My Dear Friend ft Ciàn

Il faisait encore chaud dans la petite ville de Bowen et Ariane avait hésité un moment à quitter son logement pour sortir. Mais... Elle avait besoin de s’acheter un nouveau haut. Son ventre commençait à pointer le bout de son nez et elle se sentait désespérément serrée dans la plupart de ses vêtements. C’était donc ça quand on prenait du poids ? En plus, elle ne pouvait même plus faire son jogging quotidien, elle avait bien trop peur pour le petit bébé qui lentement grossissait en elle. Alors, Ariane s’était finalement décidée à aller faire un peu de shopping. Rien de bien fou mais de quoi rester présentable et cachée.

La belle blonde déambulait sur les trottoirs de la longue avenue commerçante. Elle avait pris un petit sac et se trimbalait en short en jean ainsi qu’une chemise un peu longue pour rester le plus à l’aise possible. La belle rentra dans la première boutique de vêtements venue et commença à choisir quelques articles bien trop grands pour elle, ce qui ne manqua pas d’étonner la vendeuse. Ariane continua ensuite son chemin, tombant sur une boutique pour bébé. Là, la journaliste resta un long moment devant la vitrine en pleine hésitation avec elle-même. Que faire… Rentrer ou pas ? Se sentait-elle prête à passer ce cap ? Il faudrait bien un jour, pourtant. Mais, elle pouvait bien acheter au moins un pyjama ou un doudou… Non ?

Alors, la demoiselle se décida finalement et elle entra dans la boutique pour regarder. Là encore, elle hésita longuement avant de finir par tomber amoureuse d’un petit doudou adorable en forme de panda. Ariane paya, planqua son achat dans son sac et sortit de la boutique. Elle était tellement perdue dans ses pensées que la journaliste se cogna contre quelqu’un. Ariane s’apprêtait à râler lorsqu’elle leva les yeux vers la personne… Ah… Ciàn… Ici… Maintenant… AH ! Son cerveau était comme figé. Ses yeux papillonnaient en regardant le visage de cet homme dont elle portait l’enfant et pour lequel elle avait tout quitter. « Ciàn… Je… Ne m’attendais pas à te trouver ici… » Menteuse.

@Ciàn Gallagher

Ces dernières semaines, la vie de Ciàn avait été un tourbillon d'émotions. Entre le travail au domaine, Leewana qui habitait ici, Maddie qui était, en réalité, sa fille et pas qu'une simple employée, sa santé fragile, le jeune homme ne savait plus où donner de la tête. Alors que d'autres auraient craqué depuis bien longtemps, lui, il tenait bon. Mais jusqu'à quand ? Jusqu'à quand allait-il faire croire que tout allait bien alors que tout partait en vrille dans sa vie ? Par tous les moyens, il essayait de se changer les idées, d'alléger son esprit par toutes les activités possibles. Aujourd'hui, il avait prévu de se rendre dans la boutique de son cousin, afin d'acheter quelques vinyles pour sa platine fraîchement achetée et qui sait, passer un peu de temps avec lui. Il ne savait pas encore qu'il allait faire une rencontre déroutante.

Marchant dans la rue commerçante, la tête ailleurs, les yeux rivés sur son téléphone – bien mauvaise habitude – il ne vit pas la silhouette qui débarqua brusquement sur sa gauche, tant et si bien qu'il la percuta. « Excusez-moi... » lâcha-t-il presque automatiquement, presque sans lever le regard. Mais quand il le fit enfin et qu'il entendit cette voix familière, il se figea instantanément. Ces yeux verts. Ces cheveux blonds. Ce visage qu'il connaissait si bien. Ariane. Il la regarda, surpris, comme s'il avait buggué pendant quelques instants. La voir là était... surprenant. Et pourtant, il sentait instantanément le bien que sa présence lui faisait. C'était inexplicable. Sa voix le sortit de sa rêverie, ses lèvres s'étirant doucement en un léger sourire. « J'habite ici. C'est là mon petit patelin dont je te parlais. » Oui, il lui avait parlé de Bowen. Il lui avait dit qu'il s'était établi là-bas, alors qu'ils s'étaient retrouvés en France. Mais il n'aurait jamais pensé la voir là, dans ce décor bowenien. « C'est plutôt moi qui devrais être surpris de te trouver ici. Qu'est-ce que tu viens faire à Bowen ? » Il n'avait pas encore jeté un regard vers le magasin dont elle sortait, se préservant ainsi de quelques questions supplémentaires pendant un bref instant. Il n'en revenait pas de l'avoir là, devant lui. Pour l'instant, c'était juste cela qui comptait.

