you know i'm no good + Tahlia

Comme dans toute soirée qui se respecte, Tommy était arrivé une bonne heure en retard. Un pack de bière sous un bras, une bouteille de rhum sous l’autre. Déjà légèrement alcoolisé par les quelques verres qu’il avait pris en terrasse avec son pote, il ne s’attardait pas à saluer tout le monde un par un. Un signe de la main global avait suffi avant de se joindre aux festivités à son tour. L’appartement rempli essentiellement de connaissances du lycée, c’était devenu courant de sortir avec eux. Le pompier avait toujours gardé contact avec eux, mais une fois la vie de famille en place, il s’était fait plus rare dans ces soirées. Il recommençait tout juste à devenir un des habitués. Le retour à cette vie d’avant où les responsabilités étaient loin. Peut-être pas aussi loin qu’il l’aurait voulu. Du moins, pas quand il aperçut Tahlia dans la pièce. Les images de la nuit qu’ils avaient passées ensemble lui revenaient en tête et machinalement, le brun se mit à jouer avec l’alliance encore présente à son doigt. Heureusement, un verre lui était mis dans la main bien assez vite pour le sortir de cette pensée. Son attention se reporta sur les discussions qui s’enchaînèrent aussi bien que les verres.

Ce ne fut que plusieurs dizaines de minutes plus tard, alors que les autres étaient occupés à danser ou discuter, qu’il se décida à l’approcher. Du coin de l'œil, il l’avait repérée, seule sur le balcon. Sachant pertinemment qu’il ne pourrait pas l’éviter toute la soirée, il sortit de sa poche son paquet de cigarette et saisit sa bouteille de rhum déjà bien entamée pour aller la rejoindre. Innocemment, Tommy s’accouda à la rambarde du balcon, lançant un petit regard en coin à la jolie brune. “Salut toi”. Il accompagnait sa phrase d’un petit sourire. Pas sûr de lui quant à la tournure qu’allait prendre cette discussion. Il préférait pour le moment la jouer simple. Comme si de rien n’était. “Tu passes une bonne soirée ?”Souffla-t-il en tirant son briquet de sa poche.

Chaque soir, c'était le même recommencement. Quand Tahlia n'avait pas Thaïs, elle sortait encore et encore, tentant de chasser ses idées noires, le fantôme de ce deuxième bébé qui n'existait plus et son histoire d'amour avec l'italien de sa vie qui s'était brisée en mille morceaux. Ou plutôt qu'elle avait brisé en mille morceaux. Les regrets l'envahissaient et avec cela, l'envie de plonger se faisait si présente. Elle ne comptait plus les soirées passées avec tous ces amis aussi irresponsables qu'elle. Elle ne comptait plus les verres qui, au moins, avaient le mérite de l'éloigner de la réalité pendant quelques heures. Elle ne comptait même plus les erreurs, les mots qui dépassaient sa pensée et les actes irréfléchis. D'ailleurs, en parlant d'acte irréfléchi, en voilà un qui venait de faire son apparition. Tommy venait d'arriver. Et si d'ordinaire, elle se serait jetée dessus pour le saluer avec une boutade digne d'elle, ce soir, Tahlia détourna le regard. C'était plutôt d'autres pensées qui s'immisçaient dans son esprit, de cette soirée qui avait tardé pour eux deux, de ce baiser alcoolisé qui en avait mené à d'autres, de ce corps-à-corps brûlant qui avait donné un peu de réconfort à cette nuit qui, d'ordinaire, aurait été bien triste. Oui, elle avait encore en tête les courbes musclées du jeune homme, elle sentait encore sa peau chaude sous ses doigts, son parfum enivrant et son regard qui lui avait fait tourner la tête. Mais il y avait aussi cet étrange sentiment de culpabilité. Culpabilité inutile envers son ex, qu'elle avait l'impression d'avoir trompé alors qu'elle n'était plus avec. Culpabilité envers Tommy, envers sa femme qu'il n'avait pas vraiment quitté. Elle était la célibataire de l'histoire et pourtant, elle endossait la casquette de la vipère qui tentait l'homme marié. Bravo, Tahlia. Elle jeta un dernier regard vers Tommy, ce dernier l'évitant tout autant qu'elle probablement, puis reporta son attention sur ses amis qui essayaient d'avoir une discussion avec elle.

