bientôt plus rien à perdre, j'vais m'occuper de ce quelqu'un d'autre - ciàn

18h. J'crois que parfois, j'aimerais que tout s'arrête. Que les p'tits démons dans ma tête finissent par se taire, et que j'retrouve le calme et la sérénité d'avant. En l'espace de quelques mois, il s'était passé tellement de choses que j'arrivais plus à faire le point. J'me laissais vivre, jours après jours, sans plus rien comprendre. J'étais passé par tellement d'états, tellement de ressentis. En retournant chez ma mère, j'pensais retrouver le cocon rassurant et stable. Mais c'était sans compter cette nouvelle, qui avait été le coup de trop. Il m'en avait fallu d'la force pour ne pas replonger dans la drogue. Ma mère, elle avait été formidable. On avait pris le temps de discuter, de nombreuses heures. Elle ne m'avait pressée pour rien. Elle m'avait forcée à rien non plus. Elle m'avait laissé accueillir mes émotions, comme c'était possible de le faire. Et j'me retrouvais, là, aujourd'hui, à une centaine de mètre du domaine viticole, la boule au ventre, l'angoisse au creux d'la gorge. Cinq jours avaient passés depuis que ma mère m'avait annoncé que Ciàn était mon .. père. J'arrivais pas à me mentaliser cette nouvelle. Ca n'avait pas de sens. Mon père, ça avait toujours été un espèce de fantôme, une idée, un amas de brouillard et de flou. J'm'en étais contentée, depuis toujours. Et là, d'savoir que c'était lui, j'y arrivais pas. J'avais dis à ma mère que j'me rendais au domaine. Elle s'était assurée que j'étais prête. Assurément, je l'étais pas. On est jamais prêt pour ce genre de chose. Alors j'préférais que ça se fasse tout de suite. Le plus vite possible. Comme si on allait passer à autre chose après. J'me rendais pas compte que là, je m'apprêtais à le confronter. J'sais pas d'ailleurs si j'voulais d'une confrontation au sens strict du terme. J'voulais pas que ça se passe mal. Mais là, dans mon esprit, il y avait tellement de contradiction, j'étais en colère, et impatiente, j'étais anxieuse et fébrile, j'oscillais entre la nervosité et la fougue. Clairement, rien n'était clair. Mais fallait y aller. J'devais pas reculer. J'prenais une grande inspiration et j'entrais dans le domaine, marchant à côté d'une rangée de vigne, en direction de la bâtisse. Les saisonniers étaient partis. J'sentais mon coeur cogner contre mes côtés, j'me sentais vraiment tremblante, mais j'continuais de marcher, d'un pas presque décidé. C'est alors que j'l'ai vu. Ciàn. Mon père. Il sortait à l'instant du hangar. J'me figeais. Incapable de bouger, de parler, de respirer. Mon regard se posa sur lui. Il était à quelques mètres. J'sais que je n'étais pas réellement prête pour ce moment. Mais c'était maintenant. Et là, j'me rendais compte que je ne savais même pas par où commencer. Alors j'restais silencieuse, me contentant de le fixer, sans animosité. Simplement avec mes grands yeux sombres, les mêmes que les siens. Et j'sentais, à mesure que les secondes s'écoulaient, que les larmes venaient s'agglutiner au bord de mes yeux.

@Ciàn Gallagher

Il y avait tout juste quelques jours, sa vie avait été bouleversée. Revoir Leewana avait été un choc. Mais ce n'était rien à côté de la nouvelle qui avait été dévoilée au grand jour : sa fille était ici, et cette fille, c'était Maddie, cette employée à laquelle il s'était attachée. Depuis qu'il avait appris cela, Ciàn avait tenté de garder la tête hors de l'eau, alors qu'à l'intérieur de lui, c'était un véritable ouragan. Afin de ne pas se confronter directement à la petite brune, il était parti quelques jours en France, laissant le domaine dans les mains expertes de son associé. Il l'avait dit à Leewana : il voulait lui laisser du temps. Et en contrepartie, il assurait sa présence pour le jour où elle voudra le rencontrer. Il avait bien assez fui dans sa vie pour le faire une nouvelle fois. Il était maintenant à l'aube de ses 40 ans, il n'avait plus le droit de fuir ses responsabilités. Il ne savait pas si Maddie souhaitait le rencontrer – Lee disait que oui, mais il faudrait lui laisser du temps – mais pour une fois, il voulait être là. Son séjour en France dura brièvement, parce qu'il ne pouvait évidemment pas laisser les saisonniers seuls trop longtemps. Il se devait d'être là. Alors, il avait repris le boulot, ailleurs, complètement ailleurs.

Encore une journée s'était déroulée. Les saisonniers étaient tous partis et Ciàn s'affairait encore à quelques tâches. Il avait le visage tiré et les cernes visibles. Il se fatiguait bien trop dernièrement, oubliant sa raison, sa santé et son cœur mal-en-point, dans l'espoir de se changer quelque peu les idées. C'était l'heure de lever le pied et pourtant, sécateur en main, Ciàn s'apprêtait à retourner dans les vignes afin de procéder à quelques coupes. Que fut sa surprise quand, en sortant du hangar, il vit une silhouette qui le fit sursauter, sur le moment. Puis il comprit que c'était elle. Maddie. Il se figea quelques secondes, complètement surpris, complètement démuni. Elle était là. Elle était venue jusqu'à lui. Se ressaisissant, il posa le sécateur sur la table et avança de quelques pas, lançant quelques mètres entre eux. Elle le fixait, sans un mot. Mais il vit son regard si sombre – hérité du sien – s'embuer au fil des secondes. Celui de Ciàn se teinta, lui aussi, d'un voile d'émotion. Il devait dire quelque chose. Il fallait dire quelque chose, ne pas laisser le silence s'installer de trop. Jouant nerveusement avec ses mains, qu'il frottait sans fin, il s'éclaircit la voix et commença à dire : « Je ne m'attendais pas à te voir de sitôt. » C'était nul comme accroche, mais c'était criant de vérité. Leewana lui avait dit que cela prendrait du temps. Il s'attendait à des semaines et des semaines. Il se reprit : « Je sais que ta mère a tout dit. » Enfin, tout sur sa présence. Pour le reste, il savait qu'il allait devoir s'expliquer, se justifier. Se trouvant encore plus nul à ne pas savoir quoi dire, il lâcha une forte respiration et dit, laissant ses bras retomber le long de son corps, comme s'il abdiquait : « Je suis désolé, Maddie. Pour la façon dont tu as appris cela, pour... » il s'interrompit un instant, se frottant la nuque, gêné. « … je suis désolé de débarquer dans ta vie comme ça. » De faire du fantôme de son père, une personne bien réelle. Oui, pour tout cela, il s'en voulait. Et pour bien d'autres choses, aussi, qui viendront probablement sur le tapis assez rapidement.

