In the middle of nowhere + Ava

Je voyais bien à la tête de Léo qu'il paniquait autant que moi. Une partie de moi s'en voulait de lui faire subir ça, lui qui ne venait que pour se balader se retrouver dans une situation improbable. L'autre partie s'en fichait royalement tant que je n'étais pas seule, tant qu'il ne me laissait pas seule surtout. Je fus rassurée en entendant que les secours arriveraient prochainement. Tout en sachant cela, j'allais m'asseoir sur une pierre non loin de là, assistée de Léo qui était adorable actuellement à mes côtés. Je fus soulager de m'asseoir, la gravité n'était vraiment pas mon amie en cette fin de grossesse. J'essayais de respirer comme ma sage femme me l'avait appris mais également comme Léo me l'indiquait. Je lui répondis donc à sa dernière question :

"- Oui et vu comme ça fait mal, ça sera mon dernier aussi."

Je ponctuais ma phrase par une grimace de douleur et essayais de respirer le plus calmement possible. J'avais remarqué la manière dont Léo m'avait dit de respirer, on sentait une certaine expérience. Evidemment, je me trompais peut-être mais je préférais en avoir le coeur net et lui posais directement la question. De plus, il fallait bien meubler le temps d'attente qui allait me sembler très long et à Léo également.

"- Et toi, tu as des enfants ?"

Il semblerait que faire la conversation allait effectivement nous faire passer le temps. J'étais bien placée pour savoir que je n'étais pas une urgence vitale. Les pompiers arriverait mais pas aussi rapidement que je le souhaiterais évidemment. Actuellement, j'aurai voulu être déjà à l'hôpital, dans cet endroit que je ne connaissais que trop bien, avec des médecins autour de moi mais surtout la possibilité d'avoir une péridurale. En attendant, je ferais la conversation avec cet inconnu.

La nouvelle de l’arrivée prochaine des secours semblait avoir apaisé Ava, c’était déjà ça de pris. Elle trouva un rocher sur lequel s’asseoir et s’y installa du mieux qu’elle pouvait. Léo sortit sa gourde, il aurait voulu lui proposer de manger quelque chose mais il n’était pas sûr qu’elle en ait vraiment le droit. J’ai de quoi boire si tu n’en as pas assez, n’hésite pas, de toute façon vu ton état on s’en moque que tu te fasses dessus maintenant. Il tentait une pointe d’humour, mais en vérité il voulait tout sauf qu’elle lui claque entre les doigts. Il rit à sa première réponse. Je n’ose même pas imaginer. Et c’était vrai, il était bien content de ne pas à avoir subir ce genre de douleur. En posant son regard sur elle, Léo était tout de même heureux qu’elle ne soit pas seule pour vivre ça, même s’il la trouvait toujours inconsciente d’être partie faire ce genre de marche en fin de grossesse, elle avait eu la chance qu’il lui tombe dessus. Et même si l’attente devait leur sembler interminable, au moins il pourrait l’occuper, la rassurer si besoin. Mais pitié, pas l’accoucher ! J’ai un fils, il a sept ans. J’ai quelques vagues souvenirs de sa naissance, c’était … intense. Enfin, pas intense… ça s’est très bien passé hein ! Sa mère s’en est très bien sortie. Il devait éviter de l’alarmer. C’était la vérité, tout s’était bien passé, Jonah était arrivé avec un peu d’avance, aucun des deux n’étaient préparé, Léo était même entrain de passer du bon temps avec une autre lorsqu’Alba l’avait appelé pour lui annoncer qu’elle allait accoucher. Mais il l’avait rejoint, malgré qu’ils soient séparés, malgré qu’il ne veuille pas de cet enfant, il avait voulu accompagner son ex, au moins assumer un peu sa connerie, parce qu’à ce moment-là il considérait encore ce futur enfant comme une connerie, il n’avait pas pris part à la grossesse. Pourtant quand Jonah était né, ce fut le coup de foudre, une vague d’émotions, un amour infini qui lui était tombé dessus, alors qu’il ne s’y attendait pas le moins du monde, lui qui ne voulait pas d’enfant. Il regarda Ava et osa poser une question qui lui brûlait les lèvres. Il a un père, ce futur bébé ? Ce ne sont pas mes affaires et je suis désolé d’être indiscret. Mais s’il faut prévenir quelqu’un et que tu n’en es pas capable, je peux le faire. Il n’y avait aucun jugement dans sa question et sa proposition, il serait bien mal placé pour juger qui que ce soit sur ce sujet.

