everything's been so messed up here lately, (oskár)

Depuis votre retour de voyage en janvier, Sahar et toi ne sembliez pas être sur la même vague, vous étiez toujours autant amoureux mais il y avait ce petit quelque chose de différent. De brisé. Tu savais évidemment ce que c’était, Oskár. C’était cette conversation que vous aviez eu au beau milieu de l’aéroport de Singapour. Elle avait tout gâché, en plus de ne rien amener de concluant. Sahar t’avait promis de reparler de ses addictions plus tard, après le voyage, lorsque vous seriez dans votre intimité, plus tranquilles. Finalement, les rares fois où t’avais puisé le courage d’aborder à nouveau la question, elle avait trouvé le moyen de te répondre évasivement, sans jamais s’engager plus qu’il ne le fallait. T’étais déçu, Oskár. Attristé de voir que votre relation stagnait et que tu n’arrivais toujours pas à percer la coquille de Sahar. Tu te surprenais parfois à te réveiller un matin et à te dire que ça y est, c’était terminé, tu le lui dirais que t’en pouvais plus de vivre dans cette relation-là. Puis ton regard croisait celui de ta petite amie et tout d’un coup t’y arrivais plus, Oskár, à respecter cette promesse que tu t’étais faite. Tu l’aimais bien trop. Tu l’aimais à en crever. Alors tu avais continué, pendant les cinq derniers mois, à la regarder s’éteindre à petits feux, à la regarder s’tuer à coup de shots et de pilules. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même et égoïstement, t’attendais maintenant juste qu’elle touche le fond du baril pour qu’elle réalise d’elle-même que ce qu’elle se faisait ne pouvait plus tenir. Toi, t’avais beau lui dire n’importe quoi, elle ne voulait rien entendre. Si elle n’était pas prête, tu ne pouvais la forcer. Ça continuerait ainsi jusqu’à ce que tu te lasses. Jusqu’à ce que l’amour ne suffise plus.

Ce soir t’étais éclairé d’une faible lumière, sur ton balcon extérieur, en train de construire le dernier LEGO que tu t’étais acheté. C’était un gros modèle d’un Mars Rover de la NASA. T’avais pas mal de potes qui se moquaient de ta collection de petits blocs, c’était peut-être enfantin, mais pour toi c’était presque thérapeutique de les assembler. C’était un moment rien qu’à toi et tu pouvais te perdre dans tes pensées. T’entendis d’ailleurs pas Sahar arriver par le parking de l’école de voile. Tu ne l’entendis pas non plus monter les escaliers extérieurs qui menaient jusqu’à ton loft, au-dessus de ta business. Ce n’est que lorsque t’entendis sa voix s’élever à l’intérieur du loft, te demandant si tu dormais, que tu constatas sa présence. Tu tournas la tête vers l’intérieur du loft, la porte du balcon était ouverte, te permettant d’entendre ce qui se passait à l’intérieur de chez toi, mais toi t’étais dissimulé derrière le mur. Tu te levas donc, et rentras par la porte opposée à celle par laquelle Sahar était passée. « J’dors pas. » Lui soufflas-tu doucement, un sourire pas trop convaincu sur les lèvres. « Je m’attendais pas à te voir ce soir. Ce truc dont tu m’as parlé doit être important. » Et tu ne savais pas trop si tu étais prêt à l’entendre, finalement. Même après des mois d’attente.