Une bonne dizaine de minutes plus tard, Tahlia abdiqua, n'étant pas du tout intéressée par les mots de ses amis, préférant s'exiler sur le balcon, énième verre en main. Même l'alcool n'arrivait à faire disparaître son esprit bien troublé. Et comme si cela ne suffisait, il fallut que la cause de son trouble fasse irruption sur le balcon. La voix familière de Tommy parvint à ses oreilles. Elle se redressa et se tourna vers lui, affichant une expression qu'elle espérait neutre. « Hey. » dit-elle, avec un sourire, jouant le même jeu que lui, comme si tout était normal entre eux. « Oui, ça va, l'ambiance est plutôt bonne. » Elle posa son regard sur lui, s'apprêtant à lui retourner la question, mais elle s'arrêta net. Elle marqua un temps d'arrêt, hésitante puis ajouta : « Je me trompe ou tu m'évitais un peu ? » Joli coup, Tahlia : tu l'évitais, toi aussi.

Un début de conversation basique, comme si de rien était. Comme s’ils étaient encore les mêmes amis qu’ils avaient toujours été. Deux potes en soirée, qui échangent tout en profitant de la fraîcheur de la nuit australienne. De loin, c’est ce qu’ils dégageaient sûrement. Au fond, ça le rassurait, Tommy. Il avait autant besoin d’échanger avec Tahlia qu’il le redoutait. Alors commencer tranquillement, c’était sûrement le mieux. Après tout, comment engager la conversation différemment ? Il n’aurait jamais été capable d’y aller frontalement, même si certaines choses avaient besoin d’être dites. Du moins, de son côté, c’était le cas. Après avoir passé plusieurs jours à ruminer les événements passés, il l’avait déjà bien trop évité. Alors ça lui fit bizarre quand elle, elle adressa la chose directement. Une question qui le mettait face à cette lâcheté qu’il se découvrait dernièrement. “J’étais en train de le faire ? J'ai pas remarqué… Je suis là maintenant, non ? ” Dit-il en haussant les épaules, faussement indifférent aux mots de la brune. Le regard posé dans le vide, le pompier savait très bien qu’un seul regard sur elle suffirait à lui faire tomber le masque. Et même s’il avait bien conscience que jouer au con ne l’avancerait à rien, c’était presque le mode par défaut. Parce qu’au fond, il était juste perdu Tommy. Perdu dans sa vie. Perdu dans son comportement. Perdu dans cette bêtise qu’ils avaient réalisée quelques jours plutôt. "Honnêtement, Tahl, pour la première fois depuis qu’on s’connaît, je ne sais pas comment te parler…” Dit-il avant d’inspirer longuement sur sa cigarette.“En-tout-cas, pas sans paraître pour un gros connard”. Parce que mine de rien, c’est bien ce qu’il était au fond. Depuis quelques mois, tous ses beaux principes s’envolaient un à un. Faisant de lui un homme qu’il ne reconnaît plus. Un homme incapable de trouver les mots, incapable de faire les bons choix, et même incapable de la regarder dans les yeux sans être pétrifié de honte.