Je lâchai un petit rire en entendant la pointe d'humour de Léo qui n'en menait pourtant pas franchement plus large que moi. En revanche, il n'avait pas tord. Vu l'état d'humidité entre mes jambes, je doutais qu'on se rende compte d'une quelconque différence. Evidemment, j'avais ma propre fierté et je déclinais sa proposition de boisson par un petit geste de la main.

"- Merci mais je préfère éviter."

J'écarquillais quelques secondes les yeux en entendant Léo me parlait de l'accouchement de la mère de son fils. Voilà qui n'était clairement pas pour me rassurer. J'étais bien consciente que tous les accouchements ne sont pas idylliques, j'en avais vu suffisamment pour le savoir mais je ne voulais absolument pas y penser maintenant. Non, je me contentais de me souvenir des accouchements parfaits auxquels j'avais eu la chance d'assister. Quelques douleurs, une péridurale, quelques poussées et voilà, rien de monstrueux. C'était exactement ce que j'attendais des prochaines heures. Je chassais d'un petit mouvement de tête les propos de Léo.

"- Je ne vais donc retenir que la dernière partie, ça s'est bien passé. La parentalité, ça doit être merveilleux bien que stressant non ?"

Je ne pouvais m'empêcher de poser cette question à chaque parent dont je croisais le chemin. J'étais surtout nerveuse à la perspective d'être mère mais je n'étais pas connue pour être quelqu'un de très calme dans la vie. Certes, je savais bien dissimulée ma nervosité mais elle restait bien présente et gérer mes émotions n'était pas ma qualité première pendant ma grossesse. Alors que j'attendais une réponse, il posa la question qui me fit monter les larmes aux yeux. Du moins, je ne savais vraiment dire si c'était la contraction qui me tordait le ventre ou de penser à Oliver, le père de mon enfant à naître. Je choisis d'être honnête avec Léo et lui répondit en regardant mes pieds, la voix pleine d'émotions, tout en posant une main protectrice sur mon ventre rebondi :

"- Cet enfant a un père bien sûr mais il ne sera pas présent. Il n'y a que moi et cet enfant."

Pourquoi il avait dit ça ? Léo sentit bien qu’Ava s’était un peu figée quand il avait utilisé le mot intense pourtant ce n’était pas l’acte d’accoucher qui avait été intense, mais plus du côté émotionnel pour les deux jeunes parents qu’Alba et lui étaient entrain de devenir. Oublie ça oui, il n’y a eu aucune complication. Comment expliquer à une parfaite inconnue qu’il avait une histoire très particulière avec la mère de son fils. En quoi ça pouvait l’intéresser de toute façon ? Il n’était pas là pour parler de lui mais pour être là pour cette femme qui était seule dans un des moments les plus importants de sa vie. C’est merveilleux oui. Et stressant aussi. Il rit, un peu gêné, il ne savait pas quoi lui dire, il ne voulait pas la faire paniquer. Mais il se rappela des premières nuits qu’il avait dû gérer tout seul, des pleurs inconsolables que seule Alba arrivait à calmer, il se souvenait de s’être parfois senti impuissant et d’avoir voulu ramener son tout petit bébé auprès de sa maman parce qu’il était un père incapable. Les débuts avaient été chaotiques et ça il ne voulait pas le dire à cette future maman. Pourtant il y avait tellement de beaux moments, les peau-à-peau à quatre heures du matin, les premiers sourires, les fou rire quand il se trompait de sens pour mettre la couche et que Jonah en profitait pour lui faire pipi dessus, la façon dont il le regardait de ses grands yeux bleus qu’il avait hérité de lui, ce regard qui le faisait se sentir tout d’un coup la personne la plus importante au monde. Les débuts ont été sportifs disons, on apprend à devenir papa. Mais je n’imaginerais plus ma vie sans mon fils. Il sourit un peu niaisement, juste parce que ce petit blondinet était devenu le centre de son univers en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire. Sa question suivante, il se devait de la poser, au moins par acquit de conscience, mais il n’imaginait pas qu’elle puisse faire déborder les yeux de la blonde. Il ignorait tout d’elle, c’était une certitude, mais il prit conscience qu’elle comptait accoucher toute seule et ça lui retourna le bide. Il n’osait pas en demander plus mais il était évident que là, face à elle, il pensait à Alba qui avait peut-être pensé la même chose à l’époque, que son fils n’aurait pas de père. Ok. Je suis désolé de gâcher votre tête à tête alors. Qu’il répondit pour détendre un peu l’atmosphère qui s’était chargée d’émotion. Tu connais le sexe ? Tu as un prénom ?! Des questions plus légères c’était mieux pour tout le monde.

