai de trouver une position confortable sur la couverture qui recouvrait la roche, moi qui aurais pu m’endormir n’importe où généralement. Mais l’inconfort intérieur semblait se répandre jusqu’à mon confort physique, mon être tout entier ne sachant plus où se mettre, pris entre l’arbre et l’écorce. J’aurais tellement aimé que les derniers mois passés avec Pippa puissent s’allonger, s’étendre jusqu’à des années de quiétude. Cela faisait tellement longtemps que je n’avais pas été dans une relation amoureuse aussi simple que celle-là. Je m’étais surpris à croire qu’enfin, j’avais trouvé la bonne personne pour moi, pour une relation saine, douce et équilibrée. J’avais osé penser que maintenant je pouvais entrevoir une vie stable et sans tracas. Évidemment que non. Évidemment que l’autrice de ma vie allait en décider autrement. « Oh, ce sont juste des recettes de salades et de sandwichs gourmands de Curtis Stone. J’y suis allé pour une valeur sûre. » Déclarais-je alors qu’en temps normal, je me serais montré surexcité d’avoir cuisiné un lunch santé et délicieux – enfin, j’avais pas encore goûté, mais Stone c’était généralement gagnant chez les familles australiennes. Je sortis donc les plats de ma glacière portative, retrouvant mon mutisme des derniers jours. Pippa me regardait, soucieuse, et osa finalement pointer du doigt l’éléphant dans la pièce. Je soupirai. « Ah … » Soufflais-je en même temps. « Je voulais trouver une manière de l’aborder un peu meilleure que ça mais ça fait deux semaines que je cherche et que ça m’vient pas. J’crois que y’a pas de bonne façon de lâcher ce genre de nouvelle. » De bombe, j’aurais pu dire, mais je ne voulais pas trop songer à une grossesse comme à une bombe. J’avais le cœur qui se débattait dans ma poitrine, j’avais les mains moites et tremblantes. « Alba est enceinte … et … il y a une possibilité que ce soit moi le père. » Dis-je, me disant que ce serait mieux pour nous deux d’y aller direct plutôt que de tourner autour du pot avec des mots inutiles.

Je connais Conchobáhr depuis suffisamment de temps pour reconnaitre les signes quand il n’est pas dans son assiette. Ce pique-nique est un prétexte, ça me parait plutôt clair maintenant que mon petit ami se décide à m’avouer qu’il cherche à m’avouer quelque chose de difficile depuis deux longues semaines. Ma respiration se coupe presque aussitôt qu’il commence à parler, je m’attends au pire et essaye de ne pas m’imaginer les pires scenarii avant qu’il ne crache enfin le morceau. Alba est enceinte et il y a des chances pour que l’enfant soit de Concho. Si j’avais commencé à manger, je me serais probablement étouffer avec quelque chose tant la nouvelle me déconcerte. Je reste bouche bée un long moment, sans savoir quoi dire. Mes pensées s’alignent lentement, avant que je puisse retrouver le sens de la parole :
— Une…possibilité ? Comment ça… « une possibilité » ?

Pippa m’écoutait, sans m’interrompre, elle me laissait dévaler les méandres de ma pensée en trébuchant sur à peu près tous les mots, ne sachant pas dans quel ordre les aligner. Puis je laissai enfin tomber la nouvelle, celle qui aurait peut-être le pouvoir de tout briser entre nous, même si techniquement je n’avais rien à me reprocher, il s’agissait tout de même d’une annonce des plus troublantes pour un couple naissant. Pippa resta bouche-bée un long moment, ce qui ne fit qu’augmenter l’anxiété dans mon être tout entier. J’avais l’impression que mes mains et mes jambes tremblaient. Ce n’était sûrement pas qu’une impression. Les trémolos dans ma voix avaient bien laissé présager le séisme secouant mon corps. Je me raclai la gorge à la question que la blonde réussit finalement à formuler. « Eh bien … Alba et moi, on s’est revus et on a … ben, on a couché ensemble, à peu près en même temps qu’elle a aussi été avec Léo … à pas mal juste quelques jours de différence, je pense. Alors … Elle ne sait pas si c’est moi, ou si c’est lui, le père. » Expliquais-je en essayant de cacher mon propre trouble face à cette situation. Sachant que Pippa et moi n’étions ensemble que depuis un mois, environ, la question n’avait peut-être pas traversé son esprit mais je m’empressai quand même d’ajouter : « C’était avant la veille de la Saint-Valentin. Avant qu’on s’mette ensemble, toi et moi. » Lui assurais-je, même si je ne pris pas le soin de préciser que c’était la veille de la veille, cependant. Pippa et moi nous étions avoués nos sentiments le treize février. J’avais couché avec Alba le douze.

