as it was (ava)

Tu profites de ton passage à la fontaine à eau près du hall pour faire un petit tour dans l’hôpital, quittant régulièrement ton service lors de tes pauses pour voir un peu ce qu’il se passe ailleurs. Tu sais que ça peut être un peu déprimant de travailler aux soins palliatifs et parfois les gens ont pitié de savoir que tu fréquentes aussi régulièrement des personnes amenées à mourir dans un avenir proche. Mais toi tu aimes travailler dans ce service et tu n’en changerais pour rien au monde. Tu as connu le monde du strass et des paillettes à la suite de ta participation à l’émission mariés au premier regard, ainsi qu’un bref passage dans le monde du mannequinat mais tu préfères largement te retrouver tous les jours à l’hôpital. Tu aimes l’anonymat que t’offres ton travail et la proximité avec les gens. Tu aimes prendre soin des autres et tu es sérieux dans ton travail, mais c’est aussi parce que tu en as l’occasion et que tu peux passer un peu de temps avec les patients sans qu’on te presse pour changer de chambre. Tu déambules dans les couloirs pour rejoindre ton service tout en buvant une gorgée d’eau. Tu en profites également pour sortir une barre de céréales sans sucre ajoutés, un de tes snacks préférés. En détour d’un couloir tu remarques une jeune femme en blouse en train de regarder le plan de l’hôpital. Tu t’approches puis te penche vers elle pour qu’elle te remarque et tu lui lances, avec un sourire « J’peux vous aider ? » Tu essaies de trouver son prénom sur sa blouse pour connaître son prénom mais tu n’oublies pas non plus qu’elle peut très bien être une patiente qui a réussi à chiper une blouse, ça arrive parfois mais en général, il n’est pas très compliqué de s’en rendre compte, lorsque ces personnes ne font pas partie du personnel.

Ma journée avait commencé sur les chapeaux de roue. Premièrement, j’avais peu dormi. Mon repas d’hier composé de riz et d’un curry de pois-chiches ne semblait pas vouloir être digéré. Les épices n’étaient donc plus possible dans mon alimentation, je le notais dans mon esprit. Les nausées étaient encore présentes ce matin mais j’arrivais à penser à autre chose, en buvant bien du thé et en pratiquant quelques exercices de respiration dès que la nausée revenait. Avoir l’esprit occupé me permettait également de ne pas trop y penser. Deuxièmement, nous étions en sous-effectif aujourd’hui. Une de mes nouvelles collègue était malade, la grippe selon les paroles de notre cadre. Il fallait donc pallier à ce manque en travaillant davantage car elle n’avait évidemment trouvé personne pour la remplacer. Troisièmement, je prenais en charge un patient avec une pathologie assez complexe et le médecin m’avait prescrit un bilan sanguin qui ne cessait de se terminer. J’avais piqué le patient, ramenait les tubes au laboratoire en quatrième vitesse pour qu’ils soient vite analysés. Me voyant courir un peu partout dans l’hôpital pour ce patient, mes collègues m’avaient proposés d’aller me restaurer la première. Cela tombait bien car j’avais faim, n’ayant rien pu avaler ce matin. Je leur transmis brièvement quelques informations sur mes patients alors que le téléphone du service sonnait, indiquant que les résultats du prélèvement de mon patient était sorti. Il me fallait aller les chercher sous format papier en raison d’un problème informatique. J’indiquai donc à mes collègues que je ferai un détour en allant manger par le laboratoire. Au vu de la pathologie de mon patient, je préférai aller rechercher les résultats avant de manger. Une fois le crochet fait par le laboratoire fait, je me retrouvais sans comprendre au niveau des soins palliatifs alors que ma volonté première avait été de rejoindre le self. Je tournai quelques secondes dans les couloirs avant d’apercevoir le plan de l’hôpital. Il avait franchement falloir que je le mémorise ou que je me le fasse tatouer sous le pied comme Dumbledore. Alors que j’essayais de comprendre comment rejoindre le self, je fus interrompu. Un regard me suffit pour identifier un de mes collègues. Contrairement à ma blouse, il y avait son nom dessus. Étant encore nouvelle dans l’hôpital, je n’avais pas encore ce privilège. Je lui répondis alors avec un sourire :

