it's been a battle just to wake and greet the day (daywayn)

Leónel se contenta d’hocher la tête lorsque Daywayn affirma que son café avait effectivement l’air bon. Les odeurs surtout, qui émanaient du mélange, laissaient s’imaginer le goût bien corsé. Un silence s’installa de nouveau, pendant que les deux hommes regardaient le décor autour d’eux. En revisitant certains endroits appartenant au passé, un passé assez rapproché mais tout de même lointain dans le coeur du Chilien, ce dernier était souvent submergé de souvenirs. À l’instant, cependant, aucune mémoire n’était déclenchée. C’était probablement la première fois qu’il venait ici, lui qui avait pourtant fait le tour de pas mal de cafés locaux à Bowen avec Selma, dans le temps, après un footing matinal ou bien avant un spectacle d’arts. « Oui. Ce n’est pas comme si Bowen manquait de commerces ou de restaurants à essayer. » Surtout depuis les dix dernières années, se devait-il d’admettre. La ville était en pleine effervescence, il y avait sans cesse de nouveaux arrivants avec de nouveaux rêves ou de nouveaux projets d'entreprenariat. Heureusement qu’il y avait assez de monde pour garder tous ces endroits vivants, autrement, la compétition serait cruelle. Lorsque Daywayn renchérit sur cette tradition à instaurer entre eux, Leónel prit un peu peur. Souvent, se revoir souvent, c’était un engagement à une vie sociale que le quadragénaire ne se savait pas prêt à reprendre. Et s’il devait recommencer à sortir, à voir du monde, il lui faudrait d’abord renouer avec les gens qui lui avaient tendu une main qu’il avait été incapable de prendre à l’époque. D’anciens amis mis de côté pendant sa dépression. « Souvent, oui, enfin, on verra bien. Je vous avoue que je ne sors pas très souvent. Si c’est une fois de temps en temps, ce sera déjà bien. » Répondit-il avec une légère gêne. Il se protégeait, Leónel, il le savait. Que pouvait-il arriver de si pire, en acceptant de revoir Daywayn à un rythme régulier ? L’ancien neurologue vivait encore un peu dans la peur, c’est tout. Le silence s’installa, Daywayn ferma les yeux pour se recentrer sur lui-même ou pour apprécier le moment, peut-être, qui sait. Leónel baissa les yeux vers son café, puis regarda vers l’extérieur, cherchant à chasser la boule au creux de sa poitrine. À la réplique de Daywayn à propos de sa chance de l’avoir rencontré, il osa demander : « Et pourquoi cela ? Je ne suis pas particulièrement d’agréable compagnie, je ne parle pas beaucoup, … je n’y vois pas trop de chance. » Il ne disait cela nullement pour se rabaisser, c’est juste qu’il avait du mal à comprendre, à l’heure actuelle, ce que sa personnalité reflétait de si agréable.

Leónel hocha la tête quand Daywayn approuva le fait de ne pas vouloir sortir de temps en temps. Visiblement, ça lui arrivait à lui aussi, de vivre ces journées trop lourdes trop longues pour s’imaginer s’en sortir. L’ancien neurologue, dans ces moments-là, préférait rester enfermé dans sa petite mobile-home plutôt que d’affronter le monde extérieur, qui pouvait lui réserver tant de surprises, des bonnes comme des mauvaises, mais dans son état Leónel s’imaginait souvent les mauvaises. Le pire. Sa psychologue disait que c’était son traumatisme qui influençait ses appréhensions. Il avait vécu un worst case scenario alors depuis, il arrivait à se convaincre que le mal pouvait l’attendre au détour de n’importe quel coin de rue. Et il avait la chienne, Leónel, à cause de ça. Il vivait constamment dans la peur. « Il va falloir que vous me donniez un moyen de vous joindre, alors. » Ouvrit Leónel, s’étonnant lui-même de ne pas se dire que peut-être, s’ils continuaient la conversation sans y repenser, ils oublieraient de s’échanger leurs infos et qu’une seconde rencontre n’était qu’entre les mains du destin. Il aurait pu, c’aurait été plus facile. Pourtant il s’était décidé à vouloir laisser rentrer, un tout petit peu au moins, Daywayn dans sa vie. Si ce dernier trouvait que le Chilien était d’agréable compagnie, peut-être y avait-il quelque chose de bien à creuser dans cette relation. Pour une fois qu’on le voyait pour autre chose qu’une poignée de tristesse, dernièrement. « Tant mieux si je peux avoir cet effet-là sur vous, alors … Ça faisait longtemps que ma présence n’avait pas fait de bien à quelqu’un. » Ce n’était pas tout à fait vrai, il savait que sa fille Isidora l’aimait par-dessus tout, mais il savait aussi qu’il la décevait, encore et encore, après chaque weekend passé ensemble. Sa fille l’aimait mais c’aurait été mentir de dire que son père était un élément positif pour elle depuis quelques années. Les deux hommes continuèrent à boire leur café en silence, regardant tantôt dehors, tantôt autour d’eux. Aucune pression, juste un moment de paix. Daywayn se leva après quelques minutes pour aller aux toilettes. Leónel eut le temps de terminer son café et de se dire qu’il serait peut-être temps d’y aller, lorsque le brun reviendrait. Ce dernier regagna la table au bout d’un moment mais, au lieu de s’asseoir sur sa chaise, tomba à côté, rencontrant lourdement le sol. Leónel se leva d’un mouvement instinctif. « Ça va ? Rien de cassé ? » Il gémissait de douleur par terre, il était peut-être vraiment mal tombé. Leónel lui tendit la main pour l’aider à se relever.

Daywayn avait réussi à trouver un bout de papier sur lequel il griffonna rapidement son numéro de téléphone, qu’il remit ensuite à Leónel. Ce dernier l’attrapa et le consulta rapidement, pour s’assurer d’être en mesure de lire chaque numéro, puis sortit son portefeuille afin d’y ranger le bout de papier. « Merci. » Affirma-t-il seulement, en remettant son portefeuille dans la poche arrière de son pantalon, se redressant un peu sur sa chaise pour ce faire. C’est par la suite que Daywayn se leva pour aller aux toilettes et qu’à son retour, il tomba lourdement au sol, après s’être assis par terre plutôt que sur sa chaise. Une gaffe qui aurait pu arriver à n’importe qui, même si c’était généralement des enfants qu’on attendait un tel incident. Malgré cela, Leónel s’était levé d’instinct, sans trop réfléchir, offrant tout de suite son aide au jeune homme. Ce dernier attrapa sa main et se laissa aider à se relever. L’ancien neurologue lui demanda si ça allait, alors qu’il reprenait place sur sa chaise, tandis que son interlocuteur marchait un peu autour de leur table avant de revenir s’asseoir. « Ok … » Déclara-t-il simplement alors que Daywayn lui affirma que ça allait. Le brun resta en silence, continuant à fixer parfois Leónel, parfois les gens autour d’eux qui jetaient encore des regards curieux ou moqueurs vers eux. Mal à l’aise de cette attention indésirée, le quadragénaire se sentit rapidement en train d’étouffer dans ce café. Il termina d’ailleurs d’un trait son breuvage chaud. « Il se fait tard, il faudrait que je rentre. Mais ça m’a fait plaisir de vous rencontrer, Daywayn. » Déclara-t-il en se levant, déjà. Il était maintenant pressé de rentrer chez lui, pressé de retrouver sa solitude, les murs rassurants de sa caravane, et le silence agréable qui y régnait.