for one so small, you seems so strong (concho)

Je ne peux pas les perdre tous les deux. Cette pensée ne me quitte pas. Elle me hante. Me serre le ventre. Atrocement. Cela fait trois jours que je ne pense qu’à ça, que ça me terrifie. Et que je culpabilise en prime. L’écran s’allume, et mon coeur bat la chamade. Je n’entends pas le sien, mais c’est trop tôt. J’ai lu sur internet qu’on ne pouvait entendre les battements du coeur qu’après 10 semaines aménorrhées. J’en suis à 6, c’est beaucoup trop tôt, mais ça ne m’empêche pas d’y penser. Je ne l’ai jamais vu jusqu’ici, et le petit point que j’aperçois sur le moniteur, soudain, me parait irréel. À peine plus gros qu’une lentille. Mon bébé. Une vague d’émotion me submerge, je ne retiens pas la larme silencieuse qui coule sur ma joue. J’aurais aimé pouvoir serrer la main de Concho, et vivre ce moment-là avec lui.
— Tout va bien, mademoiselle Burnett. Ce petit s’accroche. Ou cette petite, d’ailleurs.
Je souris à l’obstétricien. Il a accepter de me recevoir en urgence, suite à mes inquiétudes, et il fait preuve d’une grande douceur envers moi. Ce dont j’ai grandement besoin.
— Et…les saignements ? Je demande d’une voix tremblante, essuyant au passage les larmes sur mes joues.
— Vous avez subi du stress et un choc assez important, votre corps vous le fait savoir…vous avez besoin de prendre soin de vous.
Je hoche la tête, tachant de reprendre consistance. Le médecin me fait promettre de prendre du repos, même si je sais d’avance qu’il me sera difficile de fermer l’oeil. Je dors peu depuis l’accident de Concho, et passe le plus clair de mon temps ici, à l’hôpital. Souvent, je me laisse tomber de fatigue et me réveille plusieurs fois par nuit, en sursaut et en larmes. Je suis perdue et complètement dévastée. Je ne peux pas les perdre tous les deux.
Les photos de l’échographie dans mon sac, je déambule dans les couloirs, je commence à les connaitre par coeur. Mes pas me mènent rapidement à la chambre qu’occupe Concho, et alors que j’arrive au niveau de la porte, une infirmière en sort. Je croise son regard et elle me sourit. Il est réveillée. Elle n’a pas besoin de me le dire. Je me précipite dans l’embrasure.
— Concho ? je souffle d’une voix qui se brise.
Mes yeux s’embuent à nouveau et j’accours à son chevet.
— Depuis combien de…personne ne m’a dit…tu…tu…comment tu te sens ? je sanglote en s’asseyant sur le rebord de son lit.
J’arrive à peine à aligner de mots, complètement déboussolée.
— Oh, mon amour, j’ai eu tellement peur…, je soupire en me penchant sur lui pour l’étreindre, veillant à ne pas l’encombrer de trop.

@conchobáhr rosenbach

Le sentiment de me noyer de l'intérieur. L'impression de vouloir revenir à moi sans pour autant atteindre la surface de ma conscience. Perdu dans les eaux troubles de mon corps. Prisonnier de moi-même. La panique s'installa, ce furent d'abord mes mains qui tentèrent de s'accrocher à quelque chose, quoi que ce soit, n'importe quoi. Des draps. Des barres métalliques de chaque côté de moi. Je m'empêtrai dans des tubes qui semblaient dépasser de ma personne, de mes bras. Je portai mes mains à ma bouche, j'étais incapable de crier. Et mes doigts touchèrent ce masque, ce tube plus imposant que les autres. J'arrivai enfin à ouvrir les yeux, sur un plafond blanc aux néons éteints. La lumière du jour semblait filtrer à travers les rideaux clairs et transparents. Bien trop conscient désormais de ce tube qui pénétrait ma trachée, je commençai à m'étouffer, ne sachant pas comment vivre avec cette extension qui ne m'appartenait pas. Une préposée qui passa dans le couloir à ce moment-là alerta des infirmiers ou des infirmières au bout du couloir de l'aile, qui avertirent à leur tour des médecins. Rapidement, quelques uniformes m'entourèrent. Et on me dégagea de ces chaînes. On me délivra de ce qui aidait à me maintenir vivant jusque-là. Afin que je puisse vivre par moi-même.