Les paroles de Léo étaient très touchantes. Je n'avais pas trop de mal à imaginer que les débuts en temps que père, et parents plus généralement, doivent être compliqués. J'allais bientôt pouvoir expérimenter cela. Néanmoins, il semblait heureux d'être ce père et ce sourire niais qu'il avait me donna également envie de sourire malgré ma situation actuelle.

"- On dit souvent que c'est notre plus beau rôle, celui d'être parents. Ton fils a beaucoup de chances de t'avoir je dirai, toi ce sauveur des baleines en détresse."

Je lâchai un léger rire à la fin de ma phrase, la référence à la baleine, soit moi, me faisait rire. En même temps, je m'imaginais déjà avec mon enfant, ce côté maman poule que j'allais inévitablement avoir. J'avais de l'amour à donner et cet enfant allait très bientôt le recevoir. A cette pensée, le stress me submergea de nouveau et je posais une main d'instinct sur mon ventre où il se passait actuellement pas mal de choses et baissais la tête pour l'observer. Je n'étais pas franchement fière de moi actuellement et je le fis savoir à Léo :

"- Tu ne gâches rien, c'est juste moi qui suis assez stupide pour faire une randonnée alors que je vais accoucher. Franchement, c'était vraiment une idée de....AAAH."

Je ne pouvais terminer ma phrase, j'étais terrassée par une contraction plus intense que les précédentes. Je mis alors en pratique les exercices de respiration apprises lors des cours d'accompagnement à l'accouchement. Ces cours dont je n'avais pas compris l'intérêt immédiat me semblaient actuellement indispensables. Après le passage éclair de cette contraction, je sentis mes épaules se détendre et je repris une respiration aussi normale que possible malgré l'appréhension de la prochaine contraction. Pendant cette période d'accalmie, j'en profitais pour répondre aux questions de Léo concernant mon enfant à venir. Je n'avais pas été très curieuse lors des échographies, au grand dam de ma mère d'ailleurs, et j'avais décidé de garder la surprise. Je voulais que cette rencontre avec mon bébé soit la plus spontanée possible. Evidemment, j'avais failli demander plusieurs fois le sexe du bébé lors des différentes échographies mais j'avais tenu bon et j'en étais plutôt contente pour le coup.

"- Non, je ne connais ni le sexe mais j'ai des idées de prénom. Pour un garçon, je pensais à James et pour une petite fille, Elizabeth. Je saurais ça dans quelques heures...Enfin, j'espère. Et toi, comment s'appelle ton fils ?"

Est-ce que c’était son plus beau rôle, d’être père ? Parfois Léo se posait la question, non pas qu’il n’aime pas, son fils était devenu sa vraie raison de vivre, celle qui le poussait à être un meilleur homme, celle qui le rendait raisonnable et presque raisonné, c’était le plus beau cadeau que la vie lui ait offert. Mais souvent il ne se sentait pas à la hauteur, comme s’il était imposteur dans ce genre de rôle, comme s’il tentait de berner le monde en jouant au papa modèle alors que la plupart des gens savaient qu’il avait énormément de défauts et de vices, de casseroles qu’il traînait depuis des années. Mais cette femme, Ava, elle le rencontrait juste, elle ne le connaissait pas après tout, alors il sourit poliment pour la remercier de ce compliment. Avant de carrément rire. Est-ce que tu m’autorises à le mettre dans mon cv ? Ça peut faire bonne impression, sauveur de baleine ! Il ne se voyait absolument pas comme un sauveur, actuellement il n’en menait pas large et puis il était juste passé au bon moment. Il grimaça alors qu’une nouvelle contraction venait interrompre sa dernière phrase, elle avait tellement l’air d’en chier, après avoir vu une femme accoucher aucun homme ne devrait avoir le droit de se plaindre de quoi que ce soit, il en était totalement convaincu. Peut-être … peut-être que tu en avais vraiment marre et que tu as tout fait pour accoucher, au moins il faut te dire que d’ici quelques heures ce ne sera plus qu’un lointain souvenir, tu auras to enfant dans tes bras. Mais par pitié, à l’hôpital, pas ici, Léo ne pouvait s’empêcher de l’espérer, parce que faire naître un enfant en pleine nature ce n’était vraiment pas un bon plan. Je te suggère Léo en deuxième prénom, en toute humilité, ça peut être masculin comme féminin ! Un clin d'oeil au sauveur de baleine en détresse, en plus il fallait savoir qu’Emerson détestait son prénom, Léopold, en mémoire au vieil oncle au deuxième degré, français, qu’il n’avait jamais connu, quelle idée foireuse avaient eu ses parents au moment de sa naissance. A choisir il préférait son deuxième prénom, Charles. Il s’appelle Jonah, on l’appelle souvent Jon ! C’était le choix d’Alba, mais il avait tout de suite accepté. On entendit un bruit derrière eux, Léo se dit que c’était peut-être les secours, il se redressa, mais ne vit finalement rien, peut-être simplement un animal qui passait par là. Il soupira doucement avant de revenir vers la future maman. Alors tu connaissais du monde en arrivant ici ? Ou c’était l’inconnu total ? C’est jamais évident d’arriver seul quelque part. Lui qui voyageait si souvent, il trouvait ça grisant de partir seul, de rencontrer des inconnus, de nouer des liens qui seraient, pour la plupart éphémères, mais qui duraient parfois. Pour autant ce n’était que du voyage, il ne savait pas s’il aurait le courage de tout quitter définitivement, de s’installer ailleurs, seul, sans ses repères.

