sun comes up (leyla)

Selma avait hésité un moment avant de proposer à Leyla de l’accompagner pour cette randonnée. La tranquillité c’est important pour la journaliste et celle de son logement est perturbée depuis quelques mois par la nièce de son mari, enfin ex-mari serait plus juste même si leur mariage tient toujours sur le papier. Un peu mise devant le fait accompli, elle n’a pas vraiment eu de possibilité de refuser de l’héberger. Si Izzy n’avait pas été là, elle aurait peut-être refusé, n’ayant vu Leyla qu’une ou deux fois et n’ayant pas franchement envie de faire quelque chose pour León. Son logement n’est clairement pas adapté pour l’accueillir mais elle a pensé qu’au moins ça aurait pu l’aider à se bouger un peu. Oui elle a toujours espoir qu’il y ait quelque chose dans la vie de son mari pour le réveiller et le remettre en mouvement. Mais elle a accepté d’accueillir sa nièce, Izzy est beaucoup trop contente de passer du temps avec cette cousine qu’elle ne connaît quasiment pas, alors forcément ça fait un peu plaisir à Selma aussi. Mais les semaines où Isodora est chez son père sont plus compliquées, elle n’a plus sa tranquillité, cette semaine où elle peut faire ce qu’elle veut sans se soucier d’avoir quelqu’un qui peut traîner dans la maison. D’un autre côté elle sait que Leyla n’a pas eu une vie simple et elle a envie de l’aider. Elle aimerait aussi écrire un article sur la vie de la jeune femme mais pour ça il ne faut pas qu’elle se la mette à dos, elle sait combien il peut être dur d’avoir des témoignages. Le festival de l’automne tombait donc à pic pour un moment en dehors de la maison toutes les deux. Izzy a déjà prévu de gravir le mont avec les scouts et ne les accompagne donc pas. Le trajet jusqu’au départ de la randonnée est plutôt calme, avec la playlist année 90 de Selma en fond dans la voiture. Avant le départ diverses activités sont proposées, notamment un concours de tarte aux pommes, de quoi faire une bonne dégustation. « On pourra en manger une part une fois qu’on sera redescendues, ça sera notre récompense. Mais je crois que la randonnée n’est pas très longue. » Pour une athlète comme elle et experte en trek, ça ressemble davantage à une balade digestive qu’à une vraie randonnée challengeante.

@Leyla Alvarez

leyla & selma 

J'avais pas trop su quoi dire quand Selma m'avait proposé de l'accompagner au festival de l'automne pour une randonnée. Créer un lien entre nous deux n'était pas trop évident depuis qu'elle m'avait accueillit chez elle. Je savais qu'elle l'avait fait un peu à contreoceur, ça lui avait été imposé par mon oncle. Imposé en surprise d'ailleurs. J'avoue que je m'étais sentis mal, mais je voulais juste un endroit où dormir. Les semaines avec Izzy, ça allait. C'était plus détendu, plus joyeux, mais lorsqu'elle n'était pas là, on pouvait ressentir le froid glacial dans la maison. En vrai, Selma, je ne la connaissais presque pas et elle ne m'avait pas donné envie de m'ouvrir. C'est surtout que je redoutais un peu le type de lien maternel qu'on pourrait venir à former. Ça me faisait peur. Ma mère, elle était pas loin dans mes pensées. Je tentai de me faire discrète, je sortais pas mal avec les amies que je m'étais fait ou bien j'étais à la fac, mais j'avais quand même l'impression de déranger. Je bossais pour économiser et prendre un appartement, mais une partie de moi avait envie d'aider mon oncle aussi. Il avait dépensé beaucoup pour me faire venir ici et j'avais un peu envie de lui remettre. Faudrait que je vois. Donc ouais, j'avais hésité pour la randonnée, mais je trouvais que Selma faisait un effort et on m'avait appris à être polie donc j'avais dit oui. Le trajet se faisait dans le calme. J'étais polie, mais peu bavarde. C'est surtout que je ne savais pas trop quoi lui dire à tante Selma. Sa playlist se chargea donc de combler les moments de silence. Playlist composée de chansons qui dataient d'avant même que je sois née. Je connaissais quand même quelques classiques, me permettant de bouger la tête à certains moments. C'est Selma qui brisa le silence, parlant du dessert qu'il y aurait en grande quantité une fois sur place. '' Ouais, j'aimerais bien. '' dis-je avec un sourire. J'adorais tout ce qui était sucré alors je n'étais pas trop difficile à convaincre. '' C'est ma première randonnée en Australie. Même si elle est courte, j'ai hâte de voir. '' dis-je en tournant légèrement ma tête vers elle. '' La vue sera belle, tu crois? '' demandai-je en me retournant pour regarder par la fenêtre. J'aimais bien faire de la randonnée au Chili. Les points de vue étaient toujours assez impressionnants.

