Call my name and save me from the dark (Aura)

Quatre jours. Quatre longues journées à être plongé dans un coma artificiel. Quatre longues journées perdues, à être dans le néant, à ne pas savoir s'il était encore vivant ou non. Il ne souffrait pas, Livio. Enfin, pas pour le moment. Quand ses constantes furent de nouveau stables, les médecins décidèrent de le sortir de son coma, arrêtant lentement les traitements qui le maintenaient dans cet état. Et doucement, il sentit qu'on l'extirpait de son sommeil, qu'on le ramenait peu à peu sur Terre, lui et ces douleurs. Il avait eu de multiples fractures, au poignet, au tibia. Et il ne le savait pas encore, mais l'une de ses vertèbres avaient également avalé un choc, compressant sa moelle épinière.  Le premier réveil fut difficile. Quand il ouvrit ses yeux, aveuglé par la blancheur typique des chambres d'hôpital, il mit de longues secondes à comprendre où il était. Il était seul. Et il avait mal, terriblement mal. Très vite, les bips des machines l'entourant s'emballèrent, l'assourdissant, renforçant ce mal de tête incessant. Des personnes entrèrent, avec leurs blouses blanches, leurs questions qu'il ne comprenait pas, qu'il ne cherchait pas à comprendre. Il souffrait. En haut du corps. En bas, il ne sentait plus rien. Rien du tout. Alors, ce furent des cris qui sortirent de sa bouche, des cris de détresse, de douleur. Le haut de son corps s'agita, le bras qui n'avait pas d'attelle sur le poignet tenta de rejeter la personne qui s'approchait de lui. Ce n'était pas un violent, Livio, mais là, le coup partit sur cet homme qui ne voulait pourtant que son bien. On lui demanda de se calmer, de le retenir, jusqu'à lui donner un sédatif qui le fit plonger de nouveau dans les bras de Morphée.

Il rêva, cette fois. Il rêva de sa vie qu'il aimait tant. C'était étrange car, hasard du calendrier, près de quinze ans auparavant, durant un mois de mars printanier, il avait tenté de mettre fin à ses jours, épuisé par l'acharnement de petits cons. Quinze ans plus tard, un accident avait failli lui coùter la vie, cette vie qu'il chérissait désormais tant. Dans son rêve, il vit les visages souriants de son épouse, de Leandro, de... Milla. Milla ? Il crut entendre ce prénom, comme soufflé au bord de son oreille. Il ouvrit les yeux, doucement, les paupières papillonant et tourna la tête en entendant des murmures près d'eux. Aura était là, à son chevet, discutant d'une voix inaudible pour lui avec une infirmière. Il ne savait pas de quoi elles parlaient, il s'en fichait. Cette fois, il était calme. Aura était là et c'était l'image la plus rassurante possible . D'un chuchotement, il appela : « Amore... »

Les beaux yeux bleus de ma fille sont la lumière dans mon quotidien si sombre depuis quatre jours. Alors qu’elle babille, adorable dans son pyjama pastel, j’oublie le temps d’un instant, l’angoisse qui enserre mon coeur. Ce matin, une infirmière est venue me rapporter que les constantes de Livio sont stables et qu’ils vont progressivement pouvoir le sortir du coma dans lequel il a été placé. Je suis soulagée, et à la fois, j’ai peur. Je sais qu’il va devoir supporter la douleur, qu’il va devoir traverser tant d’épreuves, et je ne supporte pas l’idée que mon mari souffre. Alors que ma fille vient de s’endormir dans l’écharpe de portage, tout contre moi, une infirmière toque à la porte. Elle entre et m’explique que Livio s’est réveillé il y a environs une heure, qu’il a eu des gestes brusques, assez commun dans des cas comme le sien, le premier réveil constituant une choc important pour le corps et l’esprit. On lui a injecté un sédatif, mais il ne devrait pas tarder à ouvrir l’oeil à nouveau. Mon coeur bat à tout rompre dans ma poitrine, tandis que j’acquiesce en silence