In the middle of nowhere + Ava

C'était un lieu qui n'était pas inconnu à Léo, le photographe, amoureux de la nature, avait eu l'occasion de s'y rendre plusieurs fois au cours de sa vie. Mais en même temps il ne le connaissait pas si bien que ça. C'était bête, mais le mont Roundback était finalement trop proche de Bowen pour éveiller son intérêt, pas assez exotique, pas assez impressionnant. Pourtant quelques jours plus tôt il n'avait pas hésité bien longtemps lorsque le journal local lui avait proposé de faire quelques photos pour couvrir l'événement de la saison, le fameux festival d'automne organisé par le Maire. Drôle d'idée que celle-là, pourtant elle n'était pas si mauvaise et Léo avait vu sa curiosité attisée, une randonnée dans la nature, les arbres qui changeaient de couleurs, une bonne tarte aux pommes à la fin de son ascension, finalement rien d'extraordinaire, rien de bien dépaysant, mais des choses simples et réconfortantes, tout ce qui lui fallait en ce moment. Il aurait pu s'y rendre par ses propres moyens, mais il avait profité d'une des navettes affrétées par l'organisation du festival, avec, sur son dos, son matériel photo et de quoi tenir lors de la randonnée. De l'eau, des choses à manger, parce que mine de rien, ça grimpait bien jusqu'au sommet. Il avait délaissé le groupe de touristes à la sortie du bus, choisissant de monter par le versant le plus pentu, mais aussi le plus agréable, tant pour la balade que pour les photos. Cela faisait bien une heure qu'il était parti lorsqu'il entendit un bruit derrière lui, un peu sur sa droite. Il n'avait encore croisé personne, alors il se retourna, c'était peut-être un animal, mais il en doutait, on aurait plus dit un long soupire. Ne voyant rien, il repris sa route, avant d'entendre le même bruit à nouveau. Il y a quelqu'un ? Fronçant les sourcils, il revint sur ses pas, s'enfonçant un peu dans la végétation, jusqu'à tomber sur une jeune femme assise sur une grosse pierre, elle lui tournait le dos mais il devina qu'elle n'était pas très bien en point. Vous avez besoin d'aide ? Je peux faire quelque chose pour vous ?

@Ava Backer

La consigne de ma sage-femme était simple : je devais marcher. Je prenais cette consigne très au sérieux et j'avais enfilé mes baskets pour une petite marche. Des connaissances m'avaient parlé du mont Roundback et les différentes randonnées qu'on pouvait y faire. Evidemment, je n'allais pas m'aventurer dans une grande marche de plusieurs kilomètres bien que l'envie n'y manquait pas. Pour une amoureuse de la nature et du sport comme moi, les grandes balades me manquaient énormément. Il me tardait de pouvoir les refaire prochainement. En attendant, j'avais conduit prudemment jusqu'au mont et j'avais fait du repérage concernant les différents sentiers. Au vu de ma condition, j'avais choisi de faire celui des débutants. Deux kilomètres, pas de dénivelé et des aires de repos réguliers selon le guide qui m'avait aidé. Le chemin s'annonçait donc idéal, le soleil pointait son nez et les températures étaient plutôt agréables, pas trop chaudes. Je commençais donc tranquillement à marcher à une vitesse d'escargot certes.

Après quelques minutes, je m'arrêtais pour boire une petite gorgée d'eau. Pas trop grande sinon mon envie d'uriner allait survenir bien trop tôt. Je repris ma marche tout en admirant les paysages somptueux, délestant par la même occasion les nombreux panneaux de signalisation. J'en profitais pour prendre quelques photos et les envoyer à ma famille. Je reçus immédiatement un message de ma mère qui m'indiquait qu'il n'était pas sérieux de faire une randonnée à huit mois et demi de grossesse. Je soupirais et choisis de ranger mon téléphone au fin fond de mon sac à dos. Je poursuivais ma marche une bonne vingtaine de minutes avant de me rendre compte que je devrais arriver au bout du sentier et non en bas d'une montagne. Je jetais un coup d'œil autour de moi et m'inquiétais de ne voir aucun panneau. Je repris une gorgée d'eau qui, je le pensais, m'aiderait à reprendre mes esprits. Cette gorgée n'eut pour effet que de me donner envie d'uriner. Ni une ni deux, cette envie devint pressente et je me retirais dans la végétation pour faire pipi dans la nature. Evidemment, enceinte jusqu'au cou, la tâche se révélait bien plus complexe que prévue. Au bout de dix minutes, je finis par terminer ma tâche et m'assit sur une pierre non loin. Un constat s'abattit alors sur mes épaules, j'étais perdue. Sans crier garde, je sentis les larmes montaient aux yeux. Me trouvant ridicule, je riais en même temps de ma situation alors que j'entendis une voix. Ne voulant pas être aperçue dans cette situation risible, je tournais le dos à l'individu avant de lui répondre de ma voix pleine de larmes et de rire :

"- Non. A moins que vous ayez une carte ?"