Depuis que je savais que Ciàn était mon père, je n'avais pas arrêté de me repasser toutes nos conversations. J'pouvais pas ignorer à quel point j'étais attaché à lui. Nos deux personnalités avaient vraiment bien accroché, il avait été celui qui m'avait remis le pied à l'étrier, après le désastre qu'avait été ma vie. C'est lui qui m'avait accordé une p'tite confiance, en acceptant de me prendre dans son équipe de saisonnier, c'est lui qui avait eu des p'tites attentions, des sourires, des mots encourageants. Et pourtant, maintenant que je savais que c'était mon père, que c'est lui qui nous avait abandonné, avec ma mère, j'étais animé par d'la colère et d'la tristesse. Comme si, tout ce qu'on avait partagé jusqu'à présent, ça comptait plus, c'était plus valide. J'avais dis à ma mère que j'avais besoin de temps. Que j'voulais pas aller tout de suite au domaine, que j'voulais pas avoir cette confrontation. Mais finalement, j'avais pas tenu bien longtemps. C'était trop difficile pour moi, j'pouvais pas rester là, à ignorer tout ça. C'était mon côté spontanée, fonceuse, moins j'me posais de questions et mieux j'me portais. Alors, à peine cinq jours après la nouvelle, j'étais là. J'pouvais pas résigner à repousser encore un peu plus cette rencontre. Ca me rongeait en dedans d'le savoir là, dans ce domaine, sans pouvoir lui parler. J'savais pas exactement ce que j'voulais lui dire. J'avais rien anticipé. Mais j'y étais allé, rassemblant au passage le dernier petit peu de courage qu'il me fallait pour franchir les grilles du domaine. J'avais avancée entre les vignes, vers le hangar qui était encore ouvert. Et il en était sorti. J'crois que mon coeur avait raté une pulsation en le voyant. Et pourtant, ce n'était pas la première fois. J'étais habitué à l'avoir dans mon espace, mais là, ça m'avait fait tout drôle. J'm'étais arrêtée, me contentant de le fixer de mes grands yeux noirs. Ciàn avait eu aussi un moment d'arrêt, il devait être bien surpris d'me voir là, si vite. J'avais rien réussi à prononcer, j'avais pas réussi à ouvrir la bouche, parce que je sentais bien que dans ma gorge, il y avait une grosse boule de larmes. J'serais un peu la mâchoire, pour tenter de ne pas craquer. Ciàn s'approcha, et ses premiers mots me parvinrent. Je haussais un peu les épaules. D'un tout petit murmure, je lui répondais. "J'pouvais pas attendre plus longtemps." J'faisais un pas dans sa direction, réduisant un peu plus le distance. J'le laissais parler, j'voyais bien que ma présence le mettait dans l'embarras. Il avait p'tete pas envie d'assumer ça, de m'avoir en face de lui. Après tout, il nous avait abandonné, il y a de ça 21 ans, c'était peut-être parce qu'il ne voulait plus entendre parler de nous. J'avais le sentiment d'être indésirée, d'mettre les pieds dans sa vie, sans qu'il le veuille. Ciàn s'excusa, j'étais surprise, surprise qu'il s'excuse de débarquer dans ma vie ainsi. J'avais plutôt le sentiment que c'était l'inverse, que c'était moi qui déboulait dans la sienne. Ces mots me touchèrent, beaucoup plus que je ne l'aurais voulu. J'retenais encore mes larmes, me mordant l'intérieure de la joue. Tout ça, ça me chamboulait tellement. "J'arrive pas à savoir si j'suis en colère ou pas." Je marquais une pause, prenant le temps de le regarder, vraiment. J'voyais pas grand chose, certes, les larmes floutaient ma vue, mais j'l'observais quand même. Lui, qui avait été un fantôme pour moi toute ses années, il était bien présent là aujourd'hui. "J'veux pas m'imposer à toi, t'as fais un choix, il y a vingt et un ans, et j'veux juste savoir c'que tu penses de tout ça." J'sais pas si je prenais les choses dans le bon sens, j'sais pas si j'pouvais véritablement lui donner la parole là dessus, est-ce que c'était légitime? J'en savais rien, mais j'crois que c'était ça surtout que j'étais venue chercher. Le sentiment d'abandon, il ne m'avait jamais quitté. C'était un p'tit traumatisme dans ma vie, que ma mère avait fait en sorte d'atténuer au fil du temps, mais quand même .. il avait fait le choix de m'abandonner, et c'était ça, le plus important, d'savoir comment il se positionnait par rapport à moi, au fait que j'étais sa fille et que j'me trouvais là, devant lui.

@Ciàn Gallagher

Elle ne pouvait pas attendre plus longtemps. Cela tombait bien parce que, pour lui, cette attente était une torture. Il ressentait le besoin de tout lui expliquer, de tout lui dire. Il lui devait bien cela. Si elle avait été une pure inconnue, sans doute cela se serait déroulé différemment. Il lui aurait donné sa vérité, oui, mais peut-être que l'affectif aurait été moins fort. Là, il la connaissait. Il s'était attaché à elle et cela lui faisait un mal de chien de lui faire subir cela. Elle savait qu'elle en avait bavé dernièrement, qu'elle remontait tout juste la pente et il avait l'impression de débouler comme un chien dans un jeu de quilles. Il ne faisait pas le fier, Ciàn. Tout montrait qu'il était anxieux, gêné, parce qu'il ne savait pas comment dire les choses. Avec le cœur,  c'était probablement la plus belle solution. Alors, il ouvrit la discussion. Il lui dit qu'il était désolé. Désolé qu'elle ait appris cela de cette façon. Désolé d'arriver comme ça dans sa vie. Il avait les larmes aux yeux en disant tout cela. L'émotion était palpable, chez l'un comme chez l'autre. Et l'honnêteté primait. Quand il appris qu'elle ne savait pas si elle était en colère ou non, il comprit que c'était un tourbillon d'émotions qui se déclenchait en elle. « Tu aurais le droit d'être en colère. Je l'accepterai totalement. » Parce qu'il le méritait. Parce qu'il était le méchant de l'histoire. Même s'il avait ses raisons. Des raisons qui lui semblaient valables, il y avait 21 ans maintenant, mais qui semblaient si lâches maintenant qu'il était devenu un homme responsable. Maddie reprit la parole et il fut surpris de voir qu'elle le laissait prendre la parole. Qu'elle lui demandait ce que lui pensait de tout ça. « Tu ne veux pas t'asseoir ? » demanda-t-il en montrant la table avec les chaises, qui se trouvaient à quelques mètres d'eux. « Je te dirai tout. » Il s'avança et s'installa, lui laissant le choix de le suivre ou non. Il se passa la main sur le visage, inspira un bon coup et reprit : « Savoir que tu étais là, avec ta mère, ça m'a fait un choc, je ne vais pas te mentir dessus. Je me suis demandé si vraiment je devais rester ici ou non. Un peu par peur, peut-être, mais aussi pour te préserver. » Mais dans tous les cas, Lee lui avait dit qu'elle dirait tout. Il ne pouvait plus jouer au fantôme. « Sauf que j'en ai marre de tout laisser, de tout quitter par lâcheté. » Il s'arrêta un instant et reprit, en posant ses yeux sur elle : « Tu sais, je m'en suis voulu terriblement. Je n'ai pas regretté de suite parce que j'étais pris dans un tourbillon, parce que j'étais un gamin et que j'étais con. Mais j'ai fini par le regretter, deux ans après. C'était deux ans de trop. » C'était comme si le destin le punissait. « Je ne sais pas si je dois te le dire ou non, mais je me suis promis d'être honnête avec toi. J'ai essayé de vous retrouver, toutes les deux. Je suis allé chez tes grands-parents, mais eux aussi ne savaient pas où vous étiez passés. » Il savait que cette vérité risquerait soit de l'énerver, soit de la chambouler, mais elle était importante. « J'ai fait un mauvais choix, il y a vingt-et-un an. Mais ça, c'est l'adulte qui te le dit. » Il conclut alors en disant : « Te savoir là, ça me fait quelque chose. C'est peut-être un signe ou je-ne-sais-quoi. Pour ma part, je suis prêt à l'assumer, je suis prêt à te laisser une place , à répondre à toutes tes questions, tout en ayant conscience que ça prendra du temps. Mais je veux que tu saches aussi que, si tu ne veux pas me voir, je ferai en sorte que tu ne me voies pas. C'est toi qui as les cartes en main, Maddie. » Il respectera sa décision, dans tous les cas.