Tu ne savais pas trop comment prendre l’arrivée impromptue de Sahar, ce soir. Généralement, t’étais plus que ravi de la voir débarquer même sans prévenir, puisque cela signifiait que t’allais pouvoir passer la nuit scotché à elle. Depuis quelques mois cependant, y’avait des nuits durant lesquelles vous étiez tellement dans vos pensées, que finalement vous vous endormiez avec un espace entre vous deux, ce qui n’arrivait jamais avant. Étiez-vous en train de devenir un vieux couple, tout simplement, maintenant que vous frôliez l’année ensemble ? Non. Tu savais que non, Oskár. C’était autre chose, c’était autre chose qui siphonnait votre passion, qui contrôlait le brasier autrefois irrépressible. C’était cette conversation à l’aéroport et à quelque part c’était bien plus que ça encore, cependant Sahar ne t’en glissait jamais de mots et tu n’avais même plus envie d’insister auprès d’elle. T’attendais, en silence, que le déclic se fasse. Ou alors t’attendais de sentir que c’était le bon moment de quitter. Ce soir dans tes pensées tu pousserais un soupir de soulagement de ne pas avoir trouvé ce moment-là encore. De ne pas avoir baissé les bras face à Sahar. Parce que Sahar, elle s’ouvrait enfin. « Comment ça dans la merde ? » Commenças-tu d’abord, pas encore trop inquiet. Venant de Sahar n’importe quoi, à peu près, pouvait être considéré comme un merdier. Elle pouvait se montrer tellement impatiente et critique que ce pouvait très bien être une simple réprimande de Percy quant à un retard de sa part, qui la mettait dans cet état. C’est lorsqu’elle ajouta que c’était à propos de l’agression de Levi, et qu’elle ne t’avait pas tout dit, que tu fronças les sourcils. Là, elle piquait ta curiosité, et suscitait de l’inquiétude. « Ok … J’t’écoute, maintenant. » Et Sahar se lança donc dans son récit, ne te laissant pas intervenir une seule fois avant qu’elle n’ait terminé de t’expliquer la situation. Ton coeur se serrait, de plus en plus, en comprenant qu’elle n’était pas que dans la merde, elle était potentiellement en danger, aussi. Tu restas un moment immobile, une fois qu’elle eut terminé de parler. Puis, tu secouas la tête de gauche à droite, allant t’asseoir sur le bout de ton lit qui était à ta gauche. Tu baissas la tête et ta main l’attrapa, tu te frottas le front un moment, avant de te redresser les épaules et de regarder Sahar. « Attends, si j’ai bien compris, c’est Levi qui t’a traînée dans cette merde ? Si c’était pas de lui, ces types s’en seraient jamais pris à toi ? » Une raison de plus de détester ton collègue que tu ne portais déjà pas du tout dans ton coeur. « Mais alors qu’il continue à bosser pour eux et à subir leur chantage, qu’est-ce que j’en ai à foutre moi, d’lui ? Tant qu’il ne t’arrive rien à toi. Alors s’il faut qu’il se tue à la tâche qu’il le fasse. Il avait qu’à pas t’entraîner dans cette histoire. » Crachas-tu, même si tu ne pensais qu’à demi-mot ce que tu disais. T’étais en colère, Oz, mais ça ne t’empêchait pas de te dire que t’aimais pas que Sahar se retrouve dans cette position, que Levi continue de bosser pour eux ou pas, elle était dans leur mire, à ces mecs. Et ça te plaisait pas. Pas du tout.

Tu aurais dû savoir que cette spirale descendante dans laquelle vous sembliez coincés, n’était pas seulement due à votre querelle en voyage. Tu aurais dû voir, dans l’éloignement de Sahar, un signe qu’il y avait autre chose, de plus grand, de plus profond, de plus ancré. Une peur. Le chaos. Mais non, Oskár, t’avais été centré sur ta propre personne et sur ton mécontentement face à cette relation qui n’était plus ce qu’elle était, ou au contraire, qui stagnait là où elle avait toujours été, c’est-à-dire dans la catastrophe. C’est vrai, au fond, au-delà de la passion inégalable qui vous habitait souvent, il y avait surtout un beau bordel. Sahar et toi aviez rarement passé une journée complète sans vous prendre la tête, pour un oui, pour un non, pour un détail ou pour une question existentielle. À la vue de la tête qu’elle faisait ce soir en rentrant chez toi, tu te doutais que cette nuit aussi, se solderait par une dispute. Elle semblait vouloir parler de choses sérieuses, ce qui était plutôt rare dans le cas de la brunette. Tu te préparais donc au pire. Et t’avais eu raison de le faire. Ses révélations te laissèrent d’abord sans mot, puis comme un volcan de colère. T’allas t’asseoir au bout de ton lit, la tête dans tes mains, parce que c’était beaucoup d’informations à ingérer et surtout, à digérer, ce qui allait difficilement passer. Évidemment, ta rage elle était surtout dirigée vers Levi, puisqu’à tes yeux il était l’unique responsable de ce merdier dans lequel se trouvait ta copine. Mais elle, elle trouvait encore le moyen de le défendre, d’une certaine manière. « Un prétexte ? Un prétexte pour quoi … ? Ils en avaient déjà contre toi, ces gars ? Quand tu dis que tu les connaissais, c’est pour quoi ? » T’étais capable de commencer à t’imaginer le portrait, Oskár. De faire un plus un, et d’en arriver à deux. Évidemment qu’elle les connaissait en raison de sa dépendance aux drogues, ça tu n’avais même pas besoin qu’elle te le confirme. Mais est-ce qu’elle leur devait de l’argent ? Est-ce qu’elle avait des comptes à régler avec un d’entre eux ? Ou bien était-ce une histoire d’ex jaloux ? T’en avais aucune idée, t’imaginais pas mal n’importe quel scénario, là. T’avais juste du mal à bien saisir pourquoi Levi était dans cette histoire, pourquoi tout ne reposait que sur lui, tout d’un coup. Et ça te mettait hors de toi. T’avais juste une envie : le laisser crever dans son bordel. Mais Sahar avait raison, il n’était pas envisageable que sa vie dépende de Levi. Cette phrase acheva de te raisonner là-dessus. « Non, non, t’as raison. Ça, c’est hors de question. No fucking way que je vais laisser ta vie entre ses mains à lui. » Voilà que tu te prenais pour son grand sauveur, ou whatever ? En même temps, si Sahar abordait le sujet ce soir, c’est qu’elle avait besoin d’aide. C’est ce qu’elle te confirma d’ailleurs, même si elle soulignait ne pas attendre que tu la sauves. Elle montra sa compréhension face à ta colère mais admit ne pas avoir eu d’autre choix que de t’impliquer, cette fois. « Je t’en veux pas de m’impliquer, Sahar. En fait j’aurais aimé qu’tu m’en parles bien avant que ça dégénère à ce point. Ça fait combien de temps que ça dure ? » Demandas-tu, te relevant du lit. À la suite de ta réponse, tu t’approchas d’elle. Tu la sentais d’un coup si fragile, dans cette crainte qui l’habitait, et ça te tuait qu’elle ait gardé ça pour elle, en-dedans d’elle, tout ce temps. Alors que toi tu continuais à t’éloigner, pensant que ce froid entre vous n’était dû qu’à une putain de dispute. « Qu’est-ce que je peux faire, Sahar ? Ils sont combien, ces gars ? C’est qui ? » Tu posas tes mains sur ses bras, descendant le long de ceux-ci, jusqu’à ses mains. Tu ne pouvais pas débarquer comme un imbécile face à des dealers du genre, t’allais te faire massacrer. Impliquer la police n’était pas non plus une option, cela risquait de mettre Sahar dans la merde elle aussi. Et fuir, t’en avais pas envie, et aider Sahar à fuir seule, c’était pas envisageable non plus. Peut-être qu’en t’mettant avec Levi, vous pourriez en venir à quelque chose, tous les deux. Mais rien que d’y penser t’avais l’goût de vomir.