Il y avait peu de choses que Léo trouvait aussi agréables que de se balader, sac sur le dos, appareil au poing, en pleine nature. Ca lui permettait de laisser son esprit s'évader, de se retrouver parfois face à lui-même et de remettre de l'ordre dans sa tête. Parce que tout allait trop vite, chez Emerson, il avait trop d'idées, trop d'envies, il était capable de tout laisser derrière lui sur un coup de tête, capable d'accepter un contrat même s'il était débordé de travail, il ne se laissait pas assez le temps de souffler. Hyperactif, il ne savait pas ce que c'était que de ne rien faire. Alors ses voyages en solo c'était l'occasion de revoir ses priorités. Et cette randonnée, même à quelques minutes seulement de Bowen, était bénéfique ce jour-là. Il allait rentrer avec l'esprit allégé et quelques jolies photos sur lesquelles travailler. Lors de son ascension, il ne s'était pas rendu compte qu'il avait un peu bifurqué vers un chemin plus accessible, même s'il avait bien remarqué que ça ne grimpait pas autant qu'il l'avait espéré, il ne s'était pas vraiment posé de question. De toute façon, tant que ça grimpait, ça voulait dire qu'il finirait bien par arriver au sommet, à la fin il n'y avait plus tellement de chemins et il retrouverait vite les stands et autres réjouissances organisées par la municipalité. Il fut néanmoins arrêté dans son élan par les bruits derrière lui, qu'il décida de suivre. Jusqu'à tomber sur cette femme qui sanglotait. Une carte ? Pour quoi faire ? Vous êtes perdue ? S'il avait besoin, il avait son téléphone et un gps, mais ici il n'en voyait pas l'utilité. Il s'avança prudemment, le fait que cette personne soit entre rire et larme ne lui semblait pas tout à fait logique. Ce ne fut que quand il arriva à sa hauteur qu'il remarqua son ventre largement arrondi. Vous êtes ... heu, venue seule, ici ? Ou vous avez perdu votre groupe de marche ? Si vous voulez je peux vous aider à retrouver votre chemin. Une femme enceinte, très enceinte, seule au milieu de la nature, ça ne lui donnait pas confiance. Et vu son état, merci les hormones, il ne serait pas sérieux de la laisser seule.

@Ava Backer

Je lâchai un petit rire en m'apercevant que je venais de demander une carte à un inconnu alors que je suis de cette génération très connectée, trop surement d'ailleurs, qui dégaine son GPS dès qu'elle ne reconnait pas un coin de rue, même celle de sa propre rue. Je me trouvais complètement ridicule et qu'une personne tierce puisse l'apercevoir ne me mettait pas franchement du baume au coeur. J'aurais bien aimé rester encore quelques minutes à ruminer mes mauvaises idées et à râler sur le fait d'être enceinte. Maudit soi mon ex, pensais-je très fortement. Toutefois, je pouvais tomber sur pire personne pour perturber le calme environnant. Cet inconnu semblait plutôt bienveillant à vouloir me venir en aide. Il avait surement dû voir mon ventre énorme et vouloir me venir en aide, ces nombreux question en attestaient. Habituellement très calme, je n'arrivais néanmoins pas à garder mon calme très longtemps à l'écoute de ces dernières. Les hormones jouant beaucoup sur mes émotions et mes réactions, je pouvais passer du calme olympien à une tornade en quelques minutes ce qui pouvait être comique vu de l'extérieur. De l'intérieur, je commençais vraiment à n'en plus pouvoir de ne pas arriver à me contrôler. D'une voix un peu hystérique, je lui répondis alors :

"- Mon groupe de marche ? Non je suis l'idiote, enceinte et presque prête à pondre qui vient seule faire une randonnée ! Ah merci la sage femme, belle idée que de vouloir me faire marcher!"

