all that glitter don't turn to gold (sierra)

Que t'étais entrée à Columbia grâce à l'argent de ton père. Pistonnée. Place non méritée. Alors que t'as toujours mis un point d'honneur à obtenir les meilleures notes. A finir première de ta promotion au lycée. Tu devrais pas les écouter, ces gens-là. Des jaloux. Oui, t'es née avec une cuillère en argent dans la bouche. Tout offert sur un plateau. Mais pas tes études. Non, ça t'a bossé pour en arriver là et tu veux pas qu'on te l'enlève, ce mérite. 

Il y a un mois. T'as pleuré lorsque t'es arrivée ici, à Bowen. Année sabbatique bien méritée après avoir obtenu ton master, tu parcourais le monde. Ton objectif ? Voir les sept merveilles du monde moderne. T'en étais à trois, lorsque ton monde s'est effondré. Ton père qui t'appelle, tu dois rentrer d'urgence. Il ne t'en dit pas plus mais le ton te fait sentir que c'est non négociable. Alors t'es rentrée, à New York, dans le loft familial. C'est là que ton père te l'a annoncé. Une enquête fédérale était ouverte sur lui. Sur ses activités. Ses comptes allaient surement être gelés. C'était même possible qu'il se fasse arrêter très prochainement. Il t'envoyait ton frère et toi dans ta famille maternelle. Pour votre sécurité, vous mettre à l'abri du besoin. A l’abri du procès qui viendrait surement. C'était non négociable. Pourtant, t'as essayé de refuser. T'as hurlé contre ton père, tu l'as maudit. T'as même cassé un ou deux objets en les balançant par terre pendant cette conversation. T'étais majeure, t'avais pas à écouter ces conneries, t'avais pas à faire ce qu'il te disait. Mais ton père te l'a rappelé froidement. T'avais pas d'argent. T'avais toujours utilisé sa carte bleue. Et voilà qu'elle allait être coupée, si ce n'était pas déjà fait. T'avais pas le choix, piégée par la dépendance financière dont tu avais abusé encore et encore toutes ces années. T'as pleuré, beaucoup. Pendant cette conversation. Dans les toilettes du vol New-York - Brisbane, que t'as pris quelques heures plus tard avec ton frère, ayant à peine eu le temps de faire tes valises. T'as pleuré ta première nuit ici, à Bowen, lorsque ton frère était déjà endormi.

Petite fille un peu directive, t'étais du genre à aligner tes jouets pour organiser une tea party et engueuler le jouet qui osait ne pas tenir droit. Fille unique pendant très longtemps, tu n'as jamais été proche de ton père, homme d'affaire très riche et toujours très occupé. Il travaillait tous les jours et en fait t'as jamais vraiment compris ce qu'il faisait. Ta mère vient d'un milieu modeste, avocate d'affaire partie à New York pour faire carrière, self-made woman. Elle a rencontré ton père là-bas. T'es plus proche de ta mère mais elle travaillait beaucoup aussi. T'as souvent été gardée par des nounous, on pourrait même dire qu'elles ont beaucoup participé à ton éducation, au vu de l'absence de tes parents. T'as quand même réussi à développer une belle complicité avec ta mère, beaucoup moins avec ton père. Ce dernier a toujours cédé aux moindres de tes caprices, financiers ou non, probablement pour compenser son absence.

Ce n'est pas ta priorité. Tu ne veux pas dépendre d'un homme. Bon, tu dépendais de ton père mais c'est pas pareil, c'est ton père. Si ? Dans ton milieu, t'as connu beaucoup de "femmes trophées" au bras de riches hommes. Belles, entretenues, complètement tenues à l'écart des activités de leurs maris. Se dédiant à leurs enfants ou à des œuvres caritatives pour passer le temps. Toi, tu veux plus que ça. Avoir ta propre carrière, te faire un nom dans ton milieu. Devenir quelqu'un. T'as pas choisi une voie très lucrative mais tu comptes aller au bout de ton rêve, de toute façon t'as tout l'argent que tu veux grâce à ta famille. Tu peux te permettre de faire ce qui te passionne, sans te soucier de payer tes factures. Jusqu'à présent du moins. Bref, tu t'es focalisée sur tes objectifs, travaillant dur et laissant ainsi peu de place pour une relation sérieuse. En plus, t'es plutôt du genre exigeante. Tu veux quelqu'un d'intelligent. La stupidité t'hérisse le poil. Quelqu'un de cultivé. Qui te fait rire. Ambitieux. Quelqu'un qui te ferait rêver, qui t'en mettrait plein les yeux. Quelqu'un qui réussirait à t'impressionner. Ça arrive pas souvent, ça. Ouais, t'es trop exigeante. T'en as un peu conscience mais pour l'instant c'est pas ta priorité de trouver ta moitié.

Pour le carnaval, Amélia Earhart. Figure assez peu connue parfois, aviatrice dans les années 1900, c'est la première femme à avoir traversé l'océan atlantique en avion. Une femme forte. Courageuse. T'as découvert son existence dans un musée surement et tu l'admires depuis que t'es enfant. Elle t'inspire. T'aimais bien faire Indiana Jones au féminin aussi, archéologue aventurier, profil qui colle parfaitement à tes rêves de gosse. Pour Halloween, t'es plutôt du genre Eleven dans Stranger Things, un nez ensanglanté, faux crane rasé, blouse d'hôpital. Une autre figure féminine badass que tu trouves inspirante. T'aimerais leur ressembler un jour, à ces femmes inspirantes. Tu te rends pas encore compte de la contradiction entre souhaiter devenir une femme forte, indépendante et se faire entretenir financièrement par son père.