Deux âmes à la dérive, vous vous étiez laissé emporter par des courants opposés, tous deux en eaux troubles mais sans même pouvoir vous apercevoir au-delà de la houle. Si tu l’avais aperçue, Sahar, Sahar et sa détresse, en train de se noyer sous le niveau de ses problèmes, bien sûr que tu aurais nagé jusqu’à elle, Oskár. Jamais tu ne te serais laissé, consciemment, volontairement, voguer vers d’autres lieux que vers elle. Là, ta fierté, ta rancune, ta déception, c’est elles qui avaient dicté ton éloignement. Si t’avais su, ça aurait tout autre. Mais n’était-ce pas là la preuve que votre amour, aussi fort soit-il, s’était également effrité ? Une personne qui aime, devrait constamment être là pour l’autre, aux aguets, que les problèmes soient visibles ou non. Tu l’avais échappé, Oskár. T’avais échappé Sahar. Tu n’en réalisais que ce soir, toutes les implications. Ta copine, elle te confirma tes doutes. Elle t’avoua s’être offerte en échange de drogues, pour ne pas avoir à sortir l’argent à la place. Tu serras la mâchoire, ton palpitant ne suivait plus le même rythme qu’à l’habitude, c’était les tambours de la colère en-dedans. T’avais aucune frustration envers elle, t’avais de la frustration envers ces hommes qui avaient profité de sa vulnérabilité, de sa dépendance, pour la faire leur. Et à quelque part, elle leur appartenait encore un peu, Sahar, si elle se retrouvait dans un tel merdier. La brune, elle t’affirma que tout ça s’était arrêté avant que vous vous mettiez ensemble. « C’est pour ça qu’t’as toujours tenu ce discours de vouloir foutre le camp de Bowen ? Si tu m’avais dit les vraies raisons, si tu m’avais un peu plus expliqué, j’t’aurais un peu plus suivie dans cette idée, Sahar. » Pour la protéger t’aurais été prêt à beaucoup, même si pour le moment l’idée de fuir avec elle ne t’enchantait guère. Ça revenait à admettre qu’ils gagnaient, les gens de ce réseau. T’avais pas trop envie de leur laisser cette victoire. Sahar te parla de l’agression de Levi, ce qui te ramena bien vite au rythme colérique de ton cœur. « Mais pourquoi Levi ? Pourquoi l’impliquer lui et pas … » Et pas toi, Oskár ? T’étais vraiment en train de faire une crise de jalousie parce qu’on avait battu un autre mec que toi pour mettre Sahar en garde ? En même temps, tu ne pouvais t’empêcher d’avoir ce nuage noir d’incertitudes au-dessus de ta tête. Mais ce n’était pas le moment. Tu balayas l’air entre vous, du revers de la main. « Whatever. C’est pas l’important pour là. » Pour le moment ce qui était primordial, c’était de t’assurer que Sahar était en sécurité. Malheureusement, ce n’était sans doute pas de ton ressort à toi, même en voulant à tout prix l’aider. « T’aurais pu, Sahar. N’importe quand. Peu importe où on en est. J’serai toujours là pour toi quand t’as besoin. » Ça n’avait pas été assez clair. Tu n’avais pas été assez démonstratif là-dessus. Alors à la place, elle s’était tournée vers un autre. Ça te faisait mal de le savoir. Tu te levas de ton matelas pour la rejoindre, posant tes mains sur ses bras puis vers ses mains, pour enlacer ses doigts dans une tentative de réconfort, de soutien. « J’ai un peu d’argent de côté. J’peux les payer pour qu’ils te laissent tranquille. J’m’en fous, j’vais leur donner ce qu’ils veulent. Y’a pas de prix pour te savoir en sécurité. » Tu te sortais à peine la tête hors de l’eau au niveau de tes dettes, c’était inconscient de croire que les maigres économies que t’avais suffiraient à les faire changer de cap.