Ariane était tellement perdue dans ses appréhensions que la pauvre jeune femme n'arrivait pas encore à parler du bébé ou même à lui acheter ce qu'il fallait. Alors, avoir été prendre ce petit doudou insignifiant, était un exploit pour la demoiselle. SAUF qu'il fallait que ce soit maintenant, quand elle avait enfin trouvé le courage de passer un cap, elle se retrouvait face à sans doute, la seule personne qu'elle avait aimé. À quoi pensait-elle en quittant sa région, sa famille pour courir se réfugier ici et avouer brut de pomme qu'elle était enceinte, que ce n'était pas voulu mais que c'était de sa faute et surtout que c'était lui le père ? Ariane entendit la douce voix de Ciàn et cela lui tira malgré le tumulte dans son esprit, un sourire sincère. Il était magnifique, le revoir lui donnait l'impression de respirer à nouveau. « Oh oui tu m'avais dis, en effet... »

Ariane était terriblement stressée et la nausée pointait à nouveau le bout de son nez. Mais, elle inspira profondément afin de se reprendre, sans grand succès. Puis, elle s'avança pour ne pas gêner la sortie de la boutique et surtout ne pas perdre contenance. La demoiselle se glissa sur le côté de la porte et posa à nouveau son regard sur le beau tennisman retraité. « Je suis venue pour faire un reportage sur ton enfance et je me disais que Bowen serait un bon commencement. » Bon, au moins, sa voix ne tremblait pas trop mais elle était pâle comme un linge et son corps entier tremblait. Pourquoi n'arrivait-elle pas à se contrôler ? Elle avait envie de pleurer, de fuir dans un trou de souris et d'oublier. « On pourrait aller boire un café, non ? Je me sens un peu faible... »

Quand il était près d'Ariana, son coeur en voulait plus, sa raison lui avait dit de s'en aller. Ciàn était plein de problèmes qu'elle ne méritait pas d'hériter. Et pourtant, il lui avait lâché quelques sous-entendus : sa nouvelle vie, l'endroit où il s'était établi. Comme s'il avait espéré qu'un jour elle vienne le rejoindre. Et aujourd'hui, elle était là. Pourtant, il ne savait juste plus comment se situer. Son coeur se sentait apaisé, sa raison bien troublée. Encore un dilemme entre ces deux-là ! "ça me fait bizarre de te voir là..." murmura-t-il sourire aux lèvres, mais son ton se teintait d'une joie qu'il n'arrivait pas à cacher, en dépit de toutes les questions que son arrivée, ici, entraînaient. Néanmoins, il n'eut pas le temps de prêter davantage attention à sa bataille intérieure. Alors qu'il lui demandait ce qu'elle faisait là, il sentit de suite que la jeune femme n'était pas dans son assiette. Il la connaissait joyeuse, solaire à toute épreuve. Mais il avait aussi vu ses moments de faiblesse, quand elle était stressée ou anxieuse. A cet instant, la balance penchait davantage vers ces émotions-là. Alors qu'elle se déplaça de l'entrée du magasin, Ciàn jeta un oeil distrait vers la devanture de la boutique, fronçant légèrement les sourcils en remarquant l'endroit où ils se trouvaient. Qu'est-ce qu'elle faisait devant une boutique pour bébés ? Bah... sans doute venait-elle pour chercher un cadeau. Il ne prêta pas plus d'attention, sa curiosité se reportant sur la jolie blonde qui venait, soi-disant, pour un reportage sur lui. "Ah bon ?" demanda-t-il, surpris. "Mon agent ne m'en a pas parlé." Il fallait dire, aussi, qu'il n'avait pas vraiment répondu aux sollicitations de ce dernier, les semaines précédentes. Sans doute qu'un mail avait été glissé, sans qu'il ne le lise. ça pouvait être crédible. Ariane était journaliste sportive. Elle avait déjà fait un reportage ou deux sur lui. Alors, oui, c'était valable. Mais il y avait un petit quelque chose qui rendait Ciàn dubitatif. Il hocha la tête quand elle lui proposa un café. Mais en entendant la fin de sa phrase, il posa son regard si sombre sur elle, inquiet. "Comment ça, tu te sens faible ? Tu es malade ? Tu veux t'asseoir ? Je peux vite aller te chercher un truc à manger !" Il posa sa main sur son bras, attendant sa réponse. "Tu es vraiment pâle, Ariane."

