#23 - alexis - "On t'dira d'être premier, jamais d'être heureux"

7h. Putain. Je hais les réveils. si j'étais président ou mieux, maître du monde, j'interdirais l'utilisation des réveils. Pour que plus jamais un être humain n'est à supporter ce son strident. Mais bon, j'suis bien trop idiot pour être président, donc j'subis mon réveil, comme les autres. Ca m'arrache la tête, j'aimerais dormir tellement plus longtemps. Mais non, faut se lever, comme chaque matin, pour aller au travail. J'ai la flemme. J'ai pas envie. J'râle dans mon lit. Ma tête enfouie dans mon oreiller, j'lève le bras péniblement et j'attrape mon téléphone. J'le porte vers mon regard et j'éteints le réveil, toujours en râlant. "putain d'réveil de merde". En plus, j'ai super mal dormi. Oui, non là vraiment, on peut dire que j'suis pas au climax de ma vie. Mais c'est pas grave. J'me traîne hors de mon lit, j'enfile un t-shirt et un short qui me sert de pyjama et j'sors de ma chambre. J'traverse le couloir en mode zombie et j'm'arrête devant la chambre d'Alexis. Ma coloc. Elle dort encore. C'est notre rituel. C'est moi qui met le réveil et ensuite, j'la réveille elle. Purée, mais en fait, j'me fais carrément avoir dans l'histoire! Elle, elle s'fait réveiller en douceur par l'homme génial que je suis et c'est moi qui subit la sonnerie. J'entre dans la chambre et j'm'étale sur son lit, à côté d'elle, sans la moindre once de douceur. "ALLER, BOUGEZ MOI VOS FESSES SILVEIRA! C'EST L'HEUUUUUURE" J'trouve la force de crier bien fort, juste pour l'embêter. J'rigole. Fier de ma connerie. Peut-être qu'un réveil avec une sonnerie, c'est pas si mal finalement. J'roule vers elle et j'cale ma tête au creux de son cou. "CALIIIN TIME!" J'suis insupportable à hurler comme ça mais j'tiens à mon petit câlin du matin. Rien de sentimental entre nous. Juste une pure amitié qui s'éteindra jamais.

J'étais bien, trop confortable, paisiblement endormie. J'devais avoir l'air d'un ange vu d'en haut. J'dis ça parce que les anges avaient toujours l'air paisible, comme s'ils dormaient sur un p'tit nuage. C'était mon cas. Ma tête dû changer du tout au tout dès que la voix - qui était tout sauf mélodieuse - d'Elijah s'éleva dans mes oreilles. What the hell. Il avait avalé douze cafés et une pilule de speed ou quoi? J'ouvris un oeil, puis l'autre, un peu terrorisée je l'admets. « Mais ta gueule Eli. » marmonnai-je en tirant la couverture pour me la mettre sur la tête. Du moins, j'essayais. Les grosses fesses de mon coloc étaient dessus et m'empêchait de fuir. C'était légèrement envahissant comme réveil quand même, habituellement il était plus doux. C'était exactement pour ça que j'avais décidé qu'il mettait le réveil et venait me voir ensuite, il le faisait SI bien. J'allais devoir réviser la chose parce que je n'accepterais pas un autre réveil de la sorte. Je gigotai un peu pour reprendre toute la place qui m'était dû, mais Eli s'imposait bien comme il faut dans mon lit. Je le laissai se caler contre moi pour sa dose d'affection matinale. « T'es insupportable. » lui dis-je en refermant mes yeux. Je tendis mon bras opposé vers lui pour donner du mien un peu dans ce câlin, mine de rien, ça me plaisait bien aussi. « Je ressens un peu de haine à ton égard, mais j'avais vraiment besoin d'un câlin. Sache que je l'aurais pris de n'importe qui. » lui dis-je avec un sourire. J'faisais peut-être un peu ma peste. Je tirai l'oreiller qui se trouvait sous la tête d'Elijah pour que celle-ci tombe directement sur le matelas et me levai avec un petit rire diabolique. C'était le minimum qu'il méritait. J'enfilai rapidement un grand sweat par dessus mon haut et jetai un coup d'oeil à mon coloc toujours dans mon lit. Heureusement que j'étais décente quand même quand il était arrivé! « Tu m'fais à manger? Merciiiiiii! » demandai-je sans attendre sa réponse. Je lui donnai deux trois petites tapes sur les jambes pour qu'il se bouge, c'était plus l'heure de jouer à l'épave.    

