as it was (ava)

"- Elle est originaire de Cambridge, au Nord de Londres. Tu connais ? C'est une ville magnifique avec une architecture très ancienne, universitaire. On est pas sans connaître la rivalité avec Oxford normalement."

Mon flux de parole augmentait toujours lorsque le sujet m'intéressait et c'était exactement le cas lorsque je parlais de mon pays maternel. Je ne m'y rendais pas souvent mais j'avais vraiment une passion pour ce pays. J'espérais pouvoir m'y rendre l'année prochaine comme je le fais habituellement tous les ans. Néanmoins, je n'ai pas pu y aller cette année au vu de tous les bouleversements dans ma vie. Je parlais donc de l'Angleterre avec animation, lâchant un petit 'pardon' au moment où je me rendais compte que je parlais bien trop vite pour être correctement comprise. Je fis donc une petite pause pour manger quelques bouchées et prendre une grande gorgée d'eau. Toutefois, je repris rapidement ma tirade en entendant mon nouveau collègue parlait des températures et du froid, concept que je ne saisissais que très peu.

"- Alors là, je ne comprends pas. Je suis certes à moitié britannique mais mon sang est australien concernant la chaleur. Les températures en Angleterre sont une véritable torture pour moi. J'ai l'impression de me transformer en esquimau lorsque je vais à Cambridge, il fait tellement froid et humide. Enfin, comment c'est possible qu'il pleuve autant ?"

Je me replongeais quelques secondes dans mes pensées, me rappelant mon dernier passage éclair dans la capitale britannique. C'était il y a maintenant plus d'un an, en novembre 2021. J'étais accompagnée d'Oliver, mon ex-compagnon, et nous n'étions clairement pas préparé à l'hiver anglais. Bien que nous étions partis avec des manteaux chauds, nous étions contraints de faire de nombreuses pauses pendant nos visites pour nous réchauffer. Pendant notre périple, nous avions finalement passé un certain temps à arpenter les différents salons de thé de la capitale plutôt qu'à visiter, c'était le folklore selon ma mère.

Un peu curieux, tu questionnes Ava sur ses origines, toi venant sans grande originalité de la banlieue londonienne, même si tu évoques le plus souvent Londres, le borough d’Haringey n’évoquant pas grand-chose à tous ceux qui ne vivent pas en Agnleterre voir à Londres. Certes il fait parti du grand Londres mais il se trouve à trente minutes en transports du cœur touristique de la capitale, autant dire que tu n’y as pas croisé beaucoup de touristes à part ceux recherchant un hébergement pas cher ou ceux souhaitant voir un match ou un événement dans le stade de Tottenham, sans doute le quartier le plus connu du borough. « Oui je connais, j’y ai été une fois en voyage scolaire quand j’étais à l’école, je me souviens pas de grand-chose mais je me souviens que j’avais trouvé ça beau. » expliques-tu en essayant de remettre des images sur cette sortie scolaire qui remonte à de nombreuses années. Tu as visité Oxford plus récemment, lors d’un de tes retours dans ta famille restée en Angleterre mais tu n’es retourné à Cambridge. Quand tu retournes en Europe, souvent c’est la course pour voir tout le monde, dispersé entre le Royaume-Uni et la France, ayant des origines des deux pays. Tu as même une partie de ta famille dans les Antilles mais tu ne les vois que très rarement, le plus souvent en France, vous arrangeant pour que tout le monde revienne en même temps, donnant une ambiance bouillonnante ne laissant pas franchement de place au repos. Si tu es parfois nostalgique des températures moins chaudes et le temps plus pluvieux de ton Angleterre natale, ta collègue est ton opposée, clairement très bien acclimatée à l’Australie et beaucoup moins à son aise dans la pluie britannique. Tu ris avant de lui répondre. « C’est le charme anglais. » réponds-tu en haussant les épaules. Toi tu aimes cette culture des pubs, de la pluie battant contre les fenêtres, du thé et de tout ce qui fait ce charme particulier de l’Angleterre. « Je trouve ça agréable d’aller dans un pub boire un thé en mangeant des scones pendant qu’il fait sombre et froid dehors. » expliques-tu en te souvenant de tes récents passages dans ta famille. Tu as quitté Londres peu après tes douze ans mais tu te souviens quand tu allais boire le thé avec tes parents parfois lors de vos escapades dans le cœur de la capitale. « Je crois que le temps parfait serait un juste milieu entre le temps anglais et le temps australien. » déclaras-tu.