Lorsqu'ils s'étaient quittés au congrès de Paris, Ariane avait eu l'impression que Ciàn voulait qu'elle vienne avec lui ici. Mais, elle était ambitieuse, la journaliste et elle espérait un peu plus que de se retrouver coincer dans le petit canard local à parler de la saison des fleurs et de la dernière tarte à la crème de la pâtissière. Et puis, elle s'était dit que si réellement l'ancien sportif avait voulu, il lui aurait simplement demandé. Mais les circonstances étaient bien différentes maintenant. Et sa carrière était reléguée au second rang, lui faisant réaliser que peut-être, il y avait plus important. Lorsque Ariane s'écarta de la porte, elle vit le regard de Ciàn dévier sur la boutique et son coeur manqua un battement. Heureusement, il ne fit aucune remarque. Ou malheureusement, d'ailleurs. « Je me disais que c'était l'occasion de découvrir la ville dont tu m'avais parlé... Et, je crois que je voulais te faire la surprise aussi. »

Elle haussa les épaules, tu parles d'une surprise. Ariane eut un autre sourire avant de clairement frissonner en sentant la main de l'homme sur sa peau qui réagissait aussitôt. Clairement, son coeur lui hurlait qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Mais son cerveau était figé par la peur et la douleur. « J'ai juste du manger quelque chose qui n'est pas passé. J'ai besoin de m'asseoir un peu. » Et surtout, de calmer son esprit qui galopait à tout va. Elle posa sa main sur celle de Ciàn au bout de quelques minutes, puis, elle vit la terre tourner autour d'elle et Ariane manqua de s'effondrer sur le père de son enfant. Le front contre l'épaule de l'ancien sportif, elle murmura d'une petite voix. « S'il te plait, allons nous asseoir. »

Revoir Ariane à Paris, cela avait causé un électrochoc chez Ciàn. C'était comme si, peu importait les chemins empruntés, ils finissaient toujours par se retrouver, vivant intensément, brûlant la chandelle par les deux bouts, en sachant qu'ils allaient se séparer de nouveau. Mais cette dernière fois, cela avait mis un dernier coup de grâce pour Ciàn. Alors que sa vie était toute chamboulée, il avait retrouvé de la sérénité auprès d'Ariane. Il aurait voulu lui dire de l'accompagner en Australie. Oui, il l'aurait tant voulu. Mais elle avait sa carrière, une carrière toute tracée, et l'avenir devant elle. Il n'avait pas le droit de lui demander de s'enfermer avec lui dans un patelin australien, alors qu'il était le premier à la pousser à se dépasser. Alors, la voir ici aujourd'hui, c'était un vrai choc. « C'est une sacrée surprise. » conclut-il avec un sourire. Il avait bien d'autres questions qu'il laissa néanmoins de côté, l'état d'Ariane le préoccupant davantage.

Sa main posée sur son bras, il lui demanda en quoi il pouvait lui être utile. Si elle avait besoin de manger quelque chose, si elle voulait boire quelque chose de frais, n'importe quoi qui lui ferait du bien. Elle avait juste besoin de s'asseoir. Il y avait une terrasse pas très loin, s'apprêtait-il à dire, mais il n'eut même pas le temps de dire qu'elle tomba dans ses bras. « Eh ! » s'exclama-t-il, passant ses bras autour d'elle pour la soutenir. Il la garda tout contre lui, alors qu'il lui souffla : « Viens, on va s'asseoir là-bas. » Il l'aida à avancer jusqu'à la terrasse extérieure du café, lui tirant la chaise pour qu'elle puisse s'installer. Il interpella le serveur pour lui demander un verre d'eau bien fraîche et du sucre, en cas d'hypoglycémie. Il n'était pas médecin, mais quand il y avait des vertiges, le sucre faisait des merveilles. Puis il tira sa propre chaise qu'il installa à ses côtés, sa main caressant son dos dans un geste réconfortant. « Je n'aime pas te voir comme ça. » dit-il, inquiet. « Tu ne veux pas qu'on aille voir le médecin ? Ou si tu veux, je vais chercher de quoi te soulager à la pharmacie. » Il était loin de savoir que c'était un état normal pour elle, depuis quelques jours . Pour lui, c'était une indigestion. Une simple indigestion.

Cet homme… Rien qu’à le toucher, elle sentait son cœur défaillir. Pourquoi fallait-il que tout soit toujours si compliqué ? Ariane serrait sa main avec douceur tout en l’observant un peu. Il semblait fatigué et réellement surprise de la voir là, la petite journaliste qui voulait mettre le monde à ses pieds. Si tu savais, Ciàn, si tu savais que la surprise ce n’est pas moi… Malgré toute la tension dans son corps et le tiraillement dans son esprit, Ariane n’arrivait pas à lui dire la réelle raison de sa présence ici. Alors, elle avait annoncé un bobard qui visiblement était passé. En tout cas, de ce qu’elle arrivait à analyser dans sa difficulté. Pourquoi maintenant, d’ailleurs ? La blonde s’appuya sur son ancien amant sans réellement se rendre compte des choses avant de se faire conduire tant bien que mal jusqu’à une chaise de la terrasse du coin. « Merci… » Souffla-t-elle en s’affaissant sur le dossier, la tête dans les mains.