Je n'avais plus aucune notion du temps mais les évaluations et les rencontres avec le personnel médical me semblèrent interminables. Et elles me laissaient trop peu de temps pour me replonger dans mes souvenirs, pour reconstituer les événements. On me posa des questions, évidemment, sur ce dont je me souvenais. Sans doute pour évaluer mes capacités, évaluer les impacts. Sûrement pas pour me permettre de donner un sens à tout ce qui se passait actuellement. Je pensai à Freja, je me souvenais avoir été avec elle juste avant le grand trou noir. J'avais en tête ce cri strident, cette peur, cette impuissance. J'avais une vive mais courte image de la voiture d'en face. Et cette voix, cette voix qui parlait à distance et si proche à la fois. La voix de Pippa. Pourquoi entendais-je la voix de Pippa ? Rien de grave, t'inquiète. Confus, je laissai l'infirmière changer mes solutés, demeurant dans le sens, n'entendant même pas toutes les questions ou les commentaires bienveillants qu'elle me laissait. Puis, elle me toucha l'épaule avec douceur, me sourit, et quitta la chambre. À sa sortie, elle croisa Pippa, sur qui mon regard se posa directement. « Pips ... » Murmurais-je de ma voix rauque. L'intubation trachéale avait laissé des lésions sur mes cordes vocales. L'accident, lui, avait laissé bien des séquelles sur mes jambes, mais on n'en connaissait pas l'ampleur encore. « Je sais pas. » J'ignorais comment je me sentais. Je me sentais vide. Je me sentais las. Je me sentais faible. Et en colère, aussi. Laissé à moi-même dans des souvenirs qui n'avaient pas de sens. Qui manquaient des pièces. « Personne me répond. Est-ce que j'ai causé l'accident ? J'étais avec Freja ! Où est Freja ? » Demandais-je d'une voix enrouée.

Ces trois derniers jours m’ont paru aussi longs que des mois entiers. J’ai peu dormi et passé le plus clair de mon temps, ici, entre les quatre mûrs de l’hôpital. Soit au chevet de mon amoureux, soit en consultation pour moi. J’étais terrifiée à l’idée qu’il se réveille seul, mais comme nous n’étions pas mariés, je n’avais pas toujours le droit de rester, notamment le soir. Autant dire que rentrer seule à l’appartement était une torture, d’autant qu’il me fallait répondre à nos amis qui demandaient des nouvelles régulièrement. C’était normal bien sûr, ils s’inquiétait pour Concho, mais c’était une charge mentale en plus à porter pour moi. Polly était venu dormir à la maison, hier soir, pour s’assurer que je dorme, moi aussi. J’avais réussi à me reposer quelques heures, mais une autre inquiétude était venue s’ajouter aux autres, dès le matin, quand j’avais trouvé du sang dans ma culotte. La peur de perdre cette petite lentille qui était en train de faire son nid dans mon ventre. C’était venu me chercher au creux de mon estomac. Moi qui était terrifiée à l’idée de devenir maman, et persuadée que j’en étais incapable, ce bébé en devenir venait à présent tout chambouler, à commencer par moi.
Une vive émotion s’empare de moi lorsque la voix rauque de Concho me parvient. Je m’approche et m’asseoir sur son lit. Il semble perdu et un peu en colère, je n’imagine pas ce qui lui passe par la tête à ce moment précis.
— On m’a appelé jeudi soir pour me dire que tu avais eu un accident. La…la voiture en face de toi a dévié sa route et vous a heurté de plein fouet. Ils ont dit que tu n’aurais pas pu l’éviter.
Expliquer tout ça à voix haute me fait revivre le moment, et cette détresse que j’avais ressenti, au telephone quelques jours plus tôt. J’efface une larme sur ma joue, puis continue.
— Freja est ici, quelques chambres plus loin. Perry et Tahl sont passé la voir, en même temps qu’ils sont venu pour toi, hier. Elle est réveillée, si…tu as envie d’aller la voir, je peux demander à un médecin si ton état le permets.