Une bonne partie du temps, Selma randonne en solitaire. Elle aime partir pendant plusieurs semaines, si elle le peut, pour faire de longs itinéraires et il est rare qu’elle trouve quelqu’un d’assez motivé pour l’accompagner. Elle aime aussi se retrouver seule, c’est un bon moyen pour elle de décompresser, de se sentir vivre. Il lui arrive de randonner sur quelques jours avec les mêmes personnes, si elle sympathise avec en chemin, la rencontre est éphémère, chacun poursuivant sa route ensuite, en échangeant rarement leurs numéros. Ce sont les rencontres faites sur les chemins, celles qui peuvent marquer parfois, celles à qui on peut confier ses secrets les plus inavouables car on sait qu’il y a peu de chance de les recroiser un jour. Et puis, galérer sur le même sentier, ça créé du lien, ça aide à se confier. Sur les randonnées plus courtes, Selma emmène souvent des amis aimant aussi marcher, plus ou moins, avec elle. A une époque, elle en faisait aussi avec León, leur fille aussi une fois qu’elle est née, mais ça n’est plus arrivé depuis des années de les voir tous les trois sur un sentier, ensemble. Aujourd’hui c’est à Leyla qu’elle a proposé l’aventure. Enfin, aventure est un bien grand mot pour cette randonnée qui semble assez accessible. Elle ne l’aurait pas emmené sur un sentier difficile sans avoir vu son niveau avant, elle ne veut pas prendre de risque. Et s’il lui arrivait quelque chose, elle s’en voudrait, même si ce n’est pas grand-chose, et elle sait que son mari lui en voudrait d’autant plus, elle n’en a pas envie. La journaliste évoqua les tartes aux pommes proposées à la dégustation pour le concours, de quoi les récompenser une fois la balade terminée. « Oui je pense que d’en haut on devrait avoir une belle vue sur la vallée autour. C’est assez plat par ici, alors cette montagne, même si elle est pas bien haute, permet d’avoir une vue sur tous les alentours, sur l’océan aussi. » Elle y était déjà venue. Elle a grimpé sur tous les cailloux des alentours et presque d’Australie alors difficile de lui en faire découvrir des nouveaux. « Tu en faisais pas mal au Chili ? » Elle ne l’avait pas trop questionné à ce sujet, ou du moins pas dans le détail, n’ayant au final pas vraiment eu de grande conversation avec Leyla. Quelques questions personnelles et sinon le reste se résumait surtout à des discussions sur la gestion quotidienne, les repas, sa vie en Australie jusqu’à présent, ce genre de choses.