Bon c'est vrai que d'habitude, les réveils sont un peu plus doux. Mais j'suis un mec imprévisible moi, j'suis comme le vent, furtif, calme ou en rafale, on sait jamais comment on va me trouver. J'avoue, j'suis souvent monté sur ressort, j'tiens jamais en place et je déborde d'énergie. J'devrais peut-être me calmer parfois, mais j'y arrive pas. J'aime quand ça bouge, quand ça fait du bruit, quand ça vit en fait. J'comprends qu'Alexis soit pas tout à fait de mon avis. Surtout quand il s'agit d'un réveil. Mais moi ça m'fait rire. Elle tarde pas à grogner. J'me prends un "ta gueule" très rapidement. "woow t'es d'une violence inouïe le matin, j'en reviens pas!" Je rigole encore un peu. J'me roule dans son lit, j'la sens qui essaie de s'extirper. J'suis envahissant comme gars, on m'le dit souvent mais c'est pour ça aussi qu'on m'aime. Elle m'rend mon câlin, vraiment par dépit. Elle doit s'dire que j'vais la laisser tranquille si elle m'tend son bras. Moi j'suis au climax. Elle m'dit que j'suis insupportable. Je souris. "Merci." Je ferme les yeux et j'me pose trois secondes. Histoire d'apprécier cette petite dose d'affection avant de démarrer la journée. J'souris à ses mots. Elle et moi, ça a toujours été ça. Des petites piques, des remarques, mais surtout beaucoup d'amitié qui s'traduit d'cette manière. Tandis qu'elle sort du lit, je reste affalé. J'me redresse sur le côté et cale ma main sous ma tête. "Tu aurais aussi pris un câlin de genre .. notre ancien prof de philo? Tu sais, le vieux moustachu à moitié crevé? Moi j'préfère mourir que d'lui faire un câlin!" Alexis enfila un pyjama. J'la regardais pas. C'était comme ma soeur. J'suis pas un pervers non plus. Entre Alexis et moi, ça avait toujours été d'une évidence simple et pure. J'sens ses tapes sur les jambes, j'me redresse, la journée doit commencer. "Oh bah tu vois voir c'que j'vais te faire à manger et tu vas regretter!" J'me lève dans un élan vif, j'ai retrouvé tout l'énergie nécessaire pour entamer cette journée. Faut dire qu'à deux, c'est quand même beaucoup plus facile. J'me dirige dans la cuisine. J'ouvre le frigo et les placards. J'ai toujours fais ça, j'ouvre tout et après je réfléchis. "Alors j'ai du lait, du jus d'orange et ... des petites brioches et .. c'est tout." On était pas des cadors de la cuisine, notre frigo se résumait souvent à pas grand chose mais on mourait pas de faim, c'était l'essentiel. "Putain, comment j'ai la flemme d'aller bosser là. Viens, on reste à l'appart aujourd'hui, ça te dis?" J'avais une fâcheuse tendance à toujours être partisan du moindre effort, maudite flemme.

« C'est rien qui n'est pas mérité. » J'me permets d'être vache avec Eli parce qu'il le sait que je l'aime. Enfin, normalement. Ce matin, j'l'aime pas trop j'avoue. C'était trop brutal pour moi ce réveil, j'men remets pas. Je lui rends son câlin par dépit, pour qu'il me lâche et me laisse me décoller les yeux un peu sans être attaqué par des cris. J'essaie même de lui fendre le coeur en lui disant que j'aurais pris un câlin de n'importe qui. Rien à faire, il bouge pas. Faut croire qu'il est à l'épreuve de tout aujourd'hui Elijah. Il réussi même à m'implanter une vision d'horreur en tête. « Ok n'exagérons pas. Qu'est-ce qui te prends d'me dire des trucs pareil aussi tôt? » lui dis-je en grimaçant. Le vieux prof de philo, quand même il abusait. Je décidai de sortir du lit et d'enfiler un truc confortable. Je ne pris pas la peine d'avertir ni de me cacher parce que bon... C'était Elijah. J'me fichais un peu qu'il me voit, j'étais pas pudique et puis, c'était pas comme ça entre nous. Ça ne l'avait jamais été. Juste naturellement de bons amis, comme un frère et une soeur mais en mieux. On s'faisait chier parfois, mais c'était toujours de bon goût. Ou du moins d'un goût que nous seuls on comprenait. Je lui demandai à manger, mais en le regrettant presque immédiatement après. Eli c'était pas un chef cuisinier, j'sais pas à quoi je m'attendais mais clairement, fallait descendre ces attentes. « J'regrette déjà. Me rends pas malade s'teplait. » dis-je en le suivant alors qu'il tentait de recréer la course de flash. En voyant mon coloc ouvrir tout comme ça, j'me rends compte qu'il faudrait faire les courses. « La moitié d'une brioche et du jus d'orange s'il vous plait monsieur. » demandai-je à Eli comme s'il était un serveur et un cuisinier, les deux en même temps. Je m'installai au comptoir, attendant qu'on me serve alors que mon ami avait décidé de projeter sa flemme sur moi. J'appuyai mon menton dans ma main en le regardant, peu impressionnée. « T'as travaillé au moins une fois cette semaine dis? » J'me moquais, mais j'étais pas loin de la vérité. « Faut que j'aie au studio plus tard obligé, j'dois répéter en groupe. » Je roulai des yeux légèrement, puis haussai les épaules. « Mais personne va savoir si j'étais là pour répéter mon solo ce matin. C'est quoi ton plan? » demandai-je en espérant une proposition phénoménale.  