Après notre courte étreinte, difficile en raison des tubes encore attachés à mon corps et de la douleur qui iradiait dans tout mon corps, Pippa vint s'asseoir à côté de moi sur le mince matelas. Si les médecins ne répondaient jamais clairement à mes questionnements, peut-être que mon amoureuse serait davantage honnête envers moi. Elle comprendrait que j'avais besoin de savoir. Qu'il y avait des trous dans ma mémoire et que ça m'angoissait de ne pas connaître ces détails qui m'échappaient. Elle me raconta qu'on l'avait appelé jeudi soir. Quel jour était-on, déjà, aujourd'hui ? Une infirmière m'avait donné la date un peu plus tôt mais je n'avais pas retenu l'information, elle ne me semblait pas importante à ce moment-là. On m'avait pourtant bien dit, aussi, que j'avais été dans un coma pendant trois jours, mais ça non plus mon esprit ne s'était pas accroché à ça. Les sourcils légèrement froncés, l'air perdu dans mes souvenirs, je répondis : « Je me souviens de la voir arriver en face, sortie de nulle part ... » Je me souvenais surtout de la panique qui m'avait alors envahie. Et le cri de Freja à côté de moi. Et la voix de Pippa qui avait comme disparue sous la détresse. La voix de Pippa. Oui, ça me revenait ! J'écoutais un message vocal qu'elle m'avait laissé, au moment de l'accident. En me remémorant toute la scène, évidemment que tout de suite je demandai où se trouvait Freja. Les médecins n'avaient pas voulu m'informer de son état, sans doute parce qu'ils n'étaient pas autorisés à divulguer cette information même si j'étais avec elle dans la voiture. Je trouvais cela ridicule et j'espérais que Pippa puisse me soulager de la peur qui me tiraillait de l'intérieur. Un soupir de soulagement s'échappa de mes lèvres alors que je laissai choir ma tête contre l'oreiller, les yeux levés vers le plafond, avant de fermer les paupières un moment, le temps d'assimiler l'information. « Thank God. » Soufflais-je, avant que Pippa n'ajoute que si je désirais la voir, elle pouvait se renseigner sur la possibilité. Je secouai la tête. « Non. Je ne pourrai pas aller la voir. » Lâchais-je un peu plus sèchement que je ne l'aurais voulu. « Parce que j'arrive pas encore à bouger mes putains de jambes. »

Personne ne lui a rien dit, et je me dis que ça a dû être une torture pour lui de ne pas savoir ce qui s’était vraiment passé. Je n’en sais pas beaucoup, je n’ai pas grappillé que quelques infos, ça et là, notamment une que je préfère épargner à mon amoureux à ce moment précis. Il n’a pas besoin de savoir que celui qui conduisait l’autre voiture est son ennemi de toujours. Ca lui ferait beaucoup trop de mal et je n’ai pas le coeur à lui infliger cela. Alors je lui dis ce que je sais d’autre, notamment que Freja va bien, qu’elle n’aura pas de séquelles graves d’après ce qu’on dit les médecins. Conchobáhr semble soulagé de cela et c’est tout ce qui m’importe. J’ai envie de lui dire plus, de lui dire ce qui nous concerne, tous les deux, de lui parler de la petite lentille qui fait son nid, mais je ne veux pas le brusquer. Il vient juste de se réveiller du coma. Le silence me coûte, j’ai envie d’exploser, mais ce n’est pas le moment…pas encore.
— Tes…jambes ? je relève alors, tandis que je fais une torsion pour regarder ses membres inférieurs étendus sur le lit.
Je me tourne à nouveau vers mon amoureux, sourcils froncés.
— C’est…peut-être le fait que tu es resté allongé pendant trois jours ? Tu veux que j’appelle quelqu’un ?
Et au moment où je m’apprête à me lever du lit, j’ai la sensation que ma tête tourne, vite, beaucoup trop vite. Une bouffée de chaleur m’envahit alors et je me rattrape au lit. Ce n’est pas le moment…Je porte une main sur mon front et ferme les yeux pour prendre une grande inspiration. C’est pire. Ca tourne plus vite. Je suis en train de faire une crise de panique. Ressaisis-toi, Pippa…
— Attends…je…
Je me passe un main derrière la nuque, je transpire. Je souffle, tente de me calmer.
— Ca va aller, attends, laisse-moi une minute, je dis, autant pour me rassurer moi-même que pour Concho.