« - Je cherchais le self mais mon petit doigt me dit que je ne suis absolument pas au bon endroit... »

Tu ne vois pas de panique sur le visage de la jeune femme lorsque tu l’interpelles, signe sans doute qu’elle est belle et bien une infirmière et non pas une patiente qui tente de s’échapper, raison pour laquelle elle pourrait regarder ce plan d’ailleurs. Tu travailles à l’hôpital et aux soins palliatifs depuis presque dix ans. Tu as eu quelques temps d’arrêt lorsque tu es parti à Sydney tourner ton émission et un peu plus ensuite quand tu as fait une dépression suite au harcèlement que tu as subi en ligne. Mais à ton retour l’hôpital n’avait pas vraiment changé et tu étais content de retrouver cet univers familier. Tu connais chaque étage, même ceux où tu n’as pourtant rien à y faire normalement et tu sais te repérer dans cet endroit à l’allure d’un labyrinthe pour certains. La jeune femme t’indique qu’elle cherche le self, qui ne semble pas être là. Tu lui souris, bienveillant. « Effectivement, ce n’est pas vraiment le bon endroit. Je peux vous y emmener si vous voulez ? » lui proposes-tu alors. Il ne faut pas une éternité pour y arriver alors tu ne sais que ça ne te prendra sûrement pas trop de temps. « Vous êtes nouvelle ? » lui demandes-tu alors en raison de l’absence de nom sur sa blouse et son regard un peu perdu face au plan. Tu es toujours enclin à discuter, ce qui fait que tes patients t’aiment bien en général. Tu essaies de les sortir de leur quotidien, de leur raconter des histoires, qu’elles se soient passées à l’hôpital ou en dehors. Tu sais que ça leur fait du bien de penser à autre chose, de les sortir de leur quotidien et toi tu apprécies les conseils qu’ils peuvent te donner, certains meilleurs que d’autres cependant.

Voilà plusieurs personnes qui m’apportaient de l’aide à l’hôpital et j’aimais cette ambiance. Lors de mes débuts à Melbourne, cela n’avait clairement pas été le cas. Mes anciennes collègues m’avaient longtemps mises à l’épreuve pour voir comment je réagissais. Cela c’était au final bien terminé pour moi mais je me rappelle de longues semaines de travail où je terminais complètement épuisée. Ici, l’ambiance me semblait plus bienveillante et cela me consolait dans mon choix pour cette nouvelle vie. Absorbée quelques secondes dans mes pensées sur mes collègues, je fus rappelée à la réalité par un petit bruit en provenance de mon estomac qui criait famine et demandait qu’on le remplisse rapidement. Je ne pus réprimer un petit rire gêné. Avec un grand sourire vers cet homme, je lui répondis :

« - Vous seriez le sauveur de mon estomac vide si vous faites ça ! »

Bien que j’essayais de me fondre dans la masse des personnels paramédicaux, j’étais telle la brebis perdue hors de son troupeau. Cet hôpital était un véritable labyrinthe à mes yeux. Reconnaissante de l’aide que ce nouveau collègue était en train de m’apporter, je lui tendis la main afin de me présenter. J’avais l’impression de passer mon temps à faire ça depuis que je suis arrivée sur Bowen. Rencontrer des personnes n’est pas chose facile, je m’en rendais bien compte actuellement. Je devais me refaire un nouveau cercle social et il passait par cette phase de présentation, de découverte des autres.

« - Ah, je suis démasquée. Ava Backer, infirmière sur le pôle urgences/réanimation. Enchantée et reconnaissante de votre aide. »