Un médecin… Ariane paniqua immédiatement et se redressa rapidement pour lui offrir le meilleur sourire possible dans ces cas là, ne pouvait s’empêcher d’effleurer la joue barbue de celui qui arrivait à la mettre dans tous ses états par sa simple présence, du bout des doigts. « Vous êtes toujours aussi excessif, monsieur Gallagher… Pas besoin de médecin avec un infirmier pareil. » Elle rit un peu avant de prendre le verre d’eau et d’en boire la moitié d’une traite. Et, étrangement, elle se sentait mieux. Ariane n’avait plus le cœur au bord des lèvres au moins. « Alors, dis-moi, comment se passe ta vie ici ? Je te trouve fatigué. » Changer de sujet semblait être une excellente idée. Elle en profita même pour toucher la pommette de la joue de Ciàn pour lui signifier le reste de sa phrase. « Tu as tellement de valises que nous pourrions retourner en France. »

Elle n'était pas comme d'habitude, Ariane. Cette histoire de surprise, il ne savait pas comment la prendre, ni même s'il devait y croire, et son regard si sombre trahissait sa perplexité. Il pouvait toujours vérifier si elle était vraiment là pour un reportage, il avait les moyens de le faire. Mais il redoutait presque la réponse. Si elle n'était pas là pour ça, pourquoi l'avait-elle rejoint ici ? Etait-elle là pour lui ? Il n'avait pas envie de se nourrir de faux espoirs. Il n'eut d'ailleurs pas le temps de tergiverser davantage puisque la blonde, d'une pâleur extrême, montra qu'elle n'était vraiment pas au meilleur de sa forme. Il la laissa s'appuyer sur lui, l'entraînant doucement jusqu'à la terrasse du café, où elle se laissa tomber sur une chaise. Il détestait la voir ainsi, là, la tête dans les mains, d'une blancheur sans nom. Il était prêt à rameuter le premier médecin qui pourrait se pointer. Médecin. Le mot qui fâche. Aussitôt, Ariane releva la tête et lui adressa un sourire qu'il soupçonna de convenance. Il secoua la tête à ses mots, lui jetant un regard réprobateur qui montrait qu'il ne croyait pas en son soudain rétablissement : « T'es mal fichue avec un infirmier comme moi. Je ne suis bon que pour soulager les crampes. » Il pencha doucement la tête sur le côté, comme pour apprécier davantage le contact de sa main contre sa joue. Ça, ça faisait un bien fou ! Il la laissa boire le verre d'eau, ses yeux rivés sur elle, pour vérifier son état. Il ne savait pas si elle feintait, mais elle semblait déjà aller un peu mieux. Ciàn fut un peu – un peu, oui – rassuré. Il esquissa un léger sourire quand elle lui confia qu'elle le trouvait fatigué. Oui, il l'était. Il était même épuisé. Mais Ariane fit du grand Ariane, en lui lançant une taquinerie digne d'elle, parlant de ses valises tout en se permettant de tapoter sa pommette. Il repoussa sa main, en lâchant un pffff irrité. Mais il ne lâcha pas sa main, profitant de la garder un instant dans la sienne. « Disgrâce infâme ! » répondit-il en riant, sa main libre sur son torse comme s'il était touché en plein cœur. « Moi qui pensais que tu allais me trouver tout fringant, la seule chose que tu remarques, c'est ma sale tronche de fatigué ! Merci ! » Il rit joyeusement, lui lançant un regard complice, avant de reprendre, plus sérieux : « Les vendanges touchent à leur fin. Je crois que j'y ai mis toute mon énergie. Je suis à deux doigts de t'embarquer, toi et mes grosses valises, jusqu'en France pour des vacances. » Il n'y avait pas que cela, bien évidemment. Il y avait une tout autre raison à sa fatigue constante, qu'il cachait du mieux qu'il le pouvait. Mais comment lui avouer son secret, ses problèmes? Impossible! Elle serait trop blessée. Le serveur vint à leur rencontre. Il laissa Ariane commander sa boisson, optant, quant à lui, pour un coca bien frais. Puis il reposa son regard sur elle et demanda : « Bon, dis-moi, tu es là pour combien de temps ? »