Je suis un peu sonnée par cette information, je ne vais pas le nier. Concho, lui, parait complètement déboussolé. Je ne sais pas depuis combien de temps il garde ça en lui, mais cela n’a probablement pas été facile et me l’avouer doit sans doute se révéler une épreuve pour lui. Je le laisse m’expliquer, tachant d’accueillir les informations avec neutralité. Je me rends rapidement compte que ce n’est pas possible. L’affect, bien sûr, est inévitable entre Concho et moi. On est trop proches l’un de l’autre, on l’était déjà avant d’être en couple.
— Comment…comment tu te sens au milieu de tout ça ?
Ma voix est plus douce, plus posée. J’ai pris le temps de digéré l’info de mon côté pour ne me concentrer que sur lui. Et puis, il l’a dit, ça s’est passé avant qu’on ne se mette ensemble. Je vois mon petit ami complètement chamboulée et je ne peux pas rester de marbre, aussi je réduis la distance qui nous sépare pour simplement venir le prendre dans mes bras.
— Je suis là, d’accord ? je souffle dans sa nuque. Quoiqu’il se passe.

J'accueillis avec beaucoup de reconnaissance la question de Pippa, que je trouvais marquée de bienveillance et de respect envers moi. Elle aurait pu réagir en se positionnant déjà dans cette situation plus que complexe. Elle aurait pu laisser ses émotions, à elle, prendre le dessus. À la place, elle s'était arrêtée sur mon ressenti à moi. Je l'aimais encore plus pour ça. Pour son ouverture, pour son écoute. Sa question n'en était pas moins difficile à répondre, cela dit. Comment je me sentais ? C'était une bien bonne question, pour mon petit coeur déboussolé. « J'essaie d'me comprendre depuis deux semaines, de prendre le recul nécessaire pour y voir plus clair, mais ... Ça se bouscule encore pas mal dans ma tête. C'est pour ça que j'ai mis du temps à t'en parler. Mais j'pouvais pas attendre plus longtemps, je pouvais pas te tenir à l'écart de ça une journée de plus ... J'déteste le sentiment de t'cacher un truc. » Omettre des informations, pour moi, c'était un mensonge. Même si Pippa ne se doutait probablement de rien. Même si elle comprenait sans doute que j'aie eu besoin d'un peu de temps. J'avais quand même eu l'impression de lui mentir et je ne me sentais pas bien là-dedans. Pippa, sentant sans doute que le trouble en moi s'agitait encore, s'approcha pour me prendre dans ses bras et me souffler qu'elle était là pour moi, peu importe ce qui se passait. Je soupirai, l'émotion me montant aux yeux. « Je sais déjà ce qui va se passer. » Murmurais-je à mon tour. D'une voix plus étranglée cette fois, j'ajoutai : « Alba ne veut pas le garder. » Et cette décision, j'avais encore du mal à l'accepter.

Concho est déboussolé, il le verbalise très clairement. Ca me fend le coeur de le voir ainsi. Il a eu du mal à avaler l’information, à la digéré encore davantage. Je peux le comprendre, je sais à quel point son rôle de père lui tient à coeur et l’annonce d’une grossesse, même non-désirée sur le moment, n’est pas anodine. Ca l’a marqué, je le vois bien. Je l’écoute sans rien dire, lui laissant l’occasion de s’exprimer librement, de dire tout ce qu’il retient depuis des jours, de lâcher les vannes, puis, enfin, je viens l’étreindre. Il se laisse aller contre moi, je resserre mes bras atour de celui que j’aime, pour lui témoigne mon soutien et ma tendresse. Il parle de la décision d’Alba qui, je le sais, le touche profondément. Chaque femme est libre de choisir si elle souhaite continuer ou non une grossesse et il n’y a rien qu’on puisse redire sur cela. Alba a fait un choix qui lui appartient. Concho le respecte, je le sais, mais cela le touche tout de même. Je passe un main dans les cheveux de mon amoureux et viens embrasse son cou, tachant de lui apporter le plus de douceur possible. Je ne savais pas quoi lui dire pour l’apaiser, et ne pouvais que lui répété que je serais là pour lui, pour l’écouter, pour l’épauler.