Ca m'avait couté un sacré paquet de courage pour franchir les grilles du domaine viticole ce jour là. Et pourtant, je le connaissais par coeur cet endroit, il avait été le signe du renouveau pour moi, d'un nouveau départ, j'y avais rencontré des gens formidable, à commencer par Ciàn, qui avait été le premier à me faire confiance, à m'accueillir avec son sourire chaleureux et sa gentillesse à toute épreuve. Il s'était occupé de moi en quelques sortes, il avait été présent ce jour là, lorsque j'avais eu besoin d'une oreille attentive. On avait scellé un truc assez fort en cet fin d'après-midi et c'était ça, je crois, le plus déboussolant dans toute cette histoire. C'est que mon père, j'le connaissais déjà. Debout, face à lui, j'sentais que j'perdrais tous mes moyens. Mes yeux s'embuaient, et j'luttais pour pas faire tomber de larmes de mes yeux. Mon père - Ciàn - je ne sais même plus comment l'appeler - il semblait tout aussi nerveux que moi. J'crois qu'on attendait ce moment l'un contre l'autre même si on n'y serait jamais à cent pour cent préparé. J'lui donnais la parole, j'voulais savoir ce qu'il pensait de ça. Parce que dans cette histoire, je m'étais autant imposée à lui que lui à moi. Et j'étais pas la seule à peiner de tout ça. Il me proposa de s'assoir, je hochais la tête en silence, m'installant en face de lui. J'posais doucement mes avant-bras sur le rebord de la table, dans une position d'écoute parce que là, je m'apprêtais à entendre ce qui était probablement les mots les plus importants de toute ma vie. Il allait tout me dire, j'étais prête. Je crois. Il semblait tellement nerveux, tellement loin de l'image que j'avais de lui, lorsqu'il n'était juste que mon patron. Je l'écoutais, avec attention, tentant de tout comprendre, de tout assimiler. Mes yeux noirs étaient plantés dans les siens, j'le quittais pas du regard à mesure qu'il parlait. Et à chaque fois qu'il rajoutait quelques mots, je sentais ma gorge se serrée, et l'émotion m'envahissait encore à chaque seconde, un peu plus. Il semblait vraiment regretter son choix. J'écarquillais un peu les yeux quand il m'apprit qu'il avait essayé de nous retrouver, deux ans après ma naissance. Ca me brisait le coeur de l'imaginer ainsi, regrettant son geste sans pouvoir réparer son erreur. La vie aurait été tellement différente si nous nous étions retrouvé, tous les trois. J'en avais rêvé tant de fois, d'une vie avec ma mère et mon père. Elle aurait été possible, dans une autre dimension. Mais là, on était face à la réalité, et elle était moins jolie. C'était simplement la confrontation entre un père absent, regrettant son choix et une fille qui s'était construite sans lui. J'avais les cartes en mains, voilà ce qu'il avait fini par dire. Je souris tristement face à tout ce que je venais d'entendre. "J'sais tellement pas quoi penser de tout ça, tu sais. C'est comme si mes émotions, elles étaient séparées en deux par un immense gouffre. D'un côté je t'en veux, mais tellement fort de m'avoir abandonné. J'ai l'impression que j'pourrais jamais te pardonner, j'ressens beaucoup de colère, parce que j'ai du me construire sans père, par ta faute." Je sais que j'étais dur dans mes mots, mais j'avais besoin vraiment d'lui dire tout ce que j'avais sur le coeur. A mesure que je parlais, les larmes se mirent à couler, toutes seules, innarêtables. "Et d'un autre côté, j'ai d'autres émotions, qui sont tellement positives et belles. Parce que j'suis profondément heureuse de t'avoir retrouver. Et puis, j'te connais déjà, je sais, je sais parfaitement que tu es quelqu'un de bien, tu me l'a montré à plusieurs reprises et avant de savoir que tu étais .. mon père ... j'étais déjà tellement attachée à toi. Tu m'as aidé, tu m'as écouté, t'as été là en fait. Et de savoir là, que tu as voulu nous retrouver deux ans après ma naissance, ça me trouble encore plus." Je séchais mes larmes, d'un revers de manche, mais il en coulait toujours de nouvelles. "J'avais toujours eu cette image si négative de mon "géniteur" et aujourd'hui, j'me rends compte que c'est pas ce que je croyais. Que tu n'es pas celui que je m'étais inventé. Que tu es beaucoup ... beaucoup mieux que ce que je m'étais imaginé." En venant ici, j'savais pas tellement ce que je voulais, mais là, de l'avoir écouter et de lui avoir dit tout ça, c'était une évidence. "J'veux pas que tu sortes de ma vie. Pas une deuxième fois." C'était plus négociable, j'voulais faire partie de sa vie et j'voulais faire partie de la sienne. Ca allait prendre du temps, certes, mais j'voulais nous donner une chance.

