Hanté par le passé, pressé d'avoir Alzheimer ft. Penelope Russell

“ Entre nous, j’crois qu’il est pas près pour ça, pauvre vieux. “ Même si dans l’état actuel des choses, il ne savait pas s’ils avaient enfin signé ce fichu papier de divorce… Est-ce que ça le regarde ? Non.

En arrivant au Gilhooleys quelques regards se tournèrent en leur direction, on les salua pour certains, Manwë n’avait pas que des ennemis en ville. Cet endroit fait partie des rares lieux où il peut se rendre et prétendre avoir une vie normale. Enfin, normale à la Manwë, il ne fallait guère lui en demander de trop. Ils s’installent dans un coin à l’écart des gros lourds mais pas trop isolé non plus. “ T’es sûre ? “ Provoque-t-il lorsqu’elle annonce qu’elle le suivra sur ce qu’il commandera, il ne voulait pas la sous-estimer, mais le jeu pouvait être agréable… Et c’était une bonne excuse pour avoir une bonne dose d’alcool. “ Deux crame-cerveau. “ Dit-il à l’attention du patron qui ne pu se retenir de pouffer de rire face à la commande, eux deux savaient à quoi le luthier faisait référence.

Manwë esquisse un faible sourire, reposant sur la femme ses yeux verts habités d’une lueur espiègle qui l’animait toujours, bien que peu de personnes pouvaient réellement le voir. “ Ils vendent aussi de la menthe à l’eau si tu veux. “ Le brun n’a pas vraiment l’habitude de se retrouver en tête-à-tête avec une belle femme, il reste fidèle à lui-même niveau comportement, il n’avait pas vraiment pour objet de lui plaire.  “ Tu peux le dire, je suis vraiment un enfoiré. “ Il préférait en rire et assumer pleinement.

Manwë ne se rendit pas compte qu’il avait causé une certaine peine à la jeune femme, il n’était pas la personne la plus empathique qui soit, bien qu’il ne soit pas non plus le monstre que tous voyait en lui. Il était sans doute un étrange mélange de tout ça, d’un mec bien mais qui ne sait pas comment l’être, alors il le faisait mal, très mal. À sa manière, sans doute. Il avait passé l’âge de se remettre en question, plus l'on avait peur de lui, plus on le laissait tranquille. Il avait appris cela très jeune et aujourd’hui… Tout le monde avait peur de lui.

Il sourit lorsqu’elle glorifia le bon gout des menthe à l’eau, il devait admettre ne plus même savoir ce que c’était. Il s’amusait un peu de la jeune femme, sans méchanceté, il était juste ainsi. On ne l’appréciait pas forcément pour son humour, ni pour ses excès de franchises, sa vulgarité ou son empathie. En bref, on pouvait bien se demander par quel miracle il avait à ce jour encore une poignée d’amis. Il la regarda essayer de voir ce qu’ils allaient boire, c’était assez amusant, elle ne paniquait pas, mais elle avait la curiosité d’un félin.

Les verres furent servit et pour s’amuser, il demanda quoi au server ? “ Et deux menthe à l’eau. “ Voila de quoi faire une table un peu atypique, non ? Comme eux deux réunis ce jour. Il l’observa renifler sa boisson en attendant les deux verres d’eau aromatisée. “ T’en fais pas, c’est à base de plantes, ça peut pas faire de grand mal j'imagine. “ Les eaux furent rapidement servies et il prit son verre d’alcool de sa main tatouée du mot -Sink-, non pas dans le sens du mot évier, mais du verbe sombrer. “ La fée verte, l’une des plus vieilles absinthes de ce monde. Pythagore en buvait, c’était pas ce qui le rendait plus intelligent, il parait même qu’ils hallucinaient les mecs avec ça… C'étaient sans doute des fragiles à l’époque. Ça risque quoi ? Tout au plus à me rendre joyeux et sympathique ? Bon sang... Personne n'a envie de voir ça. “ Il lâcha un léger rire teinté d'ironie. Le brun en savait bien plus qu’il ne voulait bien le dire, il n’avait jamais été bon à l’école, pourtant il était loin d’être stupide, il était luthier, beaucoup l’ignorent mais c’est un métier de grandes connaissances techniques et théoriques. “ On trinque maintenant ? À quoi d’ailleurs ? À la mort de nos ennemis ? Au divorce ? À Pythagore ? Ou à la paix dans le monde peut-être ? “ Il avait bien plus l’habitude de boire seul que de devoir trouver des motifs pour lever le verre avec quelqu’un, pourtant, il essayait à cet instant d'être plus sociable, d'être un peu moins solo versus le monde.