à tout ce que me dit l’infirmière, si bien que j’ai peur de réveiller Milla qui dort contre ma poitrine, mais elle semble imperturbable. J’ai retrouvé un peu de force et peux me déplacer sans trop de mal depuis deux petits jours, aussi, je demande à l’infirmière de me conduire jusqu’à Livio aussitôt. J’entoure mes deux bras autour de ma fille, bien que l’écharpe la maintienne fermement contre mon buste, tandis que j’avance jusqu’à la chambre. « Il se peut qu’il soit encore un peu perdu au moment de son second réveil, votre présence aidera peut-être à l’apaiser. Il a besoin de repères » declare l’infirmière alors que nous entrons dans la chambre où est encore allonger Livio. « Oui, je comprends. » Je suis passée dans sa chambre tous les jours depuis notre arrivée, et aujourd’hui, je suis soulagée de le voir sans les tubes et les machines auxquelles il était constamment raccordé. Je suis encore en train de discuter avec l’infirmière quand la voix de Livio, que j’ai l’impression de n’avoir plus entendue depuis trop longtemps, me parvient faiblement. Aussitôt mon attention se focalise sur mon époux. J’abandonne l’infirmière en plein milieu d’une phrase et me précipite sur Livio, les larmes commençant à affluer aux coins de mes yeux. « Je suis là, Amore… » je lui souffle en me penchant pour embrasser son front. Je me redresse légèrement, pour le regarder et lui sourire, bien que mes yeux soient embués. Sa barbe a un peu poussée en quatre jours et crisse sous mes doigts quand je caresse sa joue. « Tu es avec nous, maintenant, tout va bien… » Alors que le moment semble suspendu, je perçois les petits mouvements de ma fille, contre moi, qui semble se réveiller. Un tout petit cri sort de sa bouche comme pour signaler son inconfort. Je me redresse aussitôt, l’enveloppe de mes bras pour la bercer contre moi. « Là, ma douce, tout va bien… ». Je depose un baiser sur le sommet de sa tête, et garde mes lèvres là pour la calmer, tandis que d’une main, je prends celle de Livio. J'aurais voulu que les présentations se fasse de manière plus poser, lui laisser le temps de récupérer. Pour ne pas bousculer ses repères justement, mais c'est difficile à maitriser.

Deuxième réveil. Malgré l'esprit toujours embrumé, les questions plein la tête, les douleurs lancinantes, Livio sentit une douce chaleur l'envelopper quand son regard s'accrocha à Aura. Il se fichait de ce qui pouvait arriver, de ce qu'on pouvait lui dire : elle était là et sa présence était le meilleur carburant existant à ce jour. L'attention de son épouse fut directement rivée sur lui dès qu'elle entendit son murmure, et très vite, la brune arriva avec sa douceur et son amour qui réconfortèrent Livio. Il ferma les yeux sous le contact de ses lèvres sur son front, de sa main sur sa joue barbue. Son sourire représentait la plus belle image qu'il aurait pu voir à cet instant. C'était tout ce qu'il lui fallait. C'était la bulle qui le protégeait de l'après et des épreuves qui l'attendaient. « Oui, tout va bien. » répéta-t-il faiblement, presque machinalement. Il avait tant de choses à lui dire. Il voulait lui dire qu'il était désolé de lui infliger tout cela, qu'il l'aimait, qu'il l'aimait tellement, qu'il avait eu peur de perdre tout ce qu'ils avaient construit. Il avait envie de lui dire tout cela, mais les mots n'arrivaient pas à franchir la barrière des lèvres, ayant du mal à retrouver ses esprits. Aussi quand il entendit un petit cri qui poussa Aura à se redresser, il battit des paupières, ne comprenant pas de suite ce qu'il se passait. Ou plutôt, il ne voulait pas comprendre... Son regard passa du visage d'Aura, à cette forme dissimulée sous l'écharpe de portage, à son ventre si rond qu'il aimait tant caresser et qui n'était désormais plus