20 years later (leewana)

20h30 pétantes, ou l'heure de prendre une pause après une journée bien chargée. Il avait couru toute la journée, Ciàn. Il avait rencontré divers fournisseurs et divers potentiels clients pour son domaine viticole. Il était parti rendre visite à Eanna qui revenait à peine de Bowen. Il avait assisté ses saisonniers dans les vendanges. Il avait même eu le temps de faire une rapide prise de sang, même si sa santé n'était clairement pas sa priorité. Il vivait complètement dans le déni, Ciàn, en se disant que tout allait bien. Mais ce soir, il était  sur les rotules et ce n'était pas que dû à sa quarantaine approchante. Alors, pour se remonter le moral, il avait pris la route du Wojna's afin de s'accorder quelques minutes à lui, devant un bon verre. Quand son médecin lui avait dit de lever le pied, ce n'était sans doute pas ce qu'il sous-entendait, mais pour une fois, Ciàn avait envie de profiter des bons moments de la vie. Et l'alcool en faisait partie. Il entra dans le bar, saluant par un sourire quelques curieux qui relevaient la tête vers lui. Son retour à Bowen était, pour l'instant, resté inaperçu, mais il savait que la nouvelle se répandrait bien vite. La ville l'avait toujours suivi lors de ses grandes compétitions et Ciàn l'avait bien rendu en s'impliquant activement dans l'amélioration de la ville. Maintenant qu'il était de retour ici, à temps plein, il comptait bien continuer sur cette voie. Il s'installa à l'une des tables, se hissant sur l'un des hauts tabourets en bois et porta son attention sur l'ardoise des cocktails. Quelques minutes plus tard, une voix féminine s'adressa à lui, en lui demandant ce qu'il souhaitait. « Vous me conseillez quoi ? » l'interrogea-t-il, redressant enfin la tête pour poser ses yeux si noirs sur la demoiselle en face de lui. Et là, il se figea. Ses yeux s'écarquillèrent et son teint se fit livide. Pour cause, il eut l'impression de revenir 20 ans en arrière. La dernière fois qu'il avait vu ces yeux noisettes, ces traits si fins, ce grain de beauté sur la joue qui l'avait tant fait craquer, cela ne s'était pas terminé de la plus belle des manières. Cette femme, il la reconnaîtrait entre mille, même après vingt années qui rendaient son visage plus mature. « Lee ? » souffla-t-il, abasourdi. « Qu... qu'est-ce que tu fais là ? » Il avait perdu son petit sourire au bout des lèvres. Il avait perdu toute sa splendeur. Il était mal, bien mal, Ciàn.

Un soir comme les autres, rien de nouveau par ici. Il y a pas grand chose qui bouge, les clients sont pas spécialement plus agréables que d’habitude, mais ça ne m’empêche pas de garder un sourire d’imprimer sur mon visage et de penser pleins de bêtises dans ma tête à propos des personnes désagréables. J’aimerais peut-être essayer de faire autre chose de ma vie, autre chose que d’être une serveuse mais quoi ? Je n’ai pas d’études et encore, je ne sais pas faire grand chose d’autre que de servir les gens et de leur faire mon plus beau sourire pour les contenter. J’aime pas quand je me mets à ruminer de la sorte, je crois que c’est ma dispute avec Maddie qui me met dans cet état, ça et la visite de son copain, puis surtout, le fait que je n’ai toujours pas eu de nouvelles de ma fille. Elle me manque tellement, j’ai l’impression d’errer sans but précis sans elle. Je suis allé prendre une pause rapidement, j’avais besoin de souffler un peu. En revenant on me pointe une personne seule et je me dirige vers l’homme, je suis concentré sur mon petit calepin ou je prends mes commandes quand je l’aborde pour lui demander s’il était prêt à commander. Lorsque j’entends la voix de l’homme, mon cœur rate un battement, je relève la tête et l’observe, ses yeux… ce regard, je ne l’avais pas vu depuis plus de deux décennies. Je suis incapable de répondre à la question, complètement figé par ce fantôme du passé qui vient de ressurgir dans ma vie. Je l’aurais reconnu de loin si j’avais été attentive, j’aurais même demandé à Sahar de prendre cette table pour ne pas lui faire face. Une douche froide me coule dessus alors qu’il prononce mon nom. Son sourire s’est effacé complètement, qu’est-ce que je fais là ? Comme si ça avait une importance pour lui, comme si ça pouvait changer quelque chose dans sa vie de sportif professionnel. J’ai bien compris quand il m’a laissé, que je ne comptais pas assez pour lui, que Maddie et moi n’étions pas assez importantes pour faire partie de sa vie. “Ce serait plutôt à moi de te le demander, tu n’es pas encore à l’autre bout du monde ? À montrer à tout le monde ton talent ? Comme si ça changeait quelque chose pour toi ce que je peux faire ici.” Je n’ai pas pu m’empêcher de le dire, avec ce ton de reproche. Je tente de me contrôler, de contrôler le niveau de ma voix. Ce n’est pas le temps de faire un éclat en plein milieu de cette salle. Je n’arrive pourtant pas à détourner les yeux, je vois le regard de Maddie dans le sien. Pourquoi ici à Bowen ? J’ai passé tant d'années à fuir pour me retrouver face à lui. “Je vais demander à ce que quelqu’un prenne mon service…. Je ne peux pas… ” Je me retourne et cherche quelqu’un du regard, je ne peux pas rester encore devant lui.


@Ciàn Gallagher

En venant ici au Wojna's, il n'aurait jamais pensé que sa soirée allait être bouleversée de la sorte. Il avait ses habitudes, Ciàn. Ici, à Bowen, il avait le confort d'une petite ville pas très peuplée, avec ses têtes connues de près ou de plus loin. Il était à mille lieues de se dire qu'il pouvait faire une rencontre avec son passé, ici, au détour de ce bar. Et pourtant, il avait suffi d'une voix, d'une simple phrase, de quelques mots, d'un visage surpris pour revenir 20 ans en arrière. Leewana était là, face à lui, en chair et en os. C'était juste... invraisemblable. Il l'avait cherchée, des années auparavant, et n'avait jamais réussi à retrouver sa trace. C'était fou comme le destin était farceur. Il s'amusait aujourd'hui à la remettre sur son chemin. Que faisait-elle là ? Depuis quand était-elle là ? Etait-elle avec son... enfant ? Tant de questions qui virevoltaient dans l'esprit embrumé de Ciàn, si embrumé qu'il n'arrivait pas à y voir clair, à rassembler ses idées. Il sentit la voix plein de reproches de Leewana qui lui retournait la question, en lui balançant quelques petits piques bien placées. Bien méritées, aussi. « C'est chez moi ici. Même en voyageant à l'autre bout du monde, faut bien que j'ai un pied-à-terre quelque part ! Et c'est à Bowen. » lâcha-t-il, peut-être un peu trop abruptement, comme s'il voulait assurer sa place. En réalité, il était totalement décontenancé par la situation et il se butait, stupidement. Il était un pur enfant de Bowen, c'était normal qu'il se trouve là. Mais cela ne servait à rien de jouer à qui était légitime de vivre ici ou non. Elle était là. Il était là. Et ils allaient visiblement devoir vivre avec. Il secoua la tête et inspira un bon coup, ne voulant pas se braquer face à l'attitude de Lee. C'était normal qu'elle réagisse de la sorte. C'était normal qu'il se prenne un mur. Il ne fallait donc pas mettre de l'huile sur le feu. Sois mature, Ciàn, pour une fois. Les yeux rivés sur elle, il l'observa se retourner et chercher une éventuelle aide d'un ou d'une collègue. Elle ne pouvait pas rester, disait-elle. Sans doute Ciàn devrait-elle la laisser partir, ce serait la solution de facilité, un peu lâche aussi. Ils pourraient vivre dans le déni et faire comme s'ils ne s'étaient jamais vus. C'était possible, cela ? Pas vrai ? Mais étrangement, sans même réfléchir, il se leva de son tabouret. « Non, attends. » Instinctivement, il tendit la main, posant ses doigts sur son poignet pour la retenir délicatement. Un geste qu'il regretta bien vite, se disant qu'il empiétait un peu trop dans son espace vital,  s'empressant de ramener sa main vers lui. « Est-ce qu'on peut au moins parler ? S'il te plaît... » Il était bien loin le Ciàn qui avait fui. Aujourd'hui, c'était lui qui revenait vers elle, complètement pitoyable.

