Une nouvelle entrée (ft Alex)

Une nouvelle journée commençait alors que je m’étirais dans mon lit. Je n’avais jamais été du matin et cela n’allait pas en s’arrangeant ces derniers temps. J’étais nauséeuse dès le saut du lit et ce jusqu’à environ la fin de la matinée. Une fois ces quelques heures passées, je commençais à aller beaucoup mieux et même à avoir des pics d’énergie ce qui était tout de même plus agréable pour mes journées de travail.

D’ailleurs, je me levais tranquillement et me rendis dans la salle de bains pour me préparer. Une douche bien fraîche me requinqua presque immédiatement. Une fois bien enroulée dans ma serviette, je retournai dans ma chambre qui n’était absolument pas rangée. Je faisais l’autruche depuis quelques jours, je n’avais aucune motivation à finir de déballer les cartons restants. Néanmoins, j’avais sorti de mes valises ma pile de blouse et pantalons pour le travail. Je me saisis d’une de ces tenues et les revêtit rapidement, non sans une certaine difficulté à passer mon ventre qui était déjà un petit peu gonflé.

Prête à partir, je me mis en route et m’arrêta rapidement au drive du Starbucks pour me prendre un café décaféiné. Même si je n’aimais pas particulièrement cela, j’avais besoin d’un café le matin tel l’addict que j’étais. Je me garais rapidement sur le parking, toujours avec quelques minutes d’avance afin de me laisser le temps de rejoindre tranquillement mon service, les urgences adultes.

La journée commençait doucement, pour une fois. Peu d’urgences vitales, quelques blessures simples et j’eus même le temps de déjeuner avec une de mes nouvelles collègues. En début d’après midi, on m’annonçait une nouvelle entrée et je partis en direction du sas des ambulances pour l’accueillir. L’ambulancier me dit un topo rapide de la situation et j’entrepris d’emmener le brancard vers l’intérieur des urgences tout en me présentant à ma nouvelle patiente.

« - Bonjour, je m’appelle Ava, je serai votre infirmière aujourd’hui. On va vous installer et vous allez rapidement voir un médecin. »

« - Je suis désolée mais vous allez d’abord voir le médecin. Quant à vous recoudre, il vaut vraiment mieux que ça soit lui qui le fasse, mes points sont d’une horreur sans nom. »

J’essayais de détendre un peu l’atmosphère qui était, je le savais, toujours anxiogène. Pourtant, en tant que professionnel, je trouvais cet endroit apaisant, j’aimais y passer quelques heures lors de mon travail. Certes, il régnait toujours une certaine effervescence aux urgences mais elle me donnait souvent le sourire, ce sentiment de me sentir utile pour les autres.

Alors que ma nouvelle patiente était en train de me parler, j’avais entendu qu’elle se plaignait de la tête. Il était de mon devoir d’en aviser le médecin. Je savais par expérience que les patients parlaient plus souvent de leurs symptômes aux paramédicaux, voulant partir au plus vite et éviter des examens qu’ils jugeaient inutiles. Je poussais le brancard en direction du box 8, celui qui m’était entre autre assigné pour la journée. J’installais la patiente et le médecin arriva. Étant nouvelle, il ne me connaissait pas et je tournais ma blouse pour qu’il puisse y lire mon prénom ainsi que ma profession.

« - Blessure à l’arme blanche au niveau du bras et a verbalisé des céphalées, probablement un traumatisme crânien associé donc. »

Le médecin hocha la tête, semblant satisfait de ma première évaluation. Les débuts dans un nouvel environnement professionnel pouvait être compliqué, il fallait faire ses preuves et j’avais hâte de passer cette étape. Je savais que je faisais bien mon travail, on m’avait toujours félicité à Melbourne et j’espérais que cela continuerait ainsi ici. Je continuais donc à m’adresser à lui, toujours professionnelle :

« - J’appelle pour un scanner Docteur ? »