Je sais qu'Alexis va me parler de ce réveil beaucoup trop violent pendant des jours et des jours. J'ai pas intérêt à recommencer si je tiens à ma vie. Mais j'aime beaucoup trop embêter Alexis pour m'arrêter en si bon chemin. Alors, totalement volontairement, j'implante dans son cerveau, de bon matin, l'image de notre prof de philo en train d'lui faire un câlin. Elle ne tarde pas à réagir. Sa réaction me faire rire et je hausse les épaules. "J'sais pas, j'avais envie d'me venger de la crasse que tu m'as dis juste avant." Bah quoi, c'est normal non? Elle a sous-entendu que mon câlin ne valait rien par rapport à d'autres. Saleté va!

On se retrouve dans la cuisine et j'suis au manette. Ma marge de manoeuvre n'est pas bien grande. J'peux pas faire de miracle avec du jus d'orange et d'la brioche. Cela dit, je ne sais pas faire de miracle en cuisine. C'pas mon truc. Alimentation à base de sandwichs triangles, comme disait Orelsan. Bah ouais, j'cite de grands auteurs moi! "J'peux pas te garantir la fraicheur de mes produits! On a pas fait les courses depuis plus d'une semaine.." On est irrécupérable. Alexis passe commande et s'installa derrière le comptoir. "Nan mais j'suis le larbin de service quoi!" Mais je m'exécute, en vrai, ça me pas me flinguer de sortir deux verres, le jus d'orange et le paquet de brioche. J'balance tout sur le comptoir et j'sers le jus d'orange. "Et voilà pour madame." J'suis serviable, elle a d'la chance de m'avoir comme coloc' franchement!

Et là, j'immisce une idée. Une flemme. Qu'on partage bien trop souvent. Alexis me demande si j'ai travaillé cette semaine. Je hoche la tête fièrement. "Un peu que j'ai bossé! Lundi et ... mercredi." On est vendredi, donc ça fait pas beaucoup mais j'y suis allé quand même. J'risque d'me faire virer si je continue comme ça mais c'est tellement tentant de ne rien foutre. Alexis m'expose son programme, une répétition en groupe impossible de manquer mais elle me laisse une porte de sortie. "Bah voilà, t'ira plus tard." Je fais mine de réfléchir par la suite. Comment excusez nos absences? Je plisse les yeux, quand j'fais ça, mon cerveau est en surchauffe. "On va appelé nos employeurs en disant qu'on a constaté un cambriolage chez nous et qu'on doit régler ça au plus vite en allant voir la police." Mon visage s'illumine, c'est un plan parfait non?