leyla & selma 

J'étais pas une habituée des randonnées. J'aimais en faire dans ma ville natale avec des copines surtout pour avoir de belles photos à mettre sur Instagram. Si on en faisait parfois des difficiles, c'était toujours un peu par hasard. J'étais quand même en forme, je jouais au soccer depuis quelques années, mais des randonnées extrêmes, c'était un tout autre truc. J'étais loin d'être au niveau de Selma, j'étais donc plutôt rassurée qu'elle me dise qu'elle ne serait pas très longue. J'imagine qu'on avait pas la même vision d'un truc simple non plus, mais dans tous les cas, ça m'allait de simplement sortir de la maison et de faire un truc différent. Je sortais pas mal depuis que j'avais rencontré Maddie et Skye et même si ça me déplaisait pas, parfois se retrouver en nature et se ressourcer, ça faisait un bien fou. J'osais pas trop explorer toute seule alors ça avait pesé dans la balance au moment d'accepter l'offre de Selma. L'Australie, c'est un beau pays, je me doutais que la vue du haut de la montagne ne devait pas être désagréable. « Oh sur l'océan, j'ai hâte de voir. » commentai-je. J'étais fan de l'océan, ça m'apaisait tellement rien qu'à le regarder. « Hum, un peu avec des amies. Rien de fou comme ce à quoi tu es habitué, je pense. Parfois on tombait sur certaines avec une vue vraiment incroyable. » dis-je avec le sourire aux lèvres. C'était un bon souvenir ça, ça ne me faisait pas mal d'y penser. Izzy m'avait un peu parlé des aventures de tante Selma, je trouvais ça plutôt impressionnant, mais comme elle ne m'en avait pas vraiment parlé, je ne l'avais pas fait non plus. Je décidai tout de même de faire un pas vers elle, dévoilant quelque chose de personnel. Je me dis que si je lui montre que je suis ouverte, ce serait déjà un pas dans la bonne direction pour bâtir une relation. « À chaque été, mes parents nous amenaient au parc national de la Campana, c'était comme une tradition, on y passait deux jours et on campait. On ne faisait jamais les pistes trop difficiles par contre. Diego se plaignait constamment. » racontai-je le sourire aux lèvres. Ça aussi c'était un beau souvenir. J'aurais aimé qu'il reste aussi doux pour mon coeur que pour mes oreilles. Je relevai un peu la tête, presque surprise d'avoir partagé ça avec ma tante. Je jouais avec mes doigts pour me changer les idées. « On arrive bientôt? » demandai-je pour changer le sujet.

Tous les gens qui connaissent Selma ne peuvent ignorer qu’elle aime la marche, la randonnée, passer du temps sur les sentiers un sac sur le dos et dormir au milieu de rien. Elle essaie de ne pas saouler tout le monde avec ça, gardant la plupart des conseils, anecdotes et autres récits pour les livres qu’elle écrit et dont les lecteurs sont bien plus intéressés que certains de ses amis. Pour autant, lorsqu’elle rentre d’un trek particulièrement exaltant, que ce soit par la beauté de ses paysages ou sa difficulté, elle a du mal à ne rien dire et à ne pas partager mille infos sur son périple. Alors forcément, dans la voiture avec Leyla, le sujet vient rapidement sur la table puisqu’elles sont justement en route pour gravir une montagne, le genre pas très haut, parce que dans le coin il n’y a pas vraiment de chaînes montagneuses. Autant dire que c’est un jeu d’enfant pour Selma mais elle ne sait pas si sa nièce a de l’expérience dans le domaine. Le Chili est un pays plutôt montagneux alors elle ne serait pas étonnée qu’elle ait été souvent randonner lorsqu’elle était là-bas. Elle lui explique avoir fait quelques excursions entre amis mais rien qui soit comparable aux treks que la journaliste peut faire. « Oui au Chili les belles vues ce n’est pas ce qui manque. » approuve-t-elle. La cordillère des Andes parcourt tout le pays qui possède parmi les plus hauts sommets du monde. Si Selma ne fait pas dans l’alpinisme et n’a jamais été tentée par l’idée de gravir des hautes montagnes, comme celles de l’Himalaya par exemple, les sommets un peu plus modestes, qu’il est possible de gravir sans guide lorsqu’on est expérimenté et sans équipement d’escalade, lui plaisent beaucoup. Leyla poursuit en évoquant sa famille et le souvenir qu’elle a d’avoir passé tous les étés au parc de la Campana à camper durant quelques jours. Elle ne se confiait pas trop sur son passé, sur ce qu’elle a vécu avant d’arriver en Australie. Si Selma l’a déjà vu avant, elle n’a pas énormément de souvenirs de leurs rencontres ou de ses parents. « Il y a vraiment des vues magnifiques là-bas, je me souviens y être passé plusieurs fois. Le Chili est vraiment un pays idéal quand on aime la randonnée. Et pour ceux qui aiment moins, se faire traîner à faire du camping dans les montagnes, ça doit être un peu moins sympa. » Elle repense elle aussi à ses randonnées au Chili avec le sourire. L’une d’elle a bien failli lui coûter la vie mais finalement elle lui a permis de rencontrer son mari. Tout comme Leyla, elle repense à ces souvenirs avec une certaine tristesse. « Oui, dans quelques minutes. » répond-elle simplement à la question, avant que le silence, relatif vu la musique, ne reprenne place dans la voiture. Une fois sur le parking, Selma se gara puis attrapa son sac à dos pour enfin entamer cette marche. « Tu verras, ce n’est pas la Campana ici, ça sera plus tranquille, Diego aurait même pu apprécier. » Même si elle ne l’avait pas connu, vu ce que Leyla venait de lui décrire, il ne semblait pas avoir été un grand fan des randonnées et du camping.