Cette ville est la première dans laquelle je me sens bien, ici j’ai l’espoir que je vais pouvoir m’installer et vivre une vie plus tranquille, arrêter de fuir les problèmes, laisser la chance à Maddie de se faire des amies, de vivre des aventures. Même s’il y en a certaines dont je me passerais bien, comme cette crise que nous traversons actuellement, je me force à rester debout, à faire la forte et la fière, mais j’ai du mal, pour la première fois depuis des lustres, j’ai envie de m’effondrer et de pleurer. Pourtant, je continue de venir au travail malgré les journées difficiles. Écrivant de temps à autre à Theo histoire de puiser un peu de courage dans ces mots. Sauf que jamais je n’aurais cru en venant travailler ce soir qu’on me ramènerait vingt ans en arrière. Qu’on me ferait sentir de nouveau comme cette adolescente désemparée qui venait d’apprendre qu’elle était enceinte. Je ne pensais jamais que je croiserais son visage ici à Bowen… L’avoir en face de moi me fait le même effet que quand il m’a dit qu’il ne voulait pas de cet enfant, le même effet que quand mes parents m’ont dit que je devrais faire adopter ses enfants. J’ai mal de Maddie en ce moment, j’aurais tellement besoin de pouvoir la serrer dans mes bras… Mais elle non plus ne me parle plus. Je me retrouve seule face à cet homme que j’ai aimé plus que de raison alors que j’étais encore trop jeune. Mon premier amour… Je n’arrive pas à retenir mes mots, ces accusations. Je suis une idiote, j’avais complètement oublié qu’il était natif de cette ville. Je ne fais que lui lancer un regard noir, que pourrais-je dire de plus, c’est moi qui n’avait pas penser à la possibilité de le croiser ici un jour. Je devais avoir oublié cette information avec les années. Moi qui essayais simplement de fuir Paradis. Maintenant que je l’avais face à moi, je ne savais plus comment me sentir. Je ne peux pas rester devant lui comme ça, je dois fuir, fuir c’est ce que je fais le mieux. Je lui dis aussi que je ne peux pas rester et je cherche de l’aide, mais personne pour venir à mon secours dans les environs. Sa main contre mon poignet me fait l’effet d’une brûlure, instinctivement je ramène mon bras vers moi, posant ma main là où il a déposé ses doigts. Je prends le temps de l’observer de haut en bas, analysant dans ma tête sa demande. J’ai envie de l’envoyer promener, de lui dire d’aller en enfer pour voir si j’y suis. “Pas ici… ” Pas dans cette salle, pas devant tous ces gens, ils n’ont pas besoin de connaître notre histoire. Je prend le bras d’une serveuse qui passe près de moi, lui disant tout bas que j’ai une affaire à régler. Je remplace toujours, elle ne peut rien dire, elle hoche la tête. “On va dehors pour parler.” Je lui fais signe de me suivre pour aller à l’extérieur, l’air frais fera du bien. Je me retourne pour lui faire face, croisant les bras sur ma poitrine. “Je t’écoute !” Mon coeur bat vite, il se ressemble encore autant, son regard est le même… Il a seulement vieilli, mais il ressemble encore à l’image que j’ai gardé de lui.

A plusieurs reprises, il s'était dit "et si je la retrouvais, que se passerait-il ?". Puis il avait essayé de trouver des réponses à ses questionnements en agissant, en essayant justement de la retrouver. Il était retourné à Paradis où Leewana s'était évaporée. Puis, à l'aube des réseaux sociaux, il avait essayé de voir si elle ne traînait pas dans un coin d'Internet, au détour d'un compte Facebook ou Instagram. Mais rien. Il était resté sans réponse à ses questions. Jusqu'à aujourd'hui, alors qu'il avait baissé la garde, alors qu'il ne s'attendait aucunement à la voir, là, dans ce bar de Bowen. Bien sûr, il eut droit à une ou deux remarques bien placées, mais c'était justifié. Elle avait de la rancoeur contre lui et il le comprenait. Mais cette ville, c'était aussi chez lui. Il avait dû le lui dire, alors qu'ils n'étaient que ces jeunes adolescents qui découvraient les prémisses de l'amour. Sans doute Leewana avait oublié cette information, mais peut-être que son subconscient lui avait fait choisir Bowen, naturellement, en oubliant que c'était le terrain de Ciàn. Un terrain qu'il avait longuement délaissé, parcourant le monde sans revenir en arrière. Il avait fallu que cette tuile lui tombe sur la tête pour qu'il revienne lui aussi. Et aujourd'hui, ils se retrouvaient. Cela lui faisait quelque chose, évidemment. Elle était son premier amour. Pour elle, à l'époque, il aurait parcouru le monde entier, juste pour lui faire plaisir. Il la mettait sur un piédestal, admirant tout ce qu'elle faisait. Mais la peur l'avait vite rattrapé alors qu'elle était arrivée avec son test de grossesse positif. C'était sa plus grosse cicatrice, à Ciàn, une plaie qui n'avait jamais été pleinement refermée et qui se rouvrait aujourd'hui brutalement. Elle allait partir, lui tournant brièvement le dos pour chercher une aide quelconque. C'était triste de se dire que ces deux amoureux ne pouvaient plus supporter être face à face. Ciàn aurait pu la laisser partir, oui, mais quelque chose agit en lui et le poussa à se lever pour la retenir. Son geste, sa peau sous ses doigts, ça le troubla, étrangement. Il la regarda, silencieux, laissant ces longues secondes s'égrainer alors qu'il lui avait demandé de parler avec elle. Elle le regarda de haut en bas et à cet instant, Ciàn avait perdu toute sa superbe. Il allait se prendre un revers, un refus qui serait pleinement recevable mais qui le toucherait droit dans le coeur. Et pourtant... aussi loin qu'il ne s'en souvenait, Leewana avait toujours été la plus mature des deux. Il se souvenait de cette fille qui arrivait à prendre sur elle, qui donnait la possibilité de se rattraper. Là, ce n'était pas totalement le cas. Elle acceptait la conversation, oui, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'elle lui donnait la possibilité de se rattraper. Mais au moins, il pouvait s'exprimer et elle était prête à l'écouter. Il hocha la tête quand elle lui demanda d'aller à l'extérieur. "Je te suis." Elle interpella une collègue en lui demandant de la remplacer quelques instants puis prit la direction de la sortie, l'australien sur ses talons. Une fois à l'extérieur, la brise fraîche frappa de plein fouet le brun. Il avait pris un sacré coup de chaud. ça l'avait remué, cette histoire, et sans doute que la suite n'allait pas arranger son cas. Alors qu'elle se planta face à lui, bras croisés sur la poitrine, dans une belle position de repli, et qu'elle lui affirma qu'elle l'écoutait, Ciàn sentit son sang ne faire qu'un tour. Pendant 20 ans, il avait eu le temps de nourrir ses regrets, d'imaginer tant de fois ce qu'il aurait pu lui dire. Mais maintenant qu'il était face au fait accompli, il avait du mal à replacer ses idées. Il se passa la main dans ses cheveux si noirs, les ébouriffant quelque peu, comme à chaque qu'il n'était pas à l'aise, puis reposa son regard vers la jeune femme. "C'est con parce que j'ai réfléchi plein de fois à ce moment-là. Et là... bah là... je ne sais pas quoi dire." Ou plutôt comment le dire. Et s'il laissait les mots sortir tout seul, sans réfléchir ? "Je suis désolé..." commença-t-il à dire. "...désolé d'avoir été un gros con avec toi. Je sais que ça ne changera en rien ce que j'ai fait et que ça ne me pardonnera pas, mais je te dois vraiment des excuses. J'ai été lâche, alors que j'aurai dû être là pour toi. Pour vous." C'était étrange de dire vous, donnant une existence à cet enfant qui est le secret de sa vie. 'Je l'ai regretté, tu sais. Je le regrette encore. Et je le regretterai jusqu'à la fin de ma vie."