Que ce soit des membres du personnel arrivés il y a peu, des patients ou des visiteurs, il n’est pas rare pour toi de venir en aide à des âmes égarées. S’il y a des plans un peu partout pour s’y retrouver, ce n’est pas toujours simple de comprendre le système de numérotation ni même la signification de certains sigles ou certains noms. Certaines personnes savent qu’ils ont rendez-vous avec tel spécialiste mais n’ont aucune idée du service où celui-ci exerce et qui, au lieu de demander les renseignements à l’accueil, préfèrent errer dans les couloirs en pensant s’en sortir tout seul. Tu souris à la jeune femme perdue, celle-ci acceptant volontiers ton aide pour l’aider à retrouver le chemin vers la cafeteria. Se dirigeant vers la direction appropriée, tu en profites pour lui demander si elle nouvelle, ce qui semble plutôt évident. Si elle ne l’est pas, elle doit avoir un sens de l’orientation relativement désastreux ou bien mentir sur qui elle est. Tu lui attrapes la main lorsqu’elle se présente avant d’en faire de même. « Rory Sainte-Rose, infirmier en soins palliatifs, enchanté ! » Tu te demandes un instant comment elle a pu se rendre là où vous êtes si elle travaille aux urgences mais tu te dis que parfois il vaut mieux ne pas savoir comment les gens se débrouillent pour se perdre. « Je n’allais quand même pas vous laisser mourir de faim au milieu du couloir. » lui dis-tu en souriant, ajoutant « Vous voulez un bout de ma barre de céréales pour tenir pendant le trajet ? » Tu ne l’as pas mangé en entier pour l’instant alors si elle le veut, tu peux lui couper un bout dans lequel tu n’as pas croqué, même si tu t’imagines qu’il lui reste suffisamment de réserve pour ne pas s’évanouir de faim.

J'apprenais donc que mon sauveur était un de mes collègues infirmiers. Après lui avoir serré la main, je le suivais en direction de la nourriture. J'étais rassurée d'être tombée sur quelqu'un d'aussi aidant. Par expérience, je savais que tout le monde n'était pas aussi agréable. Je me rappelais d'une ancienne collègue à Melbourne qui m'avait mal indiqué le service de chirurgie où je devais faire une rotation. A la place, elle avait trouvé intelligent de m'indiquer le chemin de la morgue. Alors jeune et naïve, j'avais suivi le chemin indiqué, ne me doutant absolument pas qu'elle m'avait induite en erreur. Quelle fut ma surprise au moment de passer les doubles portes du service. J'en avais rapidement perdu le sourire qui orne normalement toujours mes lèvres au travail. Il dégageait quelque chose de Rory, mon nouveau collègue, qui me disait d'avoir confiance, qu'il me mènerait au bon endroit.  

"- Je suis sûre qu'on m'aurait trouvé avant...Du moins, j'espère !"

Je ne pus réprimer un petit rire en m'entendant. Mes blagues n'étaient pas toujours très drôles mais j'essayais toujours de détendre l'atmosphère. Je cachais beaucoup de choses derrière cet "humour". Mon ventre commençait à sérieusement grogner mais je ne pouvais accepter sa moitié de barre céréalière même si elle était si gentiment proposé. Je rêvais actuellement d'un plat de pâtes, avec pleins de fromage râpé dessus et une crème au chocolat en dessert. Depuis quelques jours, j'étais un des clichés ambulant de la femme enceinte. J'avais des envies alimentaires insupportables.

"- C'est gentil mais j'entends déjà mes pâtes m'appelait. Vous ne les entendez pas ? Elles hurlent mon prénom, réclamant une morte certaine et rapide."

Dans un hôpital il n'est pas vraiment recommandé de laisser quelqu'un mourir au milieu d'un couloir, ni ailleurs et même en dehors des hôpitaux ce n'est pas vraiment recommandé. Forcément pour toi il te semble naturel d'aider ta nouvelle collègue même si vous n'êtes pas du même service et que vous ne vous recroiserez peut-être pas si souvent. Tu sais qu'elle ne va pas mourir de faim d'un instant à l'autre mais tu aimes toujours amener un peu de légèreté. En parlant de la mort, oui, ça peut paraître étrange mais travaillant entouré de patient à la durée de vie pour la plupart connue, tu sais que certains préfèrent plaisanter sur le sujet, ayant pour effet de les déstresser tandis que d'autres, au contraire, ne veulent absolument pas en entendre parler. Tu t'adaptes à chaque patient pour leur offrir le maximum de confort dans ces instants difficiles. « Il faudrait s'inquiéter si ce n'était pas le cas. » Réponds-tu en souriant, marchant vers la cafeteria. En chemin tu proposes un bout de ta barre de céréales à la jeune femme, ce qu'elle refuse, préférant attendre un peu plus pour un bon plat de pâtes. Tu peux la comprendre, ton alimentation n'attire pas trop les gens en général. Comme tu fais beaucoup de sport, ton régime alimentaire est adapté en conséquence et tu évites la plupart du temps les excès. Ta barre de céréales est sans sucre et hyperprotéinée, toi tu aimes bien mais tu sais que ce n'est pas la tasse de thé de tout le monde. Tu ris avant de lui répondre « Maintenant que je tends l'oreille, j'entends peut-être quelque chose. On s'approche de la cafeteria ! » Tu décides d'enchaîner ensuite « Du coup vous êtes arrivée il y a peu ? »