leyla & selma 

Ça allait de soi de discuter de plein air et de randonnée avec Selma. On avait pas grand chose en commun et il s'agissait de la première activité que l'on faisait ensemble. Le sujet vint donc sur la table telle une évidence. Selma posa également des questions sur le Chili. Je ne sais pas si elle le faisait en tout connaissance de cause que cela pourrait faire remonter des souvenirs douloureux ou si elle tentait simplement de faire la conversation sans penser plus loin. Heureusement, penser à ce genre d'aventures, les randonnées faites avec mes amis ou bien avec ma famille, ce n'était pas douloureux. C'était de bons souvenirs et je les chérissais beaucoup. « C'est vrai. Je n'ai clairement pas assez exploité le territoire par contre. » dis-je simplement avec un petit sourire. Je n'avais pas été exploré bien loin, suivant surtout mes parents dans leur tradition familiale. Y'avait beaucoup à voir autour de Valparaíso, mais aussi à travers le pays. Mis à part Santiago, je n'avais pas eu la chance de faire d'autres villes. Voyager à l'intérieur du pays quand t'étais un local, ça restait risqué quand même. Selma amena dans la conversation le fait que le Chili était un pays idéal si on aimait la randonnée. Je ne pus m'empêcher de grimacer à ses mots. « C'est un pays moins idéal pour d'autres raisons. » dis-je simplement. Les cartels, la violence, la pauvreté. Le visiter et y vivre, c'était deux mondes complètement différents, quoi que d'être seulement un touriste ne voulait pas dire être aveugle face aux côtés négatifs. On pouvait tout aussi bien y être confronté. Si mes premiers souvenirs avaient été positifs et m'avait mis le sourire aux lèvres, cette dernière réflexion avait amené une petite vague de tristesse chez moi. Je changeai le sujet en demandant si on arrivait bientôt. J'hochai simplement la tête, me calant un peu dans mon siège jusqu'à l'arrivée. Effectivement, c'est que quelques minutes plus tard qu'on arriva au stationnement. Je sortis de la voiture, attrapant mon sac à dos au passage. Je relevai la tête face au commentaire de Selma sur la randonnée qu'on s'apprêtait à faire, mais aussi sur Diego. J'avais mentionné son nom plus tôt en parlant d'un souvenir, mais de l'entendre à nouveau, lancé comme ça, ça me troublait un peu. Je ne savais même pas il était où en ce moment, ni ce qu'il était en train de vivre, s'il était vivant ou non. Je me sentais donc mal de simplement prononcer son nom. Mais Selma, elle pouvait pas savoir. J'lui en avais jamais parlé après tout. « J'espère qu'il pourra l'apprécier un jour. » dis-je simplement, forçant un sourire sur mon visage. Je suivis Selma se diriger vers la piste toute tracée de la randonnée, celle-ci étant assez plate. Je n'étais pas certaine que ça dure longtemps par contre, il fallait bien monter un peu. La température était assez chaude pour une journée d'automne. Mon premier automne en Australie d'ailleurs. « Je m'attendais à ce qu'il fasse plus frais. » commentai-je alors que je retirais déjà mon pull. La température était difficile à suivre en Australie. Je m'arrêtais une première fois pour le ranger dans mon sac.