Ce sont vingt années qui défilent dans mon esprit quand je croise son regard. Vingt années où j’ai dû apprendre à me battre seule pour elle et pour moi. Vingt années où j’ai dû me rendre plus bas que terre et apprendre à me relever, à regarder en avant. J’ai dû m'humilier à de nombreuses reprises pour que ma fille puisse vivre une vie normale, qu’elle puisse faire des activités comme tous les enfants de son âge. J’ai dû inventer des histoires pour expliquer la raison d’un départ, le changement de ville pour ne plus me faire harceler par des clients qui étaient devenus un peu trop intenses. Pourtant en revoyant ses yeux je suis redevenue l’adolescente amoureuse. Il est toujours aussi beau et attirant que dans mes souvenirs, plus encore même puisqu’il a pris la maturité de l’âge. Il est un homme maintenant, plus cet adolescent que j’avais rencontré. Je ne peux pas me laisser amadouer par ses beaux yeux, il l’a envoyé en enfer et je ne peux pas le laisser s’en sortir en un claquement de doigt, comme si un retour soudain dans ma vie effaçait tout… Non, j’ai eu beaucoup trop mal, je suis maintenant une femme, je dois garder la tête haute, surtout. La fuite serait beaucoup trop facile, mais elle lui prouverait qu’il a gagné, que je suis toujours cette adolescente. Je ne peux pas non plus quitter Maddie, j’ai trop besoin d’elle. Je n’ai pas envie de rester là à le servir, ni lui parler. Je tente de fuir, mais sa main m’en empêche. Son contact me brûle, il dit vouloir me parler et je finis par accepter à condition qu’on sorte de l’établissement. Je ne voudrais pas faire de scène sur mon lieu de travail. Trop peu connaissent ma véritable histoire et je n’ai pas envie de l’étaler publiquement. Il accepte de me suivre et nous sortons dehors. Je croise les bras sur ma poitrine pour garder une certaine contenance et lui montre le visage d’une femme sûre d’elle, quand en réalité je manque de confiance en moi. Je hausse un sourcil, vouloir me parler et ne pas savoir quoi me dire ? Comme si en vingt ans il n’avait pas eu le temps d’y penser. Mes bras tombent de chaque côté de moi. « Tu as raison, un simple désolé ne changera rien, Ciàn j’avais besoin de toi, NOUS avions besoin de toi. » L’émotion monte et je me tourne pour faire quelques pas, histoire de reprendre contenance, c’est pas le temps que les larmes montent. Puis je me retourne et me rapproche de lui. « Non seulement tu n’étais pas là, mais je n’avais personne. Mes parents voulaient que je me débarrasse d’elle et que je la donne en adoption. Tu penses vraiment que c’était quelque chose que je pouvais accepter ? Jamais je n’aurais pu vivre sans elle, jamais. J’ai changé de nom avant de disparaître, je ne voulais pas qu’elle n'ait de lien avec les Murray. Ils ne l’ont jamais vu non plus, tu pourrais aller voir mes parents voir si eux aussi regrettent d’avoir abandonné leur enfant. » Je tremble, j’ai tellement de choses à lui dire, de reproches. Je le regarde dans les yeux. « Tu étais jeune, je sais, mais je l’étais aussi, je n’étais pas plus prête que toi, mais il fallait que quelqu’un assume. »

Il en avait vu du monde, Ciàn. Il avait côtoyé des célébrités, des personnalités politiques ou des membres de la jet-set. Il avait vu des gens fascinants, mais aujourd'hui, il avait en face de lui la seule personne qui le rendait vulnérable, presque pitoyable. Leewana. Il avait espéré la retrouver, puis face aux échecs, l'espoir s'était amoindri et il avait avancé. Il n'avait pas eu d'autres choix d'avancer, de vivre sa vie. Bizarrement, c'était au moment où tout s'écroulait dans sa vie que son passé refaisait surface. Il avait cherché Lee autour d'Adelaide et c'était autour de Bowen qu'il la retrouvait désormais. Alors qu'ils allèrent à l'extérieur pour parler, Ciàn n'en menait pas large au début. Et comme à chaque fois qu'il était mal-à-l'aise, il disait des bêtises. Bien sûr qu'il savait quoi lui dire, il avait eu des années pour cela, mais maintenant qu'il était face à elle, c'était comme si les mots avaient du mal à sortir. Comme s'ils ne pourraient jamais rattraper ce qu'il s'était passé. Leewana démarra au quart de tour et lui lâcha qu'elle avait eu besoin de lui. Qu'ils avaient eu besoin de lui. « Je le sais. » Bien sûr qu'il le savait. Il avait fui au pire moment possible. Il l'avait lâchement abandonné alors qu'elle attendait simplement son soutien et sa présence. Il la regarda alors qu'elle avait le dos tourné, et cette vision lui fit mal au cœur. Il sentait toute l'émotion émaner d'elle. Vingt ans n'avaient pas été suffisants pour apaiser tout cela. Et pour lui, c'était pareil. Il avait mal, Ciàn, terriblement mal. Leewana, il l'avait aimé passionnément, intensément, fougueusement. Elle lui avait fait découvrir l'amour, l'attention, la tendresse. Elle l'avait amené dans une bulle de douceur, réconfortante. Elle avait été là pour lui quand cela n'allait pas. Il n'avait pas réussi à lui rendre la pareille. Il savait qu'il lui avait fait du mal alors qu'il avait toujours clamé haut et fort qu'il ne voulait voir que des sourires sur ses lèvres et voir son regard pétillant dans lequel il avait tant aimé se plonger. Il avait failli à sa tâche, Ciàn. Il aurait dû être son meilleur soutien. Son seul soutien, même. Il connaissait l'environnement familial dans lequel Leewana avait grandi. Il savait que sa grossesse n'allait pas être acceptée par ses parents. Il aurait dû être sa famille. Il l'écouta parler des réactions de ses parents, son cœur se serrant encore plus. Alors qu'elle lui confia que ses parents n'avaient jamais vu son enfant, Ciàn fit un petit mouvement de tête : « Ils me l'ont dit. » Oui, Ciàn était retourné voir les parents de Leewana. Il les avait vu se braquer, se renfrogner quand il était venu demander où était Leewana, 18 ans auparavant. Il avait compris que le lien avait été brisé. « … mais je ne pensais pas qu'ils t'avaient demandé ça. Je n'aurais jamais cru que tu allais vivre tout ça.  » Oui, il savait que Leewana avait grandi avec des parents très croyants, mais à aucun, il n'aurait pensé que leurs préceptes iraient à l'encontre de leur enfant. Il comprit désormais pourquoi il n'avait jamais retrouvé Leewana. Elle avait changé de nom, changé de vie. C'était elle et sa fille contre le monde entier. En entendant ses derniers mots, Ciàn reposa son regard sur elle. « Tu as toujours été la plus mature de nous deux. Et heureusement que tu l'étais. » commença-t-il à dire. Oui, heureusement que Leewana l'était. Pour sa fille. Puis il reprit : « Je ne sais pas ce qui m'ait passé dans la tête le soir où je suis parti. Je crois que la peur a parlé pour moi et c'était complètement insensé, parce que ouais, on était jeunes, mais je savais aussi à quel point je t'aimais. Ça aurait dû être suffisant pour me donner confiance, pour me dire qu'à deux, on aurait pu tout affronter. » Ciàn avait toujours été du genre fonceur, à aller jusqu'au bout. Là, il avait échoué. « Mais tout ça, c'est l'homme de 37 ans qui te dit ça. » Il avait eu le temps de mûrir tout cela, de se rendre qu'il avait été un vrai con. Il reprit, hésitant : « Tu... tu as dit elle. ça veut donc dire que c'est une fille ? »