« - Ah, mon estomac va enfin être comblé ! Amen ! »

Nous venions d’arriver à la cafétéria et je me saisis d’un plateau avant d’entrer dans la file d’attente pour aller me servir. Je ne pris pas d’entrée, les légumes crus n’étaient pas recommandés chez les femmes enceintes. Dommage car c’était mon alimentation de base habituellement. Lorsque je jouais encore au tennis, je tournais à plein régime aux fruits et légumes sans oublier une quantité de protéines. Cette alimentation me manquait par moment mais mon envie de pâtes et de chocolat était trop importantes. Je me rendis donc directement aux plats principaux. Je demandais uniquement des pâtes avec du fromage râpé. L’employée de la cantine n’en avait pas mis assez mais cela serait bien suffisamment pour que mon pantalon me boudine jusqu’à la fin de la garde. Je me saisis ensuite d’une crème au chocolat, comme mes envies me l’inculquaient et je payais mon repas. Après cela, je répondis à ce nouveau collègue qui s’intéressait à moi, je trouvais ça très sympa de sa part. Je lui répondis donc avec une petite moue amusée :

« - Il y a quelques semaines oui...D’où mon manque d’orientation dans la structure. Et vous ? Enfin, on peut peut-être se tutoyer non ? J’ai l’impression d’avoir cinquante ans, si ce n’est plus, quand on me vouvoie. »

Je me rendis à une table libre, voyant le jeune homme m’accompagnait. Je poursuivis la conversation, grande bavarde que j’étais, en commentant mon menu pour le moins gastronomique et copieux, en riant à moitié.

« - J’ai faim ok ? »

Rapidement vous arrivez à la cafeteria. L’hôpital est grand mais pas si immense pour que vous mettiez un temps fou à y arriver. La jeune femme attrape un plateau tandis que tu la suis avec ta demi barre de céréales. Ce n’est pas encore l’heure de ta pause repas mais tu as encore un peu de temps de pause avant de devoir retourner dans ton service, à moins qu’il y ait une urgence auquel cas ton biper sonnera avant la fin de ta pause. Ça arrive parfois mais tu n’es pas dans le service où il y a le plus d’urgences à gérer. Bien souvent quand il y en a une tu sais qu’il sera difficile de faire quoi que ce soit, les patients étant tous en fin de vie. Même s’il est de ton devoir de tout faire pour les garder en vie, tu sais que certains préféreraient pas être réanimés. Tu es donc loin de l’ambiance bouillonnante des urgences. Ta nouvelle collègue se sert son repas avant de répondre à ta question sur son arrivée récente à l’hôpital. « Oui on peut se tutoyer t’inquiète pas. C’est l’habitude c’est tout. Moi ça fait presque dix ans que je travaille ici donc j’ai pas trop de mal à me repérer, ça va. » réponds-tu en souriant avant que vous n’alliez vous asseoir à une table libre. « Je comprends t’inquiète, surtout les premiers jours, faut prendre des forces pour survivre à tout ça. Mais du coup t’étais dans un autre hôpital avant ou c’est ton premier poste ? » lui demandes-tu, intéressé. Et pour ce qui est de son repas, tu ne comptes pas la juger sur le contenu de son assiette. Toi tu manges des plats équilibrés en faisant bien attention à tous les apports mais les autres font bien comme ils veulent, surtout que des pâtes avec du fromage, ça ne te paraît pas si catastrophique.