Selma savait que le Chili était un sujet complexe pour Leyla, même si elle ne sait pas exactement ce qu’elle a vécu là-bas, elle sait bien qu’elle n’est pas arrivée en Australie en quittant son pays dans de bonnes conditions. Elle tente d’aller chercher de bons souvenirs pour la jeune femme, de ne pas s’aventurer vers des terrains trop douloureux si elle n’en a pas envie. Celle-ci lui explique qu’elle n’a pas tant exploré que ça son pays. Il faut dire que le Chili n’est certes pas un pays immense, mais il est tellement allongé qu’il est compliqué de la traverser, tout comme il est compliqué de se rendre au Pérou et en Bolivie à cause du désert qui les sépare et en Argentine où il faut traverser la cordillère des Andes. Le fait qu’au final elle en est probablement moins vu de son pays que l’australienne, n’étonne pas vraiment Selma. Si celle-ci souligne d’ailleurs la beauté du pays, Leyla relativise en mettant en avant son côté moins idéal pour d’autres raisons. Là dessus la journaliste n’est pas aveugle. Elle n’a pas seulement fait des randonnées dans sa vie, elle a également été reporter à l’étranger, sur les zones de conflits ou les zones sensibles. Elle a vu lu Chili loin des cartes postales. S’il est le pays le plus sûr d’Amérique latine et l’un des plus démocratiques, jusqu’à récemment, il reste aussi l’un des plus inégalitaires du monde, avec un fossé gigantesque, encore plus qu’ailleurs, entre les plus riches et les plus pauvres. La condition des femmes est également loin d’être idéale, avec peu de femmes actives avec une activité rémunérée et un écart entre les salaires gigantesques. Selma hoche donc la tête et ajoute « Il y a encore du chemin à parcourir...comme tous les pays je pense, plus ou moins longs suivant certains. » Elle ne doute pas que Leyla sache tout ça vu son domaine d’études. Même en Australie les problèmes sont nombreux avec l’impact du réchauffement climatique et la non prise en compte, jusqu’à récemment, par le gouvernement climato-sceptique ou encore la légalisation de l’avortement dans l’ensemble du pays seulement en 2019. Si la journaliste n’est pas elle même active sur ces questions, ne faisant que couvrir les manifestations qu’il peut y avoir, elle reste tout de même un soutien aux progressistes. Sur ces réflexions, elles arrivent au point de départ de leur randonnée, Selma évoquant Diego sans trop savoir où elle met les pieds. Elle sent que Leyla n’a pas envie d’en parler alors elle n’insiste pas davantage et elles se lancent sur le sentier, plat pour débuter avant d’être un peu plus en pente. « Ici il ne fait jamais vraiment frais, on se rapproche plus du climat tropical avec pas mal de pluies et des températures relativement chaudes toute l’année. » explique-t-elle en voyant la jeune femme retirer son pull. « C’est parfois difficile de se faire à la météo, ça change assez vite, vaut mieux toujours avoir quelque chose pour se couvrir de la pluie. » Depuis les quelques mois où Leyla est là, elle doit avoir compris que la pluie fait partie intégrante du quotidien, avec ses allers et venues.