Autant le premier sourire était un peu fake, autant la caresse qu'elle avait fait elle-même sur la joue de son amant lui procura un relent de vie passée qui chassa un peu les doutes dans son coeur. La jeune femme haussa les épaules en entendant Ciàn parler de sa capacité d'infirmier, souriant avec plus d'entrain. Cet homme, définitivement, elle l'avait dans la peau, dans le coeur et elle allait faire voler sa vie en éclat. Ariane se sentait si coupable de ce qu'elle amenait avec elle. « J'ai déjà pu constater tes talents pour les soins... Ne me dis pas que tu as oublié quand tu m'as fais tombée du lit et que je me suis éclatée l'arcade sur la table de nuit ! »

Elle rit un peu avant de faire une belle remarque sur les cernes du pauvre viticulteur. Mais, au delà de la taquinerie, Ariane avait peur qu'il ne s'occupe pas bien de lui. Cependant, la réaction de l'homme la fit rire à nouveau et son coeur se réchauffa de bonheur de retrouver cette complicité intacte, comme si aucun continent ne les avait séparé de cette vie de rêve d'il y avait quelques semaines à peine. « Tu es toujours beau mais fais attention à toi... Sinon, je risque de devoir sévir et je me sentirais obligée de t'attacher au lit ! » Elle lui fit un clin d'oeil avant de serrer ses doigts avec douceur. « Monsieur a une âme d'aventurier ! C'est vrai que c'est très tentant... Surtout pour tes valises ! » Ariane rit encore mais, elle se serait laissée entrainer sans mal tant que c'était avec lui. Même si l'avion semblait compromis dans son état. Puis, elle commanda la même chose que Ciàn avant de regarder le serveur partir et d'entendre la question de l'ancien sportif.

« Je ne sais pas, ça dépend de plusieurs choses. Mais au moins cinq mois. » Les choses en question, l'enfant et Ciàn. Ariane était prête à mettre sa carrière entre parenthèse pour le bébé qui grossissait et qui semblait très heureux de voir son père au vue de la nausée qu'elle avait eu devant la boutique pour enfant. Elle eut une petite moue avant de sourire à nouveau, n'arrivant pas à masquer vraiment son inquiétude. En plus, Ariane cumulait. Elle mentait à Ciàn alors que jamais elle ne l'avait fait, elle n'arrivait pas à lui dire pour le bébé ni pour ses sentiments et elle mourrait d'envie de l'embrasser, là maintenant. Il semblerait que la journaliste ait grandement sous-estimé ses sentiments pour le beau gosse à côté d'elle. « Tu m'as manquée... » Ce n'était qu'un petit murmure, elle n'avait pas pu s'en empêcher. Le voir là, souriant et visiblement heureux de la voir, ça faisait écho à son ressenti malgré tout ce qu'elle amenait avec elle. Est-ce que ça aurait été plus simple si elle n'avait aucun amour pour lui ?

Ciàn sourit à l'anecdote d'Ariane. Il était vrai que là, il avait apporté les premiers soins nécessaires. « Je me souviens surtout du moment où il a fallu expliquer comment tu t'étais fait ça à l'infirmier qui allait te faire les points ! » Il se souvenait avoir été rouge comme une tomate, tentant de ne pas trop faire comprendre l'activité passionnelle à laquelle ils s'adonnaient quand cela était arrivé. « Mais c'est vrai que j'étais plutôt bon pour les soins d'après. » Ciàn, ça avait toujours été celui qui soignait les petits bobos quand son frère et sa sœur se faisaient mal. S'il n'avait pas été tennisman, il se serait probablement dirigé vers des études d'infirmier, sans aucun doute. Toujours aussi légère, la conversation se porta alors sur la sale tête de Ciàn. Il se mit à rire aux mots de la jolie blonde, lâchant avec amusement : « Ouh ça sort les menaces ! Je dors mal... je dors vraiment vraiment vraiment mal... Tu vas devoir sévir. » Il rit de plus belle. C'était beau de voir que cette complicité survivait à leurs absences, à leurs séparations. Elle était toujours là, se fortifiant, s'intensifiant à chaque fois qu'ils se revoyaient. « Très tentant. » ajouta-t-il à ses mots, à ces vacances qu'ils planifiaient sur le ton de la blague. Mais il savait bien que si elle le relançait sur le sujet, il était prêt à faire leurs valises en quelques minutes. Il pouvait partir n'importe où, il s'en fichait, tant qu'il était avec elle. Elle était là aujourd'hui, mais qu'en serait-il de demain ? De la semaine d'après ? Comme à chaque fois, ils ne savaient jamais combien de temps encore ils allaient se croiser. C'était sûrement ce qui rendait leur relation si passionnelle. Ils ne comptaient pas les jours. Ils profitaient juste du moment présent. Mais là, elle l'étonna. « Cinq mois ? C'est beaucoup pour un reportage. » C'était même énorme et cela interpellait Ciàn. « ça dépend de quoi ? » demanda-t-il, ses yeux noirs empreints de curiosité posés sur elle. Cela entraînait des questions, beaucoup de questions. Et inconsciemment, le regard de Ciàn se posa brièvement vers la boutique où il l'avait trouvé. Non, trop de questions. Il regarda Ariane, son doux murmure lui parvenant aux oreilles et lui décrochant un sourire sincère. « Toi aussi tu m'as manqué ! » répondit-il, venant poser sa main sur sa joue qu'il frôla tendrement. Il se pencha doucement vers elle, réduisant la distance entre eux. L'envie de l'embrasser, de l'enlacer était là, au creux de son estomac, si vive. « Tu crois qu'on pourrait profiter des cinq prochains mois ? Tous les deux ? » Ils avaient cinq mois. Cinq mois pour s'attacher encore plus qu'ils ne l'étaient. Cinq mois pour leur montrer qu'ils étaient peut-être temps de se positionner.