Evidemment, il était plus simple pour moi de rejeter toute la faute sur ma sage-femme plutôt que sur moi-même et mes idées à la noix. Elle n'attendait surement pas que je fasse une randonnée lorsqu'elle m'avait conseillé de marcher. Néanmoins, je n'avais jamais fait les choses à moitié et cela ne changeait pas avec l'âge.

Cela faisait bien longtemps que Léo n'avait pas eu de carte entre les mains. Sans être totalement accro aux gadgets de technologies, il vivait en son temps et surtout il cherchait à se faciliter la vie. Les cartes ne lui étaient utiles que lorsqu'il partait au fin fond d'une foret dans un pays où il n'aurait clairement pas de réseau, là, évidemment, c'était même une question de survie. Mais clairement, à vingt minutes de Bowen, ça n'avait pas de sens pour lui. Seulement il ne jugeait pas cette femme, après tout ça avait même son charme. Dans tous les cas il ne se voyait plus reprendre sa route et ne pas lui venir un minimum en aide à présent. Ok ok ... pas la peine de monter sur vos grands chevaux. Il se planta là, se sentant stupide face à la blonde qui visiblement faisait une sorte de crise d'angoisse. C'est vrai que c'est pas super malin d'être partie seule mais heureusement, c'est un sentier fréquenté. Est-ce qu'il venait vraiment de lui dire qu'elle n'avait pas été maline ? Concrètement, Léo n'était pas le meilleur pour réconforter les gens. Il avait quand même un doute sur le fait que sa sage-femme lui ait dit de gripper une colline, enceinte jusqu'au cou, il n'était pas du métier mais ça lui semblait être moyen comme conseil, ou alors il faudrait peut-être qu'elle voit à changer. Bref, là n'était pas le sujet. Vous avez mal quelque part ? J'veux dire ... en plus d'être perdue ? Parce que si ce n'est que ça, si vous pouvez marcher, on peut faire la route ensemble, j'vous emmène au sommet tranquillement, ce n'est plus très loin. Et après il y a une navette qui pourra vous redescendre sans encombre. Ca lui paraissait être le meilleur compromis à Léo, parce que la faire redescendre jusqu'en bas serait plus long et finalement plus fatiguant. Encore fallait-il qu'elle accepte de suivre un inconnu.

Cet inconnu venait vraiment de dire que je n'étais pas maligne ? J'étais suffisamment au courant moi-même, il n'était franchement pas nécessaire de me le rappeler. Cela s'ajouta à mon énervement et je craquais finalement contre cet homme en lui répondant presque de manière hystérique :

"- Si j'ai mal quelque part ? Mais je suis enceinte de neuf mois ! Evidemment que j'ai mal et pas que quelque part ! J'ai mal partout. Au dos, au ventre, aux jambes qui pèsent neuf tonnes et à ces pieds qui ne ressemblent plus à rien. Vous avez déjà vu une femme enceinte ? On a toutes mal ! Si je ne suis pas maligne, vous ne l'êtes pas plus que moi ! "

Cette tirade me fit perdre mon souffle, rendu court initialement par la grossesse. Me rendant compte que m'énerver n'était pas la meilleure des idées, je finis par lâcher un grand soupir et prendre du recul sur la situation. Je me rendis immédiatement compte que j'étais complètement hors de moi et que j'agressais verbalement cet inconnu qui voulait m'aider. Ce n'était absolument pas dans mon état de base. J'étais plutôt quelqu'un de très douce, calme et patiente. Là, j'étais tout l'inverse et je paniquais tout simplement, ce qui ne m'arrivait que très rarement aussi. J'étais normalement capable de gérer l'urgence et mes montées d'adrénaline. A croire que la grossesse me transformait en gremlins. Instinctivement, je posais une main sur mon énorme ventre et le caressais doucement. Ce court instant me calma presque immédiatement. Je finis par lâcher un rire jaune, secouant la tête avant de regarder l'homme en face de moi d'une moue plus penaude.

"- Pardon, ce n'est vraiment pas contre vous. C'est contre moi, j'ai été assez idiote pour m'aventurer ici, seule et énorme alors que je devrais être dans mon canapé en train de tricoter des bonnets pour la maternité. Mais non, j'ai envie de bouger moi. Vous ne méritez pas que je m'énerve contre vous. Excusez-moi."