Toutes ces villes, tout ce chemin parcouru en vingt ans. Tout pour oublier mon passé, pour oublier que je me suis retrouvée seule à l’âge de quinze ans avec un bébé dans le ventre à devoir me débrouiller, à devoir apprendre à vivre et prendre soin d’une autre personne. J’ai mis tellement de temps pour essayer de réparer la blessure que j’avais reçu, à avoir peur des hommes et de m’attacher. À croire que l’amour ce n’était qu’une illusion parce qu’un jour on aimait, on pensait être aimé et compter réellement aux yeux d’une autre personne et puis on se réveille un autre jour seule… Ma peur de la solitude et de l’amour concorde avec le départ de Ciàn, depuis j’ai peur d’être toute seule parce que j’ai passé trop de nuit recroquevillé seule à espérer que le temps avance plus vite, à pleurer parce que j’avais perdu l’amour en même temps de perdre ma famille. Je croyais être guérie, je me laissais même la chance de croire à l’amour de nouveau après avoir fait la connaissance de Theodore. Puis là, en voyant le brun qui avait su faire vibrer mon coeur d’adolescente, j’ai l’impression que mon palpitant éclate de nouveau. Qu’il se brise en le revoyant parce qu’il est toujours aussi beau, aussi… lui… tout simplement. Je ne peux m’empêcher de le blâmer, de lui dire à quel point nous avions besoin de lui à cette époque, comment j’aurais aimé ne pas traverser toute cette épreuve seule. Je m’en suis sortie et je peux aujourd’hui marcher la tête haute, mais la seule raison pour laquelle je suis debout devant lui en ce moment, c’est parce que Maddie a été ma raison de me battre, ma raison d’être et de vivre. J’ai si souvent penser à tout lâcher, tout abandonner. J’essaye de ne pas craquer devant lui, de ne pas laisser les larmes qui embrument mes yeux gagner. Je n’ai pas envie qu’il voit ma faiblesse, mais c’est dur et je dois faire un travail monstre pour réussir à lui faire face à nouveau. Je lui balance aussi la pire des horreurs possible dans le simple but de le faire réagir, mais cette fois, c’est sa révélation qui me scie les deux jambes. Il a vu mes parents, il est allé les voir ? Je fige sur place et mon visage se décompose petit à petit. “Ils te l’ont dit… ” Ma voix est toute petite, j’ai la gorge nouée… Non, il ne pouvait pas savoir que mes parents agiraient ainsi, même moi je n’y ai pas cru au départ. Pas cru que même ma famille me laisserait tomber. Je ne pouvais pas laisser cet enfant que je portais dans une autre famille, c’était inimaginable qu’une partie de moi grandisse dans un autre foyer, peut-être que ça aurait été mieux pour elle, mais ça aurait été le pire échec de ma vie. “C’est quand même ce qui est arrivé Ciàn, la fuite reste quand même ce que je connais le mieux maintenant, disparaître sans laisser de traces et ça à cause d’eux parce qu’ils auraient bien été capable de partir à ma recherche… ” Je ferme les yeux en secouant faiblement la tête, je baisse le regard, je n’arrive pas à le regarder sans que mon coeur tente une sortie hors de mon corps. Ça fait tellement mal, parce que je sais qu’au fond je n’ai jamais vraiment cessé de l’aimer, confronté pendant vingt ans à son regard au travers de notre fille. Une main contre mon coeur, je tente de contrôler son battement, relevant doucement les yeux vers lui. Ses paroles me vont droit au coeur… Les larmes finissent par couler sur mes joues sans que je ne puisse les contrôler, pourquoi me dire tout ça maintenant, pourquoi ? “Arrête s’il te plaît, tu peux pas me dire tout ça maintenant, t’as pas le droit de me faire ça. Tout aurait été différent, plus facile… ” Je me sens comme une idiote à pleurer devant lui maintenant, je suis partagé entre l’envie d’être serrée dans ses bras et qu’il me dise que tout vas bien allé, comme j’aurais aimé qu’il le fasse il y a vingt ans et l’envie de lui dire de partir et de ne pas venir foutre le bordel dans nos vies. Je me mord la lèvre et je pense à Maddie, je ne sais pas si elle a toujours envie de le connaître… C’est son droit, je ne pourrais rien faire contre cette rencontre. Maddie… elle me manque, je ne sais même pas comment elle va. Je tente de sécher mes larmes et relève la tête vers lui pour plonger dans ce regard si pareil à celui de notre fille. Je hoche la tête pour confirmer. “Elle s’appelle Maddie… Elle a ton regard…” Je renifle encore, tentant de reprendre le dessus. Je ne pensais pas que cette soirée serait aussi forte en émotion.

Pendant des années, il s'était voilé la face. Il avait cru que sa carrière, que sa célébrité lui convenaient. Qu'il était heureux. Mais à l'aube de ses 40 ans, il se rendait compte qu'il avait tout raté, Ciàn. Bien sûr, il était connu. Bien sûr, il avait de la famille, des amis, un entourage présent. Mais en dépit de tout cela, il se sentait extrêmement seul. Sur le plan sentimental, il avait tout raté. Il avait abandonné Leewana alors qu'il était fou amoureux d'elle. Et depuis ce jour, il avait constitué une belle carapace autour de son cœur bien trop fragile. Il avait rencontré des femmes, oui, il y en avait même une qui avait commencé à briser cette carapace, mais de nouveau il s'était enfui. Etre face à Leewana, aujourd'hui, réveillait tout ce qu'il avait enfoui depuis tant d'années : ses regrets, sa tristesse, ses sentiments encore profonds. Elle avait eu tout de lui : son attention, son premier baiser, ses premiers émois sentimentaux, son amour. Il avait eu des projets d'avenir avec elle, c'était certain. Il s'était vu allé loin, très loin. Mais à la première difficulté, il avait pris peur. Ciàn l'avait très vite regretté. Il avait essayé de retrouver sa trace, de la retrouver, elle et leur enfant, dans l'espoir de reconstruire quelque chose qu'il avait brisé. Mais elle avait été introuvable et il avait été obligé de continuer sa vie, traînant derrière lui sa peine. Inconsciemment, il avoua qu'il avait essayé de la retrouver, en lui disant qu'il avait vu ses parents. Il hocha doucement la tête, répétant : « Oui, ils me l'ont dit quand je suis allé les voir. Enfin... ils m'ont dit que tu n'étais plus là. Ils ne m'ont pas dit tout le reste... » Le fait qu'ils aient rejeté Leewana, qu'ils lui avaient demandé de faire adopter l'enfant, ah ça non, ils ne lui avaient pas dit ! Ciàn n'était peut-être pas blanc dans l'histoire, mais s'il avait su cela, il n'aurait pas hésité à lâcher ce qu'il avait sur le cœur à ses parents (si on pouvait encore dire d'eux que c'était des parents...). Savoir que Leewana avait vécu tout cela le brisait. Savoir qu'elle avait été vraiment seule, le brisait encore plus. Il tiqua face à ses mots : « Tu penses qu'ils auraient fait quoi s'ils t'avaient retrouvés ? » L'enfant était né. Leur éducation était-elle si stricte au point de rejeter encore un enfant qui était bien né, et qui était de leur sang ? Exprimeraient-ils une once de regret ou non ? Ciàn, lui, les regrettait, ses actes. Sans doute n'était-il pas en droit de le dire, mais l'émotion du moment fit qu'il lâcha ce qu'il avait sur le cœur. Ça avait toujours été comme ça, avec Leewana. Il n'y avait jamais eu de filtres entre eux. Quand ils étaient ensemble, ils avaient pu parler de tout et se soutenir dans toutes les situations possibles. C'était eux contre le reste du monde. Ciàn ne savait pas pourquoi tout avait dérapé, pourquoi il avait laissé la peur prendre le dessus au point d'oublier ce lien entre eux, cette force et cet amour qui les liaient. Il lui confia cela, si naturellement, mais en voyant la réaction de Leewana, en entendant ses mots, en la voyant pleurer, il comprit qu'il n'aurait pas dû le faire. Il lui faisait mal. Encore une fois. En voyant ses larmes couler sur ses joues, Ciàn fit un pas vers elle, tendant les mains comme s'il voulait la prendre dans ses bras. C'est ce qu'il aurait fait, il y a vingt ans, maintenant. Il l'aurait gardé contre lui, aurait apporté sa chaleur et son soutien. Mais il n'avait plus le droit de le faire, il n'était plus rien, alors il s'arrêta dans son élan, le regard attristé. « Désolé... c'est sorti tout seul. Je crois que j'avais besoin que tu le saches, mais maintenant que c'est dit, je me rends compte à quel point c'est égoïste de ma part, à quel point ça fait du mal. Et je ne veux plus te refaire du mal, j'en ai déjà trop fait... » L'avoir dit ne changerait en rien son histoire, son absence. Cela ne changerait pas l'abandon, les années qu'elle avait passé seule à élever leur enfant. Leur fille. Ils avaient une fille. Leewana le confirma d'un hochement de tête, mais il ne s'attendit pas à ce qu'elle enchaîne. Elle était en droit de garder les détails pour elle. Pour sa fille, il n'était qu'un vaste inconnu. Ce n'était pas parce qu'ils avaient le même sang qu'il avait le droit de débouler et tout chambouler. Et pourtant, Leewana lui offrit ce cadeau en lui donnant son prénom. Maddie. Elle avait son regard. En entendant ce prénom, qui n'était pas non plus des plus communs, en entendant ce petit détail concernant son regard, Ciàn sentit comme une chape de plomb s'abattre sur lui. Il connaissait une Maddie. Une Maddie au regard aussi noir que lui. Une Maddie au contexte familial pas si rose. « Elle... elle est ici, aussi ? » demanda-t-il, déboussolé, afin de dévier tout le doute possible. « Une... une petite brune? »