Les mots de Ciàn lui rappelaient la gêne qu'elle-même avait éprouvée mais aussi le fou rire qu'ils avaient eu ensuite ensemble. Elle chérissait vraiment ces petits moments qui lui permettaient de se sentir vivante et importante. Ariane gloussa en hochant vivement la tête avant de soupirer, se retenant de se blottir dans les bras de l'ancien sportif. Son coeur battait la chamade, elle en aurait presque oublié la raison primaire de sa venue à Bowen, se rappelant plutôt des sentiments qu'elle éprouvait pour lui sans s'en donner le droit. « Et je me souviens en avoir bien profité même quand je n'avais plus rien... » Oh oui, elle en avait vraiment abusé. Ariane gloussa encore, ses hormones travaillant forcément.

Ariane leva les yeux au ciel en entendant la suite, son sourire toujours bien vissé sur son visage. Puis, elle effleura l'arrête du nez du sportif, glissant avec douceur sur ses lèvres qu'elle regarda un moment. « Je vais voir pour me dégager du temps pour ce genre de soin, alors... » Dieu qu'elle mourrait d'envie de l'embrasser. Mais, avant de céder, il fallait avouer et prier. Prier très fort. Pourquoi avait-elle oublié cette fichue pilule ? Ariane se sentait encore plus misérable. Tellement de sentiments contradictoires s'entrechoquaient dans son esprit. Mais, ce qui dominait restait la peur et l'amour.

Une part d'elle aurait tout donné pour pouvoir partir avec Ciàn, loin de tout ce tumulte juste pour profiter de la présence de l'homme, de la chaleur de ses bras et de la douceur de son attention. Mais, elle ne pouvait plus et elle devait percer l'abcès et vite. Un voile passa dans son regard avant qu'elle ne hausse finalement les épaules en retrouvant son sourire. Surtout en entendant qu'elle lui avait manqué aussi ! C'était inespéré ! Après tout, ils ne s'étaient jamais rien promis. Jamais. Ariane sentit son coeur s'arrêter quand Ciàn réduisit drastiquement la distance entre eux. Elle mourrait d'envie de céder et de l'embrasser. De lui dire qu'elle l'aimait un peu plus à chaque fois et qu'elle ne voulait plus le quitter. « Hé bien, ça dépend de toi en partie... »

Elle fut coupée par le serveur qui leur amena leur boisson avant de repartir aussi vite. Ariane inspira profondément, se servant un peu de coca avant d'en boire une gorgée et de reporter son attention sur Ciàn, caressant à nouveau les lèvres de l'homme du bout des doigts. « Il faut que je te dise quelque chose d'important. Et je crève de peur. Je tiens à toi, plus que je ne le pensais. Je crois même que je suis amoureuse de toi depuis le début. Tu es une vraie bouée dans l'océan agité de ma vie. Mais... Mais là, c'est moi qui vais te mettre dans la tourmente et je me hais pour ça, Ciàn... »

  « Je l'avais remarqué, mais je faisais comme si tu avais encore quelque chose. » avoua-t-il avec un sourire nostalgique. Il se souvenait de chaque instant avec elle, de leur rencontre, il y avait plus de deux ans maintenant, à chacune de leurs retrouvailles. Il se souvenait de leur routine quand ils se retrouvaient plusieurs jours. Et pourtant, il n'avait jamais su la retenir. Et inversement. Cela leur convenait, enfin c'était ce qu'ils se disaient. Mais à l'intérieur, c'était tout autre chose. Il y avait une richesse de sentiments qu'ils cachaient, qu'ils ne voulaient pas dévoiler, ni même accepter. Et Ciàn ne savait pas jusqu'où ils pourraient aller avant de s'engager dans une issue sans voie. Ils jouaient avec le feu. Volontairement.