Léo grimaça, la blonde était revêche, il se sentait un peu stupide lui aussi, loin d’être malin pour le coup, c’était certain. Des femmes enceintes il en avait déjà vu, si, cette question lui rappela quelques souvenirs, de ceux qu’il préférait ne pas se remémorer trop souvent. Comme celui d’Alba, enceinte de trois moi sur le pas de sa porte, à qui il avait tourné le dos. Il n’avait pas été présent lors de sa grossesse, il ne voulait pas de cet enfant. Pourtant il avait assisté à l’accouchement et il était tombé amoureux de son fils. Quand Grace lui avait à son tour annoncé attendre un enfant de lui, il n’avait pas fui cette fois et ces quelques mois de bonheur avaient été si doux, elle était belle, Grace, enceinte, elle rayonnait, comme si tout était enfin à sa place dans leur couple pourtant branlant, elle ne s’était jamais plaint de douleurs ou que c’était difficile, mais qui sait dans quel état elle aurait été à neuf mois de grossesse ? Personne, malheureusement ils n’avaient eu que quelques petits mois bonheur, avant que tout vol en éclat. Après évidemment il avait su repérer les signes, la fatigue, les humeurs changeantes et c’est de cette façon qu’il avait compris, il y a quelques mois, qu’Alba était à nouveau enceinte, mais cette histoire-là, bordel, il ne l’avait pas encore digérée. Alors oui, Léo avait connu des femmes enceintes mais ce n’était pas les plus agréables de ses souvenirs. Il baissa la tête, fixant le bout de ses chaussures comme un enfant qu’on venait de réprimander. Vous avez raison, je ne suis pas plus malin que vous. Il n’était pas si mauvais, Léo, il ne voulait pas envenimer les choses, la situation était assez délicate comme ça. Il l’écouta finalement se confondre en excuses et soupira en se décrispant un peu. Ce n’est rien, j’vous assure. Vous êtes toute pardonnée. Je ne voulais pas vous insulter non plus, je suis parfois maladroit. Souvent même. Je réitère ma proposition, on peut faire un bout de chemin ensemble, jusqu’au sommet. Je connais la route, croyez-moi, je suis plus fiable qu’un gps ou qu’une carte ! On ira à votre rythme, rien ne presse. Ça vous va ? Il espérait qu’elle coopère enfin, histoire que ça avance, parce qu’il ne se voyait pas la planter là, mais il ne comptait pas non plus camper ici pour ses beaux yeux. Je m’appelle Léo. C’était tout de même la moindre des choses que de se présenter.

Je scrutais rapidement l'homme en face de moi pour savoir si je pouvais lui faire confiance. Après tout, nous étions au milieu de la nature et de nulle part selon moi. Je ne connaissais pas cet homme et il me proposait de le suivre. Cela pouvait porter à confusion et me faire un peu peur après tout. Néanmoins, je me détendis un petit peu en entendant qu'il se présentait à moi. Je lui répondis avec un petit sourire également :

"- Ava. Enchantée."

Je me levais finalement, prête à prendre la route pour rejoindre un sentier et pouvoir ensuite me reposer un peu au terme de mon périple. Comme depuis quelques semaines, je me levais avec difficultés et lâchai un petit gémissement. Mon ventre avait poussé d'un coup et il me lançait dans les reins. J'éprouvais vraiment des difficultés en cette fin de grossesse, comme beaucoup de femmes avant moi pensais-je. Je ne pouvais pas franchement me plaindre. En dehors des nausées, j'avais eu une grossesse assez idéale malgré les circonstances. Après cette première étape, je fis quelques pas vers l'homme d'une démarche peu gracieuse, je le concevais.

"- Merci d'être aussi sympa et patient. Vous devez avoir pitié de moi vu mon état."

Je lâchai un petit rire jaune, je me sentais assez pathétique. Outre le fait de m'être perdue, j'étais énorme, prête à accoucher et je venais littéralement de passer mes nerfs sur cet inconnu sorti de nul part. Je n'étais pas franchement fière de moi. A l'heure actuelle, j'avais plutôt envie de me terrer sous ma couette et de me réveiller dans quelques heures, voir semaines si possible. A la place, je relevais un peu la tête et repris mes esprits en lançant à ce pur inconnu qui se prénommait donc Léo :

"- C'est par où ?"