Je suis là, maintenant, non ? Tahlia haussa les épaules, admettant ainsi silencieusement qu'il avait le point. Oui il avait traîné, mais il était désormais là. Il avait été déjà un peu plus courageux qu'elle, qui, clairement, n'avait pas pris l'initiative d'aller le voir. Peut-être parce que, elle, elle n'avait rien à se reprocher. Officiellement, du moins. La brune avait peut-être le cœur meurtri, mais elle n'avait aucune bague au doigt. Elle n'était pas du genre à regretter ses relations d'un soir. Mais cette fois, c'était différent. Tommy n'était pas totalement libre. Bien sûr, sa relation avec sa femme prenait l'eau, ils étaient sûrement à un point de non-retour, mais il était encore lié à elle. Et puis au fond, Tahlia craignait une autre chose : que cette nuit altère leur amitié. Les premiers mots de Tommy allèrent d'ailleurs dans ce sens. Il ne la regardait pas. Il ne savait pas comment lui parler. « Normalement, peut-être ? » commença-t-elle à dire, les sourcils froncés, perplexe. Mais la fin de sa phrase lui arracha un rire. Un rire jaune, dénué de toute joie, de toute malice. Elle avait sa réponse, Tahlia. Oui, leur relation avait effrité leur amitié. « Un connard, carrément ? Pourquoi ? Tu vas me dire que tu regrettes ce qu'il s'est passé ? Que je suis une erreur de parcours ? Mais vas-y, je t'en prie, dis ce que tu as sur le cœur. Tu ne seras pas le premier, ni le dernier connard que je croiserai... » C'était mesquin, oui, mais la brune se repliait totalement sur elle, dans un instinct de protection. Sans doute que Tommy était perdu, qu'il ne savait pas comment aborder la chose avec elle, mais en laissant croire qu'il pouvait parler comme un connard - terme plus qu'équivoque -  il laissait entrevoir le fait qu'il pouvait la blesser. Et Tahlia en avait assez d'être blessée... Elle n'attendait pourtant rien de Tommy. Elle savait que cette relation était l'histoire d'une nuit, rien de plus. Mais prendre le risque d'entendre dire qu'elle était une erreur, cela l'effrayait plus que tout. Ils auraient simplement plus admettre que c'était un moment de faiblesse, qui leur appartenait, qui appartenait au passé.

Cette conversation, Tommy n’avait clairement pas envie de l’avoir. S’il avait pu profiter de sa soirée normalement sans se prendre la tête, il l'aurait fait. Pourtant, ils en étaient bien là et à raison. Même s’il ne trouvait pas les mots sur le moment, c’était inévitable. Alors il se retrouvait à enchaîner les mots de façon bancale, admettant assez rapidement ne pas savoir comment l’aborder. La réponse de son amie lui valut un simple mouvement d’épaules. Se parler normalement, un concept plus facile à dire qu’à réaliser. Le rire de Tahlia et sa remarque en était bien la preuve. Au lieu de parler de ça calmement, seulement quelques phrases avait suffi à les braquer tous les deux. Très vite, Tommy se retrouvait à lever les yeux au ciel, sentant l'agacement monter en lui.“Parce que toi, tu ne regrettes pas toi peut-être ?”Dit-il en haussant les sourcils. Question rhétorique puisqu’il se doutait bien de la réponse. Si jusque-là il avait en tête de s’excuser, la façon de réagir de son amie eut le don de le faire switcher. Un effet boule de neige entraîné par l’alcool déjà présent dans son sang et son irritabilité constante. Avant d’enchaîner, il ne tenta même pas de masquer le petit sourire sarcastique qui se formait sur son visage. “Si c’est comme ça on a qu’à recommencer alors.”Dit-il en plongeant un regard provocateur dans celui de Tahlia. “Après tout, je suis plus à une erreur de parcours de plus maintenant, nan ?”Lâcha-t-il sans prendre conscience de ses mots. Une fois l’alcool évacué de son sang, ces mots, il allait les regretter. Dans un état d’esprit sain, il ne serait jamais rentré dans le jeu de la provocation, mais il a bien longtemps qu’il n’avait plus été dans cet état.