là. « Non... » souffla-t-il, les pièces du puzzle commençant à se rassembler. Il l'interrogea du regard, sous le choc, perdu. « Ne me dis pas que... » il ne parvint pas à terminer sa phrase. Aura posa ses lèvres sur le petit crâne qui dépassait de l'écharpe, tendrement, maternellement et vint prendre la main de Livio. « Je... elle... elle est née ? » Leur petite fille était née. Née sans lui. Il avait laissé Aura vivre cela toute seule et c'était insupportable pour lui. Pour la première fois depuis qu'ils étaient ensemble, il flancha. Aura l'avait déjà vu ému, elle avait déjà vu quelques larmes de joie perler au bord de ses yeux bleus. Mais là, c'était les larmes de détresse, de douleur qui coulèrent le long de ses joues. C'était un trop-plein d'émotions qui le submergeait. « Je suis désolé, mon amour... de... d'avoir raté sa naissance. » Et c'était un constat terrible, parce qu'il savait que c'était un événement unique dans une vie : l'attente en salle de travail, les petites questions où ils pariaient l'heure à laquelle elle arriverait ou à qui elle ressemblerait, le soutien moral qu'il pouvait apporter à sa femme et puis la délivrance, l'amour qui débordait dans un premier cri. Oui, c'était unique. Et il l'avait raté. Du revers de sa main valide, il essuya les larmes qui coulaient tout seul, fermant les yeux quelques secondes pour digérer l'information. Enfin, il demanda : « Tu crois que je peux la prendre dans les bras ? »

Notre petite Milla est arrivée plus tôt que prévu, un peu moins de quatre semaines avant terme. Je sais que l’information ne va pas être facile à digérer pour mon mari. Je sais qu’il ne s’y attend pas et qu’il aurait aimé être là. J’essaie donc préserver Livio au maximum, et pourtant, je sais que la présence de notre fille sera un choc pour lui. Je le comprends, et je ne sais pas comment faire pour que ce soit le moins brutal possible. Alors qu’il se réveille, Milla, elle, est toujours endormie dans l’écharpe de portage, contre moi. Peut-être Livio ne la remarquera-t-il pas immédiatement, et c’est tout aussi bien. Ne pas brusquer les choses, c’est ce que je souhaite. Autant que je le peux. Il murmure. Je m’approche, reprends contact avec lui. Je réalise à quel point, moi aussi, j’ai besoin de cet instant, aussi court soit-il, pour n’être qu’avec lui, pour n’avoir que l’homme que j’aime en tête et rien d’autre. Cela passe comme un éclair, et pourtant, cela me ressource comme j’en ai besoin. C’est à ce moment-là que notre fille décide de se présenter à son père. Je la sens bouger contre moi, puis elle pousse un cri. Je m’écarte aussitôt puis tâche de la calmer, sans pour autant perdre le contact avec Livio. Ma main attrape la sienne, comme si j’avais envie d’ancrer mon mari avec nous, ici et maintenant. C’est tôt. J’en ai bien conscience, mais je n’ai pas su faire autrement. Livio absorbe l’information et je le laisse faire, à son rythme alors qu’une émotion vive grimpe en moi. Je sais d’avance que je vais avoir du mal à la contenir. Ces larmes que je vois perler au coin des yeux de Livio, puis rouler sur ses joues, c’est quelque chose que j’ai rarement eu l’occasion de voir. Pas comme ça. Ca me serre le coeur aussitôt, la gorge aussi se noue, au point que ça en devient douloureux. Je continue de bercer ma fille, tout en me rapprochant de Livio. « Oh Livio… » Ma voix se brise alors que j’entoure mon mari de mon bras libre pour venir embrasser ses tempes. Cela me fait tellement mal de le voir ainsi. Je me doute à quel point cela doit être douloureux pour lui, d’avoir loupé la naissance de sa fille. Outre le fait qu’il aurait voulu être là pour me soutenir, c’est un moment important dans sa vie de père. Un moment que je ne pourrais jamais lui rendre. Je ne sais pas quoi