leyla & selma 

Je savais que le Chili, mon pays, ne se résumait pas à mon expérience ou à ce que ma famille avait vécu toutes ses années en étant mêlée avec le cartel. Il y avait du beau, la nourriture, la culture, les gens, les paysages. Ce pays débordait d'avantages et de belles choses, je n'avais pas la tête complètement dans le sable. J'avais juste un peu de mal à séparer les choses et à faire abstraction de ce que j'avais vécu lorsqu'on en parlait. Ça ne faisait pas exception aujourd'hui avec Selma. Sauf qu'elle ne savait pas précisément ce que j'y avais vécu. J'avais voulu garder tout ça pour moi à mon arrivée ici et mon oncle Leónel n'avait pas eu d'autres choix que de respecter ce que je voulais. Après tout, c'était mon histoire, mon vécu. C'était moi qui décidait si et quand je le racontais. Je n'avais malheureusement pas tissé assez de lien avec Selma jusqu'à présent pour me confier à elle. Elle gardait donc une opinion très neutre, un discours objectif, peut-être légèrement dénué d'empathie par moment, mais c'était pas ce que je recherchais de toute façon. On m'avait beaucoup dit oh la pauvre Leyla depuis que j'étais ici, chaque fois que je racontais mon histoire. Et ça faisait du bien que ce ne soit pas comme ça avec tante Selma. Aujourd'hui, on discutait de tout et de rien, pour l'une des premières fois et ça ne me déplaisait pas. « C'est vrai, y'en a des pires. » concédai-je en hochant de la tête. Ça me permettait aussi de relativiser, de me sortir un peu de ma bulle, de ma vie et de regarder l'ensemble du monde d'un oeil extérieur. Parlant d'extérieur, on arriva bien vite sur le lieu de la randonnée et on se mit à marcher sur le terrain plat. Selma fit une petite tentative pour parler de Diego, mais si j'arrivais à faire un mini pas vers elle en parlant du Chili, je n'étais pas encore prête à parler de mon frère. Après six mois sans nouvelles de lui, c'était toujours un sujet aussi sensible comme je n'avais aucune idée d'où il était ou s'il était même vivant. Je répondis brièvement à son commentaire, me forçant par politesse, mais le message était clair : Diego était un sujet à éviter. Je changeai de sujet rapidement après quelques pas puisque je commençais déjà à avoir chaud. C'est pas que c'était du sport, mais la température était bien plus chaude que ce à quoi je m'attendais. Moi, on me disait automne en Australie, disons que je ne m'attendais pas à pouvoir encore porter des shorts et des tee-shirts. Je passe donc un petit commentaire et Selma, elle m'explique un peu le type de climat ici. Je ne m'étais jamais donné la peine de faire des recherches parce que j'étais arrivée au début de l'été et je n'avais connu que ça. « Ouais les pluies j'ai vite compris, mais je ne m'attendais pas à cette chaleur tout le temps. » dis-je avec un petit rire. Je rangeai le pull et repris la marche. « Et l'hiver, ce sera pareil? » demandai-je curieuse. Parce qu'il arrivait bien vite et moi, j'étais habitué à l'hiver chilien où ça pouvait descendre jusqu'à 9 degrés quand même. Plus on marchait, plus ça devenait en pente et je trouvais ça très agréable de sentir les muscles de mes jambes travailler un peu. « Je peux te poser une question? » demandai-je après un petit silence. Selma n'était pas la seule à ignorer un tas d'infos sur son accompagnatrice. Il y avait plusieurs choses qui semblaient s'être produites avec elle que j'ignorais et je n'avais pas vraiment eu la curiosité de demander jusqu'à maintenant. « Qu'est-ce qui s'est passé entre oncle León et toi? » demandai-je délicatement. J'avais l'impression que c'était un peu l'éléphant dans la pièce. Clairement ils ne vivaient pas ensemble, mais j'avais pas demandé pourquoi et on m'avait pas expliqué.