Peut-être la meilleure solution aurait été de s'ignorer, de se regarder en chien de faïence, d'attendre quelques jours avant de parler. Oui, mais Tommy avait décidé de s'approcher d'elle et en quelques mots, et sûrement quelques malentendus, les deux amis s'étaient l'un et l'autre brusqués. « Pourquoi je regretterai ? Je suis officiellement célibataire, moi. » Inconsciemment, elle avait accentué sur le mot officiellement. Tommy, lui, ne l'était pas complètement. La bague au doigt, il l'avait encore. Et à cet instant, c'était beaucoup plus simple pour Tahlia de le faire valoir plutôt que de confier que oui, elle culpabilisait un peu. Culpabiliser, mais pas regretter. Sur le coup, malgré l'alcool qu'ils avaient ingéré ce soir-là, Tahlia avait trouvé du réconfort dans leur étreinte. Non pas parce qu'elle désirait plus avec lui, mais juste parce qu'elle s'était sentie exister pendant de langoureuses minutes. Son corps n'était plus cette carcasse qu'elle traînait et rejetait. Son esprit s'était mis sur pause quelques instants. C'était cela qu'elle retenait. Mais le lendemain avait été difficile et le prix à payer bien plus fort. Il suffisait de voir les regards qu'ils se jetaient, le venin au bout de leurs lèvres, la provocation qui colorait leurs mots et leurs actes. Quand Tommy reprit ses mots, évoquant l'erreur de parcours, Tahlia sentit son estomac se serrer. Mais son visage était impassible, affichant ce masque qu'elle remettait à chaque fois qu'elle se sentait en position de faiblesse. « Bah vas-y... Recommence. » murmura-t-elle, à la fois provocatrice, à la fois si froide, se tournant vers lui pour lui faire face, osant même s'approcher d'un pas vers lui. « Si tu veux perdre le peu de dignité qui te reste, vas-y, recommence. » Elle aurait voulu être ouverte au dialogue, minimiser ce qu'il s'était passé, dire qu'ils n'avaient qu'à oublier afin de ne pas trop abîmer leur amitié. Mais là, il avait éveillé sa part la plus noire, celle qui n'hésitait pas à jouer avec le feu, à aller piquer, titiller, pour faire ressortir ce qu'il y avait le cœur de son interlocuteur. Même si ça devait faire mal.

Sans en avoir conscience, Tommy s’était engouffré dans un piège. Un piège qu’il avait créé tout seul, comme un grand. S’il avait réfléchi plus d’une seconde, il se serait sûrement rendu compte que cette conversation n’apporterait rien de bon vu l’heure avancée de la nuit. Pourtant, il se retrouvait là à tendre le bâton pour se faire battre. Les pics de son amie étaient légitimes et mérités. Alors, d’une simple moue, l’ancien pompier acceptait la remarque sur leur statut respectif. Il ne pouvait décemment pas contredire cette remarque. À vrai dire, il aurait pu être capable d’en encaisser plusieurs comme ça au lieu d’ouvrir sa gueule. Juste s’excuser et passer à autre chose. L’option sage en somme. À la place, c’est la provocation qui était rentrée dans l'équation. Une réaction qui pourrait s’avérer dangereuse pour leur amitié et il le savait. Tous deux bien capables de se provoquer et de se pousser à bout. Alors après quelques secondes à observer Tahlia, sans un mot, l’ancien pompier fini par s’approcher doucement de son oreille pour venir y murmurer quelques mots. “Crois-le ou non Tahl’ il me reste encore un semblant de respect” Pour sa femme, mais aussi pour elle, pour cette amitié qu’ils partageaient depuis des années. Pour lui, c’était encore une autre histoire. Chaque jour qui passait, le brun se sentait partir peu à peu, et avec lui, toute once de respect qu’il avait pu avoir pour sa personne. Alors après quelques secondes de silence, il finissait par s’écarter de quelques pas en soupirant. Ne préférant pas tenter le diable plus longtemps. Son regard s’échappa vers l’horizon alors qu’il apportait de nouveau la bouteille de rhum jusqu’à ses lèvres. “Peut-être qu’en discuter si tôt ce n’était pas une si bonne idée que ça…” Finit-il par lâcher, conscient de l'impact de cette conversation.