Plusieurs fois, il s'était imaginé une éventuelle rencontre avec son enfant – sans savoir, à l'époque, si c'était un garçon ou une fille, sans même imaginer son visage, ses traits – et à chaque fois, les paroles lui étaient venues en tête facilement. A chaque fois, il s'était dit qu'il parlerait à cœur ouvert, sans rien occulter. Mais il avait oublié une chose, importante : tout l'émotionnel qui en découlait. Là, face à Maddie, le Ciàn sûr de lui, le sourire toujours sur le bout des lèvres, était bien loin. Il faisait preuve de nervosité. Non pas parce qu'il voulait lui cacher quoique ce soit, mais parce qu'il avait peur de lui faire du mal. C'était bien la dernière chose qu'il voulait. Pourtant, Maddie le mit en avant, en lui demandant ce que lui pensait de tout cela, de sa présence. C'était presque le monde à l'envers. Il l'abandonnait et elle lui donnait la possibilité de tout dire. Etrangement, il sentit un tout nouveau sentiment : la fierté. La fierté de voir cette jeune fille venir l'affronter, prête à tout entendre. Elle tenait cela de Leewana, sans aucun doute. Alors, par respect pour elle, pour sa venue, ici, Ciàn se confia. Il avoua qu'il n'était qu'un gamin à l'époque, un petit con paumé. Il avoua ses regrets. Des regrets qui le poursuivaient encore aujourd'hui. Il avoua cette envie, ce besoin de les retrouver, qui était resté vain. Il aurait dû rester dès le début, il le savait.  C'était peut-être décousu, tout ce qu'il disait. Ce n'était peut-être pas aussi bien qu'il l'avait imaginé, dans sa tête, maintes et maintes fois, mais c'était la vérité d'un homme qui avait mûri, qui avait grandi avec cette chape de plomb qui l'étouffait depuis plus de 21 ans. Il ne rattrapera jamais son erreur, il le savait, mais il avait peut-être l'infime possibilité de l'atténuer. Si elle le voulait. Si elle voulait de lui dans sa vie. C'était Maddie qui avait la main mise. Elle, et juste elle. En entendant ses premiers mots, il sentit la boule dans sa gorge se resserrer encore plus. Il déglutit difficilement alors qu'il hocha la tête, comprenant ces mots – difficiles à entendre, certes – mais criants de vérité. « Je suis désolé de t'avoir privé d'une figure paternelle. J'en assume la pleine responsabilité. » Ce n'était pas la faute de Leewana. Ce n'était pas la faute de leur histoire ou d'un amour qui avait manqué. Ce n'était pas la faute de Maddie. C'était juste sa faute, à lui, à son immaturité, à son ambition, à sa peur de ne pas être à la hauteur. Reposant son regard sur elle, il vit les larmes couler sur ses joues, une vision qui lui serra le cœur. C'était bête mais il avait l'envie de se lever et de la prendre dans les bras, pour la consoler, pour la réconforter. C'était instinctif, comme un instinct paternel qui lui montrait qu'il était là, bien existant. Mais il n'avait pas le droit. Elle devait le détester. Mais... encore une fois, Maddie le surprit. La suite de ses mots, il ne les avait pas vu venir. Il s'imaginait être simplement le méchant de l'histoire, le fantôme qui allait rester invisible à ses yeux. Il oubliait une chose, Ciàn : ce qu'ils avaient vécu tous les deux, avant que la vérité n'éclate, était bien là, bien présent. Elle avait vu l'homme qu'il était. Il avait vu celle qu'elle était. Et ils s'étaient attachés l'un à l'autre, comme ça, sans lien de parenté. « Moi aussi je me suis attaché à toi. » parvint-il à dire, extrêmement ému, ne voulant pas la couper davantage. Il se rendait compte de la chance qu'il avait. Bien sûr qu'elle lui en voulait, bien sûr que cela mettrait du temps – peut-être même jamais – à être réparé, mais elle lui laissait une chance. Parce qu'il avait des valeurs, Ciàn, des valeurs qu'elle avait cerné et qui faisait probablement écho chez elle. Il avait été là, pour la soutenir, pour la conseiller quand cela n'allait pas. Et il espérait continuer sur cette voie. "J'veux pas que tu sortes de ma vie. Pas une deuxième fois." Une larme vint à couler sur les joues de Ciàn, lui qui ne laissait pas ce genre d'émotions transparaître, élevé par un père aimant, oui, mais qui estimait que les instants de faiblesse était l'arme nécessaire pour vous faire tomber. Sauf que là, Ciàn était prêt à abattre tous les murs qui l'encerclaient. Il se frotta les yeux et finit par dire : « Je ne partirai plus. C'est promis. » Cette promesse, il avait envie de la tenir, occultant sa santé fragile qui, un jour, l'emportera loin d'elle. Mais à cet instant, il y croyait en sa promesse. « Je sais que ça ne sera pas facile, que ça prendra du temps pour s'habituer à tout cela, pour se laisser une place. Mais je veux que tu saches que si tu as besoin de quoique ce soit, si tu as des questions, je serai là. Peu importe l'heure, peu importe le moment. Au fond... tout ça... » Il montra le domaine. « … ça sera chez toi. » Ce qui appartenait à Ciàn appartenait aussi à Maddie. Il espérait qu'un jour, elle voit le domaine comme un lieu où elle se sent bien, où elle sait qu'elle trouvera un réconfort paternel. Il reprit, doucement : « J'ai essayé à plusieurs reprises d'imaginer qui tu étais, ce que tu faisais. Mais je crois que j'étais loin de la vérité. » Il la regarda avec douceur et ajouta : « Je suis heureux – et fier – d'avoir une fille comme toi. » Même si ça remuait le couteau dans la plaie, en se disant qu'il avait manqué ses vingt-et-une premières années. « Ouais, j'étais bien loin de la vérité. » répéta-t-il plus pour lui, songeur. Maddie était mieux, bien mieux. Et il avait envie de la connaître encore plus. « Tu sais, tout à l'heure, ça m'a marqué quand tu as dit que tu avais dû te construire sans un père. Quand je suis... parti, j'ai cru que tu serais bien mieux sans moi. C'était complètement infondé, mais au fond, j'espérais que vous trouviez mieux. J'aurai tant aimé que tu aies une enfance plus... complète. Avec une figure paternelle, notamment. » Même s'il savait que Leewana avait été la mère parfaite, il sentait que cela avait causé un manque chez Maddie. « Ta mère n'a jamais refait sa vie ? » se risqua-t-il à demander, voulant savoir tout ce qu'il avait manqué. Ce qui faisait qu'aujourd'hui Maddie était Maddie.

C'était sans aucun doute l'un des moments les plus importants de ma vie que je vivais là. Je m'étais construite sans repère paternel, c'était un fait. Toute ma vie, je n'avais eu que ma mère dans son entourage proche. Elle s'était battue pour moi, elle m'avait montré qu'à coeur vaillant, rien d'impossible. Elle avait traversé les épreuves, seule et très jeune. Elle m'avait élevée dans l'amour et elle m'avait appris tellement, elle avait fait de moi ce que j'étais aujourd'hui, et j'crois qu'elle était un exemple de courage et de force incroyable. Elle était inspirante ma mère, c'était ma lumière dans cette vie. Elle avait été si douce lorsqu'elle m'avait appris pour l'existence de Ciàn. Elle ne m'avait forcé à rien, et j'ressentais la même chose avec lui. Il m'avait laissé le temps nécessaire pour venir à lui. Et c'était le cas aujourd'hui. J'me tenais face à lui et j'me sentais vaciller de l'intérieur, c'était vertigineux de me retrouver là aujourd'hui, mes yeux noirs posés dans les siens. C'était indéniable, mes yeux, j'les tenais de lui. Et ça me troublait d'être en présence d'une partie de ma vie qui m'avait toujours manqué. J'lui avais d'abord donné la parole, parce que dans cette histoire, je n'étais pas toute seule. Lui non plus n'avait pas demandé à ce que je sois là aujourd'hui. J'avais tout écouter, attentivement, retenant mes larmes, parce que j'voulais pas pleureur, pas tout de suite. J'entendais tout ce qu'il me disait. Ses regrets, sa volonté d'nous retrouver, les années qu'il avait passé avec ce lourd secret. Après avoir écouté ses mots, j'avais à mon tour livré tout ce que j'avais sur le coeur. Mes premiers mots, ils étaient rudes, je le savais. Mais j'voulais aussi qu'il mesure la douleur qu'il m'avait infligé en décidant de m'abandonner. Je hochais la tête lentement en écoutant ses excuses. Et puis j'avais exposé ce que je ressentais en contre-partie de cette colère. Parce que dans ma tête, c'était pas tout blanc ou tout noir. C'était un mélange de tellement de ressentis et ce qui jouait beaucoup là dedans, c'est que Ciàn, j'le connaissais déjà et que je savais à quel point il était quelqu'un de bien. J'lui disais, tout ce que j'avais sur le coeur, les larmes se mirent à couler. Toute seule. J'tentais pas de les arrêter, parce que ma mère m'avait toujours appris à accueillir mes émotions, telles qu'elles étaient, et là, de dire tout ça, d'entendre tout ça, ça me bouleversait au plus profond de moi. Notre attachement mutuel, il était évident, Ciàn le formula aussi à voix haute et ça me réchauffa le coeur. Parce que j'me rendais compte qu'aujourd'hui, il pouvait y avoir d'l'amour et de l'attachement qui découlait de mon propre père. Chose que je m'étais toujours interdit à rêver. Parce qu'avant de le rencontrer, mon père, il ne représentait rien. Le chemin vers le pardon, il allait être long, très long et pourtant, j'voulais pas qu'il sorte de ma vie. Lorsque j'avais prononcé ces mots, j'voyais une larme s'échapper les yeux noirs de Ciàn. Cela redoubla mes propres sanglots. On était déchiré par cette situation. Après avoir chassé sa larme, Ciàn reprit la parole, et je l'écoutais. Il était tellement bienveillant, j'étais incapable de lui en vouloir, au fond.  Il m'incluait dans son chez lui, dans ce domaine que je voyais aujourd'hui seulement par le prisme du travail. J'avais jamais envisager pouvoir un jour me sentir chez moi ailleurs que chez ma mère. Ca me touchait, profondément d'entendre tout ça. Je hochais la tête. "Depuis que je te connais, tu as toujours été là pour moi Ciàn, je te fais confiance." Mes yeux toujours plongés dans les siens, j'écoutais la suite, je tentais en même temps de chasser quelques larmes de son visage, parce que ma vue était beaucoup trop troublée, et j'voulais bien le voir, Ciàn, mon père. Mais ses mots continuaient de faire couler mes larmes. Il était fier de moi, de ce que j'étais. Et ça me touchait au plus profond de mon être. J'revenais de loin, j'avais un peu connu l'enfer ces derniers mois et d'voir que Ciàn me voyait  positivement, ça me faisait du bien. Je ne rajoutais rien, parce que l'émotion était trop présente. Ma gorge était à présent trop serrée pour dire quoi que ce soit. J'aurais voulu me lever et me réfugier dans ses bras, mais j'me retenais, parce que j'sentais comme une barrière entre nous, que j'voulais faire disparaître certes, mais qui était trop présente encore aujourd'hui. Ciàn revint sur mes mots, sur le fait que j'avais dû me construire sans figure paternelle. "Ma mère m'a donné tout ce qu'elle pouvait, de l'amour, de la tendresse, de la force, elle a toujours tout fait pour moi. Et, aussi, elle n'a jamais essayé de salir ton image. Le peu de fois qu'on parlait de toi, elle avait toujours une bienveillance à ton égard. J'comprends mieux maintenant." C'est vrai que ma mère ne m'avait jamais monté contre mon père. Au contraire, elle tentait toujours d'expliquer son geste. "Tu sais, elle m'avait donné une photo de toi, c'était le seul lien que j'avais avec toi. Je l'ai regardé des dizaines de fois cette photo, comme si j'essayais d'apprendre à te connaître, mais ça ne suffisait pas." Je haussais tristement les épaules, le vide que j'avais ressenti, depuis toujours, il était à présent un peu comblé, parce qu'il était là, bien vivant devant moi. Ciàn me questionna sur ma mère. Je secouais la tête. "Elle ne s'est jamais octroyé ce droit là. Elle a dédié sa vie à la mienne. Je ne l'ai jamais vu avec un autre homme." Aujourd'hui, je savais qu'elle avait rencontré quelqu'un, ici à Bowen, mais j'me gardais bien de lui raconter ça. Parce que je n'en savais pas suffisamment sur cette histoire. J'plissais un peu les yeux et je lui retournais la question. "Et toi? Tu as refais ta vie après .. nous?" Je m'étais jamais posé la question, et au fond de moi, j'espérais que Ciàn ait eu une vie remplie. Parce que chacun méritait de vivre l'amour. Même mon père.