Il y a vingt ans, je me suis fais la promesse de ne plus jamais me montrer faible face à quelqu’un, de ne plus mettre mon bonheur entre les mains de quelqu’un d’autre. De ne plus tomber amoureuse, j’ai donc depuis toutes ces années, mis une carapace autour de mon cœur, m’interdisant de laisser quelqu’un me voir telle que je suis vraiment. Me montrant froide et inaccessible. Ces barrières avaient commencé à se défaire une à une lors d’une soirée de st-valentin, j’avais commencé à laisser mon coeur vibrer au même rythme qu’un autre coeur, si bien que maintenant face à Ciàn, je me sentais faible, j’aurais préféré avoir encore toutes ces barrières, je ne me serais probablement pas senti aussi mal, je n’aurais pas ressenti cette douleur qui venait de faire comme un choc électrique dans tout mon corps. Le retrouver là maintenant alors que je n’avais plus de mécanisme de défense en place me faisait sentir si faible, tout comme quand il mentionne qu’il est allé voir mes parents, il avait voulu me retrouver… Nous retrouver, je ne sais pas comment prendre cette information, si je regrette ou non qu’il n’ait pas pu le faire. Que serions-nous devenu s’il avait partagé nos vies ? Je n’aurais pas eu à laisser ces hommes me salir ? Je n’aurais pas eu à me cacher pour pouvoir gagner plus d’argent et je n’aurais probablement jamais eu à fuir comme j’ai passé ma vie à le faire. C’est tellement d’informations qui arrivent en même temps et je n’ai pas le temps d’analyser le tout, je n’ai pas le temps de reprendre mon souffle qu’il me le coupe à nouveau, sa présence change tellement tout… “Ils tiennent bien trop à leur image, ils ne pouvaient pas avouer que c’est leur faute cette disparition… ” Je n’ai pas envie de repenser à ceux qui se sont un jour cru mes parents, ils ne sont que mes géniteurs, j’ai compris que la vie était cruelle à cause d’eux, j’ai appris à me débrouiller sans eux, mais pas sans elle… “Je n’ai jamais voulu prendre le temps de l’imaginer… Je ne sais même pas s’ils m’ont chercher. Je ne voulais pas leur donner la chance de me détruire encore une fois…” J’ai pu garder la tête hors de l’eau parce que j’avais un but, je ne me suis jamais permise de tomber et de rester au fond du baril, Maddie avait besoin de moi et je devais tout faire pour son bien être à elle. Je n’avais jamais autorisé la peine à prendre toute la place, me contentant de pleurer le soir quand plus personne ne pouvait m’entendre. Il s’ouvre à moi et ses paroles me font du bien, tout autant qu’elles me font du mal. Savoir que ses sentiments étaient sincères, qu’il m’a vraiment aimé malgré tout, qu’il ne s’était pas joué de moi… Je sais qu’il est sincère, nous l’avons toujours été l’un avec l’autre, les filtres n’avaient jamais existé, mais ça fait si mal… J’ai vu son mouvement, j’ai vu qu’il avait tenté de me tendre la main, m’aurait-il pris dans ses bras comme il l’avait fait si souvent par la passé. Aurais-je accepté ? Me blottir dans ses bras, cherchant sa chaleur et mon visage allant s’enfouir dans son cou pour y puiser du courage ? Je secoue la tête en reniflant une nouvelle fois et essuyant les larmes qui se sont échappées de mes yeux. “C’est pas ça… c’est juste que j’aurais aimé l’entendre il y a vingt ans, tu m’as prise par surprise. Je ne m’attendais pas à tout ça, c’est beaucoup d’un seul coup. Je suis contente de le savoir, mais en même temps mon coeur se tord de l’entendre. On n’a jamais su se mentir… ” On a jamais su se cacher quoi que ce soit, c’est un peu pour ça aussi que je lui donne le nom de notre enfant. Bien que ça me fasse mal de le revoir, je sais que Maddie pourra enfin avoir réponse à des questions auxquelles je n’ai jamais su répondre. Qu’elle pourra trouver réponse à savoir qui est son père. Sera-t-elle contente ? Déçue ? Est-ce qu’elle va lui en vouloir ? Je ne peux même pas lui dire puisqu’elle ne me donne toujours aucun signe de vie, sauf ce dernier message pour me dire qu’elle allait bien… “Oui.” Elle est ici, je murmure, mais mes prunelles cherchent les siennes quand il ajoute un questionnement. Il sait quelque chose ? Il l’a vu ? Que sait-il d’elle ? La surprise à nouveau, coup dans le ventre, son ton me laissait croire qu’elle ne lui était pas inconnue. Je prends mon téléphone et ouvre l’album photo pour lui montrer une image de celle que nous avions créée ensemble. “Tu l’as vu ?” J’ai mis mon téléphone dans sa main, mon autre main sur son avant-bras. Je veux qu’il m’assure qu’il la vue, qu’elle va bien. “S’il te plaît, j’ai besoin de savoir…” Ma tête rencontre son torse, cherchant une forme de réconfort.