Ce n'était pas aujourd'hui que cela allait changer. Sentir ses frôlements, son parfum, le moindre de ses contacts. Sentir son regard sur lui. Cela le rendait dingue. Dingue d'elle. Il esquissa un sourire en coin quand elle parla de ses soins : « Fais attention, je risque d'en abuser, moi aussi. » Parce que cela signifiait qu'elle serait pas loin de lui. Et c'était ce dont il avait besoin, là, actuellement. Il avait besoin de légèreté alors que sa vie était dangereusement ballottée. Elle tombait à pic, Ariane, même s'il n'imaginait pas encore les nouvelles qu'elle ramenait dans ses valises. Cinq mois. Cinq mois avec elle. Cela semblait tentant, bien que d'autres questions en découlaient. Il voulait se focaliser sur cela, sur ces quelques mois qui leur étaient offerts. Mais il sentait que quelque chose clochait. Qu'il y avait autre chose, autre chose qui bouleversait Ariane. Qui allait mettre de côté toute cette légèreté. Ça dépend de toi, en partie. « Comment ça ? » demanda-t-il, fronçant légèrement les sourcils. Mais ce fut à ce moment-là que le serveur vint les interrompre. Il le remercia distraitement, reposant son regard sur Ariane, le regard l'intimant à reprendre. A vrai dire, ce qu'elle était en train de lui annoncer déversa un océan d'émotions en lui. Positives et négatives. Positives, parce que c'était réciproque, parce qu'il tenait à elle, bien plus qu'il ne le pensait, parce qu'elle lui faisait beaucoup de bien. Négatives, parce que ces sentiments pouvaient amener plus, les amener vers une histoire, un futur qu'il refusait d'imaginer, à cause de sa maladie. « Ariane... » murmura-t-il face à cette déclaration. Mais il fallait croire que Ciàn n'était pas le seul à arriver avec ses problèmes. Elle allait le mettre dans la tourmente. « Attends, je ne comprends pas tout, là. » dit-il d'abord. « Qu'est-ce que tu essayes de me dire ? » Il aurait voulu s'arrêter sur ses sentiments, tout simplement. Mais il y avait plus derrière...

Bordel, ce petit sourire, cette allusion. Ciàn faisait battre tellement fort le coeur d'Ariane. Elle sentait presque ses joues rosir et les hormones n'aidaient clairement pas. Il fallait se rendre à l'évidence, elle avait le sportif dans la peau. Sinon, peut-être qu'elle n'aurait pas gardé le bébé. Trop de complications, d'incertitude et de peur surtout. Mais, il lui donnait du courage, tellement de courage. De vivre, de se battre encore plus fort et d'aimer aussi. Ciàn faisait tomber les barrières qu'elle s'était mise seule, cachée dans sa haute tour. Mais lui, en une phrase, une blague, un regard, il avait tout fait valser. Éclatées, les certitudes et le désespoir. Peut-être que quelque part, Ariane espérait que ce serait la même chose maintenant.

Alors, elle prit son courage à deux mains et commença une tirade maladroite et diablement sincère. Elle se mit à nue, la blonde, occultant pour le moment ce fameux mais. Ariane sourit un peu, très tristement, aux questions de Ciàn puis, elle posa son doigt sur les lèvres de l'homme, encore, mais pour le faire taire, cette fois. Sinon, jamais la belle n'aurait le courage de poursuivre. Déjà qu'elle mourrait d'envie de prendre les jambes à son cou ! Ariane inspira encore et reprit la parole, fuyant le regard de l'homme, préférant fixer un point imaginaire derrière lui. « Mais, j'ai fais une connerie, à Paris. J'ai oublié de prendre ma pilule une fois. Une SEULE fois. Je te promets que je n'ai pas fais exprès... Je me suis rendue compte que je suis enceinte de quatre mois, maintenant. De toi, forcément. Et je crève de peur, je ne veux pas mourir en laissant le bébé sans père. »

Ariane se rendit compte qu'elle s'était mise à trembler et à pleurer comme un gosse prit sur le fait. Mais, elle chassa presque rageusement ses larmes avant de poursuivre bien vite. « Je suis désolée de débarquer et de te dire ça mais je ne voyais pas d'autres solutions.. Je sais que tu as ta vie ici, que tu es heureux mais... Mais je ne veux pas le laisser orphelins ! Et je t'aime ! Et... ET ! Je t'en pris pardonnes-moi ! »

Elle ne laissa même pas le temps à Ciàn de dire quoi que ce soit qu'Ariane était déjà debout. Elle renversa au passage la table et les boissons avant de faire demi-tour, oubliant ses paquets pour fuir. La blonde pleurait toutes les larmes de son corps, courant droit devant elle sans même regarder où elle allait. Tant pis, elle DEVAIT fuir. C'était puéril et nul mais c'était vital. Elle ne pouvait pas voir le regard de Ciàn. Il allait la détester maintenant. Mais, elle était prête à accepter si ça pouvait permettre à l'enfant de ne pas être seul dans un foyer. Pour ce bébé, elle avait tout quitté sans se poser de question.