J'ai de grandes attentes pour Elijah dans la cuisine. Il m'a réveillé de façon horriblement violente, il a mis des images immondes dans ma tête en parlant de ce vieux prof de philo et maintenant, il doit se racheter. Oui, il le doit et c'est exactement pour ça que j'exige un p'tit déj digne d'une reine. P'tit déj qu'il n'est clairement pas en mesure de m'offrir vu ce qui se trouve dans nos armoires. C'était quand la dernière fois qu'on avait fait les courses? « On est d'horribles adultes. » déclarai-je d'un ton dramatique. Je m'étirai un peu la tête pour voir dans le frigo pendant que mon coloc l'ouvrait. « Y'a des trucs pourris là-dedans ou ça va? Parce que le pas frais, j'peux gérer, mais le moisi c'est non. » déclarai-je. Puis franchement, la flemme de devoir nettoyer. La contamination croisée, c'était du sérieux. Je passai donc ma petite commande à Eli, m'attendant à un service 5 étoiles parce que j'le valais bien. « T'es MON larbin de service. C'est mieux tu trouves pas? » demandai-je avec un grand sourire. Bien sûr que c'était mieux, j'étais hyper reconnaissante en plus. C'était mieux ça que d'être au service d'une ingrate. Je m'installe au comptoir et attend patiemment mon repas. Ça prend peu de temps parce que mon flemmard de coloc balance le tout devant moi, sans même sortir d'assiettes. En même temps, elles sont probablement toutes sales.  J'décide de me plaindre quand même. « Vas-y j'suis une ogre? On m'offre même pas une assiette? » demandai-je faussement offensée. J'voulais qu'il en cherche une, j'étais chiante, j'savais qu'y'en avait plus.

Je mangeais tranquillement ma brioche, bien en paix avec le fait d'aller au studio de danse, j'avais pas la flemme pour une fois, j'étais ok je comptais accomplir mes responsabilités. Puis, comme ça, sans prévenir, Elijah gâchait tout : ma motivation, mon cheminement personnel, tout. Je cédai, j'étais faible moi j'allais pas dire non à mon meilleur pote. « Deux jours, c'est mieux que ce à quoi j'm'attendais. » lui dis-je en haussant les épaules. Oui, mes attentes étaient basses, mais c'était Elijah. Il n'aimait pas bosser, c'était connu. « Ouais c'est bon, j'suis in. » dis-je sans qu'il n'ait vraiment eu besoin de me convaincre. Parfois, fallait user de plus d'arguments, mais pas aujourd'hui. J'lai dit, j'étais faible. J'avais aussi envie de passer une journée avec Elijah. J'écoutai son plan avec attention en plissant les yeux. « En vrai j'avais prévu juste ne pas y aller, mais ouais appelons TON employeur! » dis-je en tapant sur le comptoir d'une main ferme. « Ou moi je peux l'appeler et dire que t'es malade, t'as la chiasse et t'es coincé dans les toilettes depuis les p'tites heures. » lançai-je en réfléchissant bien. C'était plus plausible, non? « Genre t'as mangé de mauvais sushis hier ou t'as mal fait cuire ton poulet. J'trouve que ça s'achète facilement, ça colle bien avec toi en plus. » dis-je en éclatant de rire.
Bah ouais c'était pas le cuisinier de l'année Elijah.

 

A chaque fois qu'il s'agit de faire à manger, avec Alexis, on est confronté à notre incapacité à agir en adulte. On ne sait pas gérer les stocks, on se retrouve toujours avec un frigo à moitié vide, ou beaucoup trop plein et on finit par jeter des trucs. Je fais la moue quand elle nous traite d'horribles adultes. J'acquiesce aussi. Impossible de la contre dire sur ce coup là. "Les pires qui existent. Mais putain, comment ils font les autres pour gérer ce genre de trucs là?" Je m'agace sur les autres, responsables et autonomes. Nous, faudrait qu'on nous tienne par la main pour nous gérer. Mais en vrai, j'voudrais pas être le genre de personne qui garde tout sous contrôle. C'est pas rigolo. Je regarde de plus près dans le frigo à la question d'Alexis et je finis par hocher la tête de dégouts. "J'sais pas c'qui traîne dans le fond là, perso j'y touche pas. Ca finira bien par se désintégrer non?" A moins qu'une espèce animale encore inconnue des scientifiques finissent par se développer. Mais la technique de l'autruche, c'est la meilleure. Je ne regarde ça donc ça n'existe pas. Pratique!

Je rigole lorsqu'elle précise que je suis SON larbin à elle. Je hausse les épaules. "Faut croire que t'es pas la pire c'est vrai." Je souris avant d'balancer les brioches sur la table. Alexis se plaint encore. Je lève les yeux au ciel avec un grand sourire. Je crois qu'elle a décidé de se venger du réveil. Avec nonchalance, j'ouvre le placard censé contenir les assiettes, il n'y en a aucune de propre. "J'suis p'tête ton larbin mais j'suis pas magicien. Et tu peux toujours courir pour que j'fasse la vaisselle!" Voilà au moins c'est clair. Mais j'suis pas un crevard non plus alors j'détache un morceau d'essuie tout que j'viens délicatement poser devant sa majesté Alexis. "Voilà, une assiette souple, et pas besoin d'la laver après, pratique non?" Je souris et on attaque notre petit déjeuner de fortune. C'est déjà mieux que rien et de toute façon, j'ai les crocs, donc j'pourrais manger n'importe quoi.

