I thought we had something precious now I know what it's worth || Ciàn

Tout ceux qui connaissaient Ciàn savaient qu'il prenait son temps. On le qualifiait parfois de mystérieux, de réservé, quand on ne le connaissait pas, mais ceux de son entourage savait qu'il s'épanchait peu, surtout sur sa vie privée. Il gardait des choses pour lui, oui, mais dans la majorité des cas, il offrait la vérité quand il le sentait, lui. Quand il était prêt à en parler. Il comptait parler de Maddie à Andrew. Oui, il voulait le faire. Mais il avait d'abord eu besoin de se recentrer, de se replacer face à une vie qui changeait du tout au tout (et il ne savait pas encore que, d'ici quelques temps, sa vie serait doublement bouleversé...). Là, la vérité lui avait échappé. Andrew et Maddie s'étaient rencontrés, par pur hasard. Et Ciàn avait été mis devant le fait accompli. L'échange de textos avec son cousin avait été froid, tant et si bien que le tennisman se doutait que ce dernier lui en voulait. Il voulait rattraper la chose et lui montrer que non, il ne comptait pas lui cacher une telle nouvelle. Quand il poussa la porte de la boutique, Ciàn remarqua qu'il n'y avait personne. Tant mieux si c'était calme, ils allaient pouvoir crever l'abcès plus facilement. Dès l'instant où son cousin se retourna vers lui et le gratifia d'un salut assez froid, Ciàn comprit qu'il allait devoir l'armada d'arguments. « Hey ! » lâcha-t-il refermant la porte derrière lui. Il montra le petit paquet qu'il avait en main. « Je me suis arrêté chez Imogen pour acheter des gâteaux. » Il savait que son cousin adorait cette pâtisserie. En profitait-il un peu pour l'adoucir ? Sûrement ! Il posa la boîte sur le comptoir et se plaça face à son cousin. « Je suppose que tu m'en veux ? » Autant aller à l'essentiel et laisser parler Andrew pour pouvoir, ensuite, bien mieux s'expliquer.

Au moins, c'était clair et net : Andrew lui en voulait. Ciàn leva les yeux au ciel et ne put réprimer un soupir. Il sentait clairement que tout cela allait l'énerver. Il allait se prendre les réprimandes de sa famille. Il écouta son cousin, secouant la tête en entendant ses mots et lâchant aussitôt : « Tu crois que c'était simple pour moi ? De garder un tel secret ? De vivre tous les jours avec ce regret qui me bouffe depuis que j'ai eu la putain d'idée de partir ? » Ciàn se braqua immédiatement : « On est proches, Andrew. Mais là, c'est ma vie privée. C'était à moi de vivre ça tout seul. Je n'avais pas besoin d'entendre les reproches  de la famille. J'avais 17 ans et j'avais la trouille.  Et je n'avais pas envie qu'en plus de ça, vous me preniez un lâche. Je ne pouvais pas l'entendre de vos bouches... » Oui Aylin avait été au courant, mais des deux jumeaux, elle était la plus douce. Et surtout, elle avait vu Ciàn à un moment où il sombrait totalement. C'était pour cela qu'elle avait été mise au courant. Dans le cas contraire, il se serait tu et aurait mis son masque habituel, jouant le cousin amusant, que rien n'atteignait. Andrew lui parla ensuite de Maddie, ce qui permit à Ciàn de se radoucir un peu. Il hocha doucement la tête et approuva : « Oui, elle est vraiment chouette. » Et cela remuait encore plus le couteau dans la plaie, parce qu'il se rendait compte de tout ce qu'il avait raté. A la dernière question de son cousin, Ciàn resta silencieux quelques secondes avant de répondre : « Je ferai ce qu'elle voudra. Je prendrai la place qu'elle voudra me donner. Je ne suis pas certain qu'elle me verra un jour comme son père, j'ai loupé trop de choses, mais j'espère qu'elle me fera une place dans sa vie. » Oui, il l'espérait tellement. Il espérait devenir une personne de confiance auprès de qui elle pourra se confier, auprès de qui elle pourra trouver du réconfort. Ciàn se frotta les yeux, épuisé par tout cela et finit par demander : « Comment ça s'est passé, votre rencontre ? » Il voulait tout savoir. Comment ils s'étaient rencontrés. Comment ils avaient fait le lien de parenté. Comment ils voyaient désormais leur relation.