« - Dix ans ? Et tu as toujours travaillé dans le même service ? »

En un peu plus de dix ans d’exercice de la profession, j’avais expérimenté plusieurs services. J’avais, certes, toujours été dans des services qui demandent beaucoup d’intensité. Les soins intensifs, la salle de réveil, la réanimation ou encore les urgences, j’avais acquis un peu de l’expérience partout. Aujourd’hui, j’étais plus que ravie d’être au service des urgences. J’aimais l’ambiance qu’il y avait, à moitié fouillis à moitié organisé selon le point de vue de chacun. C’était dans ce genre d’endroit que j’évoluais le mieux.

« - J’aimerai dire que je suis une jeune diplômée, fraîche comme pas deux. Malheureusement, ou heureusement d’ailleurs, je suis déjà diplômée depuis quelques années mais j’exerçais sur l’hôpital de Melbourne avant. Tu connais ? Et toi, tu as toujours exercé dans cet hôpital ou tu as vu un peu de pays ?»

J’étais toujours très curieuse auprès d’inconnus. J’adorais apprendre à découvrir les personnes, quel chemin ils ont eu dans la vie, comment ils se sont retrouvés devant moi à ce moment précis. Une vraie curieuse comme l’aurait dit ma mère. Je ne pouvais m’en empêcher en revanche, c’était plus fort que moi. Alors que je mangeais quelques bouchées de mes pâtes de manière peu élégante, je jetais un coup d’œil à ma montre. J’avais encore un peu de temps devant moi pour manger. Je continuais donc d’engager la conversation avec mon nouveau collègue.

« - Enfin, j’ai déménagé il y a peu de temps et me voilà fraîchement débarquée sur l’hôpital. Je dois avouer que ça me change un peu en terme d’intensité mais les gens sont beaucoup plus accueillants que dans mon ancien hôpital. »  

Ton envie de devenir infirmier en soins palliatifs n’est pas arrivée tout de suite. Pendant un temps tu t’es beaucoup questionné sur ton futur, en dehors ton avenir professionnel, ta jeunesse a été faite d’incertitudes et de mal-être, ton futur métier n’était pas vraiment ta priorité surtout quand ton corps de l’époque ne correspondait pas à ce que tu étais, ça occupait toutes tes pensées. C’est en commençant ton traitement hormonal et le processus médical pour changer de genre que tu as découvert le métier d’infirmier, davantage que l’idée que tu en avais. Tu as rapidement su que ça serait ton futur métier et heureusement car il ne te restait plus beaucoup de temps pour choisir ton orientation. Les soins palliatifs sont arrivés plus tard, quand tu as commencé ton cursus et que tu as découvert les différentes possibilités. Ton premier stage n’a pas eu lieu dans ce service là mais tu as pu tout de même le découvrir un peu et comprendre que c’était là que tu voulais travailler, que c’était là que tu t’épanouirais le plus même si ça peut paraître un peu morbide. « Oui j’ai toujours été aux soins palliatifs, je me vois pas être ailleurs. Et toi, toujours les urgences ? » la questionnes-tu en retour. La jeune femme t’explique qu’elle n’est pas une jeune diplômée mais qu’elle a simplement changé d’hôpital. « Non j’y suis jamais allé mais j’imagine que c’est bien plus grand qu’ici ! J’ai toujours travaillé ici mais j’ai un peu bougé en dehors du boulot. » Tu as vu un des hôpitaux de Sydney et tu as voyagé à divers endroits dans le monde, principalement en Europe pour revoir ta famille. « Même la ville, ça doit pas mal te changer. Tu voulais un peu plus de calme ? Enfin calme, tout est relatif, les urgences ce n’est pas vraiment calme. » dis-tu en souriant.

