Hi, nice to meet you ! (reyansh)

C’était la première heure d’ouverture de la journée, c’était généralement la plus tranquille, il y avait davantage des personnes retraitées qui venaient flâner, un livre à la main, consommant davantage des verres d’eau que du vin. Reyansh n’avait absolument rien contre cela, il savait que ce serait plutôt à partir de seize heures qu’il sortirait le tire-bouchon. Pour le moment, il était un peu passé treize heures, la journée était encore bien jeune. C’était tranquille mais c’était aussi agréable, le soleil filtrait à travers les fenêtres du Beyond Words & Wine, laissant une traînée de lumière et de chaleur sur la plupart des fauteuils. Reyansh replaçait des livres laissés à l’abandon sur les petites tables rondes, les insérant avec précaution entre deux autres livres de la bibliothèque, comme s’il s’agissait d’un livre d’archives qui risquait de s’effriter sans cette douce attention. Il était sur son chemin de retour vers son comptoir central, là où il servait le vin et vendait les livres, quand il fut interpellé par une cliente qu’il n’avait encore jamais aperçue dans les parages. Il lui sourit, s’arrêtant direct, pour l’écouter se présenter. Il fut tout de suite intrigué par la proposition qu’elle évoqua - et par cette manière déterminée de l’aborder, bien sûr ! « Bonjour, c’est moi le propriétaire. Reyansh Bhakta. » Il tendit la main pour serrer celle de la jeune femme. Il avait comme l’impression que c’était du sérieux, un échange business, même. « Je vous écoute pour cette proposition, ma curiosité est piquée. Venez, on peut aller s’asseoir. » Il fit un signe de tête vers la portion de gauche de la boutique, il y avait deux fauteuils individuels l’un en face de l’autre, mais légèrement de biais. Il s’installa sur celui en velours rouge, elle avait le vert émeraude à sa disposition. Rosemary lui assura tout de suite qu’elle n’était pas là pour se plaindre mais pour proposer une collaboration. Cette précision arracha un sourire à Reyansh, qui n’avait franchement même pas pensé à la première option. Puis, son intérêt fut encore plus grand lorsqu’elle parla d’art thérapie. « Ah mais non, je vous en prie, continuez à me raconter votre vie, surtout si cette collaboration et ces quelques petites choses que vous voulez me proposer peuvent déboucher sur une activité franchement géniale. Et même sans en savoir plus, je sens que ça peut être le cas. Vous m’aviez déjà convaincu avec “art thérapeute”, en fait.. » Admit-il avec un sourire.

Tel qu’invitée à le faire, Rosemary prit place sur le fauteuil vert émeraude, à côté de celui de Reyansh. Il se tourna légèrement sur son fauteuil afin de lui faire face, croisa les jambes et appuya ses deux avants-bras sur le même accoudoir, ses mains l’une dans l’autre. C’était sa position décontractée mais ouverte à une discussion plus sérieuse. Après tout, une collaboration, ce pouvait ouvrir énormément de voies ou ce pouvait être un flop total. Il ne fallait pas prendre cela à la légère. Surtout qu’elle arrivait ici sans prévenir sans rendez-vous, Reyansh n’ayant donc aucune idée de ce qu’elle avait en tête. Cela ne lui déplaisait pas, au contraire, il aimait les personnes spontanées. Il était curieux, maintenant. Il rit quand elle mentionna qu’elle était une professionnelle et devait rester professionnelle. « Ne vous en faites pas avec ça. Le naturel c’est très bien aussi. » Soyons honnêtes, les gens se montrant professionnels laissaient rarement voir leur vraie nature. Reyansh aimait beaucoup trop l’humain pour avoir l’impression de se retrouver face à une personne robotisée. La jeune femme se lança tout de même dans une tirade un peu plus sérieuse, et sans doute un peu répétée. Elle était sans doute nerveuse, ce serait normal. Rosemary avait un grand sourire, de grands yeux animés et passionnés, et son ton de voix était accrocheur malgré le débit plutôt rapide de son discours. Reyansh était pendu à ses lèvres, à la fois pour ne rien perdre des mots qui filaient à toute vitesse, à la fois parce qu’il était réellement intéressé par le projet qu’elle lui présentait. « Wow. On ressent votre passion pour le projet, en tout cas. Et ça me rassure et ça me motive, en même temps, votre entrain. » Il sourit, le regard lumineux. « Vous cognez à la bonne porte, j’ai l’impression. Déjà, je trouve que les troubles de santé mentale sont encore énormément tabous, incompris, et même démonisés pour certains. J’aimerais qu’on en parle tellement plus dans la société, pour que personne ne se sente honteux d’aller chercher de l’aide. Et parlons-en, de cette aide … Je pense qu’effectivement les séances ne sont pas forcément faites pour tout le monde, ou alors, qu’elles ont besoin d’un complément pour certaines personnes. L’art-thérapie, c’est une méthode qui me rejoint totalement, étant moi-même de ceux qui passent par l’art pour extérioriser ce qui se passe en-dedans. » Il regarda autour de lui dans la librairie. Les murs, s’ils n’étaient pas cachés par des bibliothèques remplies de livres, étaient déjà bien décorés d’oeuvres d’art au goût de Reyansh. Mais pourquoi pas une rotation ? « Certains de ces tableaux seraient jolis chez moi. Je ne serais pas contre l’idée de les remplacer par des oeuvres que feraient vos personnes participantes. » Le jeune propriétaire consulta sa montre. « Treize heures vingt-trois, est-ce trop tôt à votre avis pour nous servir un verre pour continuer cette discussion ? » Elle l’avait dit elle-même, c’était un peu le principe de l’établissement, d’y boire du vin ! Il sourit. Pour lui ce n’était pas trop tôt, autrement il aurait révisé ses heures d’ouverture.