dire, je n’ai pas les mots. À la place, c’est lui qui parle et qui me demande s’il peut tenir sa fille dans ses bras. « Bien sûr » je réplique, tout en me détachant légèrement. L’infirmière permet à Livio de se redresser légèrement, tout en l’y aidant, puis nous laisse un peu d’intimité. Ma fille est éveillée, je la sens bouger sans trop broncher depuis son premier cri un petit plus tôt. Doucement, je l’extrais de l’écharpe tout en lui expliquant ce que je suis en train de faire d’une voix douce « Là, mon coeur, Papa va te prendre dans ses bras, d’accord ? Tu es prête à rencontrer ton Papa ? » Elle sourit, comme à chaque fois ou presque que je la prend dans mes bras et que nos yeux se rencontrent. Cette petite est un véritable amour. Mon sourire se calque aussitôt sur le sien, m’entourant d’une bulle de douceur. Je la transferts alors dans les bras de Livio, sans m’éloigner, nous gardant ce moment précieux pour tous les trois. Je m’assoie sur le bord du lit de Livio et puis me coller à lui, ma tête reposant contre son épaule. Je caresse le visage de ma fille tandis que son père la tiens contre lui. « J’ai choisi de l’appeler Milla, on…on hésitait encore, je sais…mais tu aimais beaucoup ce prénom, et moi aussi. Puis…ça ressemble un peu au prénom sa tatie Emilia. Et…elle a été avec nous tout du long, je me suis dis que c’était une jolie manière de la remercier. »

Elle était née. Leur fille était née alors que son père était loin, trop loin pour l'accompagner durant cette arrivée sur Terre. C'était dur à avaler. En plus de lui avoir pris son état physique, cet accident lui avait arraché l'un des moments les plus importants de sa vie. L'un de ces moments que l'on ne pourrait pas rattraper. Émotionnellement, c'était bouleversant. C'était trop, bien trop pour lui. Heureusement, Aura était là et, par sa présence, elle apaisait quelque peu la tempête qui vibrait en lui. Ses yeux bleus s'arrêtèrent sur le petit bout de tête qui dépassait de l'écharpe de portage de sa femme. Ce petit bout de tête qui appartenait à ce petit bout d'eux. Les larmes coulant sur ses joues, sans même qu'il n'essaye, cette fois, de les retenir, il finit par demander s'il pouvait prendre leur fille dans les bras. L'infirmière étant encore toute proche, celle-ci s'arrêta dans la prise des constantes de l'italien pour venir l'aider à se placer. En relevant le lit, le visage de Livio fut marqué par une grimace de douleur. Chaque partie de son corps était raide et douloureuse. Il ne savait même plus où il avait mal et où il n'avait pas mal. Mais quand Aura sortit la nouvelle-née, si petite et si mignonne dans son pyjama, et qu'elle l'installa dans ses bras, Livio la cala sur son torse, l'entourant de son bras valide. "Elle est si... petite." souffla-t-il ému, son regard venant se perdre dans ceux de sa fille, d'un bleu typique d'une naissance récente. Au fond, il espérait, avec les mois avançant, elle hériterait de ses yeux bleus. Qu'elle ait à jamais un bout de lui. "Tu es si belle..." murmura-t-il doucement, en italien. Aura s'installa à leur côté et depuis son réveil, il sentit pour la première fois, un voile d'apaisement l'envahir. Il écouta attentivement son épouse, son attention toujours centrée sur la petite, hochant doucement la tête. Milla. C'était leur petite Milla. Un petit hommage aussi à Emilia qui avait été très présente pour l'accouchement. "Tu as bien fait." la rassura-t-il. "ça lui va à merveille." Il déposa un baiser délicat sur le haut du crâne de Milla, s'imprégnant de cette odeur de bébé si reconnaissable. Puis il releva la tête vers Aura et demanda : "Et toi, comment tu vas ? L'accouchement s'est bien passé ?" Il n'y avait pas que lui qui avait vécu quelque chose de bouleversant. Aura avait eu son lot aussi.