Etrangement, il y avait énormément de sérénité qui découlait de cet instant. Maddie avait pourtant tous les droits de lui hurler dessus, de lui balancer à la figure tout cette colère qu'elle devait ressentir et qui était pleinement légitime. Mais cette jeune femme, elle avait les gènes de Leewana et de Ciàn. Entre eux, il n'y avait jamais eu un mot de trop, un ton plus haut que l'autre. Ils avaient appris que les messages passaient tellement mieux quand tout était dit dans la meilleure des formes. Maddie avait sûrement hérité cela de ses parents. Et cela rendait Ciàn fier, tellement fier de se dire que cette jeune femme, c'était sa fille. Bien sûr, la colère était là et Maddie lui en fit part. Mais c'était dit de la bonne façon, d'une façon tellement recevable que Ciàn pouvait simplement s'excuser. Il tenait à lui donner ces excuses. Il tenait à lui parler à cœur ouvert, à lui évoquer tous ces regrets qui l'avaient tant miné. Il lui devait d'être honnête. Maddie, il l'aimait beaucoup. Avant même de savoir qu'elle était sa fille, une part de lui. Et c'était sans doute cet attachement mutuel qui rendait le moment encore plus émouvant. Elle n'avait pas envie qu'il parte. Et cela tombait bien, il ne voulait pas non plus partir de sa vie. Cela lui arracha des larmes qu'il contenait depuis des jours et des jours, des larmes qui répondirent à celles de Maddie et qui rendaient le moment criant de sincérité, d'honnêteté, d'affection. D'un signe de la main, il montra le domaine, lui expliquant que tout cela serait à elle. Sa porte était ouverte à tout moment de la journée ou de la nuit. Il prêterait l'oreille pour tous ses beaux moments, pour toutes ses difficultés qu'elle viendrait à rencontrer. Il l'avait fait une première fois, en tant que patron. Il voulait qu'elle sache qu'il le ferait encore et encore, en tant que père, cette fois-ci. Elle lui faisait confiance, soufflait-elle, et cela le toucha au plus profond de son cœur. « Je serai à la hauteur. » murmura-t-il. Cette fois. Cette fois, oui, il serait à la hauteur de la confiance qu'elle lui accordait. A sa hauteur, elle, cette fille qui lui donnait tant de fierté. Il l'avait vu au plus bas, perdue dans des travers obscurs, loin de sa mère. Et il l'avait vue se relever, telle une battante. Bien sûr qu'il en était fier ! Il n'eut aucune honte de lui dire, lui qui n'avait jamais eu l'occasion de féliciter son enfant. C'était une émotion étrange qui s'était emparée de lui, face à cet instinct paternel qui s'éveillait peu à peu. Il adressa un sourire à Maddie qui resta silencieuse, mais dont l'émotion transparaissait dans le regard. Il n'y avait pas besoin de mots durant un tel moment. Il rebondit néanmoins sur la figure paternelle. Cette figure dont elle avait manqué quand elle était plus jeune. Il l'écouta avec attention, un léger sourire se dessinant sur les lèvres de Ciàn alors que Maddie évoquait tout ce que Leewana lui avait apporté. Elle avait joué les deux rôles avec brio. « C'est Leewana... elle a toujours été comme ça. Je savais qu'elle serait une mère formidable. » C'était ancré en elle. Il était heureux d'avoir croisé sa route, d'avoir su aimer une personne comme elle pour la toute première fois. Il avait grandi avec elle et s'était nourri de ses valeurs qui l'avaient suivi jusqu'à présent. Il hocha doucement la tête, ému quand elle lui confirma ce que Lee lui avait déjà dit : elle n'avait jamais essayé de monter Maddie contre son père. Pourtant, il aurait été plus simple de tout lui faire retomber dessus, mais Leewana ne l'avait pas fait, prouvant une fois de plus sa maturité. Il lâcha un léger rire quand Maddie évoqua cette photo qu'elle avait de lui : « Tu as dû me voir avec mes cheveux longs, horribles, que je laissais pousser en hommage à Kurt Cobain et Jim Morrison. » Il tentait d'alléger l'atmosphère avec son humour parfois douteux. « Des vieux chanteurs, du siècle dernier. » ajouta-t-il, un poil complice. Mais il comprenait ce qu'elle voulait dire. « Je pense que tu n'aurais pas apprécié ce petit con d'adolescent. » Ce petit con avec des idées plein la tête, un avenir qu'il traçait sans se retourner, avec trop d'ambition. Tellement d'ambition qu'il en avait oublié sa vie privée. Il n'était pas le seul, d'ailleurs à s'être privé de vie sentimentale. Leewana aussi. Elle n'avait jamais ramené d'homme dans la vie de Maddie. Elle ne s'était jamais donnée ce droit. « Elle mérite pourtant tellement d'être heureuse. De rendre heureux un vrai chanceux. » Il ne s'attendit néanmoins pas à ce que Maddie lui retourne la question. Ciàn posa ses yeux sur elle et secoua négativement la tête : « Non. » Il marqua un temps d'arrêt, songeur. « Je ne m'en suis jamais donné le droit, je crois. Pour les rares fois où il y a eu quelqu'un pour qui j'éprouvais des sentiments, j'ai tout gâché ou je suis parti. » Dans les rares fois, il comptait Jean et Ariane. « Je me sentais presque mal d'aimer de nouveau, d'imaginer avoir une famille, alors que je vous avais laissé tomber. » Il haussa les épaules : « C'était plus simple pour moi de mettre toute mon attention dans ma carrière.... c'est sûrement pour ça que je suis célibataire, proche de la quarantaine, avec deux chats. » ça ne faisait pas trop rêver... Il laissa un silence s'installer avant de reprendre : « Bon... et toi ? Comment vas-tu ? Tu es donc retournée chez ta mère ? » Leewana lui en avait parlé. Au travers de ses questions, il espérait surtout l'entendre dire qu'elle remontait la pente.