Puisque Rosemary acceptait son invitation à boire un verre de vin, Reyansh se releva aussitôt de son fauteuil. « Vous pouvez ! Enfin je pense ! » Déclara le jeune homme à propos du fait qu’elle pouvait lui faire confiance sur le choix. Tout le monde n’avait pas les mêmes goûts pour les mêmes palettes mais généralement, Reyansh arrivait à trouver des vins passe-partout lorsqu’il ne connaissait pas encore les préférences de ses interlocuteurs. Il ouvrit une bouteille de Meinklang, un cépage autrichien qui serait parfait pour cet après-midi. Il avait un doux goût fruité, aux arômes de poire et de mangue, avec une petite twist de poivre blanc. Il l’avait fait goûter à plusieurs personnes et jusqu’à maintenant, il faisait l’unanimité. Ce serait le moment de voir si Rosemary s’ajouterait à ce clan. Le librairie versa le liquide dans deux coupes et revint vers l’entrepreneure. « Et voilà. J’espère que vous l’aimerez. » Il déposa également la bouteille sur la petite table entre eux, question qu’elle puisse identifier le vin en question - et qu’ils puissent se resservir au besoin, si la conversation s’animait et s’étendait plus encore. Après cet interlude, Rosemary le relança sur une question cette fois un peu plus personnelle, ce qui ne dérangea pas du tout Reyansh. Au contraire, il était plutôt soulagé que la brunette n’était pas juste all business. Elle avait retenu cette bribe d’information qu’il avait laissé couler sur lui-même. « Je fais de la peinture sur toile, de l’abstrait généralement, mais je varie un peu les plaisirs, j’explore. » Dit-il avec un sourire. « Je me laisserai sans doute tenter par un atelier … J’aurais eu de la difficulté à rester là en retrait à juste regarder, je pense, de toute façon. » Admit-il. Il rit à propos de la révélation que lui fit Rosemary sur ses talents, à elle, inexistants pour le dessin ou la peinture. « Après, la musique c’est tout autant un art. Vous n’êtes pas imposteure. Vous jouez de quel instrument ? » S’intéressa Reyansh. Lorsqu’ils eurent terminé d’échanger quelques détails sur leurs propres intérêts, Rosemary revint sur le sujet principal : leur entente professionnelle. Le libraire réfléchit pour la date, sortant son téléphone portable afin de consulter l’application de calendrier. « Hum … Voyons voir … Il faut se laisser le temps d’en faire la promotion un peu, par-ci par-là, en plus de l’organisation … Que diriez-vous, jeudi dans trois semaines ? Ça vous laisse assez de temps ? » Demanda l’artiste.