Il hocha la tête et je savais déjà quelle serait ma prochaine tâche. Je me tournais ensuite vers ma patiente, pour lui expliquer ce qu’il allait se passer ainsi que lui tendre une blouse d’hôpital. Elle n’était peut-être pas belle mais au moins, elle évitait de tâcher trop les vêtements et d’identifier les patients des accompagnants également. D’une voix calme et avec un petit sourire, je lui dis donc :

« - Vous allez passer un scanner, c’est juste le protocole en cas de coup au niveau de la tête. Ne vous inquiétez pas d’accord ? »

Alors que je raccompagnais ma patiente vers les urgences, j’organisais via mon téléphone pour trouver une chambre à cette jeune femme. Bien que le scanner n’avait rien d’anormal démontré, elle souffrait d’un traumatisme crânien. Le protocole était de garder ces patients sous surveillance pendant au moins vingt-quatre heures afin de s’assurer de leur bon état neurologique.

« - Je tiens toujours mes promesses auprès de mes patients. Le médecin ne va pas tarder à arriver pour faire les sutures. D’ailleurs, en parlant de lui...»

A ces paroles, le médecin arriva dans le box occupait par la patiente, avec tout le matériel pour réaliser le soin. Son kit de suture, un anesthésiant local et le nécessaire pour l’administrer, ainsi que de quoi réaliser un pansement après, il était bien chargé. J’entrepris de venir l’aider, pour installer son matériel pendant qu’il allait se laver les mains. J’adressais également un sourire encourageant à la patiente, souhaitant la rassurer du mieux possible alors que je lui installais correctement le bras pour réaliser le soin dans les meilleures conditions.

« - Vous allez bientôt être transférée dans un service. On vous garde pour la nuit avec nous puis vous pourrez rentrer chez vous, si tout va bien. En attendant, le médecin va vous recoudre la plaie. Je vous laisse entre de bonnes mains. »

Je sortis pour aller m’occuper de mes autres patients. J’en avais quelques uns à gérer, pas d’urgence vitale en revanche. Après avoir perfusé deux patients, vérifié plusieurs glycémies et pris plusieurs tensions, je me rendis dans la chambre d’Alex, le médecin devait avoir fini son soin. Je tapotai à la porte, attendant une réponse pour pouvoir rentrer.

Alors que j'entrais dans la chambre après en avoir eu l'autorisation, j'observais ma patiente. Elle avait meilleure mine par rapport à tout à l'heure, ces maux de tête devaient avoir diminués grâce au traitement antalgique. Je notai également que son pansement au bras suite aux sutures était propre, pas de saignement apparent. Les choses rentraient dans l'ordre pour elle et j'en étais ravie. Ce sentiment de satisfaction d'avoir aidé son prochain était vraiment un moteur dans ma vie de tous les jours. Je lui répondis donc à sa phrase, avec un sourire alors que je m'approchais d'elle. Il était vrai que je passais un peu plus de temps à l'hôpital que nécessaire mais j'avais du mal à quitter mon poste et mes patients. Si j'étais pleinement honnête avec moi-même, je n'avais également pas envie de me retrouver seule dans mon appartement. Je faisais donc un petit peu de temps supplémentaire, presque pour mon plaisir.

"- Nos journées sont souvent assez longues à l'hôpital mais je suis sur la fin de ma garde oui. Je serais encore là demain. Vous n'allez pas vous débarrasser de moi aussi facilement j'en ai bien peur."

En entendant la jeune femme s'excusait, je ne pus réprimer une petite grimace. A l'arrivée des urgences, les patients étaient rarement agréables. Que cela soit par l'inquiétude, les douleurs ou la peur, leurs réactions ne reflétaient que rarement leurs véritables personnalités. Pour autant, mes collègues et moi arrivions à passer outre et à voir au delà de toutes ses émotions négatives. Ici, j'avais vu qu'elle était juste effrayée et j'avais donné de mon temps pour la rassurer et j'apercevais à présent une jeune femme charmante et agréable. Je la rassurais, me rappelant par la même occasion son dossier que j'avais brièvement lu alors qu'elle était au scanner. Il n'était pas étonnant qu'elle n'aimait pas l'habitude, cela se comprenait.