Mes paroles semblaient faire écho contre les parois des roches striées délimitant la rivière, celles témoignant du passé de l'endroit. C'est le silence. C'est le silence qui nous enveloppa, tous les deux dans une étreinte triste, tous les deux suspendus aux secondes qui ne s'écoulaient plus. J'avais lâché à Pippa qu'Alba ne garderait pas cet enfant et elle n'avait pas eu besoin de questionner davantage pour comprendre que cette décision-là avait eu l'effet d'un effondrement de mon coeur. De mon coeur de papa. De mon coeur d'homme qui aimait tellement les enfants. Mes enfants. Je fermai les yeux lorsque ma petite amie passa une main dans mes cheveux et m'embrassa le cou, laissant du même coup les larmes filer le long de mes joues, celles qui s'étaient retrouvées prisonnières de la bordure de mes yeux et que mes paupières venaient de chasser vers mon visage. On resta là de longues minutes, Pippa me chuchotant par moments qu'elle était là, n'ayant même pas besoin de me le dire puisque je la sentais contre moi, sa douceur et sa chaleur m'enlaçant l'être. Je reniflai au bout de quelques minutes en me détachant de son étreinte, passant le revers d'une main sous mes yeux, l'un après l'autre. « Je sais que c'est sa décision. Mais je peux pas m'empêcher d'espérer qu'elle changera d'avis. » Je levai les yeux vers Pippa. « Même si je sais que ça changerait probablement pas mal de choses pour toi et moi ... »

Je ne sais pas depuis combien de temps il garde tout ça en lui, mais la décharge est conséquente. Je le perçois dans sa voix, dans ses gestes, dans sa façon de poser son regard. Il est tourmenté, je le sens. Je connais Conchobáhr depuis de trop nombreuses années pour échapper à ces signaux. Je le garde contre moi le temps nécessaire pour le rasséréner. Je caresse ses cheveux, lui assure qu’il peut compter sur moi, puis, il se détache de moi doucement et me dit enfin ce qu’il a sur le coeur. À nouveau, je l’écoute en silence, je le laisse formuler sa phrase.
— Hé…tu as le droit, d’accord ? De ressentir ce que tu ressens.
Il respecte la décision d’Alba bien sûr, mais il encaisse ce que cela génère chez lui et cela n’est pas facile. Si Alba avait décidé de garder l’enfant, au contraire, et qu’il s’était révélé être celui de mon amoureux, on aurait du s’adapter. Mais cela n’aurait en rien entacher mon amour pour lui, j’en étais persuadée. Toutefois, cela n’est pas le moment pour discuter de ça. Je n’ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie encore bien vive. Au lieu de ça, je caresse la joue du chorégraphe et lui offre un sourire tendre.
— Je t’aime, je lui souffle avec douceur.

Je n'avais pourtant pas l'impression d'avoir ce droit. Le droit de ressentir l'espoir qu'Alba change d'avis. Ça me donnait l'impression d'être un homme égoïste qui n'en avait pas grand chose à faire de la décision de l'autre. Ça me donnait l'impression de vouloir n'en faire qu'à ma tête. Ce n'était pas ça. Bien sûr, si j'avais eu le choix, si j'avais été le seul à décider, j'aurais choisi de garder cet enfant. Ça ne faisait aucun doute dans ma tête, si ce bébé était de moi, je le voulais. Mais Alba ne le désirait pas et je savais, au fond de moi, que son idée était faite. Je trouvais seulement cruel d'être confronté à une issue sur laquelle je n'avais aucun poids. Même si je comprenais. Je comprenais que cette décision lui appartenait à elle. Pas à moi. Je ne pouvais m'empêcher d'en ressentir l'injustice. C'était tout un dilemme en-dedans de moi et le garder là sans rien dire, ce dilemme, ça me tuait un peu. Alors d'entendre Pippa m'affirmer que j'avais le droit à ces sentiments confus, ça me rassura un peu, même si la confusion ne se dissipa pas pour autant. « Je t'aime aussi. » J'esquissai un faible sourire malgré les larmes, et je posai mon front contre le sien, refermant les yeux. Poussées par mes paupières closes, quelques larmes tombèrent encore entre nous. Les toutes dernières. Je reniflai. Puis je soufflai. « Merci d'être la personne que tu es, Pippa. Sans toi, je serais complètement perdu. T'es mon ancre. » Et je n'aurais jamais dû garder ce secret, même deux semaines, c'était trop. J'avais eu besoin de mon phare. De Pippa.

TERMINÉ