En écoutant Rosemary lui définir l’art-thérapie, Reyansh réalisa que c’est en fait ce qu’il faisait à chaque fois qu’il se retrouvait devant une toile. Rarement il avait une idée en tête avant d’attraper le pinceau. Une inspiration par-ci par-là, peut-être, mais rarement quelque chose de concret. Généralement il mettait dans ses oreilles une musique qui s’accordait parfaitement à son feeling du moment, et il se laissait ensuite aller. Les couleurs, les coups de pinceau, les directions, les courbes, tout prenait vie sans qu’il ne réfléchisse trop. C’était son être et son âme, qui conversaient. « Je dirais que c’est ce que j’ai toujours fait, depuis mon premier coup de pinceau. » Admit-il avec un sourire. « Est-ce qu’ensuite, avec les personnes participantes, vous les amenez à se questionner un peu plus sur … ce qui se cache dans leur esprit, comme vous le dites ? À comprendre ce qu’elles viennent de créer, et qui est un reflet d’elles-mêmes ? » Les conversations à la suite d’un atelier devaient être fort intéressantes si c’était le cas. Tout comme Rosemary l’était, intéressante. Ils parlaient maintenant musique, puisqu’elle jouait de la guitare, ce qui était tout autant de l’art. Reyansh suivit le geste de la brunette des yeux, alors qu’elle s’emparait de son téléphone portable. Il l’écoutait lui parler de son bénévolat dans les hôpitaux. « Oh, les personnes à l’hôpital doivent adorer ces moments. Je parie que vous faites leur journée, leur semaine, même, quand vous y allez. Pourquoi ne plus jouer dans les bars ? » Elle aurait pu faire les deux en même temps, mais c’est vrai que ça pouvait rapidement occuper un horaire. Mais, quand on aime ce qu’on fait, on ne compte pas. La jeune femme s’occupa les doigts sur son téléphone en notant la date dans son agenda virtuel, dans trois semaines donc. « Parfait, je le note aussi. » Il aimait peut-être les livres papiers, Reyansh, mais il n’était pas déconnecté non plus, alors il sortit son propre portable pour noter la date et les informations générales. Rosemary présenta finalement son écran au libraire, qui leva la tête pour regarder la vidéo d’une prestation à l’hôpital. Il esquissa un large sourire en se penchant vers le téléphone pour mieux regarder sur le petit écran. « Wow ! » S’exclama Reyansh, n’en ajoutant pas plus pour le moment, voulant écouter au maximum l’audio. Il regarda aussi l’expression sur les visages des “spectateurs malades”. Ils semblaient purement heureux. « Vous jouez vraiment bien. Et vous avez une voix magnifique. On voit à quel point votre présence touche tout le monde qu’on a pu apercevoir dans la vidéo. C’est vraiment chouette, ce que vous faites. » Rosemary se décala en s’excusant de cet enthousiasme, mais voulant en savoir un peu plus sur Reyansh aussi. Si elle s’ouvrait autant c’est qu’elle trouvait important qu’ils se connaissent en tant qu’humains, plutôt que comme de simples collaborateurs. L’artiste n’aurait pas mieux dit. Il la regarda se déplacer jusqu’au centre la pièce, il ne pouvait s’empêcher de sourire en la regardant aller. « Vous avez bien raison ! C’est dans les conversations que naissent les meilleures idées. » Il se leva à son tour et alla la rejoindre au centre de la pièce, son verre de vin à la main. Il se contentait de sourire en la regardant mimer la scène. « Venez. » Lâcha-t-il finalement en la conduisant vers l’arrière de la librairie, où seules les personnes employées pouvaient se rendre. On y retrouvait les bouquins abîmés que Rey réparait, on y retrouvait la petite cuisine bien modeste pour préparer quelques accompagnements pour les appétits gourmands, mais on y retrouvait aussi quelques oeuvres de Reyansh, entreposée là par manque de place à la commune intentionnelle où il demeurait. Il en sortit une, toute derrière la pile. « C’est la première toile que j’ai peinte en arrivant en Australie il y a plus de dix ans. » Et dans les traits incertains, dans les couleurs plus sombres, on voyait bien que Reyansh s’était alors senti complètement déraciné. Pour lui, cette oeuvre était très personnelle, encore plus que bien d’autres.

Reyansh regrettait presque de ne pas pouvoir être pleinement participant à cet atelier qu’ils organiseraient ici, au Beyond Words & Wine. Étant hôte il n’allait pas pouvoir se concentrer à cent pour cent dans la séance, c’était tout à fait normal, mais à entendre Rosemary expliquer le concept, il se dit qu’il aurait bien aimé, lui aussi, débunker certaines choses, certaines idées préconçues sur l’art-thérapie, aussi. Reyansh apprécierait à distance, toutefois, ou participerait à la hauteur de ce qu’il pouvait avoir comme temps dans les circonstances. Voir les autres personnes à l’œuvre l’inspirerait probablement tout autant, et il en gagnerait des apprentissages différents. « C’est quoi, les clichés que vous entendez le plus souvent ? » Demanda-t-il, intéressé. Il pouvait bien avoir un avant-goût, lui aussi ! Et il pourrait mieux se préparer à l’organisation de l’activité s’il comprenait mieux dans quoi il s’embarquait avec Rosemary.