La situation amusait Manwë, il connaissait peu de personnes capables de boire ce breuvage. Il pourrait être surpris par Pénélope, il l’était déjà en quelque sorte. Il faut dire qu’il ne l’avait pas vu depuis des années, elle ne lui avait guère manquait contrairement à Marcus et son cœur brisé. Le luthier n’aimait pas se mêler des histoires d’amour des autres, il se considère hors-jeu en la matière. Incapable de bons conseils ou tout simplement d’optimisme concernant l’issue de ce genre de relation.

Il rit lorsqu’elle affirme avoir du mal à l’imaginer joyeux, les gens ont tendance à penser que c’est un homme triste, mais il ne l’était pas. Pessimiste sans l’ombre d’un doute, mais il n’était pas malheureux. La vie ne le répugnait pas. “ Tu m’imagines malheureux ? Crois-tu que je sois du genre à pleurer ? “ Plus à rire qu’à pleurer, mais la tristesse peut avoir tant de visages…

Les menthes à l’eau arrivaient à leur secours, ils pouvaient trinquer à diverses choses. Aux rencontres, c’était pas le terme le plus adapté, parce qu’il n’avait pas l’impression de la rencontrer pour la première fois, peut-être seulement… Se montrait-il plus réceptif à l’idée d’apprendre à la connaitre. Le brun englouti une bonne partie de son verre, il s’en gardait un peu pour plus tard, histoire de ne pas avoir une montée d’alcoolémie trop brutale. C’était absolument brulant, mais il aimait cette sensation.

La blonde semblait résister bien qu’il doutait qu’elle ait réellement bu. Il eut un léger sourire lorsqu’elle prétendit vouloir apprécier.

Un silence s’installa, ce n’était pas pour le déranger. Ses yeux verts observaient les lieux, les arrières plans étaient plus flous que dans ses souvenirs. Peut-être bien régnait-il un fond de tristesse en lui, par cette idée obsédante depuis sa jeunesse, celle du jour où le noir engloutira tout le reste. Grandir, vivre avec cette fatalité dans un coin de la tête, ça donnait une valeur différente à la vie. Oui, il aurait pu faire autre chose de son existence, il avait fait ce qu’il pouvait et dernièrement, ce qu’il avait à faire…

Son regard se posa à nouveau sur son interlocutrice, oubliée l’espace de quelques instants. “ J’ai dû rénover mon magasin, après quelques dégradations et vols pendant mon absence. Depuis, les clients ne se bousculent pas vraiment. “ Il hausse les épaules, pas complètement dérangé par cette réalité. L’argent n’était plus un problème pour lui, il faut dire qu’il a toujours galéré dans al vie financièrement… L’héritage de son père était quelque chose d’imprévu, il n’y avait aucunement songé. Il avait longtemps hésité, puis sous les conseils de Jules, il avait accepté ce pactole sans trop savoir qu’en faire à terme… “ Ça me laisse du temps pour faire quelques créations… “ Il restait vague, parce qu’il ne pensait pas que cela puisse intéresser la jeune femme. Personne ne s’intéressait vraiment à ce qu’il pouvait faire de ses journées. “ Et toi ? Bien que, pour être honnête, je n’ai jamais réellement compris ce que tu fais. “ Il ne s’y était surtout jamais intéressé…

