When you go don't return to me my love ft Ruby Kaur-Van Loon

Teddy venait ici deux à trois fois par semaine désormais. Lui qui avait toujours eu en horreur les salles de sport. Que ce soit par l’odeur, les bruits, mais aussi (et surtout) par le fait de devoir y faire du sport. Ça n’avait jamais été son truc à lui. Il avait pratiqué plus jeune des sports d’équipe comme le basketball, mais dans le fond, ça l’avait toujours ennuyé de devoir courir après une balle. Il n’avait pas été non plus un homme statique, il aimait bouger. Cela aurait été trop beau qu’il fut toute sa vie un geek dans un fauteuil, le fait d’être dorénavant condamné à demeurer assis ne l’aurait pas vraiment impacté. Théodore avait beaucoup d’énergie, c’était un homme qui ne tenait pas en place. Pas de ceux qui savent rester des heures à soulever des poids, il lui fallait une autre sorte stimulation, dans la tête. Lorsqu’il bougeait, c’était toujours animé par une idée. L’idée depuis une année, c’était de regagner de l’autonomie. Il s’accrochait à ça pour trouver le courage de dessiner peu à peu les muscles de ses bras, de développer sa force pour lui permettre des progrès. Désormais, il arrivait se transférer d’un fauteuil à une chaise, seul. Il arrivait, allongé, à se tourner et à s’habiller dans son lit, seul. Son nouvel objectif était de parvenir à sortir du lit pour aller dans son fauteuil et ça, ce n’était pas gagné. Il tentait l’opération régulièrement, sous l'œil attentif du kiné, en vain. Agacé, il s'y risquait à l'occasion, seul et il se retrouvait au sol parfois pendant des heures… C’était sa vie à présent, le corps couvert de bleus à force de se cogner partout, de tomber souvent, d’être maladroit constamment. Pourtant il se battait, pour Jenny. Et parce que ce n’était pas dans son tempérament d’abandonner la vie, même si l’idée avait fait plus d’une fois le cheminement dans son esprit. Il n’acceptait pas encore l’aspect définitif de son état, il voulait donner tort aux autres, aux médecins même, il voulait prouver qu’il marcherait à nouveau…

- Theodore, tu n’es pas prêt pour cet exercice, ça n’a pas fonctionné la dernière fois je n’aurai pas dû t’y inciter, on va prendre le temps. Continue avec les poids, j'augmente la charge.

C’était le genre de phrase à ne pas lui dire.
Pas à cette maudite bourrique.

Ils étaient un groupe de patient à la salle de sport parmi les sportifs lambda qui étaient habitués à leur présence. Le professionnel qui les encadrait avait bien d‘autres choses à faire que surveiller continuellement le magicien qui profita que celui-ci ait le dos tournée pour faire quelque chose dont il avait terriblement envie : se lever.

C’était idiot, sans nul doute. Mais il ne s'attendait pas à ce que l’on comprenne son besoin viscéral d’être tout simplement… Debout. Il attrapait fermement la barre devant lui, il avait minutieusement placé ses jambes, ses pieds puis dans un effort presque surhumain pour lui, il se levait. Son corps tremblait, mais il s’en fichait, il était à la verticale, il était debout. Il était satisfait, même s’il avait cette douleur quasi insoutenable dans ses os et articulation, cette sensation que ceux-ci se brisent en miettes sous son poids. Il fermait les yeux pour simplement se focaliser sur cette sensation de hauteur, d’être debout, d’être un Homme.

Il ignorait combien de temps il était resté comme ça, les muscles tétanisés, incapable même de se rassoir s’il le voulait. Il souffrait le martyre, mais il se sentait curieusement apaisé. C’est ce genre de douleur qui vous fait sentir vivant. Ça lui laisse croire qu’il peut avoir bien plus que la capacité de changer seul de fauteuil, il voulait plus, il voulait comme avant. Theodore n’avait pas fait le deuil de sa vie d’avant, même s’il acceptait mieux son corps, qu’il retrouvait des sensations perdues suites aux traumatismes physiques, psychiques et émotionnels.

Ceux qui connaissent le petit Kelly, devinent sans peine que ça ne va jamais assez vite pour lui.

- Bordel, Theodore !

Il ouvre les yeux, il se rend compte qu’il transpire énormément et que tout est flou, que rien ne va à cet instant. Il sent que tout lâche, qu’il s'effondre. Des bras forts et puissants s’enroulent autour de son buste et l'accompagnent en douceur jusqu'au sol. Le brun se sentait terriblement mal en point, à deux doigts de sombrer, dans l'inconscient, un endroit du cerveau qui le terrifiait désormais pour y avoir séjourné plusieurs mois durant son coma.