Quand on jouait avec le feu, Tahlia avait tendance à l'attiser plutôt qu'à tenter de l'éteindre. Encore plus quand on la poussait dans ses retranchements, qu'on appuyait là où ça faisait mal. Comme ce soir. Tommy avait abordé la conversation d'une manière qui avait déplu à la brune. Elle savait qu'ils avaient fait une erreur, cette fameuse nuit, mais elle n'avait pas besoin de l'entendre le dire. Elle le savait, c'était déjà bien, non ? Elle n'attendait rien de plus de lui. Tout était clair. Alors pourquoi enfoncer le couteau dans la plaie ? Eh oui, en dépit de son assurance, de son ton déterminé, de son regard qui ne cillait pas, Tahlia était aussi brisée que Tommy. Sa dernière rupture l'avait mise plus bas que terre, la perte de son bébé l'avait enterré. Elle ne savait plus où se situer en tant que personne, en tant que mère, en tant qu'amie, en tant que femme. Sur ce dernier point, la situation avec Tommy n'arrangeait en rien le constat. Mais au lieu d'en parler, c'était plus simple de provoquer. Provoquer pour ne pas montrer qu'il faisait mal avec ses mots. Ses yeux verts rivés sur lui, elle le poussa dans ses retranchements, essayant de voir s'il allait franchir la ligne rouge, s'il comptait réitérer son erreur. Il s'approcha d'elle et finit par murmurer à son oreille le fait qu'il lui restait encore un semblant de respect. « L'erreur de parcours se permet d'en douter. » Au moins, elle espérait qu'il ait encore un peu de respect pour sa femme. Tommy se recula de quelques pas, Tahlia aussi, et l'un et l'autre restèrent silencieux pendant de longues secondes. De longues secondes qui brisaient la carapace de la brune. Qui permettaient de faire redescendre sa nervosité. « En discuter tout court n'était pas une si bonne idée. » reprit-elle, ne le regardant même pas. « On aurait juste dû dire que c'est arrivé, point. Que ça n'arrivera plus, point. Et passer au dessus. Y a des choses, malheureusement, sur lesquelles il ne faut pas disserter. » Mais puisque leur amitié était de toute manière entâchée, autant en parler à cœur ouvert. Elle savait que leur relation ne s'en relèverait pas, dans tous les cas. « Mais puisque c'est foutu, autant te dire que je suis désolée pour cette soirée. Sur le coup, je crois que j'avais besoin de ça. Si j'avais réfléchi un peu plus, si j'avais su ce qui allait se passer après, je ne serai pas restée cette nuit. Je savais que ça n'allait pas t'aider. » Il avait parlé de respect, un peu plus tôt. Tahlia le respectait, énormément même. Mais ce soir-là, sa propre douleur avait mis de côté le respect qu'elle avait pour lui, pour son couple, pour sa femme. Et elle s'en voulait. Bien trop.