Cette dernière, douée dans l’esquive, ne répondit pas à la question de Reyansh sans même que ce dernier ne s’en rende tout à fait compte. Il réalisa certes très bien qu’elle n’avait pas répondu, mais cela avait passé comme un enthousiasme débordant de la part de Rosemary, qui l’aurait portée ailleurs que sur ce sujet, par inattention. Reyansh la suivit donc dans cette nouvelle cascade d’idées et de dévoilement, se joignant d’ailleurs à la vague en lui confiant, à son tour, un petit morceau de lui-même. Ce morceau, il était peint sur une toile vieille de dix ans, entreposée dans la poussière de l’arrière-boutique. « Merci beaucoup. » Lâcha l’artiste, touché par le terme fascinante employé par Rosemary. Il reporta son attention sur sa propre peinture. « C’est vrai qu’elle est mélancolique. Je pense qu’à l’époque j’avais l’impression d’avoir perdu tous mes repères et cela s’est projeté jusque dans mon art. » Il n’irait pas jusqu’à confier qu’il était venu ici pour une femme, Saanvi, qui avait trouvé un emploi à Perth. Il avait quitté l’Inde avec elle, pour elle, tout ça pour vivre un échec amoureux six ans plus tard. Là aussi, il avait eu l’impression de perdre tous ses repères. Son compas l’avait conduit jusqu’ici, à Bowen. « Je n’ai pourtant pas l’impression de ressentir cette gêne par rapport à mes tableaux, peu importe ce qu’ils portent comme message, mais si ces toiles sont entreposées ici, dans l’oubli, c’est peut-être pour une raison … » Admit-il, avec un sourire égaré.

Tous les deux suspendus dans le temps, debout dans l’arrière-boutique, les confidences virevoltaient finalement autour d’eux. Rosemary revint sur cette question, esquivée un peu plus tôt, demandée par Reyansh. « C’est peut-être pour me consoler moi-même par rapport au temps perdu, mais je me plais à croire qu’au fond, aucun temps n’est perdu, non. Ce temps passé à faire autre chose vous a menée jusqu’ici, là où vous deviez être. Je pense que rien n’arrive pour rien. » Déclara-t-il, avant de se tourner complètement vers elle. Il inclina tout légèrement la tête, les yeux légèrement plissés. « Et qu’est-ce que le public du bar aurait de si différent du public de l’hôpital ? Ce sont des êtres humains. Et ces personnes malades de l’hôpital traînaient peut-être bien dans les bars avant de se retrouver là où elles sont. » Proposa-t-il tout simplement, comme piste à réfléchir.  

Ce n’était pas une surprise, pour Reyansh, qu’il existe un tas de clichés sur l’art-thérapie, ou la thérapie en général. Après tout, il existait des clichés ou des préjugés sur à peu près tout. En tant que libraire ou artiste, le jeune homme en était souvent victime, lui aussi. Heureusement que la plupart du temps, ça lui passait cent pieds au-dessus de la tête. Il écouta attentivement la réponse de Rosemary, secouant la tête parfois exaspéré de ce que certaines personnes pouvaient penser. « N’importe qui bénéficierait d’une thérapie. Même les gens qui disent ne pas avoir de problèmes, ça ne pourra jamais être totalement vrai … La perfection ça n’existe pas, y’a toujours au moins un truc sur lequel on peut travailler sur soi. » Prétendre le contraire était un problème en soi, selon Reyansh, mais il ne s’avança pas davantage sur la question.

De fil en aiguille, ils se retrouvèrent à l’arrière de la librairie, où Reyansh entreposait de vieilles toiles, peintes à son arrivée en Australie. Il en parlait maintenant sans trop d’implication émotive. C’est qu’aujourd’hui, il avait trouvé sa place dans ce nouveau pays. Il avait créé de nouveaux repères. Il n’était plus le gamin perdu en sol inconnu. « Quand je vous entends le dire, à voix haute, on dirait que je trouve que c’est un comportement malsain. De les laisser dans le noir, ces souvenirs, et de faire comme s’ils n’existaient pas. Pourtant je n’ai pas l’impression qu’ils sont là à me guetter, prêts à ressurgir, justement. » Il trouvait cette analyse très intéressante, Reyansh, et c’est pourquoi il se lançait aussi dans la réflexion. Il ne se sentait nullement attaqué par les interprétations de Rosemary, au contraire, il aimait cet échange. Ce fut d’ailleurs au tour de la jeune femme de se confier un peu plus à lui. Reyansh tenta, à son tour, d’alimenter ses pensées. « Peut-être. Mais est-ce qu’être plus sérieuse et plus “adulte”, whatever that means, c’est forcément mieux ? » De son point de vue, non. En même temps, Reyansh ne vivait pas la vie d’adulte comme la majorité.