"-Oh oui, un bon scone avec de la crème et du miel...Ma mère fait les meilleurs au monde je dirai ! Avec un seau de thé Earl Grey. Oui, un seau, parce que pourquoi prendre une petite tasse ?"

Typiquement une réflexion de ma mère, pensais je. Bien que j'ai été élevé dans cette mentalité de prendre une grande tasse de thé au goûter, je reste une grande fan de café, au grand dam de ma mère. D'ailleurs, je suis extrêmement irritable le matin depuis quelques semaines, n'ayant plus le droit à ma dose quotidienne de caféine. Ma mère, cette femme qui pouvait passer des heures entières a me faire goûter de nouvelles saveurs, espérant un jour me faire un palais pour ces herbes infusées dans de l'eau chose. Le seul intérêt à mes yeux de ces tea-time étaient les scones et autres gourmandises que ma mère cuisinait.

Alors que nous étions en train de discuter de nourriture, mon ventre émit une petit bruit, une nouvelle fois, et je lâchai un petit rire, me contentant de poursuivre mon repas. Le temps passait malheureusement bien vite et, je savais que lui comme moi, nous devrions retourner à nos postes dans trop peu de temps. J'avoue qu'une pause déjeuner était trop court à mon goût pour vraiment reprendre des forces. Pour être au top physiquement, il faudrait manger et enchainer avec une bonne petite sieste et là, je serai prête à affronter les patients des urgences pour les six prochaines heures. J'écoutais donc Rory tout en terminant mon plat principal et commençant mon dessert, alternant avec quelques gorgées d'eau fraîche.

"-Peut-être un peu de fraîcheur effectivement mais clairement pas la pluie, ça serait bien plus moche en terme de paysage. Enfin, ça manque peut-être un peu de luminosité en Angleterre tout de même, la majorité des australiens ferait probablement une dépression saisonnière. "

Parler de la pluie et du beau temps, une conversation d'adulte comme le qualifierait la Ava adolescente que j'étais. Pourtant, me remémorer mes nombreux voyages en Angleterre me faisait beaucoup de bien au moral.

Les Anglais, peu importe leurs désaccords, s’accordent souvent pour dire qu’un bon scone et du thé permet d’oublier le mauvais temps dehors. Ce n’est pas pour rien que les pubs sont si présent en Angleterre et qu’ils sont la plupart du temps animés le soir, d’autant plus le week-end. Habitués au mauvais temps, ils ne sortent pas seulement en été lorsque les beaux jours sont là, puisque parfois la pluie vient gâcher le soleil, mais toute l’année. Rien de mieux en hiver que d’aller dans un salon de thé se réchauffer tandis qu’il pleut et qu’il vente dehors. « Une tasse ne suffit jamais, je suis bien d’accord ! » dis-tu en riant. Ce moment partagé avec une native du pays où tu as passé une partie de ton enfance, te rend un peu nostalgique de ce pays dans lequel tu aimes te rendre parfois. Tu apprécies aussi retourner en France, que ce soit en métropole ou dans les Antilles d’où est originaire une partie de ta famille avant d’avoir émigré en métropole. Tu n’as jamais vécu en France, tes parents ayant choisi l’Angleterre pour s’installer, mais ce pays est tout de même cher à ton cœur. Tu as grandit dans un mélange de cultures, ayant des références populaires des deux côtés de la Manche. En Australie, tu peux parfois lâcher quelques références anglaises qui sont comprises par les locaux, mais quand tu évoques certains pans de la culture française, tu te sens souvent bien seul. Tu vois que contrairement à toi, Ava n’est pas très fan de la pluie, toi non plus en réalité, mais elle ne te dérange pas tant et tu ressens toujours un peu son absence dans cette région où il semble faire tout le temps beau et quand il pleut, les pluies sont abondantes et chaudes, rendant l’air souvent moite en été. Rien à voir avec la pluie anglaise qui fouette le visage et gèle les extrémités. « C’est sûr que ce n’est pas connu pour être le pays avec le plus de soleil, rien à voir avec ici, c’est certain ! Mais je crois que je préfère quand les pluies froides anglaises aux pluies tropicales qu’on a ici, quitte à avoir moins de soleil. Mais j’aime trop le surf pour retourner vivre en Angleterre ! »

"- Je n'ai absolument jamais posé un pied sur une planche de surf...J'avoue tout. Tu penses que ça fait de moi une mauvaise australienne ?"