Ces retrouvailles, elles étaient encore plus intenses que je me l'étais imaginé. Jusqu'à croiser le regard de Ciàn, je ne savais pas exactement qu'elle allait être ma réaction. Je n'avais rien prévu, je n'avais rien anticipé. Parce que je savais de toute façon que dans ce genre de moment, c'était simplement les émotions qui parlaient. C'était impossible de planifier quoi que ce soit. Finalement, ça s'était fait dans la douceur. J'avais eu si peur de m'emporter contre lui, de lui hurler dessus, mais non, je n'en ressentais aucune envie. Ma mère m'avait toujours appris à bien accueillir mes émotions et à mettre des mots dessus. Ca ne servait à rien de crier, ça ne servait à rien de s'emporter. Chaque émotion avait des mots, et ils avaient bien souvent une plus grande portée que des cris. Ciàn, il m'avait accueilli, avec bienveillance. Il avait encaissé aussi les mots un peu rudes que j'avais pu lui dire. Mais il est avait compris et il avait su, aussi, panser un peu les plaies du passé, en s'expliquant, s'excusant et surtout, en me montrant qu'il était prêt aujourd'hui, à me laisser une place dans sa vie. J'décidais de lui accorder de la confiance, parce que j'pouvais pas faire autrement. J'étais incapable d'être celle qui mettrait de la distance avec lui. J'avais envie d'y croire. J'avais envie d'lui laisser une seconde chance. Comme lui m'en avait donné une, en m'embauchant au domaine. Il ne mesurait peut-être pas l'immense chemin qu'il m'avait aidé à parcourir, revenant de la drogue et de la dépendance à un homme toxique. Il avait été là, avant même d'être mon père. Il m'avait montré la meilleure partie de lui, sa vraie personnalité. J'ignore comment se serait passé les choses s'il avait été un parfait inconnu. Mais j'préférais pas y penser, me concentrant sur l'instant présent. J'voyais bien que Ciàn, ça l'émouvait tout ça aussi, il avait même essuyé quelques larmes, en même temps que les miennes. On mesurait, petit à petit, tous les deux, la signification de ces retrouvailles. J'me mettais à lui parler un peu de ma mère et de tout ce qu'elle avait fait pour moi. Elle avait été l'exemplarité même dans toute cette histoire, avec un courage sans faille, une détermination plus forte que tout. Je hochais la tête à ses mots. "Elle l'est oui." que je répondais simplement. Ciàn, il connaissait bien Lee, il savait exactement quel genre de personne formidable elle était. J'avais une chance incroyable d'avoir pu grandir dans son cercle, elle m'avait inculqué tant de choses positives, elle avait tout fait pour moi. Et surtout, elle n'avait jamais tenté de ternir l'image de mon père. J'le savais que ça avait été dur pour elle, mais elle assumait ses choix, sans blâmer ceux de Ciàn. Et ça, c'était sa plus belle force. J'parlais à mon père de cette photo que j'avais de lui lorsqu'il était jeune et que j'avais regardé des dizaines de fois, à la recherche de réponses qui ne venaient pas. La réflexion de Ciàn m'arracha un rire, alors que mes yeux brillaient encore de quelques larmes. "Même si j'suis très jeune et toi plutôt vieux, j'ai la référence." que j'lui disais, souriant un peu avant de replonger mon regard dans celui de Ciàn. Je hochais la tête. "Je crois effectivement que je préfère la version d'aujourd'hui." Je continuais de regarder Ciàn, essayant de vraiment assimiler nos ressemblances. Essayant de bien comprendre qu'il était mon père. Ca faisait son petit chemin, un peu plus, à chaque seconde. Ciàn m'avait demandé si Lee avait refait sa vie. J'étais tout à fait d'accord avec sa réponse puis je lui avais retourné la question. A l'écouter, lui comme ma mère avait été largement touché par leur histoire commune. Ils s'étaient chacun interdit d'aimer, pour des raisons différentes, mais le résultat était le même. J'trouvais ça assez triste pour lui comme pour ma mère de savoir qu'ils n'avaient jamais refait leur vie. J'eus comme un sentiment de culpabilité qui me traversait, comme souvent quand je voyais ma mère faire face à des difficultés. A maintes reprises j'avais soulevé l'idée que tout serait plus simple si je n'avais pas été là. Et a chaque fois, ma mère balayait mes craintes et mes doutes d'un revers de la main, à coup de mots rassurants. J'gardais ça pour moi, face à Ciàn. Alors que j'étais un peu perdue dans mes propres pensées, Ciàn reprit la parole. J'levais les yeux vers lui. Il s'inquiétait un peu de savoir comment j'allais aujourd'hui. Je souris un peu. "Quelques temps après notre discussion au domaine, j'suis allée retrouver ma mère. C'était il y a quelques jours en fait. Et ça m'a fait .. beaucoup de bien." J'inspirais un peu. "Nos retrouvailles ont été un peu mouvementées, puisqu'elle n'a pas trop traîner à me dire que tu étais là, en ville." Je marquais une pause. "Mais je vais beaucoup mieux, j'me suis sortie d'une mauvaise passe, vraiment. Et tu sais, c'est en partie grâce à toi." J'lui souris, sincèrement. Repensant à tout ce qu'il avait fait pour moi. "Tu t'en rendais pas spécialement compte, mais t'as été comme une p'tite lumière, la petite étincelle qui me manquait pour remonter la pente." J'restais quelques instants, avec juste mes yeux plantés dans les siens. "J'comprends pourquoi ma mère me disait sans cesse que j'avais tes yeux. C'est comme des copies conformes." J'souris à ces mots, c'était la première fois que je verbalisais cette vraie ressemblance que j'avais avec lui. J'inspirais encore une fois, puis je me levais, toujours mes yeux posées sur Ciàn. "Tu me les présentes, tes deux chats de vieux quarantenaire?" J'lui tendais la main, un petit sourire amusé aux lèvres. On avait beaucoup de temps a rattraper, peut-être qu'on n'aurait pas assez d'une vie pour le faire, mais j'voulais nous donner cette chance. Et ça commençait aujourd'hui.