Je sentais bien que l'homme essayait de détendre un peu l'atmosphère avec la blague sur la baleine. Je l'en remerciais silencieusement car cela m'aidait énormément à oublier ma situation actuelle. A la place, je me surpris à lâcher un petit rire et hochais la tête avec rigueur avant de lui répondre :

"- Mais évidemment, c'est même la première ligne de ton CV à mettre. Enfin, peut-être pas, ça dépend. Tu fais quoi dans la vie normalement ?"

J'étais évidemment curieuse d'en apprendre un peu plus sur cet inconnu dont je me rappellerais évidemment toute ma vie. Néanmoins, je n'allais pas donner son prénom à mon enfant même en second et je me contentais de rire un petit peu en hochant négativement la tête cette fois-ci.

"- Peut-être oui, je détestais être enceinte surtout ces derniers jours. Déjà, j'ai l'impression de peser huit tonnes cinq. Ce qui est probablement le cas d'ailleurs. Ensuite, j'ai les jambes lourdes, elles ressemblent à des poteaux et surtout, qu'est-ce que c'est galère de s'habiller. Honnêtement, je préfèrerais vivre nue actuellement."

Comme à chaque fois que je suis en période de stress, je raconte tout ce qui me passe par la tête. Au travail, j'ai dû travailler sur ce point car, dans ce genre de situation, je ne dispose plus de filtre et cela a pu me mettre dans des situations un petit peu tendue. Ici, je n'avais pas raconté beaucoup de choses à Léo, seulement les difficultés à être une femme enceinte. Après tout, je n'avais eu personne à qui les énoncer pendant ces derniers mois. Je me suis contentée de faire bonne figure, d'hocher la tête quand on me demandait si ça allait. Alors à quelques heures d'accoucher, j'avais vidé mon sac et cela faisait du bien surtout face à quelqu'un que je ne reverrais probablement plus après aujourd'hui.

"- Non, je suis arrivée seule à Bowen avec mes valises et mon enfant dans le ventre...Sans vraiment le savoir en revanche. Je ne connais absolument personne, c'est effrayant dit comme ça mais j'avais besoin de repos. Et toi, tu as déjà essayé comme ça de changer totalement de vie ? De vocation ?"

Visiblement Ava saisissait l’humour un peu merdique de Léo, heureusement sinon c’aurait été vraiment très long pour tous les deux ! En plus le garçon se foutait pas mal de son cv, il avait dû en faire un, il y a bien longtemps, mais à présent sa carte de visite c’était son site internet, son book, le reste on s’en moquait la plupart du temps. Je suis photographe. Il brandit son appareil qu’il gardait toujours près de lui. Mais on ne sait jamais, je pourrais me reconvertir ! Il y avait peu de chance, quoi qu’on ne savait jamais de quoi la vie était faite. C’était assez impressionnant comme cette femme se livrait totalement à un parfait inconnu, certes il ne savait rien d’important sur elle, à peine son prénom, mais elle était cash sur son ressenti, sur ce qu’elle vivait. Peut-être en avait-elle besoin, dans un moment aussi stressant que celui qu’elle vivait, ça devait faire du bien de vider son sac. Il eut un mouvement de recul, puis un fou rire quand elle termina en affirmant vouloir vivre nue. Ava ! On ne se connait pas encore assez pour ça, voyons ! Et il continua à rire avant de retrouver ses esprits, le bruit au loin lui fit reprendre son sérieux, même si ce n’était rien au final. Oh tu ne savais pas que tu l’attendais, dur. Il réfléchit un instant, changer de métier, il n’y avait jamais pensé, c’était une véritable passion, mais changer de vie, ça lui était arrivé quelques fois. Je suis né à Bowen et j’y ai toujours vécu, je voyage beaucoup pour mon travail mais je reviens toujours. Ça m’est arrivé de vouloir quitter cette ville, surtout quand j’étais plus jeune, j’avais envie d’ailleurs. Une fois je suis parti quasiment un an après un événement qui m’a ébranlé, j’ai pris le premier avion et je suis parti. C’était une libération, j’ai sûrement passé la meilleure partie de ma vie loin d’ici. Mais il a fallu que je rentre un jour. On ne peut pas fuir pour toujours. Pourquoi il lui disait tout ça ? Elle s’en moquait pas mal, Ava. C’était peut-être pour cette exacte raison, parce qu’à la fin de la journée, elle les aurait oubliés, lui et ses histoires, alors il pouvait bien se confier. C’était d’autant plus vrai qu’à la fin de cette journée, même s’il l’avait aidé, s’il avait été là pour elle, Ava n’aurait d’yeux que pour son enfant et plus rien d’autre ne compterait. Et c’était très bien comme ça.