Ce comportement, ce n’était pas dans ses habitudes à Tommy. Lui qui avait toujours été relativement bienveillant, à l’écoute des autres et surtout doux avec ses proches, il ne se reconnaissait plus depuis des mois. Avec toute sa tête, il ne serait jamais rentré en conflit comme ça avec Tahlia. Il ne l’aurait jamais qualifié d’erreur de parcours non plus, pour la simple et bonne raison que ce n’était pas le bon mot pour définir ce qui s’était passé entre eux. C’était arrivé à un moment où ils en avaient eu besoin tous les deux. Un rapprochement logique entre deux âmes en perdition. S’il était dans la provocation à l’heure actuelle, il savait d'ores et déjà qu’il allait regretter ses mots dans les prochains jours. Il se refusait tout de même à aller au bout de la provocation prônant un semblant de respect. Autant pour elle que pour sa femme. Il n’avait pas envie de la mettre une nouvelle fois dans une situation délicate, tout comme il ne voulait pas refaire ça à Joséphine malgré tous les problèmes qu’ils avaient. Le silence qui s'ensuivit portait toute la tension présente entre eux. Une pause nécessaire dans cet échange pour faire descendre la nervosité de chacun. Le regard porté dans le vide, il ne pouvait qu’acquiescer aux mots de la brune. La discussion entamée entre eux était sûrement de trop, pourtant, l’ancien pompier, il n’aurait pas réussi à passer outre cette gêne pleine de non-dit qui se serait installée. Valait-il mieux se prendre la tête ou s’éviter indéfiniment ? Il n’en était pas certain à ce stade. “Peut-être qu’avec le temps, on sera capable de le faire.” Après ce soir, il doutait grandement être en mesure de passer au-dessus de tout ça. Un ressenti sur le moment, pris dans le feu de l’action. Une part de lui aimait croire qu’un jour, quand tout sera redescendu, quand ils seront mieux dans leur tête tous les deux, ils arriveraient à passer à autre chose pour sauver cette amitié de longue date. Son regard se porta quelques instants sur Tahlia alors que cette dernière s’ouvrait sur cette nuit qu’ils avaient passée ensemble. Une vague de tristesse et de culpabilité enveloppait Tommy à ce moment-là, incapable de continuer à la regarder dans les eux. “Je suis désolé aussi, tu sais. Je ne voulais pas te mettre dans cette situation.” Honnêtement, dans cette histoire, il restait persuadé d’être le plus grand fautif. Il l’avait mis dans une situation inconfortable tout en trahissant ses vœux de mariage. La culpabilité de ce moment allait le hanter un bon moment. Cette culpabilité, elle était d’autant plus accentuée, qu’une part de lui serait capable de le refaire. Ce moment, bien que problématique par la suite, il lui avait fait un bien fou. “Et pour ce que ça vaut, j’en avais besoin aussi. Sur le coup, ça m’a fait plus de bien que ce que je pensais.” Admit-il en baissant les yeux sur sa bouteille de rhum. L’impression de trahir sa femme à chaque aveu, elle lui collait à la peau. Pourtant, il se sentait le besoin d’argumenter toujours un peu plus. “Je m’en veux de t’avoir impliqué là-dedans, mais en même temps une part de moi reste soulagé que ça se soit passé avec toi.” Est-ce qu’il aurait franchi le cap avec quelqu’un d’autre ? Il n’en était pas sûr. S’ils avaient craqué tous les deux, c’est qu’un besoin profond de chaleur humaine s’était fait ressentir chez eux au même moment. Il n’aurait clairement pas eu cette envie avec quelqu’un d’autre, comme si à cet instant, elle était la seule qui pouvait le comprendre.  

Il avait fallu une nuit, une simple nuit où deux âmes en détresse s'étaient simplement trouvées, pour mettre à mal une amitié longue de plusieurs années. Ils auraient pu en parler, juste dire qu'ils avaient agi dans un moment de faiblesse et passer à autre chose. Mais l'alcool et la gêne avaient plutôt lancé la perche de la provocation. C'était plus simple que d'admettre ses faiblesses... Avec Tommy, il n'y avait jamais eu un mot plus haut que l'autre. Alors, forcément, cette erreur de parcours avait énormément blessé Tahlia. Elle avait senti son coeur se serrer et le peu de confiance en elle qu'elle avait, partir en fumée. Il ne fallait pas croire, mais derrière son regard si perçant et sa démarche assurée, la brune souffrait d'une piètre image d'elle-même. Se mettre à terre, elle le faisait déjà bien. Alors, chaque mot entendu, chaque phrase prononcée l'abattaient encore un peu plus. Encore plus quand cela venait d'une personne qu'elle aimait tant. Elle avait détourné le regard, l'évitant, afin de ne pas montrer toute l'émotion qui l'envahissait. Mais alors qu'elle aurait tourné les talons et le laisser là, sans aucun autre mot, la jeune femme lâcha ce qu'elle avait sur le coeur. Elle s'excusa pour cette soirée. Elle s'excusa de l'avoir entraîné avec elle dans une étreinte qui les avait dépassé, qui n'aurait pas dû avoir lieu, lui qui avait encore la bague au doigt.Elle s'excusa d'avoir eu besoin de cela, de ce réconfort plutôt que d'affronter sa détresse. Leur détresse commune. Etrangement, mettre des mots sur ses sentiments sembla dégoupiller la conversation. Tommy présenta ses excuses, lui aussi. Face à ses mots, Tahlia secoua légèrement la tête et murmura : "Je n'avais plus rien à perdre, tu sais..." Alors, il n'avait pas à s'excuser de l'avoir mise dans une telle situation. Elle avait déjà tout perdu. Si on occultait l'après et cette conversation houleuse, Tahlia ne retenait que le positif. Pendant quelques heures, elle avait mis son cerveau sur pause. Elle avait profité de la chaleur de Tommy, apprécié sa peau contre la sienne, ses bras autour d'elle. Cette chaleur humaine l'avait ressourcée. Au fond, bien au fond, cette chaleur, Tommy l'avait ressenti aussi. Face à ses aveux, Tahlia daigna enfin reposer son regard sur lui, ses yeux verts embués. C'était finalement apaisant d'entendre de tels mots. Elle n'était peut-être pas qu'une chose, qu'un corps à utiliser pour se faire du bien. Elle ne répondit pas de suite, le laissant terminer. Finalement, ils étaient tous les deux soulagés que ça se soit passé avec l'un comme l'autre. "Ça aurait été plus simple avec un ou une inconnue qu'on ne reverrait pas. Mais pas sûre que cela aurait arrangé quoique ce soit." Le fond du problème, c'était finalement cette détresse qui les envahissait. Se perdre dans les bras d'inconnus, oh oui, ça aurait été simple... sur le coup. Mais l'atterrissage aurait sûrement été plus rude. Là, ils se connaissaient bien, très bien. Il savait qu'il y avait quelque chose derrière leur étreinte charnelle. Quelque chose de plus sombre. Il fallait mettre le doigt dessus. Alors, Tahlia posa une question. LA question qu'elle aurait dû lui poser ce fameux soir durant lequel ils avaient préféré se perdre dans les bras de l'un et l'autre. "Comment tu te sens, Tommy ?"