J’écoutais mon nouveau collègue avec beaucoup d’attention tout en continuant de manger mon plat de pâtes au fromage. J’étais admirative de mes collègues des soins palliatifs. Je n’aurais jamais pu exercer dans ce domaine. L’accompagner en fin de vie faisait évidemment parti de mon métier mais je ne me sentais pas les épaules assez solides pour le faire tous les jours, je suis bien trop émotive surtout avec les hormones de grossesse ces temps-ci. Je n’aimais pas non plus la vie des services où l’on devait se conformer à certaines heures. Le matin les toilettes, les médicaments puis les soins et l’après midi la même chose. Non, j’étais plutôt de ceux qui ne veulent pas savoir ce qui va leur tomber sur le nez lorsqu’ils embauchent, un peu mais sur les bords; Je répondis donc à mon collègue calmement :

« - Non, je n’ai pas toujours exercé aux urgences. J’ai fait un peu de réanimation ainsi que le bloc opératoire mais c’est vraiment aux urgences que je me sens le plus moi même. J’aime le désordre, oui, c’est bizarre à dire comme ça ! »

Je sortis un petit rire avant de poursuivre sur ma lancée, vraie bavarde que je peux être.

« - Je cherchais à changer un peu d’air. Je ne me voyais plus rester à Melbourne. J’ai donc cherché un nouvel emploi, peu m’importer la ville en fait. J’ai postulé à Bowen et j’ai immédiatement été prise. C’est sur que la ville est plus calme que Melbourne mais je trouve qu’il y fait bon vivre. »

Bowen était le premier de la liste, j’avais simplement postulé, envoyant un curriculum vitae que je n’avais pas refait depuis mon embauche à Melbourne au début de ma carrière. Ils m’avaient aussitôt rappelé et j’avais plié bagages en moins d’une semaine, sur un coup de tête selon mes proches, mûrement réfléchir selon moi qui ne me sentait plus aussi bien qu’avant à Melbourne.

Tu questionnes toi aussi ta nouvelle collègue sur sa vie professionnelle, te demandant si elle a toujours été dans le même service. Tu remarques qu’elle semble aimer ceux qui sont les plus agités tandis que toi tu préfères davantage la routine. Tu sais bien que ton service n’est jamais le plus demandé en sortie d’école et qu’une partie de tes collègues sont arrivés là parce qu’ils n’ont pas pu avoir leurs autres choix. Si tu aimes bien parfois avoir un peu d’action dans ton quotidien, tu apprécies aussi de savoir ce qu’il va se passer dans ta journée. Et pouvoir donner le sourire le temps de quelques instants à ceux qui ne l’ont plus vraiment depuis qu’ils sont dans une chambre aux soins palliatifs, ça compte beaucoup pour toi. Le lien avec l’humain se ressent énormément là où tu travailles et c’est la partie que tu apprécies le plus. Tu discutes avec des gens qui ont tous des parcours différents, des passions différentes et tu tentes au mieux de leur apporter ce qu’ils aiment pour leur faire passer une bonne journée. Certains sont plus faciles à apprivoiser que d’autres. Ton regret est toujours de voir quelqu’un partir sans avoir réussi à lui redonner le sourire pour finir sa vie apaisée. « Tu aimes bien quand ça bouge et qu’il y a de l’action. » résumes-tu en hochant la tête. Ça te semble aussi correspondre au fait qu’elle ait quitté sa ville, visiblement assez rapidement, pour l’autre bout du pays et une petite ville perdue, changeant radicalement sa vie. « Oui c’est une ville très sympa. J’ai vécu une partie de mon enfance à Londres, ça fait un changement aussi d’arriver ici, hormis le climat qui n’est pas vraiment le même, il y a aussi le calme qui se trouve sans difficulté. » Il suffit d’aller sur la plage un peu à l’écart des endroits les plus prisés ou dans des rues en dehors des grandes rues commerçantes, pour y trouver le calme.

"- C'est exactement ça, j'ai besoin que ça bouge sinon je m'ennuie assez vite..."