"- Ne vous inquiétez pas pour ça. Les gens sont rarement ravis d'arriver à l'hôpital...Enfin, sauf nous, les médicaux. Mais sommes nous normaux ? Telle est la question."

En voyant un sourire sur le visage de ma patiente, je compris que j’avais réussi une partie de mon travail aujourd’hui. Je savais par expérience que je ne pouvais pas satisfaire tout le monde, que la douleur ne pouvait être effacée par un claquement de doigts et que l’hôpital n’était pas une destination de voyage où les patients étaient heureux de venir. Mon but était donc de les détendre, de les prendre en charge le mieux possible et d’essayer de leur changer les idées, de les faire sourire, de les distraire s’il le fallait. Ici, j’avais réussi et cela me donnait également le sourire. Je pouvais rentrer chez moi en paix avec moi-même.

En entendant les questions posées par ma patiente, je ne pus réprimer une petite grimace. Elle ne pouvait deviner qui il y avait derrière cette façade que je donnais au travail, qui se cachait véritablement sous cette blouse. Elle ne pouvait deviner que les dernières semaines avaient été particulièrement compliquées à vivre et que celles à venir s’annonçaient dans le même calibre. La jeune femme ne pouvait apercevoir ce léger arrondi au niveau de mon ventre, majoré par la gravité en cette fin de journée, que je m’efforçais de cacher sous une blouse surtaillée. Ne connaissant encore que peu de monde à Bowen, personne n’était au courant de secret que je n’allais plus pouvoir garder pour moi très longtemps. Cependant, je ne pouvais lui dire les choses ainsi, ce n’était pas mentir, c’était dissimulé une partie de la vérité que je ne souhaitais pas énoncer, pas confronter également. Je repris donc mon sourire aux lèvres et lui répondis avec une voix que je voulais plus détendue que mes pensées :

« - Je viens d’emménager en ville, seule donc en dehors de mon plaid et d’une bonne douche, rien ne m’attend chez moi, j’en ai bien peur. »

Je décidais d’y mettre un peu d’ironie pour rendre ma réponse moins triste pour elle mais surtout pour moi qui me cacher derrière ce cynisme qui m’était propre. Depuis des années, je l’usais comme mécanisme de défense. Cela fonctionnait plutôt bien jusqu’alors, je continuais donc d’en user.

Ma journée était très clairement terminée et je voyais d’ailleurs mes collègues de nuit arrivaient. Bien que j’appréciais la conversation légère avec ma patiente, il était temps pour moi de la laisser. De plus, je commençais à noter quelques signes de fatigue chez elle. Les péripéties s’étaient enchaînées et elle baillait ouvertement devant moi. Je ne le prenais évidemment pas mal, c’était assez logique en soit. On le remarquait souvent chez les patients. Une fois que les examens étaient passés, que les résultats étaient tombés, la fatigue prenait le dessus et il était temps de les laisser se reposer, ce que je fis dans ma situation. Je fermais la lumière après avoir salué poliment ma patiente puis poussais la porte.

Je savais par expérience que la nuit ne serait pas de tout repos pour elle. Mes collègues viendraient régulièrement la déranger afin de savoir si elle a des douleurs, si elle est toujours orientée dans le temps et dans l’espace. Le matin, les patients se plaignaient souvent de leur fatigue, du bruit omniprésent. On prônait le repos à l’hôpital, on essayait d’être le plus discret possible la nuit mais quand arrivait une urgence, la discrétion était laissée au placard.

Une fois mes transmissions terminées, je me rendis vers mon vestiaire, ravie de terminer tout de même cette journée à rallonge. Je m’assis quelques secondes afin de retirer mon pantalon qui me boudinait très clairement le ventre en fin de journée. Je me massais quelques secondes ce dernier, relâchant la pression puis remettait mes vêtements civils. Encore une garde terminée.