« C’est avec plaisir que je serais là. Première rangée. Je serai le regard dans lequel vous pourrez vous réfugier si la foule vous intimide trop. Si la peur vous envahit. » Il esquissa un sourire, hochant la tête d’un signe positif. À sa question fort intéressante, Reyansh détourna le regard pour réfléchir. La réponse ne lui venait pas aussi facilement. « De partir, quelques jours ou quelques semaines, perdu au beau milieu de nulle part, avec personne pour me guider, personne pour me tenir compagnie. Pas même les personnages de mes livres préférés. Être seul avec moi-même, et le temps et l’espace. » Admit-il, lui qui n’était pas reconnu pour être une âme solitaire.

Portant sa coupe de vin à ses lèvres, Reyansh écouta Rosemary - qui semblait essayer de se rattraper, même s’il n’y avait rien à rattraper. Le jeune homme avait interprété à sa manière l’interprétation de la thérapeute - le jeu des perceptions, c’était aussi ça. Son regard s’était d’abord réfugié dans ses tableaux puis dans le regard de sa future partenaire de projets. C’était à son tour de remuer négativement la tête, puisqu’elle pensait sûrement l’avoir vexé ou être allée trop loin, alors que ce n’était nullement le cas. « Ne cessez pas de faire cela avec moi, en tout cas. J’aime beaucoup les analyses qui découlent de nos conversations. Ça porte à réflexion, sur des sujets auxquels je ne pense pas particulièrement. » Ses tableaux, une fois terminés, Reyansh avait effectivement tendance à les ranger dans un coin de sa tête autant que dans un coin de sa pièce. Pourtant, il y avait peut-être quelque chose à déduire de l’évolution de ses toiles. S’il les positionnait toutes une à la suite de l’autre, chronologiquement, y verrait-il le reflet de son propre parcours ? Sans aucun doute. Il faudrait qu’il le fasse un de ces jours.

Pour le moment, il restait dans sa douce insouciance, et demanda à Rosemary si être sérieuse et “plus adulte” c’était forcément mieux. Mieux que d’être la personnalité pétillante et dynamique qu’elle était actuellement. Reyansh en doutait. Il aimait la personne qui se trouvait là, devant lui. « Au diable le cadre, j’ai envie de dire ! » Lâcha-t-il spontanément, avant d’offrir un grand sourire à la brunette, surpris lui-même de cet enthousiasme. Il haussa les épaules en regardant brièvement autour de lui. « Le monde des adultes est trop beige et rangé, de toute façon. Il est grand temps qu’un changement s’opère. Et si ça se faisait, on ne vous regarderait plus de travers. » Qu’elle s’abandonne à ses envies, Rosemary. Qu’elle fasse ce qu’elle désirait sur un coup de tête. Et cela même si chanter devant une salle était impliqué. Après tout, c’est ce qu’elle souhaitait secrètement faire, non ? Il fallait qu’elle vainc sa peur. Reyansh serait aux premières loges, comme il le lui assurait. « Et quand je fais une promesse, je la tiens. » Il esquissa un sourire, même si sa déclaration était des plus sincères. Son sourire aussi, au fond.

Sa peur à lui était la solitude. La solitude pesante et écrasante. Quand même le silence commence à jouer des tours et à faire peur. Plus jeune il avait grandi dans une très grande famille, en Inde, pays parmi les plus peuplés. Et maintenant il vivait dans une grande colocation, une commune, où à peu près toutes les âmes qui y vivaient cherchaient ce même besoin d’être constamment entourées. S’il se retrouvait seul du jour au lendemain, Reyansh, il aurait bien du mal à s’adapter. « Je suis d’accord avec vous, qu’on se découvre réellement de cette façon-là. Mais … je préfère par petites doses de solitude. Jamais trop longtemps. » Il lui sourit. Il avait bien assez de ses nuits, durant lesquelles il restait éveillé plusieurs heures à créer, seul, dans sa chambre à coucher, face à ses toiles. C’est là qu’il prenait le temps de se plonger en lui-même, un verre de vin à la main et une douce musique à ses oreilles. Lorsque la jeune femme mentionna la dérive de leur conversation, Reyansh consulta l’horloge au mur. Il était maintenant passé quatorze heures. « Oh, c’est vrai que nous nous sommes laissés aller. » Il rit légèrement. « J’aime beaucoup nos discussions aussi. La preuve, j’en ai oublié le temps, et les clients à servir. » Mentionna-t-il avec légèreté, même s’il était vrai qu’il allait devoir retourner à l’avant de la librairie.