Escrot un jour, escrot toujours ⊱ DONNIE

« Holà tout doux ! J’viens en paix. J’ai juste besoin d’un coup de main… d’une tige en fait pour récupérer ma voiture. »

Le jeune homme leva une main devant lui, signe qu'il ne cherchait pas les embrouilles. Je ne lâchais pas ma barre en ferraille pour autant et lui lança un regard suspicieux. Il voulait une tige en fer pour récupérer sa voiture... Ça puait le petit arnaqueur à la manque qui voulait piquer une bagnole sans trop s'emmerder. Ce qu'il faisait était risqué. Il avait forcément vu le voleur en moi, mais s'il en était un aussi, il devait savoir qu'on ne pouvait décemment pas faire confiance à nos semblable. C'était un milieu très rude. D'un autre côté, sa posture et son allure laissaient suggérer qu'il était dans une merde noire, non pas que j'étais prompt aux élans de générosité. Je marquais une petite pause, histoire de réfléchir un peu. Les sourcils froncés, je sondais mon interlocuteur avant de prendre la parole en hochant la tête d'un air perplexe.

«Une tige... Pour récupérer TA voiture... Tu t'foutrais pas un peu de ma gueule, p'tit ?»

Je tirais une latte dans ma clope à moitié tordue et soufflais la fumée par les narines. S'il disait vrai, pourquoi s'était il emmerdé à venir ici à ses risques et périls quand il suffisait de péter son pare-brise ou la vitre passager pour rentrer à l'intérieur. Inutile de lui servir le couplet du "Qu'est ce qui te fait croire que je suis capable de faire ça ?", je portais sur moi que j'étais une crapule. Lui, non, et c'est justement ce qui me faisait douter de sa franchise. Ma patience étant limitée (comme moi, je suis très limité), je tirais une ultime bouffée de fumée avant de jeter ma clope par terre et de l'écraser avec mes vieilles godasses usées. Essayons la méthode plus intimidante... Je laissais vraiment apparaitre la barre de fer que je tenais dans mes mains et me mis à jouer avec sous ses yeux, comme pour lui faire comprendre de pas raconter de conneries. Je ne comptais pas m'en servir à moins d'être vraiment dos au mur, mais ça, il ne pouvait pas vraiment en être certain. De toute évidence, il n'avait pas vraiment le choix. Soit il partait en courant, soit il me disait la vérité.

«T'as plutôt intérêt à me dire qui t'es et c'qui s'passe s'tu veux pas morfler, mon gamin. Et essaye pas d'm'embrouiller.»

«Je répète. J’ai paumé les clés de ma voiture dans la forêt, et j’ai besoin d’une tige pour la récupérer, c’est tout. Ecoutez, je cherche pas de problèmes, juste une tige et je m’en vais.» dit-il en s'écartant de la porte de ma caravane, les mains en évidence, comme pour confirmer le fait qu'il était inoffensif, sans pour autant montrer de véritables signes de panique, ce qui me fit penser qu'il s'était probablement déjà retrouvé confronté à ce genre de situations auparavant. Je pesais le pour et le contre quelques instants avant de le pointer du bout de ma barre de ferraille, pour le tenir à distance et lui faire comprendre que je n'avais pas totalement relâché ma garde. En vérité, ce jeune homme m'avait l'air familier, ce qui me poussait presque à vouloir lui rendre service, mais ma mémoire n'était sûrement pas infaillible.

« Bouge pas. »

Je soutins son regard quelques secondes, opinant lentement du chef en silence, pour m'assurer que le message était bien passé, avant de m'engouffrer dans ma caravane. De l'extérieur, le gamin ne devait entendre qu'un brouhaha de bruits métalliques divers et variés, entrecoupés de jurons, jusqu'à ce que je ressorte en trainant un petit coffre tout rouillé, que j'ouvrais d'un coup de pied bien placé. Mes mains y plongèrent et écartèrent nombre d'outils dont je m'étais servi toute ma vie pour mes méfaits... Des pièces de collection, si je puis dire. Lâchant un râle satisfait, je me redressais sur mes deux vieilles jambes et je lui tendis la fameuse tige tant convoitée. J'attendais qu'il la saisisse, mais je ne la lâchais pas. Quand ses yeux croisèrent les miens, je lui adressais à nouveau la parole, d'un ton très sérieux.

« Est c'qu'on s'connait, p'tit ? »

L'impression d'avoir déjà croisé sa route ne m'empêchait cependant pas de conserver ma précieuse barre en fer dans l'autre main, prête à frapper en cas d'entourloupette. Si vivre dans le milieu des truands et des petits malfrats t'apprenait vite quelque chose, c'est que personne n'était digne de confiance dans ce bas monde, et, quand on prenait le temps d'y réfléchir, c'était peut être encore plus valable pour les mecs du gouvernement en costard, qui étaient plus dangereux pour notre pays que les voleurs comme moi ou le gamin qui se tenait en face de moi. Je haussais un sourcils, l'air inquisiteur. S'il me connaissait en tant que grand bandit, c'était problématique dans le sens où j'étais venu me planquer à Bowen afin d'éviter que mes anciens "partenaires" ne viennent me mettre le grappin dessus et reprendre leur part du butin.

Surtout pas de mouvements brusques… Il avait l’impression d’avoir affaire à une bête. Ce qui n’était pas tout à fait faux, ni très loin de la vérité. Cet homme devait probablement vivre cloitrer dans son camping-car et ne voir que très rarement le jour. Enfin façon de parler quoi. Les pensées devaient fuser dans la tête de l’homme en face de lui, il le savait. Les quelques secondes de silence ne pouvaient en être autrement. Il était content de savoir qu’il y réfléchissait, mais qui sait si c’était pour lui refaire le portrait ? Puis finalement il se décida et pointa brusquement la pointe de la barre de fer vers lui pour s’assurer d’une distance raisonnable de sécurité. « Bouge pas. » Emrys s’écarta sans trop broncher. Il devait s’estimer heureux qu’il ait accepté il supposait. Son regard suivait le moustachu entrer dans sa caravane, et il finit par ne plus distinguer qu’un concert d’entrechocs de ferraille et autres outils, avant de ressortir avec une boite rouge rouillée. Il fouilla à l’intérieur tandis qu’il restait à distance le temps qu’il trouve ce qu’il cherchait, quand il finit par lui tendre la fameuse tige qu’il lui réclamait. Il eut comme un soulagement, mais s’approcha prudemment pour la récupérer mais il ne semblait pas la lâcher. « Est c'qu'on s'connait, p'tit ? » Un peu sceptique et sur ses gardes, il fronçait doucement les sourcils en essayant de deviner ce que pouvait bien avoir l’homme en tête.« Je ne pense pas… j’ai jamais fait de camping de ma vie… » mentait-il. Il sortait ça comme si c’était le seul endroit où il pouvait le rencontrer, étant donné qu’il était persuadé qu’il y vivait depuis longtemps et non pas pour des vacances. Enfin c’était surtout qu’il préférait éviter de trainer dans des affaires douteuses, il avait eu assez d’ennuis et s’il pouvait empêcher de s’engouffrer dans de nouveaux problèmes maintenant qu’il était installé, il ne disait pas non. Ses yeux parcouraient les outils de la boite rouillée et quelque chose attira son attention. Une clé à molette dont la forme et l’aspect, bien que vieillotte, semblait éveiller en lui un vague souvenir, comme s’il l’avait déjà vu ou même utilisé. M’enfin ca lui paraissait fou quad même. La seule fois où il avait du toucher à une clé à molette, il n’en était pas bien fier d’ailleurs, c’était pour … oh bon sang. « Donnie ? »