Je ponctuais cette petite anecdote avec un petit rire. J'avais toujours vécu en Australie mais je ne m'étais jamais encore penchée sur ce sport. A l'époque, mon entraineur de tennis m'avait fait jurer de ne pas poser un pied sur une planche par peur que je me blesse bêtement. Ironiquement, c'est sur un terrain de tennis que les ligaments de mes deux genoux ont décidé de lâcher, m'obligeant à couper court à cette carrière qui me tendait pourtant les bras. Bonne petite élève que j'étais, je m'avais pas encore bravé ma promesse. Je notais mentalement qu'il serait d'ailleurs peut-être temps de le faire.

En pleine pensée sur ce que je devrais un jour faire, le présent se rappela à moi via mon téléphone. Je fronçais les sourcils, peu habituée à l'entendre sonner. Je reconnus immédiatement le numéro de mon service et ce fut un petit rappel à l'ordre de ma collègue, me disant qu'ils avaient besoin de moi. Je lui indiquais que j'arrivais, raccrocha et fit une petite moue auprès de Rory. J'avais beaucoup aimé notre conversation concernant notre pays, l'Angleterre, et je l'aurais bien poursuivi encore un peu.

"- Je suis désolée, le devoir m'appelle... Merci d'avoir aidé une âme errante."

Je faisais évidemment référence à mon périple dans les couloirs de cet hôpital que j'allais devoir apprendre à apprivoiser. Il était grand certes mais pas autant que celui où j'exerçais avant. A moi de faire un petit effort de repérage. Je terminais rapidement ma bouteille d'eau et reculer ma chaise pour pouvoir me lever, plateau en main pour laisser l'espace propre. J'adressais alors un sourire à Rory avant de lui dire :

"- Bonne journée et bon courage."

T'as toujours été du genre à faire du sport. Quand tu étais encore en Angleterre tu étais plutôt gymnastique avant de finir par lâcher l'affaire, même s'il t'arrive encore parfois de retourner sur les agrès. En arrivant à Bowen tu as découvert le surf, c'était un peu ça ou les rugby, les deux sports très répandus ici. Tu as tout de suite accroché. Tu vas régulièrement te faire des sorties surf dans les coins de Bowen et des alentours réputés pour la pratique. En dehors de ça tu pratiques aussi beaucoup la musculation, tes muscles ne sortent pas de nulle part ! C'est un peu ton addiction que tu essaies de garder saine et que justement elle ne devienne pas une réelle addiction et une réelle obsession nocive. Ava t'avoue qu'elle, elle n'a jamais mis les pieds sur une planche de surf, bien qu'elle vive en Australie depuis toujours. « Un peu. » réponds-tu en riant sans en penser un mot. Tu ne crois pas qu'il faille faire telle ou telle chose pour mériter sa nationalité, même si toi tu es un vrai franco-britannique, ça ne fait pas de doute. « Je pourrais t'initier si tu veux ? » lui proposas-tu. Ça ne serait pas la première fois que tu donnes des conseils en la matière, même si tu as plutôt tendance à les prodiguer en matière de musculation et de nutrition. Votre conversation doit cependant s'arrêter là, Ava devant retourner un petit peu plus rapidement que prévu à son travail. « Pas de soucis, je vais y retourner aussi. » la rassuras-tu. Tu as pris une pause plus longue que prévue, tu espères que tes collègues ne t'en voudront pas trop en te voyant revenir. S'ils avaient eu besoin ils n'auraient pas hésité à t'envoyer un message. « Toi aussi. » dis-tu avant que vos chemins ne se séparent, chacun retournant à son service respectif.

fin