- Tenez lui les jambes en l’air, je vais chercher le glucomètre et une dose de sucre !

Ah l'hypoglycémie… Son nouvel ennemi récurrent.

Teddy avait mal aux jambes, mais celles-ci étaient soutenues en l’air par quelqu’un. Il ouvrit les yeux, pour voir ce qu’il se passait, pour ne pas sombrer dans l’inconscience justement. C’est là qu’il vit le visage inattendu et inespéré de Ruby. La voir, ce fut un réel déchirement, assez pour qu’il s’imagine déjà perdu dans son inconscient, quelque part, dans un monde délicieux où celle qu’il aimait farouchement ne l’avait pas abandonnée alors qu’il venait de frôler la mort. Oh, il savait qu’elle devait partir, qu’elle avait prévu ce voyage humanitaire depuis longtemps, il avait souhaité pour elle que son projet se concrétise, mais il aurait égoïstement voulu qu'elle reste… Pour lui. Si seulement il le lui avait dit, s’il lui avait demandé de ne pas partir. C’était peut-être aussi sa faute. Mais pourquoi l’aurait-il retenu auprès d’un homme au corps brisé alors que son projet, à elle, allait se réaliser ? Il n'avait pas voulu être égoïste pour une fois. Il avait brisé deux fois son cœur, elle avait bien eu le droit de lui briser le sien une fois.

Ils étaient réunis là, dans son inconscient. Elle le fixait avec ses grands yeux brun, elle était toujours aussi belle dans ses souvenirs, au détail près. “ C’est toi Ruby, ma dose de sucre. “ dit-il persuadé que tout cela n’appartient qu’au monde dans sa petite tête. Persuadé qu’elle n’est pas vraiment là, à tenir ses jambes alors qu’il dérive.

Ça ne faisait que quelques jours que Ruby était revenue en ville. Luke et elle avaient à peine eu le temps de se poser dans leur nouvelle appartement, réinscrire le garçon à l’école, reprendre son activité. Il était peut-être temps pour l’australienne d’avertir ses amis et ses proches de son retour. Plusieurs personnes étaient déjà au courant, dont Perry évidemment. Ils n’avaient pas perdu le contact cette fois-ci, s’appelant assez régulièrement pour que Luke et lui puissent continuer à faire grandir ce lien qu’ils venaient à peine de démarrer. Elle avait adoré ses missions Ruby, retrouvant le goût à l’urgence et retournant à ses premiers amours, médecins sans frontière. A la mort de Jur, elle n’avait plus eu le cœur de continuer avec l’ONG, lui rappelant des trop mauvais souvenirs. Son mari, il continuait de lui manquer chaque jour, même si elle refaisait sa vie. Il y avait toujours une part d’elle qui lui appartenait, son médecin rêveur. Mais finalement, il n’y avait pas meilleur endroit que sa vile natale, là où Ruby avait grandi. Bowen la connaissait par cœur, la ville avait été témoin de ses premiers amours, ses premières peines, ses premières cuites, enfin toutes ces premières fois. Les Pays-Bas et l’Inde n’avaient été que des moments de passage, pourtant marquant qui l’avaient marqué. Mais Bowen restait Bowen, il y avait ses amis, sa famille, le père de son fils et Teddy évidemment.

Ils avaient essayé pendant un moment, Ruby et Teddy de rester en contact, s’envoyant quelques fois des messages et s’appelant plus rarement. Elle ne l’avait pas fui, elle avait juste accepté cette belle opportunité, laissant son ami et son amoureux de toujours dans une situation critique. Il était accompagné de Nastya d’abord, et de sa mère. Qui était-elle pour rester à son chevet et l’accompagner dans cette nouvelle vie ? Elle s’était sentie de trop à l’époque, se rendant compte que parfois il fallait laisser tomber les amours impossible. Elle prenait des nouvelles de lui, parfois directement de Teddy – même si c’était très rare – parfois de la mère Kelly avec qui elle gardait toujours un bon contact. Il était peut-être temps de lui renvoyer un message. Il était clair pour Ruby que dans sa vie Theodore avait une place importante, peu importe le curseur sur lequel il était. Il restait vital, c’était son ami avant tout, l’homme qui la connaissait, avec qui elle avait fait une bataille de boue, celui qui avait pu profiter de son meilleur coup de poing, celui qui l’avait par deux fois blessé mais qui savait la faire rire. Mais, elle préférait procrastiner, s’excusant des trop nombreuses tâches à faire depuis son retour. Les patientes revenaient plus nombreuses que jamais, et Ruby était galvanisée par de double poste. Toutes les patientes avaient une histoire, des choses à raconter et Ruby adorait être témoin d’un petit bout de vie de ces femmes. Certaines étaient même devenues de amies, comme Charlize qui avait vu son souhait se concrétiser. Les deux femmes avaient un enfant qui avait sensiblement le même âge, il était temps qu’ils se rencontrent. Pour le moment, Ruby prenait du temps pour elle. Adepte de la salle de sport, elle essayait de ne jamais manqué une séance enchaînant des entraînements cardio et parfois plus musculaires.