Selma ne savait pas exactement quelles situations avait pu vivre sa nièce au Chili. Ce sujet reste relativement tabou et si elle aimerait savoir, elle sait aussi qu'il ne sert à rien de forcer les gens pour qu'ils parlent, ils finissent souvent par se braquer. Il faut gagner leur confiance, petit à petit, leur faire comprendre qu'on est de leur côté et qu'on ne leur veut pas de mal. Cette démarche peut paraître trompeuse et malhonnête, puisqu'elle peut donner l'impression qu'on gagne la confiance de quelqu'un pour ensuite afficher son histoire dans les grandes pages. Si la journaliste n'a pas toujours été très honnête, parfois utilisant des histoires que les gens ne souhaitaient pas voir publier, même sous couvert d'anonymat, elle a mûri et a appris de ses erreurs. A présent plus question de bafouer les volontés des témoins pour sortir un article sensationnel, elle respecte leur volonté même si ça peut se révéler frustrant. De toute façon, depuis qu'elle n'est plus sur le terrain, le recueil de témoignages se fait de plus en plus rare, depuis bon nombre d'années elle est passée de journaliste de terrain un peu partout dans le monde à journaliste voyages et plus occasionnellement d'autres thématiques suivant les opportunités. Que ce soir lors de ses voyages sur des terrains en guerre ou lors de ses treks, elle a pu découvrir une grande diversité de pays, leurs aspects positifs mais également négatifs. Certains ont plus de l'un que d'autres mais les aspects négatifs font aussi souvent oublier les positifs. L'expérience joue aussi un rôle important. Selma imagine que les mauvaises expériences de Leyla au Chili ne l'ont pas aidé à voir le positif dans son pays, parce que c'est ça qui joue le plus dans l'opinion qu'on a d'une chose. La conversation entre elles s'éteint un peu avec la mention de Diego et le début du sentier, plutôt plat avant de se mettre à monter doucement. Il n'y aura pas de passage très raide, la journaliste sait que cette randonnée est accessible à tous les niveaux. Elle a déjà fait un article dessus et la recommande aux familles pour sa version la plus courte et aux randonneurs un peu plus aguerris pour une boucle plus longue dont une partie se déroule dans la vallée. Malgré l'automne, Leyla se rend compte que les températures restent très douces, bien plus qu'au Chili en tout cas. La météo de Bowen comporte une part importante de pluie, avec de fortes averses certains jours, mais aussi beaucoup de beau temps et peu de températures froides. « L’hiver on descend pas trop en dessous de quinze degrés, ça oscille entre quinze, vingt, vingt-cinq à peu près et il pleut beaucoup moins qu’en été. » L’été n’est pas si chaud que l’on pourrait s’imaginer, il est en tout cas beaucoup moins extrême que dans d’autres parties de l’Australie. L’humidité augmente cette impression de chaleur mais les températures dépassent rarement les trente degrés, oscillant en général entre vingt-cinq et trente. Pour passer une partie de son temps dehors, aux alentours de Bowen et ailleurs dans le monde, Selma connaît le climat de nombreuses régions du monde et l’imprévisibilité de certaines régions où le temps peut changer d’une minute à l’autre. « Oui, vas-y. » répond-elle après que Leyla ait rompu le silence qui s’était installé durant quelques minutes. La journaliste ne s’attendait pas à cette question. Elle prit le temps de réfléchir à sa réponse. Les raisons de sa séparation avec Leónel ne font pas trop de doutes mais ce n’est pas le sujet qu’elle aime le plus évoquer. « C’est compliqué. » Parce qu’une séparation, c’est souvent compliqué, surtout lorsqu’elle survient alors que les deux s’aiment encore et qu’elle ne soit complètement définitive ni pour l’un, ni pour l’autre puisqu’aucun divorce n’a été évoqué. « Je pense que tu as remarqué que Leónel ne va pas très bien…j’ai pensé que si on se séparait ça pourrait l’aider, qu’il pourrait avancer un peu de son côté. J’ai perdu un peu patience aussi. » C’est tout un tas de raisons qui a poussé Selma à prendre cette décision.