Depuis que j'étais réveillé, depuis que j'avais rencontré le personnel médical et qu'on me faisait passer tout un tas de tests sans que je n'aie l'heure juste pour autant, je ressentais une colère bouillante en moi. Dès que je songeais à mes jambes, dès que je songeais à l'accident, j'avais l'impression d'être sur le point d'exploser comme un volcan. Même lorsque c'était Pippa, ma Pippa, qui me parlait doucement et qui me questionnait sur mes jambes, je me sentais sur le bord d'éclater. Je ne comprenais pas cette rage et j'avais du mal à la contenir. C'était peut-être l'injustice de me retrouver dans cet état sans rien avoir vu venir. C'était peut-être un trop-plein d'émotions après avoir "dormi" pendant trois jours. « Non, non, n'appelle personne. » M'empressais-je de dire, puisque ces étapes-là avaient déjà été franchies. Je m'apprêtais à lui apprendre qu'on m'avait déjà fait passer un IRM dans le laps de temps entre mon réveil et son arrivée, tentant de la retenir de se lever en posant une main sur son bras, mais je laissai les mots en suspens quand je sentis Pippa faiblir. Elle se rattrapa au lit, s'empêchant ainsi de chuter. Je me redressai, instinctivement, du haut du corps. « Pips ? » M'inquiétais-je, la colère en moi redescendant tout d'un coup, laissant place à l'inquiétude. « Qu'est-ce que t'as ? T'es étourdie ? » Demandais-je alors qu'elle avait une main sur son front, les yeux fermés, avant de passer cette même main derrière sa nuque. « Ça va aller ? Mais non, t'es sur le point de t'effondrer ... » Dis-je doucement. « Est-ce que t'as dormi, ces derniers jours ? T'as mangé quelque chose aujourd'hui ? » Je ne réalisais que maintenant que pendant ce temps, elle avait dû mourir d'inquiétude, et que sans doute tout le stress retombait enfin, un peu. J'étais loin de m'imaginer que cette faiblesse cachait une toute autre surprise ...

Ma tête tourne, je me sens partir. Je déteste la sensation et j’essaie de la repousser autant que je le peux. J’entends que Conchobáhr me dit quelque chose, il s’inquiète sans doute. Le bruit est sourd, comme si j’étais en apnée sous l’eau et qu’il me criait quelque chose depuis le rebord de la piscine. J’ai chaud, puis froid soudain.
— Ca va, je dis, comme pour me rassurer moi-même, autant que mon petit ami.
Je m’accroche au lit, laisse la crise passer. Je me concentre sur mes appuies, sur ma respiration. Concho me pose une question, je l’entends plus nettement. Ai-je suffisamment dormir ces jours-ci, ai-je suffisamment mangé ? Les jours se confondent depuis l’accident…j’ai dormi oui, mais peu. Quand à mes repas…j’en ai peut-être sauté quelques-uns.
— Je…
Le tournis s’estompe peu à peu. J’ai en effet besoin de prendre un peu plus soin de moi, à commencer par mes besoins essentiels. Besoins que je partage désormais avec le petit être niché dans mon utérus. Une pointe de culpabilité me traverse quand je songe au fait que cette négligence, désormais, n’implique pas que moi. Je relève les yeux vers Concho, au bord des larmes. Je dois me ressaisir, ce n’est pas juste pour lui qui vient de se réveiller du coma. Je tente un sourire pour le rassurer.
— Non, je…je n’ai pas vraiment pensé à mes repas ces temps-ci, mais ça va…c’était un étourdissement passager.
J’attrape sa main, posée contre le matelas, et la serre. L’émotion monte en moi. J’essuie le coin de mes yeux d’un revers de main.
— Pardon, c’est…la pression qui redescend un peu. Je suis contente que tu sois là…j’ai eu tellement peur.
Je porte sa main à mes lèvres et embrasse ses phalanges, puis ancre mon regard dans le sien à nouveau. Je garde le silence un court instant, avant d’inspirer longuement.
— Concho…je dois te dire quelque chose.
J’ai réfléchi à ce moment un nombre incalculable de fois, avant l’accident. J’avais passé l’après-midi à imaginer comment cette annonce pouvait se dérouler, juste avant que cette reflexion soit relayé au second plan. Jamais je n’avais cru que nous allions parler de notre enfant pour la première fois dans une chambre d’hôpital, mais je n’arrive plus à garder ça pour moi seule. Je me lève du lit, encore légèrement étourdie, puis attrape mon dossier dans mon sac pour en extraire un cliché que je tends à Concho.
— On…on voit pas grand chose mais, c’est…
Ma voix est chargée d’émotion et je n’arrive pas à m’empêcher de sourire quand bien même le contexte n’est pas idéal.
— C’est notre bébé. J’attends un enfant de toi, Concho.