Il s’était contenté de hausser les épaules lorsqu’elle le décrivit comme étant réaliste et résigné. Manwë n’aimait pas parler de lui, il n’avait jamais apprécié l’exercice. Même avec ses amis proches, il ne donnait pas de détails sur sa vie. Man’ était le genre d’ami qui écoute, qui donne son avis sur les situations des autres, qui donne un coup de main sans hésiter à la moindre galère, toujours présent pour qui a besoin de lui. L’inverse était plus rare, il ne demandait ni aide, ni conseil et il ne se confiait à personne. Les confidences, il ne connaissait pas ça, il ne savait pas ce que ça faisait de vider tout ce qu’il avait sur le cœur, de parler de ses émotions ou de ses difficultés dans la vie. Pourtant, il le pourrait, certains de ses proches n'attendaient que ça et s'énervaient souvent de ses cachotteries, de ses silences… Il ne savait pas faire, il ne se donnait que rarement la possibilité de se sentir en paix, de lâcher prise tout simplement.

La conversation reprit et aborda le travail de l’un de l’autre. Elle n’était évidemment pas au courant qu’il avait une petite boutique en ville. “ C’est plus un atelier qu’un magasin, maintenant j’fabrique des guitares, entre autre… “ Lorsqu’elle était partie, il était vrai qu’il avait enchaîné les petits jobs dans les bars, les cuisines des restaurants et se tapait sur la gueule avec les autres employés. Il se faisait virer constamment et le pire, c’était qu’il s’en était toujours fichu. Il ne laisserait jamais personne lui parler comme à un chien sans rien dire, c’était fini cette époque, il n’avait plus dix ans. Il n’acceptait pas l’autorité, seul il était bien mieux.

“ Ouais j’ai vu. “ Dit-il avec un certain détachement, ça lui ferait mal de savoir la complimenter deux fois dans la même soirée. “ Mais ça ne veut pas vraiment dire que j’ai compris l'intérêt de ce que tu fais. “ Il n’était pas agressif, il disait comme souvent ce qu’il pense sans trop se soucier de ce que l’autre peut ressentir. Il avait compris l’histoire des photos à moitié ou complètement à poils dans les bois ou dans les ruisseaux, mais de là à comprendre pourquoi elle faisait ça de son plein gré, pire, que ça soit une passion, il ne saisissait pas. “ M’enfin, pour ce que j’y connais en art… “ Pourtant, il avait prouvé avoir une certaine sensibilité en la matière par le dessin, mais il ne considérait pas ce qu’il faisait comme étant magnifique, il avait tort, mais pour lui c’était juste un passe-temps. Concernant l'art de Penelope, il ne parvenait pas s'y montrer sensible, c'était bien sur agréable à regarder mais il y voyait davantage des photos de charmes que de l'art à proprement dit. “ Comment tu vas faire quand tout ça… “ Il désigna vaguement le corps de la blonde “ Ne sera plus réellement dans l’état actuel ? “ Pour ne pas dire décrépis et vieux ? Une réalité qui les attend tous ! Cette question le taraudait et malheureusement pour la jolie blonde, Man’ était pas du genre à se gêner pour les poser…

Il se contenta d’hausser les épaules, encore, lorsqu’elle lui demanda pour les guitares, ce n'était pas facile pour lui de ne pas être désagréable en toutes circonstances, alors il préférait se taire pour faire perdurer cette trêve. La conversation se recentra sur la blonde, c’était plus simple pour lui qui n’aimait pas se mettre en avant.

Il eut un léger soulèvement des sourcils accompagné de la naissance d’un rictus lorsqu’elle affirma ne pas savoir non plus ce qu’elle faisait. C’était par besoin… Cette femme était assez étrange, il devait l’avouer, pourtant, il était mal loti pour avoir ce genre de jugement ! “ J’suppose… “ dit-il au sujet du psychologue, il n’en avait jamais consulté, il ignorait le montant des consultations, il savait seulement qu’il ne payerait jamais un gugus pour lui raconter sa vie, et puis quoi encore ?