Je jetais un coup d'oeil vers l'appareil photo de Léo et je ne pouvais que me sentir un peu gauche. Effectivement, il avait un appareil qui me semblait très élaboré et qui laissait deviner son travail. La photographie est un sujet que je trouvais très intéressant et un très bel art.

"- Whaoua. Ca doit être super ce travail. Tu travailles dans quel domaine de la photographie ?"

Le jeune homme en face de moi était vraiment adorable et comprenait mon envie de changer les idées. D'ailleurs, je fus surprise de l'entendre rire sur le fait que je souhaitais vivre nue. Pour ma part, c'était plus lui livrer mon ressenti que la volonté de faire une blague. Néanmoins, à posteriori, je me trouvais effectivement plutôt drôle dans le genre et je partageais un moment de rire complice avec mon sauveteur du jour. Cependant, je fus rattraper par une contraction qui me rappelait à l'ordre du jour, mon accouchement proéminent.

"- Et non, c'était la grande surprise. Bonne ou mauvaise, ça dépendait des moments, je dois l'avouer."

Les émotions ont longtemps étaient partagées pendant ma grossesse. Un jour, je me levais heureuse de partager mon corps, d'être enceinte et de donner bientôt la vie. Ce même jour, je pouvais me coucher triste comme jamais, me disant que je serais une très mauvaise mère et incriminant mon ex compagnon de tous les maux de la tête. Evidemment, je savais que les hormones jouaient pour beaucoup mais mes sentiments de base étaient ambivalents.

"- Fuir peut parfois être plus facile. C'est une solution de facilité mais c'est vrai que ce n'est clairement pas la meilleure des solutions. Et puis, la vie à Bowen est plutôt facile je trouve. Il y fait bon vivre. Les gens sont accueillants et aidants, même avec des inconnus. La preuve en live avec toi."

On ne peut pas fuir pour toujours, la phrase de Léo raisonnait dans mon esprit. C'était pourtant la solution que j'avais choisi. Fuir mon passé, fuir l'homme que j'avais jadis aimé et qui était devenue un ami plus qu'un amant, j'avais choisi de recommencer à zéro pour fuir ma tristesse aussi. Néanmoins, je pouvais comprendre son ressenti.