Il y avait beaucoup de douceur qui découlait de ce moment. Beaucoup d'émotions. Beaucoup de tendresse. Ils se connaissaient tous les deux. Ils avaient appris à s'écouter, à s'apprécier avant même que la vérité n'éclate, avant même qu'ils ne fassent cas de leur lien de parenté. Et c'était sûrement ce qui changeait la donne. Finalement, on donnait encore plus de poids à un lien qui s'était tissé déjà fortement. Maddie était prête à lui donner ce poids-là. Il se rendait compte qu'elle lui donnait une seconde chance et il se promit, ce soir-là, de ne jamais la décevoir. Ils avaient du temps et beaucoup de choses à rattraper et même si les sujets étaient parfois sensibles, il y avait toujours cette sérénité qui primait. Quand ils parlèrent de Leewana, Ciàn eut un sourire sur le bout des lèvres en entendant les mots de Maddie. Cela ne l'étonnait pas. Leewana, c'était une perle de douceur. Il n'avait jamais douté en sa capacité de mère, contrairement à lui, qui avait lâchement fui parce qu'il ne pensait pas en avoir les épaules. Et ce qui était le plus beau, c'était qu'à un moment, Lee n'avait essayé de le dénigrer auprès de Maddie. Il allait devoir la remercier, parce que cela participait aussi au fait que la petite Reynolds était là, aujourd'hui, face à lui, sans avoir l'envie d'en découdre avec lui. Leewana avait participé aussi, à sa façon, à la deuxième chance que Maddie offrait à Ciàn. Après ce moment plein d'émotions, le brun tenta un peu d'humour en rebondissant sur la photo que Maddie avait de lui. Une photo d'un Ciàn adolescent, avec son air de jeune qui voulait bouffer la vie et ses cheveux longs, signes de rébellion. Il rit à la réplique de Maddie : « Ce n'est donc pas une génération perdue ?! Ouf ! » La vraie phrase de vieux, bien taquine, appuyée par un regard complice. C'était leur truc, se moquer l'un et l'autre de leur âge respectif. Mais il retrouva son sérieux, esquissant un sourire quand elle affirma qu'elle préférait la version de lui d'aujourd'hui. C'était émouvant d'entendre cela. Puis il ouvrit grand la porte de chez lui, de son histoire en parlant à cœur ouvert de son long célibat, de cette illégitimité à construire une famille après ce qu'il avait fait. Cela faisait presque écho avec l'histoire de Leewana, qui s'était elle aussi fermée à l'amour. Peut-être qu'en se retrouvant, ils allaient enfin pouvoir mettre un THE END sur une histoire ancienne, sur des craintes affiliées, sur une culpabilité qui collait à la peau. Oui, il espérait qu'ils avanceraient tous les deux. Leewana méritait tant de connaître l'amour, d'être aimée à sa juste valeur. Il recentra la conversation sur Maddie, souhaitant savoir ce qu'il s'était passé pour elle, ces derniers jours. Ils s'étaient évités au domaine et il voulait aujourd'hui rattraper le temps perdu. Il l'écouta avec grande attention, son sourire ne disparaissant pas des lèvres alors qu'elle évoquait le bien que cela lui avait fait de retrouver sa mère, même si Leewana avait dû lui faire part du retour de Ciàn. « Désolé d'avoir un peu entaché les retrouvailles... » dit-il en grimaçant, écoutant la suite. Il fut tellement soulagé d'apprendre qu'elle allait mieux, qu'elle sortait la tête hors de l'eau, qu'elle avançait de jour en jour. Ses mots le touchèrent grandement, s'empressant de secouer la tête : « Je n'ai pas fait grand chose, tu sais. C'est toi qui l'avais cette petite étincelle. Tu avais juste besoin qu'on te dise qu'elle était là pour que tu la ravives. » Il n'avait donné qu'un petit coup de main parmi tant d'autres. Maddie était bien entourée. « Je suis heureux que tu aies remonté la pente. Je savais que tu pouvais dépasser tout ça. Tu as une force en toi que tu ne soupçonnes pas, Maddie. Vraiment ! » Soutenant son regard, ses lèvres s'agrandirent encore plus quand elle évoqua leurs regards si ressemblant. Ils avaient les mêmes yeux noirs. « C'est la première chose que Lee m'a dit, aussi. Et j'avoue que j'en suis plutôt fier. » dit-il sincèrement heureux. « Tu as énormément pris de ta mère. Tu lui ressembles beaucoup. Sauf la fossette, là... ça, c'est ton grand-père maternel. Je te montrerais des photos. » C'était tellement naturel, de l'inclure dans son futur, de lui parler de son passé, de son héritage familial. De lui présenter sa famille. Peut-être qu'il allait vite en besogne, mais c'était sorti tout seul. Mais Maddie semblait être dans cette optique puisque, quand elle se releva, elle lui demanda de lui présenter ses deux chats de quarantenaire. « Presque quarantenaire, s'il te plaît ! » Il rit joyeusement. « Allons-y ! Tu vas voir, ils ont un sacré caractère. » Il attrapa sa main et se releva à son tour, se plantant face à elle. Il posa son regard sur la jeune femme et finit par demander, un peu gêné : « Est-ce... enfin... si ça ne te gêne pas bien sûr, est-ce que je peux te prendre dans les bras ? » Il en ressentait le besoin. C'était juste instinctif.