Tout au long de sa vie, Ciàn avait gardé un masque. Oui, bien sûr, il était agréable, avenant, sympathique, mais ses douleurs, ses regrets, ses souffrances, il parvenait à les garder pour lui, au point de ne rien laisser transparaître. Pendant vingt ans, il avait caché l'existence d'un enfant, quelque part dans ce vaste monde. Il avait caché le fait qu'il regrettait ses gestes, qu'il donnerait tout pour changer le destin. Il avait tenté de le faire, d'ailleurs, et ce soir, il le confia à demi-mots. Il avait essayé de retrouver Leewana. Il ne l'avoua pas clairement, mais inconsciemment, il le fit comprendre quand il évoqua cette rencontre avec les parents de Lee. Ce n'était pas une visite de courtoisie, non, il avait voulu retrouver celle qu'il avait tant aimé et cet enfant qui était né de leur amour. Il était loin de s'imaginer tout ce que ces parents avaient fait vivre à leur fille, la rejetant sans vergogne, sans la moindre empathie envers celle qui partageait leur sang. « Je savais que tes parents étaient... spéciaux. » Ciàn les avait côtoyé de près quand il fréquentait Leewana. « … mais je n'aurai jamais cru qu'ils seraient allés jusque là. » Il en était dégoûté et cela remuait encore plus le couteau dans la plaie, parce que lui aussi avait abandonné Lee et son enfant. Pas pour la même raison, oui, mais la finalité était la même : elle avait tout vécu toute seule. Il hocha la tête quand elle répondit à sa question, sur une éventuelle retrouvaille avec ses parents. « Je comprends. Il valait mieux te protéger. Enfin... vous protéger. » Il fallait qu'il se rentre dans la tête qu'elle n'était pas seule, qu'elle avait tout fait pour son enfant. Ciàn se doutait qu'elle avait choisi la meilleure solution, celui d'une maman prête à tout pour son enfant, même si pour cela, elle devait être seule. Bien sûr, il aurait aimé être de retour dans ce schéma, avec un peu de retard, oui, mais il aurait aimé être l'épaule pour la soutenir, les bras dans lesquels elle pouvait se réfugier, son coéquipier dans l'éducation de leur enfant. Mais il avait été un petit lâche de 17 ans, effrayé à l'idée d'être père alors qu'il n'arrivait déjà pas à se gérer. Il l'avoua, d'ailleurs, à haute voix, sans mauvaises arrières-pensées. Il ne voulait pas lui faire de mal. Il lui devait juste la vérité. Néanmoins, il ne s'attendait pas à cette réaction, à ces larmes qui coulaient le long de ses joues. Il fit d'ailleurs un pas vers elle, prêt à la prendre dans ses bras, à lui répéter qu'il était désolé, mais il interrompit son geste, sachant qu'il n'était plus en droit de se donner à une telle affection. Il écouta ses mots, laissant un petit sourire attendri apparaître sur ses lèvres quand il entendit la fin de sa phrase. « C'est vrai qu'on n'a jamais su se cacher quoique ce soit. » 20 ans auparavant, il aurait aimé pouvoir lui mentir, lui dire qu'il était capable de gérer sa future paternité. Sans doute cela l'aurait poussé à dépasser sa peur et à être – finalement – heureux avec elle. Mais c'était aussi la force de leur relation : ils n'avaient jamais su se mentir, ils avaient toujours été sincères l'un envers l'autre. Il conclut néanmoins du bout des lèvres : « J'aurais tellement aimé te le dire, il y a vingt ans. » Elle n'aurait pas eu son cœur qui se tord, ce cœur qu'il avait tant aimé préservé, protégé. Et il ne serait pas là, à prendre tous les détails qu'elle pourrait lui donner. D'ailleurs, en parlant de détails, elle lui en donna un beau, un très beau. Le nom de leur fille. Un nom qui était si familier à l'oreille de Ciàn. Non... ça ne pouvait pas être possible ! Il connaissait une Maddie. Quand Lee lui affirma que leur fille était bien ici, Ciàn fut peu à peu amené vers l'inévitable. La jeune femme comprit bien vite qu'il y avait quelque chose d'autre. Elle avait toujours lu en Ciàn comme dans un livre ouvert. Très vite, elle s'approcha de lui et lui montra une photo. Une photo de leur fille. Une photo de Maddie. Ciàn blêmit. C'était bien elle, la petite Maddie qui bossait pour lui. « Je... ce...ce n'est pas possible... » Tout devenait plus clair dans sa tête. Les confidences de la brunette revenaient aux oreilles de Ciàn. Le monde était si petit. La mère avec qui elle était en conflit, c'était Leewana. Elle était sa fille. Leur fille. «Elle... elle travaille pour moi, au domaine viticole. » parvint-il à dire à son ex, reposant des yeux éberlués sur elle, qui avait posé sa tête contre son torse. « Je ne pouvais pas savoir que c'était ta fille. Ma fille. » C'était normal qu'il ne sache pas, il n'était pas au courant de sa présence. Mais cette vérité, désormais, changeait toute la donne. « Qu'est-ce qu'on fait, Leelee... ? » Ce petit surnom, il ne l'avait pas prononcé depuis près de vingt. « Est-ce qu'on lui dit quelque chose ou non ? Je ne peux pas débarquer dans sa vie comme ça et prendre le risque de tout chambouler. Je ne peux pas lui faire ça. » Il était attaché à cette petite, et cela se sentait dans ses mots, dans son ton. En parallèle, il ne savait pas s'il pouvait cacher une telle vérité.

On ne peut refaire le passé, ni revenir en arrière, il ne sert pas à grand chose d’avoir des regrets, de se demander ce que l’on aurait pu faire de mieux. J’ai appris que de regarder en arrière c’est la meilleure manière de se torturer. Je ne me suis jamais autorisée à repenser à mes parents et à leur éducation religieuse beaucoup trop strictes, les robes du dimanche et la messe, de faire la prière avant chaque repas. Comment ils ont pu détester ce garçon qui venait pervertir leur aînée, comment ils ont pu déblatérer contre lui quand on a découvert que j’étais enceinte, il n’était qu’un bon à rien à leurs yeux. Je ne me suis jamais autorisé à repenser à eux sauf des pensées fugitives en de brèves occasions… Je n’arrive pas à croire qu’il soit allé les voir, qu’il ai osé affronté leur courroux, il est donc vraiment sincère quand il dit qu’il a essayé de nous retrouver ? “Je n’ai même pas envie de penser à eux, ils ont fait leur choix, j’ai fait le mien. Le mieux était que je quitte sans me retourner.” J’ai fais la même chose avec lui, essayant de ne pas penser à ses grands yeux sombres, à ses gestes si tendres… Aux sentiments qu’il me faisait ressentir et comment je me sentais en sécurité dans ses bras… J’me suis vidée de toutes les larmes de mon corps plus d’une fois en pensant à lui et pourtant, quand je le regarde là maintenant, les larmes me montent de nouveau aux yeux, comme s’il y avait encore des larmes qui n’avaient pas pris la peine de s’échapper. Ses mots sont une véritable torture, mais ils sont comme une consolation à la fois, je ne l’ai pas aimé en vain et j’ai été aimé par lui, j’en étais venu à douter de notre histoire, de ces sentiments… Comment est-ce possible qu’après tout ce temps, nous n'arrivons toujours pas à nous cacher quoi que ce soit, que les mots coulent si facilement. “Avec elle… Vous êtes les seules personnes à qui je ne pourrais jamais mentir. Ça ne sert plus à rien de te torturer Ciàn, nous ne pouvons pas revenir dans le temps, le mal à été fait, il faut simplement l’accepter.” Je sais que ça peut paraître froid et sans coeur, mais à quoi bon retourner le couteau dans la plaie et essayer de refaire le monde alors qu’il y a déjà deux décennies qui nous séparent de ce moment ? Je lui parle finalement de notre fille, lui offrant son nom et un détail de son anatomie qui m’a toujours fasciné, ses yeux si sombres, si noir qui faisait passé mes yeux marrons comme étant clair. Je comprends rapidement que ce nom lui sonne une cloche, surtout quand il me la décrit brièvement. Je finis par lui montrer une photo d’elle, prête à entendre la moindre information la concernant, je n’en peux plus de ne pas avoir de ses nouvelles, n’en peut plus de craindre le pire chaque fois que mon portable sonne. Ni d’espérer ne serait-ce qu’un message de sa part. J’appuie ma tête contre son torse, il la connaît, je n’ai plus aucun doute maintenant. Je redresse la tête pour regarder son visage, levant mes yeux vers lui. “Elle travaille ? Pour toi… ” Je suis avide de détails, comment est-elle rendue maintenant…. Je me mord la lèvre… sait-il qu’elle ne me parle plus ? Les traîtresses remontent à mes yeux quand il prononce ma fille… “C’est la plus belle personne que je connaisse…. elle est si merveilleuse… ” Et elle me manque terriblement. Je frissonne en entendant ce surnom, le seul qui ait jamais utilisé ce surnom. “Je ne pourrais jamais lui mentir, si tu es ici, elle m’a si souvent demander comment tu étais et qui tu étais. Je ne peux pas lui cacher une telle information ! Elle a le droit de savoir, de connaître cette partie d’elle dont elle a été privée toute sa vie. Je crois que ce serait mieux si ça venait de moi… ” Je recule de quelques pas pour pouvoir voir l’expression de son visage. Je ne sais pas comment je dois lui demander… sait-il pour notre histoire ? Il la connaît à quel point ? “Elle va bien ?” Je baisse les yeux, gêné de devoir lui demander des nouvelles de notre enfant de la sorte, je me sens tellement comment une mauvaise mère en ce moment, je l’ai échappé….