En vient la conversation intéressante. En quelques phrases, sans avoir trop à insister, j'ai réussi à convaincre Alexis de ne pas aller travailler aujourd'hui. J'lui invente un scénario digne de Spielberg, une histoire de cambrioleurs, mais elle me propose autre chose. Je secoue la tête en éclatant de rire avec elle. "Nan nan nan, je refuse d'être souillé comme ça! J'préfère encore aller bosser plutôt que mon employeur m'imagine sur les chiottes." Et puis je la fusillais faussement du regard. "Et ca veut dire quoi ça ? T'insinue que j'sais pas cuisiner ?!" Bon, elle avait largement raison de l'insinuer mais quand même, j'fais des efforts bordel! "Nan, bon, on va simplement faire la technique dite de l'autruche. On drive notre matinée, on ignore les appels, et on verra après. De toute façon, le mal sera déjà fait, on risque rien." Je hausse les épaules, c'est vraiment pas un mouv' très malin de notre part, surtout qu'on est déjà sur la sellette. Mais bordel, bosser, c'est vraiment pas mon truc.

Elijah était d'accord avec moi sur le fait qu'on était de mauvais adultes. Ouais bon, ça aurait été impossible de me contredire franchement. Ça avait été une bonne idée d'être colocs plus jeune pour séparer les coûts et parce qu'on s'entendait trop bien, mais en même temps c'était la pire parce qu'on avait les mêmes défauts. Du coup, on mangeait rien de gastronomique, on oubliait les courses et fallait aller en guerre pour savoir qui allait faire la vaisselle. On était pas dégueu non plus, l'appartement était plutôt propre en général (franchement grâce à moi), mais c'était pas top dans toutes les sphères. « C'est à se demander comment on arrive à payer nos factures à temps. » dis-je en riant. Vraiment, heureusement qu'on avait ce -seul- côté responsable sinon on serait à la rue depuis longtemps. Je zieutai un peu le frigo pour voir ce qu'on avait à m'offrir pour ce p'tit déj et je fus vite déçue. Fallait pas avoir d'attentes ici en ce qui concerne la nourriture, c'était pas comme au marché. « Honnêtement j'ai envie de jeter les plats direct. On peut en racheter d'autres. » proposai-je. C'était pas propre, c'était horrible et j'me voyais mal tout laver ça à la main sans savoir ce qu'il y avait dedans au départ. Elijah balaya le tout du revers de la main : on s'en occuperait plus tard. Deux vraies larves qui remettaient tout à plus tard.  C'était tout nous ça.

Bon, j'avais la dalle et j'avais décidé que c'était Elijah qui servait ce matin. J'étais sympa et polie d'ailleurs, j'espérais qu'il appréciait l'attention. Je souris fièrement à ses paroles, j'étais pas la pire. Il appréciait donc être à mon service et le ferait toute sa vie, c'était bien noté! J'espérais qu'il s'améliore par contre parce que pas d'assiette c'était plutôt moyen. « J'touche pas à ça non plus, faudra tirer au sort ou faire une bataille avec les épées pour voir qui c'est le perdant. » dis-je en levant mes deux mains dans les airs. Hors de question que je me rende aussi facilement pour laver la vaisselle. Y commençait à avoir une odeur en plus. Je préférais prendre nos épées en mousse et me battre jusqu'à la mort. Elijah était tout de même sympa puisqu'il me donna un essuie tout pour y déposer ma brioche. Je lui fis un grand sourire avec ma bouchée à moitié mâchée pour le remercier, très classe Alexis. On peut enfin s'attaquer à notre petit déjeuner dit gastronomique. Mine de rien, les brioches soient moins moelleuses qu'à l'achat hein.