Ces retrouvailles, j'les avais pensés, des dizaines de fois depuis très longtemps. Je m'étais imaginée retrouvant mon père, un jour. Et généralement, quand je me faisais le film dans ma tête, c'était plutôt d'la colère et de la tristesse qui ressortait. Je m'étais imaginé lui hurler dessus, lui déversant ma rage. Mais j'devais reconnaître que depuis que je savais qui était réellement mon père, que j'avais pu mettre un nom et un visage sur ce paternel absent de ma vie, je n'avais plus vu les choses de la même manière. Comme si, le simple fait de savoir qu'il était réellement là, vivant, et si proche de moi sans que je ne le sache, ça avait changé la donne, du tout au tout. Ciàn, il était présent dans ma vie avant même que je sache qui il était réellement. Et ça m'avait fait moins peur. J'avais beaucoup d'estime pour lui, il avait été un réel repère lorsque je perdrais pied. Il m'avait fait confiance, il m'avait considérée comme une adulte et les quelques semaines à travailler à ses côtés au domaine, ça m'avait aidé à remonter la pente. C'est lui aussi qui m'avait convaincue de retourner auprès de ma mère. Il m'avait apporté beaucoup. Depuis que j'avais mis un pied dans le domaine, ce jour là, marchant vers cette rencontre qui m'effrayait, à l'instant où j'avais posé mes yeux sur lui, mes craintes s'étaient envolées. On avait réussi à parler, calmement, sincèrement, j'étais prête à entendre ce qu'il avait à me dire, et j'crois que j'étais assez mature aujourd'hui pour lui pardonner. Ca allait être long de rattraper tout ce temps perdu, mais j'me sentais prête à le faire, prête à lui laisser une vraie place dans ma vie. J'avais pas peur de parler à Ciàn de ce que j'avais sur le coeur, de lui partager notamment cette histoire de photo. Le seul petit bout de papier que j'avais de lui, qui me rattachait à lui. Comme depuis notre rencontre, on aimait bien se taquiner sur notre différence d'âge. Et ça prenait tout son sens aujourd'hui. Je riais avec lui lorsqu'il parlait de génération perdue. Mais oui, c'est vrai que cette photo de mon père m'avait accompagnée, tout au long de ma vie. Et elle avait une p'tite saveur particulière aujourd'hui et je savais que je ne la regarderais plus jamais de la même manière. La discussion entre nous, elle avait toujours été simple et c'était la même chose aujourd'hui. Ciàn prenait de mes nouvelles, j'pense qu'il avait été pas mal inquiet de savoir que j'avais un peu vrillée mais j'étais contente qu'il me rencontre sous un jour plus rayonnant que ce que j'avais pu être par le passé. Ciàn s'excusa d'avoir troubler les retrouvailles avec ma mère, je secouais la tête lentement, comme pour lui montrer qu'il n'avait pas à s'excuser de ça. La suite de ses mots me touchèrent énormément, il avait ce p'tit don, comme celui que ma mère avait, pour voir le plus beau chez moi. Je souris tendrement. Il parlait de ma force, de l'étincelle que j'avais en moi, et de l'entendre dire tout ça, je sentais une petite larme déborder de mes yeux. "Ca me fait du bien d'entendre ça, vraiment. J'veux plus jamais tomber comme ça. Et maintenant que j'ai renoué le contact avec ma mère, et que tu es là, j'me sens encore un peu plus forte." Nos regards étaient bien connectés, j'essayais à chaque seconde de réaliser qu'il était bien là, devant moi, mon père et j'm'étais perdue dans son regard sombre, dans ses iris noires qu'on partageait tous les deux. J'souris lorsqu'il me dit qu'il était fier d'avoir les mêmes yeux que moi. "On a vraiment des très beaux yeux, toi et moi." rajoutais-je, histoire de nous lancer un p'tit peu des fleurs. La fierté, j'pouvais la lire dans son regard, et ça me donnait beaucoup de consistance à ce moment. La fierté dans le regard de son père, c'est quelque chose qui m'avait beaucoup manqué. Ciàn continua ma petite analyse physique et j'écarquillais les yeux. "C'est vrai? J'l'ai toujours beaucoup aimé cette petite fossette là." que j'disais en touchant ma joue. J'me sentais soudainement rattachée à un héritage familiale. Ma mère m'avait élevée, seule. Je n'avais pas manqué d'amour, ça c'est certain, mais je n'avais aucune attache autre qu'elle, je n'avais pas connu l'amour des grands-parents, le plaisir de jouer avec des cousins et des cousines, et aujurd'hui, ce monde là, il s'ouvrait à moi. "Tes parents, ils sont à Bowen?" que j'lui demandais assez curieuse. J'aurais peut-être un jour la chance de les rencontrer. J'voulais surtout pas que ce moment s'arrête, avec lui. J'étais bien, là, dans ce domaine, avec lui près de moi. J'voulais tout découvrir de lui et je m'étais levée, lui tendant la main, pour qu'il m'emmène me faire visiter sa vie, à commencer par ses chats de quarantenaire. Sa réponse m'arracha un rire. "J'suis sûr qu'on va bien s'entendre eux et moi!" Ciàn attrapa ma main, se leva, pour me surplomber de sa grande carrure. J'avais une mère et un père assez grand, mais apparement, je n'avais pas eu la chance d'avoir ses gênes là. J'étais toute petite. Je levais alors les yeux vers Ciàn et à sa demande, je ressentais une grande chaleur en moi, du bonheur que ça s'appelle. Sans rien dire, dans un élan presque viscéral, j'me blottissais contre lui. Ma tête se reposa sur le haut de son torse et mes bras enlacèrent son dos, j'le serrais du plus que j'pouvais, de mes p'tits bras dépourvu de force. J'fermais les yeux un instant, respirant son parfum réconfortant, pour la première fois. "J'en avais envie depuis que j'suis arrivée ici, d'être dans tes bras." que j'lui murmurais alors que des larmes commencèrent à couler de mes yeux clos. J'restais là, sans bouger, incapable de quitter cette étreinte. J'étais au creux des bras de mon père et j'crois que cette place là, en fin de compte, malgré tout ce qui s'était passé, elle était la mienne, depuis toujours.

C'était tellement fluide, tellement simple. Tellement émouvant. Il aurait pu se passer tout et n'importe quoi durant ces retrouvailles, mais ils avaient misé sur la sincérité et l'émotion. Ils s'adoraient déjà, ces deux-là, et probablement que cela avait aider à faire pencher la balance. Après, Ciàn n'était pas dupe. Il savait que le chemin allait être long pour qu'elle l'accepte pleinement dans sa vie. Il ne pourrait jamais rattraper tout le temps perdu, mais ils avaient encore de belles années devant eux pour construire leur relation, pour lui montrer qu'il était désormais là, pour elle, pour l'écouter, pour la réconforter, pour la ramener sur le bon chemin. Pour être un vrai père pour elle. Et il commença, ce soir, en lui montrant les qualités qu'elle avait, cette force qu'elle ne soupçonnait pas et qui lui avait permis de sortir d'une période bien trop sombre. Elle avait déjà changé, Maddie : elle s'était remplumée, elle n'avait plus ses cernes noires, son teint terne, ses joues creusées qui témoignaient des démons intérieurs qu'elle avait affronté quotidiennement. Elle était là, rayonnante, solaire, pleine de vie. C'était beau à voir. En voyant cela, c'était une vague de fierté qui envahissait Ciàn. Il esquissa un sourire à ses mots : « Je pense que ta mère et moi, on ne te laissera pas retomber, c'est certain. » Il marqua un temps d'arrêt et reprit : « Tu peux venir me parler quand tu veux. Et je sais que, pour ta mère, c'est pareil. » Elle n'était pas toute seule, Maddie. Alors qu'elle évoqua leurs regards si identiques, Ciàn continua en évoquant la fossette sur la joue de sa fille, digne héritage du côté de son grand-père maternel, enfin arrière grand-père pour elle. Maddie allait se découvrir une famille, même si certains n'étaient plus de ce monde, malheureusement. D'ailleurs, elle lui posa une question sur ses parents : « Comme tu le sais déjà, ma mère est décédée. Mais mon père et ma belle-mère sont à Bowen, entre deux voyages. » Il esquissa un sourire amusé. Elle venait d'intégrer une famille de globe-trotteurs. « Il y a ma sœur et mes cousins qui sont là aussi. Il va falloir que je te fasse un vrai topo, ça sera plus simple quand tu les rencontreras tous. » C'était tellement naturel pour lui. De l'inclure dans sa vie, dans son entourage. De lui faire rencontrer sa famille, elle qui n'en avait pas vraiment du côté de Leewana. Mais pour l'instant, c'était la rencontre avec ses chats, un moyen pour lui de lui montrer son petit nid pas encore très douillet, mais qui le représentait. « Je pense que ce seront les pires membres de la famille. Si ça passe avec eux, ça passera avec tout le monde. » blagua-t-il en se relevant. Planté devant elle, il l'observa du regard et sans même réfléchir, il se laissa porter par son instinct, lui demandant ce qu'il voulait tant faire depuis quelques minutes : la prendre dans ses bras. Il craignait le refus, bien évidemment, mais il comprendrait que cela était bien trop tôt. Mais sans un mot, Maddie s'empressa de prendre refuge entre ses bras. Il entoura sa silhouette frêle, lui rendant son étreinte avec émotion, la tête posée sur le haut de sa tête. « J'en rêvais dès le début, moi aussi. » répondit-il dans un murmure, la resserrant encore un peu contre lui. Un long silence s'installa parce que ce moment se passait de mots. C'était une étreinte si réconfortante, si émouvante qu'aucun mot ne pouvait décrire correctement. Pour Ciàn, c'était un bonheur incommensurable. Un moment qui marquait probablement le début d'un beau lien qui se profilait entre une fille et son père. Il ne sut combien de temps ils restèrent ainsi mais quand il la relâcha, il vint essuyer du revers de sa main les larmes qui coulaient sur la joue de Maddie, la gratifiant d'un regard pétillant de joie et de fierté. « Allez, viens, je vais te présenter Noël et Liam... » Il lui lança un regard amusé. Oui, c'était les noms de ses chats, des noms dignes d'une bonne blague de daron qu'il était dorénavant. Ils passèrent la soirée ensemble, à manger un bout, à discuter, à refaire le monde, entre les rires, les blagues stupides, les moments d'émotion et les confidences. C'était une soirée unique qui resterait à jamais gravée dans la mémoire de Ciàn. C'était le début d'un tout, tout simplement.

FIN