Le mieux était que je quitte sans me retourner. A ces mots, Ciàn hocha la tête. Il connaissait la rigueur des parents de Lee. Ils avaient très bien montré leur mécontentement quand la jeune fille leur avait présenté son petit ami. Ciàn avait bien ressenti le rejet, bien qu'il était le jeune garçon presque parfait, bien dans ses baskets, poli, sage, sportif et intelligent. Mais il n'avait pas fait l'unanimité parce qu'il leur prenait leur fille et la menait vers des chemins qu'ils ne voulaient pas pour elle. Alors oui, elle avait bien fait de les quitter sans se retourner. Ciàn se souvenait encore de ce venin que ses parents avaient lâché quand il avait essayé de la retrouver. C'était de sa faute s'ils en étaient tous là, lui avait-on dit. C'était lui qui avait perverti leur douce Leewana, alors qu'elle n'était juste qu'une jeune femme qui découvrait les premiers émois de l'amour. Dommage pour cette famille, Ciàn n'avait pas eu une éducation dictée par les préceptes religieux, dont celui de se préserver pour le mariage. En revanche, en ce qui concernait la sincérité et l'honnêteté, pour cela, Ciàn n'y dérogeait pas. C'était ses valeurs, encore plus face à Lee à qui il n'arrivait à rien cacher, même vingt ans plus tard. Alors, il lui dit tout ce qu'il avait sur le cœur, ne s'attendant pas à ces larmes qui le bouleversèrent énormément. Il aurait aimé pouvoir la consoler, la rassurer, mais ce rôle-là ne lui était plus attribué, malheureusement. Il posa son regard sur elle en entendant ces mots qui causèrent un pincement au cœur. Le mal a été fait, il faut simplement l'accepter. « Je vis avec, mais je ne l'accepte pas. Je ne l'accepterai jamais. » Il avait beaucoup perdu, Ciàn : son amour, un enfant, une vie de famille dont il rêvait. Plus le temps passait, plus il se disait qu'il avait laissé passer la chance de sa vie. Il aurait pu allier sa vie de famille et sa carrière, il le savait. Il aurait pu être un père présent, un compagnon qui soutenait pleinement sa femme. Oui, il aurait pu être tout cela, mais il avait laissé la peur parler pour lui. Et maintenant, c'était des regrets qui l'animaient et qui l'animeraient à tout jamais. Ce temps perdu, il ne le rattrapera pas, il le savait. Et pourtant, le destin semblait le rattraper. Voir Leewana ce soir en était un premier signe. Il ne savait pas encore que le deuxième allait débouler comme dans un jeu de bowling. Leewana lui parla de sa fille, de ses yeux noirs hérités de lui, de ce joli prénom qui sonnait familièrement aux oreilles de Ciàn. Très familièrement. Face à la surprise du brun, Lee leur montra une photo de Maddie. Maddie, sa fille, qui était aussi Maddie, son employée. Il n'en revenait pas. C'était improbable, invraisemblable. Et cela faisait encore plus mal. Parce qu'il la connaissait déjà, parce qu'il l'appréciait déjà. « Oui... je l'ai embauchée, il y a quelques semaines. » répondit-il complètement ailleurs. Il réfléchissait à mille à l'heure, se demandant ce qu'il devait faire, ce qu'il devait dire. Pour Maddie. Etrangement, c'était elle qui comptait le plus dans cette histoire. Il n'avait pas envie de la chambouler. De la chambouler davantage. Il reposa son regard sur son ex et sentit la panique redescendre un peu quand elle évoqua à quel point Maddie était merveilleuse. « Oui, elle est géniale ! Tu peux être fière d'elle... » Même s'il y avait eu quelques petits écarts de conduite, Ciàn sentait que Maddie était une fille bien, intelligente, amusante. Leewana avait bien fait les choses : Maddie était une fille qui irait loin. Mais maintenant, que fallait-il faire ? Ciàn resta silencieux quand Lee lui confia qu'elle ne pouvait rien cacher à Maddie. « C'est toi qui sais le mieux ce qu'il faut faire pour elle. Alors je te suivrai dans tous les cas. » Il avait failli dire qu'il pouvait partir ailleurs, si elle lui demandait. Il avait son foyer à Bowen, mais au fond, son foyer, il pouvait aussi le trouver ailleurs. Mais il n'avait plus envie de fuir. Il en avait marre de fuir. Il approuva d'un signe de la tête quand elle décida que c'était à elle de lui dire. « Oui, évidemment. » Il se tut un instant avant de reprendre, songeur : « J'ai juste peur que ça lui fasse du mal, que ça la chamboule. Si elle ne veut pas me voir, je le comprendrai. Et inversement, tu pourras lui dire que je serai là pour répondre à toutes ses questions. Quand elle le voudra. » Il était même prêt à prendre sa foudre, s'il le fallait. « Va falloir que je laisse le domaine à mon associé en attendant. Je ne pourrai pas la voir et faire comme si rien n'était. » dit-il plus pour lui. C'était impossible, maintenant, de travailler avec elle et d'occulter cette vérité. Parce que, lui, il la voyait, contrairement à Leewana. D'ailleurs, en entendant sa dernière question, toute la situation lui revint en tête : leur dispute, la fuite de Maddie, les regrets de l'une et l'autre, le discours de sourds, la peur du premier pas. Il savait tout, Ciàn. Et là, il sentit toute la souffrance d'une mère. "Elle va bien, oui." Suffisamment bien pour venir travailler, même si derrière d'autres démons la hantaient. Il ne savait juste pas dans quelle posture se mettre. Maddie s'était confiée à lui alors qu'il n'était que le patron. Il n'avait pas envie de trahir sa confiance. En voyant le regard baissé de Lee, il fit un pas vers elle et posa doucement sa main sur son bras, ses doigts frôlant sa peau dans un geste qu'il voulait réconfortant. "Laisse-lui le temps, Lee. Elle va revenir. Laisse-lui juste un peu de temps." Le temps de savoir comment revenir. "Tu es sa mère. Elle aura toujours besoin de toi. Même s'il y a parfois quelques tempêtes." Il avait donné ses conseils à Maddie. Maintenant, c'était à Lee d'être rassurée.