Elle me répétait que ça allait, mais je le voyais bien, dans sa voix, dans ses paupières fermés, dans son teint blême et sa faiblesse, que non, ça n'allait pas. Elle n'avait pas besoin de me ménager. Banaliser son état ne m'aidait pas à m'inquiéter moins, puisque je la voyais faiblir face à moi. Avait-elle mangé aujourd'hui ? Et hier ? Avait-elle dormi ou avait-elle fixé mon corps mort pendant tout ce temps ? Je me mettais à sa place et sans doute aurais-je eu du mal à prendre soin de moi, également, si Pippa avait été dans le coma. Je me serais senti impuissant, seul, en détresse. J'étais loin de m'imaginer qu'elle, elle n'avait pas été seule, pas vraiment. Que même plongée dans la noirceur de sa chambre, dans l'attente de nouvelles de mon état, elle n'était pas seule. Un petit être grandissait en elle. Pippa m'avoua, après avoir repris un peu ses esprits, qu'elle n'avait pas vraiment pensé à ses repas ces temps-ci. « Tu devrais aller manger quelque chose ... Je reste là, j'peux pas aller bien loin tu sais ... » Tentai-je de la convaincre, un mince sourire au coin des lèvres. Paraître moi-même pour mieux la rassurer, pour qu'elle puisse penser à elle maintenant. Je n'avais pas le coeur à l'humour ou à la légèreté mais pour elle, pour Pippa, je ferais tout. Je pris sa main dans la mienne, essayant de la serrer, mais mes doigts faibles n'appuyèrent qu'une faible pression. « Je suis désolé de t'avoir fait vivre toutes ces émotions ... Je suis content d'être là aussi. Avec toi. » Je pris une grande inspiration, ne voulant pas laisser la tristesse me gagner. Le pire avait été évité, il ne servait à rien de s'imaginer qu'il en soit autrement. La blonde porta mes doigts à ses lèvres et les embrassa délicatement. Je la regardai tendrement, haussant doucement les sourcils quand elle lâcha avoir quelque chose à me dire. « Okay ... » Dis-je, non pas sans une légère interrogation dans la voix. Qu'y avait-il d'autre à dire sur cet accident ? Sur les trois derniers jours ? Freja allait bien. C'était ce qui m'avait le plus hanté. Maintenant, je pensai à l'autre voiture. Freja et moi étions-nous les seuls survivants ? Tout se bousculait dans ma tête et bien sûr, pas une seule fois la nouvelle que Pippa s'apprêtait à m'annoncer ne me traversa l'esprit. Ce n'était pas le contexte pour y penser. Ce n'était pas de circonstances. Et pourtant, cette magnifique nouvelle me tombait dessus dans un de ces moments de noirceur. Pippa se leva et sortit un papier qu'elle me tendit. Pas un papier, un cliché, constatais-je en prenant le document ciré entre mes doigts. Je posai les yeux sur l'image. Une échographie. Je n'avais peut-être jamais vu Maxwell ou Lara sur une échographie, n'ayant pas eu la chance d'assister aux grossesses, mais je savais reconnaître la chose. Mon coeur se serra et explosa en même temps, je ne savais plus trop. « Wait ... what ? » Demandais-je, la gorge nouée, relevant mes yeux déjà embués vers Pippa. Elle souriait. Elle souriait. « Pippa ... » J'attrapai sa main, et à mon tour je la guidai non pas jusqu'à mes lèvres mais jusqu'à ma poitrine, jusqu'à mon coeur. Un rire s'échappa presque silencieusement d'entre mes lèvres. Un souffle de bonheur. « Mais ... Je pensais que ... Que tu ... » Que tu ne voulais pas d'enfants, fus-je incapable de terminer. Au cas où je m'imaginais des choses. Au cas où je me projetais trop loin.