Evidemment, le doute était permis, Léo proposait à cette femme de suivre un parfait inconnu, ça pouvait être risqué, on ne savait jamais sur quel tordu on pouvait tomber, surtout par les temps qui couraient. Seulement la blonde n'avait pas beaucoup d'autres options et elle finit par baisser la garde, peut-être plus par dépit que de bonne grâce, mais au moins ils pouvaient avancer. Salut Ava ! Qu'il répondit avec enthousiasme. Il ne voulait pas avoir l'air d'un voyeur, mais il l'observait, plus pour s'assurer qu'elle n'allait pas s'écrouler ou accoucher d'ici quelques minutes, finalement, il avait un peu la responsabilité de cette femme, maintenant qu'il avait proposé de l'aider. Et rien que de se lever lui semblait laborieux, elle n'avait vraiment pas été prudente. Léo garda cette réflexion pour lui. Je n'ai pas pitié, non, j'espère juste qu'on arrivera au sommet avant la nuit ! Son ton enjoué et son sourire indiquait qu'il se moquait gentiment. Elle n'avait pas l'air à l'aise, peut-être que la présence d'un étranger la gênait vraiment, Léo, lui, était habitué aux rencontres, il aimait ça, se laisser surprendre par le hasard et voir où ça menait, c'était souvent de belles surprises. Il lui indiqua le chemin sur leur droite. C'est ici, on continue tout droit, pour un bon marcheur il devrait rester un petit quart d'heure, alors disons qu'on en aura pour une bonne demi-heure, ça ira ? De toute façon, que ça aille ou non, ils n'avaient pas le choix, il ne se voyait pas la porter sur son dos ! Tu viens de Bowen alors, Ava ? Il aimait ses balades en solitaire, face à la nature et entouré de silence, mais quitte à faire la route avec cette fille, autant essayer d'engager la conversation. Et puis peut-être que la montée lui paraitra moins pénible, à Ava, s'il lui changeait les idées.

Malgré le fait que je ne le connaissais ni d'Eve ni d'Adam, j'appréciais l'enthousiasme et la générosité de cet inconnu. Il m'arracha un petit sourire au moment où il me salua. Ma foi, il n'avait pas l'air bien méchant. Pourtant, je devais encore me méfier, on ne sait jamais qui sont réellement les personnes.

"- J'espère aussi. J'ai pas prévu mon sac de couchage."

Je décidai de rebondir à son petit pic humoristique à mon tour. Après tout, j'avais bien cherché qu'il se moque un petit peu de moi. A sa place, je me serais charrié également. A sa question de savoir si ça irait, je me contentais d'hocher la tête. La vérité, c'est que je ne me sentais pas franchement capable de le faire. J'avais les jambes qui pesaient trois tonnes et les lever commençait à être dur. Pourtant, je m'étais mise dans cette situation et j'allais en sortir avec, certes, un peu d'aide. J'étais compétitrice, j'allais devoir le montrer. Je refusais d'admettre ma défaite aujourd'hui. Je levais donc la tête avec une fierté un peu feinte et je souriais à l'homme en tout en lui répondant à la question de mes origines.

"- Non, je suis originaire de Melbourne mais j'ai déménagé à Bowen en septembre. C'est vraiment une chouette ville. Et toi, tu es originaire d'ici ?"

Cette question me permettrait d'en savoir un peu plus sur ce parfait inconnu et de me sentir peut-être un peu plus en confiance avec lui après tout. Elle nous permettrait également de passer le temps alors que nous commencions à marcher de manière très douce et j'en étais reconnaissante à Léo.