Ce n’était pas forcément évident que Léo soit photographe, ce n’était pas marqué sur son front et même s’il se baladait avec son reflex ultra perfectionné il pouvait juste être passionné, il avait vu des amateurs bien mieux équipés que lui. Bien que, évidemment, pour un pro, c’était facile de dire que ce n’était pas l’appareil qui faisait tout, il y avait surtout l’œil, les réglages, la technique. Il sourit alors que la blonde semblait vraiment impressionnée par ce qu’il venait de lui dire, c’était souvent le cas, il avait la chance de faire un métier qui faisait rêver les gens. Oui, c’est passionnant. La plupart du temps je fais des reportages photo un peu partout dans le monde. Mais j’aime bien aussi travailler avec le journal de Bowen, juste parce que c’est chez moi, ça me permet d’être au courant de ce qu’il se passer par ici. Ils partagèrent un moment complice durant lequel ils auraient presque oublié pourquoi Léo s’était arrêté, pourquoi ils attendaient tous les deux au milieu de nulle part, mais évidemment une contraction leur rappela bien vite qu’ils n’étaient pas là pour badiner. Il la laissa respirer avant qu’ils ne reprennent leur conversation. Et les mots d’Ava résonnèrent une nouvelle fois en lui, il ignorait totalement les circonstances de conception de cet enfant mais, là comme ça, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’Alba avait dû passer par les mêmes états d’âme qu’elle.
Une fois qu’il se fut confié et en écoutant la réponse de la jeune femme, Emerson eut l’impression qu’elle se sentait jugée, ce n’était pourtant pas du tout son but. Je n’ai pas la prétention de te dicter ce que tu dois faire, au contraire. J’espère d’ailleurs que tu as trouvé la paix ici. Finalement, lui avait cru arrêter de fuir quand il était rentré à Bowen après l’épisode de Bangkok, seulement, s’il était officiellement rentré pour faire son deuil, c’était plutôt une véritable fuite en avant, une de plus. Cette fois c’était l’amour face auquel il avait choisi de décamper, ni plus ni moins, celui, trop grand, qu’il portait pour une femme juste après en avoir enterré une autre, celui qu’il n’avait jamais ressenti avant et qui lui avait fait peur. En fait je crois que je n’arrête pas de fuir. Mon fils aurait pu naître dans les mêmes conditions que ton enfant, j’ai quitté sa mère alors qu’elle était enceinte, aucun de nous ne le savait. Il n’était pas très à l’aise avec cette histoire, il la racontait rarement, si les gens ne posaient pas la question, il évitait de s’en vanter. Il passa une main dans ses cheveux un peu nerveusement tout en la regardant, elle n’était sûrement pas dans le meilleur état, sûrement qu’elle se trouvait moche et inconfortable, mais lui il voyait une femme forte, en pleine puissance, qui s’apprêtait à donner la vie, il la trouvait belle, d’une certaine façon. Tu es en droit de refuser, mais si tu veux, j’ai mon appareil avec moi, je peux immortaliser tes derniers instants comme ça avec ton bébé, en pleine nature c’est assez rare. La voir comme ça inspirait son œil de photographe.

Voyager dans le monde entier, c'était un rêve éveillé à mes yeux. Je rêvais de pouvoir le faire un jour. Avec ma carrière, écourtée certes, de joueuse de tennis, j'avais eu l'occasion de visiter quelques pays mais pas assez à mon goût. Voyager pour le plaisir était autre chose que voyager pour jouer. A l'époque, j'étais mineure et je voyageais avec mon père et mon entraineur principalement. On ne prenait pas franchement le temps de visiter les pays mais plutôt les courts de tennis. Aujourd'hui, je rêverais de voyager avec mon sac à dos et voyager sans me prendre la tête. Seulement, j'étais bien consciente que cela ne serait pas possible dans l'immédiat. J'avais à pouponner avant et à prendre de nouvelles responsabilités dans la vie. Une part de moi enviait le photographe.

"- Tu as du beaucoup voyager ! C'est vraiment génial d'avoir cette possibilité."

L'honnêteté dont fit preuve Léo me surpris un peu. Je ne pouvais évidemment pas le juger. J'avais fui moi aussi, je m'étais retrouvée dans sa situation. Je n'arrivais pas à avancer dans cette ancienne vie dont j'étais pourtant satisfaite à l'époque. Cette routine qui rythmait ma vie qu'aujourd'hui, je ne pourrais plus supporter. Travail, courses, ménage et attendre patiemment que mon fiancé accepte de rentrer de mission ou du travail. Cette vie me donnerait presque la nausée alors que je l'ai vécue huit ans. Je ne pouvais que comprendre l'état dans lequel devait être Léo à ce moment là et je sentais le besoin de le rassurer un peu, de lui faire savoir qu'il n'y était pour rien.

"- Vous ne pouviez pas savoir. Malheureusement, il n'est pas écrit enceinte sur notre front dès le premier jour. Ca pourrait être utile néanmoins. Tu es là aujourd'hui, c'est ce qu'il compte vraiment aux yeux de ton fils."

Une nouvelle contraction me saisit en même temps que la surprise des mots de Léo. Je pris plusieurs respirations, aussi appelée la technique du petit chien avant d'être en mesure de lui répondre assez troublée dans un premier temps :

"- Je....Hum...Là ? Maintenant ? Hum...Pourquoi pas oui."

On sentait clairement l'hésitation dans ma voix. Depuis le début de ma grossesse, la vision de mon corps était compliquée. Initialement athlétique, j'avais eu beaucoup de mal à accepter les changements de volume de mon corps. Encore aujourd'hui, j'ai du mal à me regarder dans un miroir. C'est un travail de tous les jours et je sens que ce travail va continuer pour les mois à venir. L'idée de me retrouver derrière un objectif me parait compliqué et en même temps, une part de moi sent que cette séance improvisée de photo peut me laisser un souvenir impérissable de ce moment inattendu. Je baissais la tête vers le bas de mon corps, enfin ce que je pouvais en voir bien sûr. Affectueusement, je posais une main sur mon énorme ventre et le caressait tendrement. Ce moment serait le notre après tout. Je finis par relever le visage vers Léo avec un sourire plus assuré cette fois-ci.