Il ne la sentait pas, cette conversation. N'oublions pas qu'il avait trouvé Ariane, quelques minutes auparavant, à deux doigts de s'effondrer. Et là, maintenant, elle lui annonçait qu'elle avait quelque chose à lui dire, quelque chose qui allait le tourmenter. En un instant, la complicité, la légèreté, l'alchimie palpable s'étaient dissipées, au profit de l'inquiétude et des questions incessantes. Ce qui était bête, c'était qu'il n'appréciait pas totalement les mots qu'elle lui adressait. Il avait espéré entendre de tels mots dans sa bouche et les lui retourner. Oh oui, il aurait aimé le faire. Mais à la place, Ariane l'intimait de se taire, ce qu'il fit respectueusement. Le regard fuyant – ce qui n'était pas habituel chez elle – elle reprit la parole et Ciàn l'écouta attentivement. Ses yeux sombres étaient posés sur elle, s'écarquillant au fur et à mesure qu'il prenait conscience de ce qu'elle disait. La scène se reproduisait. Il avait déjà vécu cela, l'annonce d'une grossesse. Oui, il l'avait déjà vécu et la surprise était exactement la même. De nouveau, il faisait face aux doutes de celle qui se trouvait en face de lui. Pour Leewana, c'était leur jeunesse. Pour Ariane, c'était les peurs héritées de son histoire, de cette mère décédée en couche. « 4 mois... » souffla-t-il, comme pour rendre l'annonce concrète, dans sa tête. cela faisait 4 mois qu'elle était enceinte. Il était sonné, complètement sonné. Ailleurs. Loin. C'était comme si une nouvelle chape de plomb s’effondrait sur ses épaules, là où il avait déjà tant à porter. Il ne s'attendait tellement pas à entendre une telle nouvelle qu'il n'était même pas à apte à lui dire que ce n'était pas QUE de sa faute. Qu'ils étaient deux dans cette histoire. Il aimerait tant le lui dire, lâcher toutes ces pensées qui tournaient à mille à l'heure, avouer ce qu'il avait sur le cœur. La rassurer. Lui dire qu'il était là. Mais tout était si flou et les mots n'arrivaient pas à franchir la barrière de ses lèvres. Ce furent les larmes d'Ariane qui le ramenèrent sur Terre, qui remirent un peu de clarté dans son esprit. Parce qu'il détestait la voir pleurer. Ses mots lui arrachèrent le cœur et alors qu'elle se leva, il comprit aussitôt ce qu'elle allait faire. Il eut le réflexe de se lever, lui aussi, mais trop tard... la table se renversa, le coupant net dans sa course. « Ariane ! Reviens, s'il te plaît... » l'interpella-t-il, sachant pertinemment qu'elle ne le fera pas. Elle ne lui laissait pas la place, actuellement, elle ne lui laissait pas le droit de s'exprimer. Alors, il resta là, complètement bête, à la regarder s'éloigner. Il se laissa retomber sur la chaise, appuyant son coude sur l'accoudoir, la tête dans sa main. Que devait-il faire ? Qu'allaient-ils faire ? Il fallait d'abord digérer la nouvelle. Ses yeux noirs se portèrent sur les sacs à terre et ce fut une petite peluche qui attira son attention. Il prit délicatement le doudou en forme de panda et lâcha un juron : « Putain ! » Voilà qui changeait toute la donne. Alors qu'il apprenait tout juste à connaître sa fille, il allait devenir père, une seconde fois.  Ce fut le serveur qui le sortit de ses pensées en arrivant près de lui. La première chose que Ciàn trouva à dire fut simplement : « Je vais nettoyer, ne vous inquiétez pas. Je suis désolé. » Il se releva, redressa la table et ramassa les bouteilles et verres cassés. Il déposa un billet sur la table, s'excusa de nouveau et récupéra les sacs laissés par Ariane. Dans sa deuxième main trônait le doudou. Et c'était avec lui qu'il quitta la terrasse, perdu. Tout était flou, mais il savait une chose : il ne comptait pas refaire les mêmes erreurs.

Fin