T'es certainement pas née ici. Tu es née à New York et t'as toujours adoré cette ville. Bowen, c'est petit. Très petit, trop petit pour toi. T'as un grand sens de l'exagération et un côté drama queen, tu dirais presque que c'est un village. Clairement, t'es pas vraiment fan de Bowen. L'océan, c'est sympa, tu dois bien l'admettre. Pas à voix haute peut-être, parce que ça t'arracherait la bouche de faire preuve d'optimisme en ce moment, mais dans ton esprit au moins. Dire que ta mère a grandi ici. Tu comprends maintenant, pourquoi elle est partie. Pourquoi vous ne visitiez presque jamais vos grands parents maternels. Quelle angoisse ce bled. T’y as déjà mis les pieds quelques fois quand t’étais gosse, pour les vacances. T’en gardais peu de souvenirs, à raison manifestement. Les boutiques de luxe te manquent, les bars et les boites branchées aussi. Au moins il y a un Starbucks, c'est déjà ça, tu supposes. Grands parents donc peu fréquentés pendant l'enfance, d'un milieu social bien différent de celui que tu as connu jusqu'ici. Ta mère ne leur parlait plus trop, un fossé c'était creusé entre eux. C'est quasiment des étrangers pour toi. Pourtant ils ont accepté de vous accueillir, ton frère et toi lorsque votre père les a contacté, dos au mur et à court d'autres solutions. Tu pourrais leur en être reconnaissante. Au fond, tu l'es. Surtout pour ton frère. T'aurais été bien incapable de t'occuper de lui seule. Mais vos relations sont plutôt tendues. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils n'apprécient pas trop ton caractère de petite fille gâtée. Clairement, eux ils ne te laisseront jamais leur carte bleue. Et encore faudrait-il qu'il y ait sur leur compte en banque quelque chose à la hauteur de tes dépenses habituelles. Ils t'ont tanné pendant des jours pour que tu te trouves un job au lieu de passer tes journées dans ta chambre à scroller Instagram, jalousant tes copines qui vivaient toujours leur vie grandiose à New York.

En ce moment, t'as l'impression que tu ne pourrais pas tomber plus bas, tellement tu es tombée de haut. C'est faux bien évidement, tu es simplement tombée dans le monde du commun des mortels. Mais ça, ton esprit de gosse pourrie gâtée ne le réalise pas. Drama queen dans l'âme, tu te morfonds depuis ton arrivée à Bowen. Mais en vérité, une de tes plus grandes peurs ça serait qu'il arrive quelque chose à ton petit frère. Avec quatorze ans d'écart entre vous deux, ton frère c'était clairement le bébé non prévu dans la famille Miles. Ta mère l'a eu très tard, grossesse à risque et très surveillée qui est heureusement arrivée à terme, ton frère a pointé le bout de son nez, en bonne santé. Ton petit frère, c'est un peu la prunelle de tes yeux. T'es très protectrice avec lui. Alors oui, tu deviendrais folle si quelque chose lui arrivait.

Aussi loin que tu puisses te souvenir, t'as toujours été passionnée d'histoire. C'était la passion de ta mère, qu'elle t'a transmis rapidement, t'emmenant régulièrement dans tous les musées de la ville, venant admirer chaque nouvelle exposition temporaire lorsqu'elle s'ouvrait. T'as grandi en rêvant de travailler un jour au MET. Conservatrice, c'est le métier qui te parlait le plus. Celui que t'avais en tête depuis tant d'années lorsque t'as réussi à intégrer l'université de tes rêves, pour passer ton diplôme en archéologie et histoire de l'art. Diplômée en 2022, tu touchais ton rêve du bout des doigts. Tu t'es laissée convaincre par tes copines de prendre une année sabbatique. Une année de pause pour découvrir les merveilles historiques du monde entier. En revenant tu pourrais commencer à chercher des jobs de conservatrice assistante. Gravir progressivement les échelons. Tu t'es dis que pour le coup papa pourrait peut-être tirer quelques ficelles dans ses relations pour t'aider. Après tout, ces jobs sont durs à obtenir. Ton dossier scolaire est parfait mais un petit coup de pouce ne pourrait pas faire de mal. Tout ce plan est bien sûr parti en fumée lorsque tu as du précipitamment quitter New York il y a un mois.

Le plus beau jour de ta vie se joue probablement entre le jour où tu as appris ton admission à Columbia et le jour où tu as obtenu ton master. Tu t'es donné les moyens d'y arriver, certains diront qu'être riche facilite les choses mais tu n'as pas acheté ton diplôme. T'as jamais travaillé pour gagner de l'argent mais t'as certainement travaillé très dur pour être diplômée. Pour poursuivre ton rêve, celui qui ne t'a jamais quitté depuis l'enfance. Le pire jour de ta vie c'est très certainement celui où ta mère vous a quitté. Deux ans après la naissance de ton frère, votre mère a été emporté par un cancer du sein. Fulgurant. Épreuve douloureuse pour toute la famille, t'avais seize ans. T'as maintenu les apparences en société, au lycée. Parce que t'aimes pas montrer tes faiblesses, tes failles. Mais t'as commencé à faire des crises d'angoisse. Obligée de t'enfermer dans les toilettes au lycée en attendant que ça passe. L'impression que les murs se rapprochaient, qu'ils allaient t'écraser. Que t'allais mourir, toi aussi. Tu sortais après, comme si de rien était. Tu serrais les dents. L'allure sure de toi, queen populaire du lycée que tu as toujours été. Ta mère, elle soutenait totalement ton rêve de devenir conservatrice. Tu veux pas la décevoir alors tu t'es mise une pression folle pour y parvenir, encore plus depuis son décès. Les crises d'angoisses allaient et venaient ces dernières années. Évidemment, depuis un mois elles ont fait leur retour en force.