Ciàn ne rétorqua pas à la réplique d'Andrew, mais son visage s'était renfrogné et son regard se faisait assassin. La tension commençait clairement à monter entre eux et les mots qui suivirent n'allaient en rien arranger la situation. « Tu ne comprends rien ! » s'exclama-t-il, en levant les yeux au ciel. « Je ne dis pas qu'on était proches ou non. Je dis juste que c'était quelque chose qui ME concernait. Le vivre seul, c'était la solution qui semblait être la meilleure pour moi à l'époque. Sans savoir que je me trompais royalement. Tu crois que je n'ai pas envie de retourner en arrière et de dire à ce petit con de 17 ans de se rapprocher de la famille ? » Mais ses derniers mots l'achevèrent. Il aborda sa maladie, ce qui fit rire jaune Ciàn. « Si j'avais su, je n'aurais rien dit là aussi. » Il n'était pas aveugle, Ciàn. Il avait bien vu qu'apprendre pour sa maladie avait fichu un coup à Drew, qui était déjà bien fragile. Si Andrew ne l'avait pas vu aussi mal ce jour-là, Ciàn n'aurait sûrement rien dit, oui. Et pour le coup, il l'assumait. Il croisa les bras contre son torse dans une position complètement renfermé, le sourcil relevé alors qu'il reposa son regard vers son cousin. Heureusement, Maddie vint faire retomber la pression entre les deux cousins. Ciàn se questionnait tous les jours sur la place qu'il allait avoir dans la vie de sa fille. Sur la place qu'elle souhaiterait lui donner. Andrew lui conseilla de lui laisser du temps. Phrase qu'il aurait pu approuver d'un signe de la tête s'il ne la terminait pas avec cette pique qui le crispa de nouveau. « Commence pas. » lui dit-il calmement, ses yeux se faisant noirs comme jamais. Il avait juste l'envie de l'envoyer bouler mais il prenait beaucoup beaucoup sur lui, Ciàn. Il secoua la tête et préféra plutôt laisser couler. Ce qui l'intéressait le plus, là, actuellement, c'était de savoir comment ils s'étaient rencontrés. C'était vraiment une rencontre au hasard, à un moment privilégié. Comme s'ils étaient destinés à se rencontrer. Ciàn hocha doucement la tête, ne pouvant s'empêcher un léger sourire se dessiner sur les lèvres en entendant la fin de sa phrase : « Elle est attachante, hein ? » Il avait eu le même sentiment, avant même de savoir qu'il était le père de Maddie. Elle avait une aura si solaire, cette petite. « Et comment vous avez su que vous étiez de la même famille ? »