La tempête semblait s’apaiser entre eux. Après une flopée de mots maladroits, poussés par le mal-être présent en eux, le calme retrouvait la discussion. Pour se faire, des excuses avaient été nécessaires. C’est bien ça qu’il essayait de faire depuis le début non ? Forcément que la gêne troublait leurs relations, mais au fond, Tommy, il n'avait pas envie de perdre leur amitié à cause d’une nuit de perdition. Cette nuit-là, elle lui avait du bien sur le moment, il le savait au plus profond de lui, mais elle avait aussi apporté son lot de culpabilisation. Une culpabilité face à son mariage, forcément, ainsi qu’une culpabilité face à Tahlia. Il s’en voulait de l’avoir mis dans une situation pareille. L’ancien pompier grimaça à l’écoute des mots de Tahlia. Il aurait aimé ne pas comprendre et pouvoir la reprendre, mais la vérité, c’est que le discours de Tahlia résonnait en lui comme un écho. À cet instant précis de leurs vies, malgré les différences entre leurs douleurs d’origine, c’est comme s’ils se reflétaient dans leur mal-être. C’est sûrement pour ça que cet interlude entre eux restait autant ancrée dans son esprit. Il n’y aurait eu personne d’autre capable de lui réchauffer un peu le cœur comme elle l’avait fait. Comme elle le disait si bien, de parfait inconnus seraient venus avec beaucoup moins de contrainte, mais ça n’aurait rien aider à leur situation. “Ça aurait été pire…Clairement.” Souffla-t-il en pensant à tout ça. Le gouffre présent en chacun d’eux n’aurait jamais pu être comblé par le contact d’un inconnu. Il fallait au moins la chaleur d’un ami pour mettre un minimum de baume sur leurs deux cœurs égarés. Le regard de l’Australien se perdait sur l’horizon tandis qu’il avalait une gorgée de son rhum, son deuxième remède à toute cette souffrance qu’il avait en lui. Tahlia posait la question douloureuse, celle qu’il s’affairait à esquiver à chaque instant. Son visage se crispa, serrant la mâchoire un instant. Jamais il n’avait réussi à admettre à voix haute toute la douleur présente en lui, ce n’est clairement pas ce soir qu’il comptait le faire. “Légèrement saoul, je dois bien l’admettre.” Dit-il en tournant son regard vers elle. Il comprenait toute la portée de sa question, y répondre plus futilement lui semblait être sa seule porte de sortie. “Mais la soirée ne fait que commencer, on va continuer sur cette lancée.” Dit-il finalement, comme pour clore un peu le débat, il espérait qu’elle comprenne le message, ne voulant pas se braquer de nouveau.