Enfin elle semblait se dérider, peut-être que la fin de la balade allait être agréable malgré tout. Je ne compte pas dormir ici non plus ! Qu’il déclara, toujours sur le même ton, avant de lui donner quelques informations et de s’enquérir de son état. Léo voyait bien qu’elle n’était pas sûre d’elle, que non, ça n’allait pas, mais Ava se levait malgré tout et avançait en le suivant. Il n’était pas vraiment rassuré, mais qu’est ce qu’il pouvait faire d’autre, visiblement c’était une femme de caractère et il doutait qu’appeler des secours soit envisageable, du moins pas pour l’instant. Alors ils se mirent en route, il aviserait en chemin, selon l’évolution de la situation. Sa question était plus simple, il voulait juste savoir si elle habitait à Bowen, mais la blonde n’était visiblement pas avare, au moins ça donnait de la matière pour discuter. Une fille du sud alors ! C’est une belle ville Melbourne. C’est tout récent donc, tu te plais ici ? Il se demandait toujours ce qui pouvait pousser les gens à s’installer à Bowen, lui, il était né ici, mais il avait si souvent rêvé de s’en échapper, surtout quand il était plus jeune, ce n’était pas pour rien qu’il avait choisi un métier qui lui faisait parcourir le monde ! Il considérait Bowen comme une trop petite ville où il ne se passait rien, mais il revenait toujours, il avait ses racines ici, ses amis, sa famille, c’était une bonne raison. Oui, un vrai de vrai d’ici. Ce mont, c’était un de mes terrains de jeux quand j’étais gamin, c’est pour ça que je le connais si bien. Il n’avait pas tellement de souvenirs heureux de son enfance avec sa famille, encore moins avec son père, mais il se souvenait de moments avec lui, les rare qu’il voulait garder, quand il l’emmenait ici les dimanches, il lui apprenait à se repérer en forêt.

J'écoutais l'inconnu faire la conversation et s'intéressait à moi. Cela me rassurait quelque peu. Vu le nombre de reportages et de podcasts que j'écoutais sur les tueurs en séries et sociopathes en tout genre, je me rappelais qu'ils ne s'intéressaient pas ainsi à leurs victimes. La plupart du temps du moins. Je lui répondais donc à pas lent, bien sûr.

"- Oui, un pur produit du sud ! J'aime bien Bowen, c'est beaucoup plus petit évidemment mais les gens sont plus amicaux. A Melbourne, on ne s'occupe principalement que de son nombril et ça ne me plaisait plus trop mais la ville est beaucoup plus animée. Il s'y passe beaucoup plus de choses qu'à Bowen."

Evidemment, je n'allais pas lui étaler ma vie privée et lui dire que je ne pouvais plus vivre à Melbourne car j'y avais trop de souvenirs de ma vie avec mon ex-compagnon, que j'avais besoin de changer d'air. A la place, je l'écoutais me parler de son enfance sur Bowen mais surtout sur ce Mont apparemment. Ses connaissances sur ce dernier s'expliquait et cela me rassurer toujours un petit peu, je semblais être entre de bonnes mains pour retrouver mon chemin et la civilisation par la même occasion.

"- Ah tout s'explique ! Ce Mont est vraiment magnifique pour le coup, il y a vraiment pire comme terrain de jeux."

Mon terrain de jeux étant petite était les courts de tennis. J'y passais des heures à taper la balle avec mon père sur le terrain des voisins avant de finalement décider que je voulais devenir professionnelle. Je me revoyais haute comme trois pommes, dépassant à peine le filet, avec mon père en face et son bandeau dans les chemins. Que de bons souvenirs. Plongée dans mes pensées, je ne captais pas tout de suite ce qu'il était en train de se passer au niveau de mon corps. Dès que ce fut le cas, je m'arrêtais et lâchais un :

"- Oh non. Pitié. Non! "

Ca faisait partie de lui, Léo était sociable, il s'intéressait aux autres. Ce n'était pas pour rien qu'il passant le plus clair de son temps à partir aux quatre coins du monde pour découvrir d'autres cultures. Et même à Bowen, il connaissait pour ainsi dire tout le monde, en y trainant ses baskets depuis sa plus tendre enfance, en écumant les bars, les plages, les soirées, il aimait profondément les rencontres. Oui, je veux bien croire que la vie est plus palpitante à Melbourne qu'à Bowen, mais tant mieux si tu te sens bien accueillie ici. Les gens sont généralement sympas oui, je crois. Evidemment Léo avait noté que la blonde était arrivée il y a très peu de temps, elle devait déjà être enceinte, c'était plutôt étrange, de prime abord, mais elle avait sûrement choisi cette ville avec le père de son futur enfant, il avait du mal à imaginer une future maman solo faire un tel saut dans le vide. Mais en même temps, il ne la connaissait pas du tout et il n'osait pas demander, là, de but en blanc. Il se dévoilait un peu à son tour, sans trop en dire non plus, son fort, au photographe, c'était de faire parler les autres, lui un peu moins. Oui, il y a pire, je te l'accorde. Evidemment ce qu'elle ne savait pas c'est qu'il avait également un magnifique jardin propice à tous les jeux quand il était gamin, mais tout ça ne faisait pas le bonheur quand on avait des parents qui s'occupaient peu de soi. Alors il avait appris à chérir les souvenirs qu'il avait de ces balades ici avec son père, leur seul et rare moment de complicité. Ils commençaient à grimper un peu plus, c'était à peine notable, Léo ne l'avait pas remarqué avant qu'Ava ne s'arrête et cède à un semblant de panique. Ca ne va pas ? La pente est trop raide ? Tu as mal quelque part ? Il s'inquiéta en la voyant crispée.