Manger, dormir…tout ça a été le cadet de mes soucis durant les jours qui viennent de s’écouler. J’ai littéralement marché au radar, sans réellement penser aux conséquences. Je dois faire attention, je n’ai plus seule à présent. J’ai un petit embryon qui dépende de moi. Cette pensée me fait bizarre et pourtant…elle se fraye un chemin bien plus persistant que je ne l’aurais cru. Concho, comme cela ne m’étonne pas vraiment, m’enjoint à prendre le temps dont j’ai besoin pour me requinquer, et si je me promets de manger, plus tard, je sais aussi qu’il est important que je parle à mon amoureux, que je lui dise ce que je garde depuis de longs jours. Je lui tends l’échographie, puis émue, lui expose les fait. J’attends son enfant.
L’instant me parait irréel, et je pense que c’est le cas aussi pour Conchobáhr qui ne sait pas quoi dire. Il cherche ses mots, puis mon regard. Quand à moi, je ne parviens à me départir de mon sourire. Un sourire heureux, témoignant du bonheur qui m’emplit instantanément. Le chorégraphe porte ma main contre son coeur, je laisse la chaleur de sa poitrine m’envahir, alors que mes yeux s’embuent.
— Je sais, c’est…
Je renifle, puis essuie mes larmes de ma main libre. c’est pourtant la joie qui gonfle ma poitrine.
— C’est fou…je…on dit que l’amour nous tombe dessus sans qu’on le voit venir…
Je hausse les épaules.
— Bah…c’est ça, je crois. Je l’aime déjà. Si fort, si tu savais…

Le sourire de Pippa ne mentait pas, pourtant. Je la connaissais suffisamment, depuis toutes ces années, à travers toutes ces époques, pour savoir que ce sourire-là signifiait qu’elle était heureuse. Ce n’était pas le visage d’une femme sur le point de m’annoncer que cet enfant, elle ne comptait pas le garder. Elle savait à quel point moi, j’en désirais un autre, enfant. Elle ne me ferait pas le coup de me donner autant d’espoirs à travers un regard aussi brillant, pour ensuite les réduire à néant. Quand bien même, j’abordai ce changement de cap qu’elle semblait accomplir, elle qui m’avait dit il y avait à peine quelques mois, qu’elle n’était pas certaine de vouloir être mère. Je ris, un rire de bonheur et de soulagement, quand elle m’affirma qu’elle l’aimait déjà, si fort. Je tentai de me relever un peu dans mon lit, ce que j’arrivai à faire à moitié. Je tendis un bras, l’ouvrant à elle. « Viens là. » Je l’attirai contre moi pour la serrer dans mes bras, faiblement certes, mais avec tout mon amour. « Tu peux pas savoir à quel point je suis content, là. Tout le reste, ça n’a plus d’importance. » Tout d’un coup toute ma colère s’était envolée. Je ne me sentais plus abrupte, je ne me sentais plus irrité par les moindres détails m’entourant. Une nouvelle aura nous entourait, tous les deux, et je sentais que rien ne pourrait me perturber. « Les prochains mois vont être difficiles. Mais j’vais me battre. J’vais persévérer. Pour cet enfant. » Promis-je sans jamais relâcher Pippa, comme si j’avais peur que ce ne soit qu’un rêve, que ce moment s’effrite lorsque j’ouvrirais réellement les yeux.