Il n’y avait plus grand chose à dire au sujet de mes parents, ils avaient échoué. Ils avaient choisi de conserver leur image pieuse et me laissaient me débrouiller seule. Je ne regrette pas, je ne pense pas que je leur ressemble et jamais je n’aurais voulu inculquer une telle discipline à mon enfant. Je crois que j’ai bien réussi, que j’ai réussi à faire de Maddie une belle jeune femme responsable et avenante, une personne avec un coeur énorme et qui pourra aller loin dans la vie, même si elle a choisi de laisser tomber les études. On sacrifie tous quelque chose un jour ou l’autre, on fait des choix et nous devons vivre avec les conséquences, il y a des décisions qui sont plus déchirantes que d’autres et des choix qu’on a plus de mal à accepter malgré que ça semblait être la bonne réponse au moment ou ça été fait. C’est bouleversant de se retrouver face à lui, de l’entendre dire ces mots qui me touchent plus que je ne le voudrais. Mon palpitant s’excite dans ma cage thoracique, puis il se tord et il passe par toute la gamme d’émotions que sa présence éveille en moi. Il n’est pas sans coeur, c’est bien ce qui fait en sorte que mon coeur tambourine encore aussi fort en ce moment. Non, il ne l’acceptera jamais parce que ce n’est pas un dans coeur c’est ce n’est pas n’importe qui, il est lui. Ciàn, mon premier amour et celui avec qui j’avais encore tant de choses à vivre, notre histoire aurait pu avoir une toute autre saveur si nous n’avions pas été aussi jeune. « Je n’ai pas voulu dire ça pour te faire du mal, désolé… Juste que c’est… J’ai vraiment souhaité que ce soit différent, ça aurait dû l’être, mais j’ai cessé de t’en vouloir il y a longtemps. » Je lui en ai voulu un long moment, j’ai esquivé toutes les nouvelles où il pouvait paraître et je n’ai jamais suivi ses progrès ou sa carrière. Je n’en ressentais pas la force morale et mentale. La vie de famille parfaite, j’ai fait une croix dessus après son départ et la preuve est que je n’ai jamais eu personne après lui, mon cœur a été mis en pause. La seule personne que j’acceptais d’aimer c’était ma fille, là seule et unique préoccupation que j’avais c’était elle et ce l’est encore. Bien qu’elle ne me parle plus, qu’elle ne soit plus là ! Je comprends bien vite par contre qu’elle ne lui est pas inconnu, qu’il connaît notre fille et qu’il lui a parlé, que sait-il d’elle ? Comment il l’a trouve ? Elle travaille pour lui depuis quelques semaines, au moins elle s’occupe l’esprit, j’espère juste que Archie ne l’a fait pas travailler pour s’enrichir sur son dos ou qu’elle n’utilise pas tout son argent pour s’enfoncer un peu plus dans la drogue… J’ai peur. Pourtant je souris quand il confirme qu’elle est géniale. Que je peux en être fière. « Merci ! » J’ai du mal à parler, elle me manque trop, la douleur est encore plus vive maintenant parce que je sais que je vais devoir lui parler, tout lui révéler ! Je hoche la tête, je suis contente de savoir que j’aurais son support, qu’il m'épaulera si jamais j’en ressens le besoin, ce sera une grosse nouvelle dans la vie de Maddie, mais je ne sais même pas quand je pourrais lui dire, si elle reviendra à la maison bientôt ou non. “Ça ne sera pas facile, pour personne Ciàn, autant elle que pour nous deux, mais il faut le faire. Elle a le droit de connaître son histoire et de connaître ta version à toi. Je ne lui ai jamais parlé en mal de toi si ça peut te rassurer, jamais je n’aurais pu dire du mal de l’homme que j’ai aimé plus que tout… ” Finis-je dans un murmure. “Je lui dirais et je te dirais quand je lui aurais parlé, il me faudra ton numéro. ” Je mord ma lèvre, j’imagine que ce ne sera pas évident pour lui. Devoir se tenir loin d’elle jusqu’à ce qu’il sache ce qu’elle veut, si elle veut encore le voir ou non. D’être là sans être là, sachant que son enfant est à quelques mètres de lui… Il me rassure sur l’état de Maddie, sa main sur ma peau, il est si près de moi, je tente de rester forte et de hocher la tête, je comprends ce qu’il me dit, mais je n’en peux plus d’attendre, de ne plus pouvoir la serrer contre moi… J’ai besoin de ses bras autour de moi, de ressentir de nouveau cette protection autour de moi. Je fais le dernier pas et je me réfugie contre lui. “Serre moi fort s’Il te plaît, comme avant… ”

Bien sûr qu'il avait avancé, mais la page, il ne l'avait jamais tournée. C'était impossible de tourner la page Leewana. Il l'avait quitté alors qu'il brûlait d'amour pour elle. Il n'était qu'un adolescent, à l'époque, mais il s'était vu faire un bout de chemin avec elle, lui tenir la main dans les moments les plus beaux, dans les moments les plus difficiles. Et pourtant, il était parti dès l'instant où il avait su qu'elle portait ce qui aurait l'un des plus beaux moments de leurs existences : leur bébé. Alors non, il ne pouvait pas oublier sa lâcheté, le mal qu'il avait fait, le pire abandon possible. Il ne l'acceptait pas et ne l'accepterait jamais. Pour autant, Leewana parvint à le soulager quelque peu. Elle avait cessé de lui en vouloir. « C'est vrai ? » demanda-t-il, ses grands yeux si sombres surpris. Le temps d'un instant, on retrouvait l'adolescent de 17 ans, pas très sûr de lui, qui se pliait en quatre pour les autres, parce qu'il n'aimait pas faire de mal. Il avait un cœur énorme, Ciàn. Et c'était fou de savoir qu'aujourd'hui, c'était ce cœur-là qui lui faisait défaut. Il avait trop aimé, se plaisait-il à dire, laissant toujours plus de place pour son entourage. Mais aujourd'hui, il sentait celui-ci se desserrait un peu, un tout peu. Elle ne lui en voulait plus. Cela ne changerait en rien la situation, oui, mais savoir qu'il n'y avait pas que du négatif aux yeux de Lee représentait beaucoup pour lui. Il avait toujours eu envie de se dépasser pour elle. Et peut-être qu'il aimerait aussi se dépasser pour quelqu'un d'autre, pour cet enfant qui existait et qui sans doute, le détestait. Il fallut quelques secondes et quelques mots pour comprendre, finalement, que cet enfant n'était pas si inconnu de Ciàn. Sa fille, c'était Maddie. Maddie, sa saisonnière si formidable, à laquelle il s'était attaché en quelques jours. Et c'était terrible de se dire que, désormais, elle allait probablement le détester. Leewana devait tout lui dire, évidemment, et Ciàn ne pouvait pas s'opposer à tout cela. L'idée de la blesser encore plus, elle dont la vie était bien chamboulée dernièrement, lui faisait un mal de chien. Il écouta les mots de Leewana, hochant doucement la tête. « Oui, je sais qu'elle a le droit de tout connaître. Et pour une fois, je suis prêt à tout dire. »  Oui, ça allait être dur pour les trois. Pour Maddie, dont le ciel allait lui tomber sur la tête avec cette vérité. Pour Lee qui allait devoir réconforter sa fille, tout en acceptant (ou non) la présence de Ciàn à Bowen. Pour Ciàn lui-même qui allait devoir expliquer le regret le plus terrible de sa vie, appuyer sur une plaie encore à vif en disant qu'il ne savait pas pourquoi il avait fait cela. Et il allait peut-être devoir vivre avec le rejet, si Maddie ne voulait pas le rencontrer. Etrangement, Leewana n'avait jamais parlé en mal de lui. « Pourtant, tu avais tous les droits de le faire. » Mais elle était mature, Leewana. Elle l'avait toujours été. Et puis il y avait eu les sentiments entre eux. L'entendre dire qu'elle n'aurait jamais pu dire du mal de l'homme qu'elle avait aimé plus que tout lui faisait autant de bien que de mal. Qu'il avait été con de la laisser sur la touche. Il le savait déjà, mais l'avoir là devant lui rendait ce fait bien plus concret. Il sortit son téléphone de sa poche pour qu'ils puissent échanger leurs numéros, de façon à se tenir au courant de la suite des événements. Il y avait une part d'inconnu dans tout cela puisqu'ils ne savaient pas quand Maddie rentrerait chez elle. Et c'était difficile à gérer, de ne pas savoir quand le couperet lui tomberait dessus. Malgré tout, il pouvait faire encore un chose : rassurer Leewana sur l'état de Maddie. Il l'avait vue encore hier. Il ne pouvait pas lui dire tout ce que Maddie lui avait confié – parce qu'au fond, il voulait garder la confidentialité de ce moment – mais il pouvait rassurer Leewana sur l'amour que portait Maddie à sa mère. Elle reviendra, il le savait. Il ne savait pas si cela avait eu l'effet escompté sur Leewana. Elle semblait avoir besoin de plus de réconfort. Et ce fut elle qui fit le premier pas. Sa requête arriva à ses oreilles, telle une douce mélodie. Comme avant. Alors qu'elle se réfugia contre lui, il passa rapidement ses bras autour d'elle. Comme avant. Il la serra doucement contre lui, l'entourant de sa chaleur. Comme avant. Il posa sa tête sur le haut de son crâne. Comme avant, si ce n'était qu'il faisait une bonne tête de plus qu'à 17 ans.Pour la première fois depuis longtemps, Ciàn se sentit bien. La chaleur de Leewana, son parfum, sa peau douce sous ses doigts qui la frôlaient, son corps contre le sien. C'était tout ce qui le réconfortait à l'époque. Au fond, il ne la réconfortait pas. Ils se réconfortaient mutuellement. Il ne sut combien de temps il resta là, sans parler, juste à profiter. Il avait envie que ça dure encore et encore. Mais c'était impossible. Les yeux fermés, il murmura : « Je devrais peut-être te laisser retourner travailler... » Il la relâcha. Ils s'étaient tout dits. Et il la laissa donc partir, une nouvelle fois.

Fin