L'hyperactivité, ça me connait et mes parents aussi. Avec le recul, j'ai un grand respect pour ces derniers qui m'ont élevé avec beaucoup de patience alors que j'en étais dénuée. J'étais un vrai ras de marée lorsque j'étais plus jeune, je ne tenais absolument pas en place. Mes parents ont trouvé une combine assez amusante, il me donnait un livre et je me calmais immédiatement. La lecture me stimulait intellectuellement et ça me calmait physiquement. Petite, ma mère se déplaçait donc toujours avec un livre qu'elle me tendait dès qu'elle souhaitait que je me calme ou uniquement pour me divertir. Encore aujourd'hui, j'ai très régulièrement un livre sur moi notamment avec ma liseuse qui ne me quitte jamais. Même au travail, elle n'est jamais bien loin. Pourtant, je me suis un peu calmée avec l'âge. Aujourd'hui, je suis capable d'attendre, de m'ennuyer même depuis peu.

Rory me parlait du calme de Bowen et c'était exactement ce que je ressentais concernant cette ville. Il y avait un calme apaisant. Ensuite, j'écoutais mon collègue parlait de Londres et un grand sourire s'afficha sur mon visage. Bien que je n'ai aucun accent, j'étais moi-même britannique du côté de ma mère et j'ai souvent eu l'occasion d'aller dans son pays. Bien qu'elle ne soit pas originaire de la capitale, j'ai pu souvent m'y rendre en sa compagnie et j'adore cette ville surtout pendant la période de Noël où elle arbore ses belles illuminations. L'esprit de Noël est beaucoup moins marqué en Australie et cela manquait bien trop à ma mère, qui a accepté de quitter l'Angleterre par amour pour mon père. Elle nous emmenait donc toujours passer les fêtes de fin d'année dans sa famille près de Cambridge, une ville bien différente de Bowen en terme d'architecture. La mention de l'Angleterre me replonge toujours dans ces beaux souvenirs d'enfance que je m'y perdis quelques secondes avant de revenir à la réalité. Un peu confuse, je m'excusais auprès de Rory :

"- Désolée, j'étais dans mes pensées. T'entendre parler de Londres m'a ramené à mon enfance. Ma mère est originaire d'Angleterre, j'ai souvent eu l'occasion d'y aller. J'adore l'ambiance de ce pays, assez différent de l'Australie d'ailleurs."

Sans pour autant prétendre la connaître complètement, tu as l’impression de cerner ta nouvelle collègue. Elle aime, que ce soit dans sa vie professionnelle ou son quotidien l’action, que les choses bougent. Tu te demandes ce qui a pu la pousser à s’installer dans une ville comme Bowen, bien plus calme que Melbourne. Mais peut-être qu’elle n’y restera finalement pas, que ce sera simplement une étape dans sa vie bougeant à mille à l’heure. « Tu as toujours besoin de t’occuper. » acquiesces-tu en souriant. Toi tu aimes aussi souvent faire quelque chose, occuper tes mains, notamment en faisant du tricot, ce qui a tendance à te détendre, mais tu aimes aussi vivre ta vie tranquillement. Tu te laisses souvent porter par les événements, passant parfois plusieurs soirs à faire la fête et d’autres tranquillement chez toi à lire un livre. Tu n’as pas forcément une routine très précise, même si certaines choses reviennent régulièrement, comme le sport par exemple. Tu sens que la jeune femme met un peu de temps avant de te répondre lorsque tu évoques ton enfance à Londres. Elle s’excuse, t’expliquant qu’elle connaît un peu l’Angleterre elle aussi puisque sa mère y est originaire. « Oh, elle vient de quel coin ? » demandes-tu, curieux. « Il y a quelques différences effectivement, je me suis attaché à l’Australie, je ne sais pas si je pourrais un jour retourner vivre là-bas. » Ce n’est pas dans tes projets de toute façon. Tu aimes pouvoir faire du surf à seulement quelques minutes de ton travail et si le climat anglais ne te dérange pas particulièrement, tu aimes aussi celui de Bowen. Ton enfance en Angleterre a aussi un goût particulier pour toi, à cette époque tu ne pouvais pas être complètement toi-même, enfermé dans un corps qui n’était pas le tien, tu n’y as jamais vécu, en dehors de tes quelques voyages plus tard avec ta famille, en y étant véritablement toi-même. Y retourner te ramène aussi parfois à de douloureux souvenirs que tu tentes d’effacer de ta mémoire pour ne garder que les moments heureux. « Je crois que le froid me manque un peu parfois quand même. » ajoutes-tu en riant.