Aucun mot n’est assez juste pour décrire l’émotion qui m’anime. Ces derniers jours ont été intenses et pleins d’incertitudes. Aujourd’hui, j’ai l’impression de lever la soupape, de laisser la pression s’en aller pour ne faire entrer qu’un bonheur immense. Concho est heureux, je le sens, je le vois sur son visage et cela vient décupler mon propre bonheur d’une si douce façon. Mon coeur était en train d’exploser dans ma poitrine quand Concho me ramène à lui. Je le rue dans ses bras, tout en faisant attention à ne pas lui faire mal. C’est doux et exactement ce dont j’ai besoin à ce moment-là. Comme si cet instant était un baume qui venait soulager la souffrance des jours passés. Un sourire fend mon visage alors que Concho promet de tout donner pour remonter la pente, pour faire de cet accident un lointain souvenir. Je ne sais pas encore quelle montagne il devra franchir, mais je sais que je serai à ses côtés quoiqu’il arrive. Je relève légèrement la tête, sans me départir de mon sourire et de l’émotion qui gagne mes yeux. « C’est pas juste de dire des choses comme ça alors que je suis shootée aux hormones… » J’essuie une larme au coin de mon oeil puis ancre mon regard dans le sien. « Je sais que tu vas te battre, mais quand tu auras besoin de souffler, je veux que tu saches que tu pourras te reposer sur moi. » Je viens poser ma joue contre le torse de mon amoureux, puis reste là un moment, en silence, avant d’ajouter doucement « On devrait percevoir son coeur à la prochaine écho, le battement, je veux dire. Tu…tu voudras venir ? »

Je baissai les yeux vers Pippa quand elle releva légèrement la tête vers moi, déposant par le fait même un baiser sur le dessus de sa tête. La fragrance de son shampooing commençait légèrement à disparaître, laissant son odeur naturelle parfumer ses cheveux, et je fermai les yeux en profitant de cette odeur familière. Je ris doucement à sa remarque à propos de ses hormones. « Et à moi tu m’annonces ça alors que je me réveille du coma, tu veux vraiment parler de ce qui est juste ou pas ? » Me moquais-je. En vérité, le timing n’aurait pu être mieux. J’avais besoin de cet espoir, de ce bonheur, parce que sans ça je me serais senti tellement démuni face à ce que je venais de vivre. Face à ce que j’aurais à vivre, aussi, dans les prochains mois. Je ne me faisais pas d’illusions, ce ne serait pas rose à tous les jours. Et si j’avais souvent fait preuve de résilience au cours de ma vie, je savais aussi que j’avais des limites, qu’il pouvait m’arriver de baisser les bras. L’arrivée de cet enfant me permettrait de ne pas abandonner. Et Pippa serait là pour m’épauler, elle me le confirma. « Je sais. Merci. » Je posai ma main, doucement, sur sa tête posée contre mon torse. Alors que je me disais qu’elle devait probablement entendre mon coeur qui battait à tout rompre, elle me lâcha qu’on devrait sans doute entendre celui de notre bébé à la prochaine écho. « Il est hors de question que je rate ça … » Je souris. « Je ne raterai rien de cette grossesse. » J’avais enfin la chance d’en vivre une - enfin, c’est Pippa qui la vivrait le plus, hein, mais je serais là, à côté d’elle, pour toutes les étapes.

Une joie immense semble chasser toutes les autres émotions, chasser les nuages qui avaient couverts mon horizon sur ces derniers jours. Concho est réveillé, son état était stable. Ses blessures nécessitent sans doute une longue convalescence, mais je sais qu’il a suffisamment de force et de courage pour surmonter tout ça. Il ne sera pas seul dans cette épreuve dans tous les cas, je ne le lâcherais pas, tout comme il pourrait compter, je le sais, sur sa famille de coeur, Perry, Thalia et Freja. Je lui parle de la prochaine écho prévue, lui répètant ce que l’obstétricien m’a dit. Nous pourrions entendre le coeur du bébé d’ici quelques semaines à peine. Conchobáhr ne veut rien louper de ma grossesse et si son aveu ne m’étonne pas, il me touche au plus haut point. Emue, je me blottis simplement contre lui, et reste là, immobile, savourant simplement l’instant.

sujet terminé