Au liquide chaud qui coulait entre mes jambes, je sentais que quelque chose n'allait franchement pas. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre ce qu'il était en train de se passer. Je fis donc part de cette évidence à mon sauveur du jour :

"- Je...Je crois que j'ai perdu les eaux. Ou alors, je me suis fait dessus mais ça m'étonnerais."

Mes pensées se mirent alors à fuser à cent à l'heure. C'était trop tôt pour accoucher, mon bébé devait encore rester quelques jours dans mon ventre. Je n'étais pas encore prête à accoucher, c'était évident. Je ne pouvais pas accoucher dans les prochaines heures, je ne le voulais pas, je ne le voulais plus.

Je jetai un coup d'œil autour de moi, j'étais au beau milieu de nul part avec un parfait inconnu. Ce n'était absolument pas prévu ainsi. Je ne pouvais pas accoucher dans cet endroit. Je ne pouvais pas accoucher avec un inconnu, j'avais besoin de ma mère. Je devais lui envoyer un message rapidement, j'avais besoin qu'elle me rejoigne. J'avais besoin de ses conseils précieux, de son calme olympique alors la panique s'emparait clairement de moi. Mon corps me le faisait d'ailleurs ressentir en hyperventilant.

"- Oh mon dieu, je vais accoucher."

Cette constatation simple me fit d'autant plus paniquée et je ressentis alors une vive douleur dans mon ventre. Une douleur nouvelle que j'assimilais immédiatement à une contraction. Le travail commençait et je ne voulais qu'une chose; qu'il s'arrête.

Est-ce que c’était vraiment en train d’arriver ? Juste après avoir posé ses questions à Ava, il remarqua son pantalon qui s’assombrissait entre ses jambes, il ne fallait pas s’y connaitre beaucoup dans le domaine pour comprendre ce qu’il se passait. Léo déglutit en essayant de garder son calme face à la jeune femme. Il en avait vu des choses flippantes dans sa vie, il en avait vécu des situations qui l’avaient déstabilisé, mais une femme, jusqu’alors inconnue, sur le point d’accoucher face à lui, en plein milieu de la nature, c’était inédit, c’était carrément effrayant. Je pense aussi oui… Si le cerveau d’Ava fusait dans tous les sens, celui de Léo se mit également en branle, surtout quand il constata qu’elle commençait à paniquer et que juste après son visage se tordit de douleur sous l’effet d’une probable contraction. Il s’approcha alors d’elle pour la soutenir, se rappelant d’une chose qui datait de plus de sept ans, alors qu’il avait rejoint son ex dans la salle d’accouchement. Ok. Bon. Ca va aller, respire, surtout respire. Et il se mit à respirer comme un petit chien tout en attrapant son téléphone. J’ai du réseau ! J’appelle les pompiers, il y a un chemin accessible pour les véhicules pas très loin d’ici, ils devraient pouvoir venir jusqu’à nous. Ça va aller. Deuxième fois qu’il prononçait ces trois mots, ce n’était pas tant pour Ava, pas pour lui aussi. Il s’éloigna un peu pour avoir le plus de réseau possible et revint au bout de quelques courtes minutes, son visage était tendu. Ils vont arriver. Mais pas aussi rapidement que ce que Léo avait espéré, visiblement une femme qui avait perdu les eaux n’était pas un motif d’urgence absolue par rapport à un accident de la route sur l’autoroute, soit … seulement lui il ne savait pas quoi faire. On va s’asseoir, d’accord ? Si tu as soif ou quoi que ce soit, tu me dis, on va patienter tranquillement, ça ira. Troisième fois, il allait falloir qu’il arrête. C’est ton premier enfant ? Faire la conversation, c’était l’objectif de notre infirmier de fortune, passer le temps pour qu’elle oublie sa douleur.