Léo était plus que conscient d’avoir une vie de rêve, en apparence au moins, un job de rêve en tout cas ça il n’en doutait pas. La possibilité de se lever chaque matin et que rien ne soit pareil à la veille, il n’y avait pas de train-train dans son quotidien, jamais. Il pouvait avoir un appel, accepter un contrat et savoir que le lendemain, il partait avec son sac pour une destination inconnue, un nouveau pays, une plage de rêve. Il avait côtoyé des célébrités, même si ce monde-là ne l’attirait absolument pas. Il faisait ce qu’il voulait. C’était peut-être plus simple pour lui que pour un autre, parce qu’il n’avait jamais eu à se soucier de l’argent, même quand il avait débuté, s’il ne gagnait rien au départ, ce n’était pas une inquiétude. Sa seule difficulté avait été de se faire un prénom, de passer au-dessus du nom Emerson qui était trop lourd, beaucoup avaient pensé que s’il réussissait, ce serait grâce à lui, seulement, il avait prouvé que son talent y était pour quelque chose, il s’était fait tout seul et c’était sa plus grande fierté. Alors oui, il voyait beaucoup et il adorait ça, il ne s’en cachait pas. J’ai pas mal bougé oui. C’est une chance, j’en suis conscient. Ils se confièrent l’un à l’autre, c’était un exercice auquel Léo était peu habitué, mais le fait qu’il ne recroise probablement jamais cette femme aidait grandement. Il y avait des similitudes dans leurs parcours, et même s’il ne connaissait pas Ava, il avait l’intuition qu’elle ne le jugerait pas. Il sourit à sa réponse. Ça pourrait être utile, effectivement ! S’il avait su qu’Alba était enceinte, il ne l’aurait sûrement pas laissé, seule, dans cette chambre d’hôtel, l’histoire aurait été différente. Oui, je pense qu’il est heureux d’avoir ses deux parents pour l’accompagner, on n’est pas une famille classique, mais à notre façon, on en est une.
Le photographe en lui n’était jamais bien loin et c’est pour cette raison qu’il lui fit cette proposition, un peu sortie de derrière les fagots, il fallait l’avouer, mais elle avait tout à fait le droit de refuser. Il n’y avait rien de voyeur ou d’étrange derrière tout ça, juste la vie, qui le bouleversait toujours. Il n’avait jamais photographié de femme enceinte, ce serait une première. Il sentit qu’elle hésitait. Maintenant ou plus tard. Ou pas, c’est pour toi après tout. Pourtant, elle accepta, il hésita à attraper son appareil, mais il vit la manière dont elle caressait son ventre, quelque chose était en train de se passer, un moment fort et Ava était visiblement prête, il alluma son boitier pour prendre quelques clichés timides, alors qu’elle regardait son ventre. Et puis elle releva la tête, lui offrit son visage, souriant, elle souffrait, mais elle était radieuse, c’était indéniable, alors il appuya, cette photo serait belle, il en était persuadé. Tu n’as pas de photos de toi enceinte, n’est-ce pas ? Il pouvait sentir quand les gens n’étaient pas à l’aise avec l’objectif.

"- Est-ce que ça existe vraiment une famille classique ? Tant que votre enfant est aimé, c'est l'essentiel, qu'importe la composition de sa famille finalement."

Léo me parlait de sa famille qu'il jugeait peu conventionnelle. Je ne le connaissais pas plus que cela mais je pouvais affirmer que chaque famille est différente et avec ses problèmes. J'avais eu la grande chance d'être élevée avec mes deux parents. Ils ont longuement essayé d'avoir un autre enfant, sans succès. Alors ils m'ont fait d'eux leur centre du monde, m'offrant tout ce que je désirais. Mon père me suivait dans mes différents tournois étant mon entraineur de tennis. Ma mère essayait de nous accompagner et nous passions de merveilleux moments. A la pensée de mes parents, je sentis un élan de réconfort prendre part en moi. Je les aimais tant. Il fut vite suivi par un petit élan de panique, foutus hormones. Je paniquais à l'idée de leur présenter mon futur enfant et de leur possible jugement du fait que je l'élevais toute seule. Mes pensées furent brusquement interrompues par une contraction et j'essayais de prendre ces fameuses grandes inspirations.