Pendant que je me délecte de tout ça, Jaja il propose une idée un truc pas fou qui implique rester à l'appart toute la journée, quelque chose d'habituel quoi. Il a un plan de fou pour éviter les réprimandes, mais franchement je m'en fous j'vais juste rien dire et ça fera pareil. Par contre, Elijah il a un employeur à qui rendre des comptes et j'lui sors une excellente idée pour s'en sortir, un truc bien plus réaliste qu'un braquage. « T'es une vraie princesse Elijah, on s'en bat les couilles de ce que ton supérieur s'imagine. » lui dis-je en roulant des yeux. En vrai on s'en bat les couilles parce que c'est lui, mais je l'aurais jamais laissé faire si la situation était inversée. « J'insinue rien, je te le dis franchement, j'te fais pas confiance quand il s'agit de cuire du poulet. » lui annonçai-je bien sérieusement.  J'étais pas la cuisinière de l'année, mais au moins, mon poulet n'était jamais cru. Au pire un peu trop cuit mais ça va c'est toujours bien sec du poulet de toute façon. Jaja nous sortit le plan final et j'étais totalement en accord. J'hochais frénétiquement de la tête, approuvant tout ce qu'il disait. « Ouais ouais ouais, c'est bien ça. On fait comme tu dis. » Je donnai une petite tape sur le comptoir : opération elixis bien libre enclenchée ! Je relevai la tête vers lui : « Et donc ... On fait quoi ? » demandai-je bêtement. « Pourquoi on s'est levé aussi tôt si on fout rien? » demandai-je bêtement. On aurait pu resté au lit et avoir tout ce cheminement décisionnel quand même. On était cons. Là, on avait mangé en plus.

 

C'était clairement un miracle que l'on soit encore tous les deux dans cet appartement. On avait, au tout début, manqué de se faire virer parce qu'on avait pas payé le loyer. On s'était aussi retrouvé dans le noir, au tout début, parce que notre facture d'électricité était restée dans la boite aux lettres. Finalement, on avait fait une réunion de crise et on avait juré de s'occuper des choses indispensables en prenant le soin de se répartir les tâches. Alexis gérait le loyer et je gérais la boite aux lettres. Ensuite, on s'était promis de toujours payer une facture dès qu'on la recevait. Et ça avait suffit. On avait survécu. Bon, il nous restait encore tout un tas de choses à peaufiner. Les courses. Ca s'était le pire. On se nourrissait que de produits préparés et les rares fruits qui atterrissaient dans notre cuisine finissaient par pourrir. Je hochais la tête à sa réflexion. "On fout tout à la poubelle, et on s'en parle plus." Je saisissais alors le plat suspect dans le fond du frigo, je retenais ma respiration pour ne pas vomir et tout se retrouva au fond de la poubelle en un rien de temps. Le plat en pyrex avec. C'était un mouv' qui nous ressemblait totalement. Je pense que ma mère se serait étouffée en me voyant faire ça, mais l'avantage d'être en coloc, c'est qu'elle n'était pas là, ma mère.

Je me tournais vers Alexis, j'avais fais ma part du boulot. A elle d'assumer et de laver la vaisselle. C'était un peu déséquilibré, surtout que moi je m'étais contenté de tout jeter. Alexis pourrait faire de même, et on aurait qu'à aller acheter des couverts et assiettes en cartons, et le tour était joué. Je rigolais à ses mots. "On peut aussi faire une bataille d'épées juste pour s'amuser non?" Je faisais un grand sourire, quand il s'agissait de faire les gamins, nous étions les premiers. Finalement, on prenait notre petit-déjeuné, calmement. Grignotant les restes de brioches.

Et puis, l'idée de ne rien faire aujourd'hui et de ne pas aller travailler me traversa l'esprit. C'était pas une idée de génie hein, et la flemme faisait partie intégrante de ma vie. On discuta ensemble pour savoir quel plan on allait élaboré. Et je secouais la tête face à la proposition d'Alexis. "Non non non, je ne dirais pas ça à mon patron! C'est MORT !" Mon patron, il était grave cool, il m'en demandait pas trop et j'allais pas commencer à lui raconter des histoires de gamins, je tenais quand même à ce job, c'est ça qui payait le loyer. Je haussais les épaules lorsqu'elle me dit qu'elle ne me faisait pas confiance pour le poulet. "De quoi tu parles ? Je ne fais jamais cuir du poulet !" Logique implacable. Je souris et resta perplexe face à sa question. Putain, c'était vrai ça. Qu'est ce qu'on allait faire? Surtout qu'on était levé et presque prêt à partir. Je posais mes coudes sur le comptoir, et mon menton dans ma main. "J'avoue." Je réfléchissais. "Bon, la flemme d'avoir la flemme. On ira pas bosser demain et puis voilà." Je plongeais mon regard dans celui d'Alexis, ça me paraissait être un bon compromis.

FIN