leyla & selma 

C'était con, mais en débarquant en Australie en plein printemps, je m'étais imaginé que ça ressemblait pas mal au Chili. J'me rendais compte, au fil des saisons, à quel point les deux pays étaient différents. Y'avait, évidemment, la culture, mais aussi la nourriture, les gens, la température. D'ailleurs, je m'attendais pas à ce qu'il fasse aussi chaud. Ça m'prenait de court, surtout pour l'hiver à venir. '' C'est comme un 2e été selon certains pays. 25 degrés pas de pluie, c'est l'idéal. '' commentai-je en souriant. Tellement bizarre ces saisons.  Un silence s'installa tandis que la difficulté de la randonnée augmentait tranquillement, sans être réellement difficile. On profitait de l'air pur, de la tranquilité, du fait d'être en nature. Sauf que moi, quelques questions me trottaient en tête. Une en particulier. J'étais arrivée ici et j'avais un peu bousculé la vie de mon oncle, mais aussi de Selma en déménageant chez elle. Tout ça, sans poser la moindre question sur eux, sans me renseigner sur pourquoi ils en étaient à vivre dans deux endroits différents, pourquoi ils s'étaient séparé. Je ne m'en était pas trop préoccupé parce que j'avais eu autre chose en tête, mais aussi je ne voulais pas être déplacée ou remué de vieux trucs. J'étais pas très proches d'eux après tout, ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vu. J'me suis dit que quelqu'un m'en parlerait éventuellement, peut être même ma cousine, mais non. Alors aujourd'hui, c'était le moment pour poser ma question. Au pire, Selma me dirait que ce n'était pas de mes affaires et on passerait à autre chose, mais j'me devais d'essayer. Sa première réponse fut... Énigmatique et un peu décevante. C'était compliqué. Bon, ça ne me disait pas grand chose, mais peut-être que c'était sa façon de me dire qu'elle ne voulait pas répondre. J'lui lançai un regard avec une petite moue un peu gênée. J'regrettais presque ma question. Alors que j'allais m'excuser pour l'intrusion, elle continua de me répondre. Je fronçai un peu des sourcils, ça faisait tellement longtemps que je n'avais pas vu mon oncle avant de débarquer ici, évidemment j'avais vu qu'il n'était pas au top de sa forme, mais je n'avais -encore une fois- pas posé de question. Je devrais peut-être m'y mettre moi à creuser dans la vie des gens, clairement il me manquait pas mal d'infos. '' Oh...  J'ai remarqué, mais je sais pas pourquoi.. '' commençai-je. J'avais l'impression que c'était un sujet bien plus chargé que je le pensais. '' Comment le fait de perdre la femme qu'il aime aurait pu l'aider? '' demandai-je en la regardant. C'était pas un reproche, je ne comprenais juste pas tout à fait la logique. C'était p'tête un truc d'adultes aussi. '' C'était un peu maladroit, excuse-moi... Je cherche juste à comprendre. '' rectifiai-je rapidement en baissant la tête. Je pouvais comprendre le fait de perdre patience par contre, ça nous arrivait tous, mais dans une relation comme la leur, je n'étais pas certaine de ce qui avait pu causer ça. Je fis quelques pas en silence, puis la regardai de nouveau. '' Mais... Y'a encore de l'amour entre vous, non? Si ça n'a pas fonctionné de vous quitter... P'tête que c'est mieux de faire ça ensemble? '' demandai-je. Je m'avançais bien à tâtons là, parce que j'avais aucune idée de quoi je parlais. Sans contexte et sans avoir expérimenté ce type de relation, mes conseils ne valaient pas grand chose.