Une fois la contraction passée, je pris le temps d'observer Léo derrière son appareil, il semblait tellement à l'aise, confiant dans son art. Je me demandais si j'étais aussi à l'aise dans mon propre domaine. Ce domaine, j'allais bientôt le retrouver et il me tardait. L'hôpital, j'en rêvais actuellement même si l'accouchement en lui-même m'effrayait. Je rêvais de cette future péridurale alors que les pompiers semblaient prendre leur temps pour parvenir en haut du Mount. Quelques minutes ressenties quelques heures pour le coup.

"- Non, je suis si mauvaise que ça ? Ce n'est pas franchement étonnant."

Je n'étais pas du genre à me dénigrer. J'avais plutôt confiance en mes capacités et mes connaissances. Cependant, passer derrière un objectif avec un professionnel n'était pas dans mes habitudes. Pourtant, j'essayais. Je souriais du mieux que je le pouvais dans ma situation entre quelques douleurs qui me cisaillaient le bas du ventre. Léo m'avait évidemment laisser le choix mais une partie de moi avait envie d'immortaliser ce moment qui marquerait à jamais le commencement d'une nouvelle page dans ma vie, celle de ma maternité. Je continuais de garder une main sur mon ventre, me soulageant en même temps un petit peu de son point non négligeable. Je répondis par la même occasion à sa dernière question, un peu penaude. Je savais qu'il était commun de prendre des photos de soi enceinte, de les partager également mais j'étais différente sur ce coup là.

"- Aucune."

Il sourit doucement à sa réflexion, si elle savait, Ava, lui qui avait grandi dans ce fameux schéma familial classique, il avait été si malheureux, Léo. Il avait manqué d’amour paternel, celui de sa mère était étouffé par les projets grandioses que son paternel avait pour sa précieuse progéniture, prendre la suite des affaires, devenir le même genre d’homme que lui, ... Tout ce que le garçon avait rejeté dès le plus jeune âge. Et puis ses parents, un couple uni en apparence, un couple amoureux sur les photos et dans les galas de charité. Pourtant, Peter trompait sa femme dès que l’occasion se présentait et elle le savait probablement, mais elle fermait les yeux. Ils ne s’aimaient pas, plus, ils jouaient la comédie. Léo s’était toujours demandé pourquoi, est-ce que c’était l’habitude, la peur de la solitude, l’argent, une sorte d’accord entre eux ? Au fond, il avait arrêté de chercher, si sa mère restait avec un homme pareil, alors grand bien lui fasse, il ne pouvait pas la prendre par la main et la forcer à partir. Donc oui, une famille classique, conventionnelle, ça n’était pas forcément là que le bonheur se trouvait. Il voulait croire que son fils grandissait dans l’amour, bien que ses parents soient séparés, ils faisaient tout pour. Ils ne se connaissaient pas, Ava et lui, il ne pouvait pas lui raconter tout ça, et puis ça ne servirait à rien. Ce qui pouvait servir, par contre, c’était d’immortaliser ce moment, si particulier, dans cet endroit tellement peu à propos. Il avait envie d’offrir ce souvenir à Ava, pour qu’elle n’oublie jamais, pour qu’un jour, elle regarde ces photos et se sente fière d’elle et de ce qu’elle avait fait. Donner naissance à son enfant dans des conditions à priori cauchemardesques, mais il voulait se persuader que l’histoire se terminerait bien. Il échappa un rire alors qu’elle se jugeait mauvaise, elle était dure avec elle-même ! Non, tu t’en sors bien. Mais on voit que tu ne sais pas comment te mettre, tu es crispée. Oui, ok, elle avait des contractions régulières donc évidemment ça ne devait pas aider, sans parler du stress d'accoucher là, en pleine nature ! Fais comme si je n’étais pas là. Elle avoue finalement n’en avoir pris aucune, comme il s’en doutait, il sourit. C’était maintenant ou jamais alors ! Elle sourit à sa réflexion et il captura ce sourire, franc, doux, avec sa main sur son ventre et le visage détendu, celle-là serait parfaite. Puis il y eut du bruit derrière eux, au loin, le téléphone de Léo vibra. Il lâcha son appareil et répondit, cette fois-ci, il savait que c'étaient les secours, il le sentait. Je vous entends, continuez quelques mètres tout droit sur le chemin, vous me trouverez. ⁣Ensuite, il se retourna vers Ava. Ne bouge pas, les pompiers arrivent, c’est bon, tu vas pouvoir accoucher à l’hôpital ! Il s’éloigna un peu pour se rendre visible pour les secours et quand il les vit arriver, Léo fit de grands signes pour qu’ils le voient. Enfin, l’histoire allait bien se terminer, il était soulagé.