Le brun se permet une question probablement déplacée, à condition de ne pas connaître le franc parler et le manque de filtre du luthier. Il n’était pas un homme pudique, mais il n’irait probablement jamais jusqu’à poser à poil pour gagner sa croûte…

“ C’est pas pour les fillettes, j’t’avais prévenu. “ dit-il avec un fin sourire avant de se redresser légèrement sur sa chaise, ses yeux verts captant son regard clair. “ Je sais que ça va pas t’briser le coeur, mais j’t’ai jamais vraiment aimé. “ C’est drôle qu'après toutes ces années, il n’avait jamais encore eu l'occasion de lui verbaliser cette aversion. En général, il n’avait de toutes manières pas besoin de préciser ce fait. Quand Man n’apprécie pas quelqu’un, cela ne peut que se ressentir. “ Mais c’est peut-être pas complètement à cause de toi. “ Elle lui avait toujours sorti par les yeux c’est vrai, mais ce ressentiment il l’avait eu sans même prendre la peine de discuter avec elle. “ C’est probablement parce que j’connais Marc’ depuis qu’on est mômes et j’savais que tu le ferais souffrir. Tu l’as sans doute pas fait exprès… T’es juste… Comme t’es. Et lui, c'est Marcus quoi...  “ Autrement dit, il les avait tout de suite sentis incompatibles et la seule manière qu’il avait trouvée pour exprimer sa crainte de voir son ami souffrir, c’était de tenter de le raisonner en la détestant, elle. “ J’connaissais un couple comme ça… Lui était son poison, mais elle restait accrochée à lui. Un jour… Il a fini par la tuer. “ Ce couple, ce furent ses parents. C'était sa mère qu'il avait vu autrefois quitter leur appartement sous un voile blanc...

Malgré lui, leurs fantômes hantaient son regard triste qui se détourna de Pénélope tandis qu’il portait son verre à ses lèvres pour le vider d’une traite. Cette brûlure, il en avait besoin.

Les mots du luthier n’avaient pas vocation d’être blessants, si ça avait été le cas, il aurait été bien plus rude, c’était même assez curieux qu’il ait décidé de se montrer finalement assez sympathique. Peut-être parce qu’il avait décidé de ne pas la voir comme une sorcière, il l’avait eu en horreur plus que de raison, parce qu’elle avait fait souffrir quelqu’un qui comptait terriblement pour lui. Il avait toujours été protecteur avec Marcus, il s’était souvent retrouvé dans la merde pour le défendre, n’hésitant pas à cogner ceux qui lui cherchaient des noises, c’était sa manière à lui d’aimer finalement. Mais l’homme n’était jamais vraiment catégorique envers les gens, enfin, surtout envers les femmes. Cette majorité opprimée, derrière ses airs bourrus, Manwë était un véritable allié de la cause féminine, même si au grand jamais, il ne se qualifiera comme tel !

Ses yeux verts se posèrent sur la blonde lorsqu’elle affirme qu’il avait fait ce qu’il fallait, il le savait, mais c’était peut-être la première fois qu’il l’entendait aussi clairement de la bouche de quelqu’un. Il ne répondait évidemment pas, mais il savait qu’il avait fait ce qu’il devait. Il se contenta de déposer son verre complètement vide sur la table, laissant la brûlure s’installer dans son œsophage avant de s’estomper peu à peu.

Lorsqu’elle indiqua devoir partir, il ne chercha pas à la retenir, se contentant d’acquiescer doucement avec d’affiche un sourire succin au coin de ses lèvres concernant la menthe à l’eau qu’il pousse devant la jeune femme “ Fais toi plaisir, je crois que je vais rester encore un peu. “ Mais comme il ne voulait pas la retenir, il désigna le comptoir d’un geste du menton avant de commencer à se lever une fois qu’elle terminait cette eau aromatisée. “ Hé Penelope… Pour Marcus, fais ce qu’il faut. “ Dit-il avant de se diriger vers le bar, il n’avait pas dis qu’elle devait faire aussi ce qu’elle devait, ça serait admettre qu’il avait bel et bien tué son père. S’il devait faire des aveux, ça ne serait certainement pas à la jeune femme. Il devait emmener son secret dans la tombe, on dit que la vérité éclate toujours tôt ou tard, il comptait bien prouver le contraire et ne pas mettre les pieds en prison. Pour ce qui est de sa réputation, il s’en foutait éperdument.

La jeune femme pu partir et Manwë termina sa soirée dans un sale état, il ne s’était jamais autorisé à boire autant par le passé, mais à présent qu’il avait fait ce qu’il devait, pas grand-chose ne le tenait.