C'était tendu. Il fallait dire que les non-dits et les secrets qui explosent faisaient toujours des dommages collatéraux. Surtout que, dans le cas de Ciàn, les secrets avaient explosé involontairement. Ce n'était pas lui qui avait dit la vérité. C'était la vérité qui s'était imposée à lui. Sans doute aurait-il continué à jouer l'autruche, empirant probablement le moment où la vérité aurait éclaté ! Mais en face de lui, il avait Andrew. Andrew qui savait mieux que quiconque ce que c'était de tout garder pour soi et de laisser sa peine vous bouffer jusqu'au point de non-retour. « Bah, faut croire que c'est de famille. » De ne rien dire et d'attendre de se prendre le mur en pleine face. Néanmoins, Andrew marqua un point en misant sur un facteur indéniable : l'entourage. Son entourage et sa maladie. Il avait sûrement raison : sans doute, ses proches préféreraient savoir pour sa maladie plutôt que de l'apprendre quand quelque chose lui arrivera. « Sauf que ce n'est pas facile de le dire. » murmura-t-il en détournant le regard. Il était là, le problème. Il n'arrivait pas à le dire, parce que lui-même n'acceptait pas d'être plus faible, d'être fatigué après la moindre tâche physique. Il n'acceptait pas de ne plus être maître de lui, de son corps. Mais ça, il n'était pas certain qu'on le comprenne un jour. Heureusement, Maddie permit d'apaiser la conversation. La rencontre hasardeuse avec Andrew faisait bien les choses. Cela avait dû être étrange d'apprendre d'être lié de la sorte. « C'est quand même dingue. Mais je suis content que ça se soit passé de la sorte. Je veux dire, ça vous a permis de créer quelque chose sans que je sois dans l'équation. » Si Maddie avait connu Andrew lors d'un repas de famille, ça aurait peut-être été plus intimidant pour la jeune femme. « Et puis, c'est cool de voir que vous vous entendez bien. » En même temps, qui ne pouvait pas s'entendre avec Maddie ? La voix d'Andrew le fit sortir de ses pensées. Il hocha doucement la tête à ses mots. « Tout est bizarre, à vrai dire. Je savais que j'avais un enfant quelque part, mais là, l'avoir près de moi, la voir si grande, si mature, c'est étrange. Y a pas que dans le boulot. Dans ma vie, aussi. Il faut qu'on apprenne à se laisser une place, à créer un lien qui, à l'origine, était purement professionnel et qui devient, finalement, très personnel. C'est un chamboulement pour moi qui ai été seul pendant des années. » Sans femme, sans perspective d'enfant. « … mais je l'adore, cette gamine. » conclut-il avec un sourire qui voulait tout dire. Il marqua une pause avant de reprendre, avec douceur : « Elle me fait beaucoup penser à Aylin... » La cousine. La jumelle d'Andrew. Oui, Maddie tirait beaucoup de sa cousine disparue.

En entendant la première phrase de son cousin, Ciàn comprit qu'il était allé un peu trop loin dans sa provocation. Pour Andrew, tout garder pour lui avait eu des conséquences terribles, desquelles il ne parvenait toujours pas à s'en dépêtrer. « Pardon... » dit-il en murmurant, préférant abdiquer plutôt que de voir la conversation aller vers des points de non-retour, parce qu'ils étaient chacun blessés dans leur ego. Ils avaient tous les deux du mal à parler à cœur ouvert, au lieu de se comprendre sur ce point, ils avaient préféré s'affronter. Mais doucement, le ton employé redescendit. Parler de Maddie apaisa les tensions. Andrew se permit même une petite question qui arracha un rire à Ciàn. « Non, pas d'autres enfants cachés. Ou alors, je ne les connais pas encore. » C'était plutôt une boutade, la dernière phrase. Il n'avait plus vraiment été dans des relations sérieuses, Ciàn, mais pour les fois où il avait cédé aux charmes féminins, il avait toujours été fait attention de bien se protéger. Normalement, il n'avait pas d'autres enfants dans ce bas monde.Alors qu'il se confia sur sa relation avec Maddie, Andrew tapa dans le mille. « Encore plus quand à l'origine, je n'étais que son patron. » Même au domaine viticole, cela avait été étrange pour les autres saisonniers. Forcément, Maddie passait au-dessus de tous.Il marqua une pause avant de lâcher sa pensée de l'instant : Maddie qui ressemblait tant à Aylin.Il savait que cette phrase faisait du mal à Drew, mais au fond, il voyait cela comme un signe de sa cousine, comme si elle était toujours un peu là avec eux. Il écouta le jeune homme avec attention, esquissant un sourire quand il parla de la jeune Reynolds. « Ouais, elle fonce dans le tas. Et pour nous qui avons nos petites habitudes, c'est assez déroutant au début. » Pour le coup, cela lui plaisait qu'elle déroute Andrew, parce que cela le poussait à avancer. Son sourire s'élargit encore plus en apprenant que Drew et Maddie allaient apprendre la guitare ensemble. « C'est une super idée ! » dit-il, d'abord enjoué, secouant ensuite la tête face à ces derniers mots. « En quoi tu crains qu'elle ne te supporte plus ? »