Dans la salle se trouvait des personnes en rééducation, elle avait l’avantage de profiter des heures à moindre affluence. La musique dans les oreilles, elle ne se souciait pas vraiment de ce qui l’entourait pendant qu’elle courait ses dix kilomètres. Ça lui permettait de ne penser à rien, hormis sa fréquence cardiaque. Après sa course, elle fit une petite pause bien méritée, reprenant ainsi son souffle et enlevant la musique pour mieux entendre sa respiration. Heureusement, finalement. Sans ça, elle n’aurait pas entendu l’agacement mêlé à de l’angoisse du kiné présent aujourd’hui dans cette salle. Un de ses patients s’évanouissaient presque, incapable de rester debout. On l’avait entraîné Ruby à réagir à l’urgence, alors il ne lui fallut même pas une demi-seconde pour le rejoindre et écouter ses ordres. « D’accord ! Je suis médecin au cas où. » Alors oui peut-être que sa spécialité c’était les vagins, elle avait quand même de bonnes bases en médecine. Ce n’est qu’une fois le kiné partit, qu’elle regardait la personne au sol. Son cœur s’arrêtait une fraction de seconde. Il s’agissait de Teddy. Elle ne fut même pas étonnée de constater que c’était lui, le connaissant, il essayait d’aller plus vite que la musique. Impatient qu’il était, il avait dû trop forcer quand elle vit le fauteuil vide à côté de lui. Il croisait son regard, et Ruby lui fit un léger sourire. Ce n’était pas le moment de lui faire la surprise de son retour, elle allait essayé d’être douce et de l’accompagner jusqu’à ce qu’il se sente mieux. Il revenait le kiné, alors que Teddy fit du grand Kelly. Ça devenait presque une habitude entre eux, de le croiser dans des moments où il n’avait pas pleine conscience. Ruby riait légèrement à sa remarque. « Je vois que t’es toujours aussi stone qu’avant mon départ. » Elle fit un clin d’œil, sous l’œil un peu médusé et surpris du kinésithérapeute. « Elle est là ta dose de sucre, et t’as intérêt à bien la prendre avant que je me fâche. » Elle restait douce dans ses propos, alors que le professionnel aidait Teddy à reprendre des forces. Elle continuait à lui tenir ses jambes plus fonctionnelles. La dernière fois, elle l’avait quitté alors qu’il était toujours dans un lit d’hôpital, il y avait eu des progrès en quelques mois.

Le retour de Ruby, il est vrai qu’il l’avait attendu. Il lui était arrivé d’espérer secrètement qu’il soit prématuré, qu’elle lui revienne plus vite, plus tôt. Il avait de nombreuses fois pensé au baiser qu’ils avaient échangé dans la cuisine du Game Bar après qu’il se soit brûlé, distrait par ses grands yeux de biche. Il avait repensé à leur histoire, à ses sentiments évidents pour elle, à sa lâcheté pour les assumer. Pourquoi l’amour lui faisait si peur ? Il travaillait sur le sujet, avec Rosemary sa thérapeute, remontant dans son passé, son enfance, la disparition douloureuse de son père alors qu’il n'avait que sept ans. C’est un âge trop tôt pour prendre la décision de ne plus exprimer ses sentiments, l’enfant qu'il fut, pensait se protéger, mais l’adulte l’avait payé toute sa vie. Et encore à cause de ça, Ruby était partie. Il lui en avait voulu, en silence. Il lui en avait voulu de l’avoir laissé là, dans sa douleur. Il ne lui avait que peu écrit pourtant, de peur de trop en dire, de peur de l'inquiéter, de peur de l’empêcher de vivre ses rêves. Incapable de lui dire encore, ce qu’il ressentait, de lui avouer à quel point il avait besoin d’elle près de lui. Pourquoi aurait-il fait une chose pareille ? Les rêves de la brune ne comprenait pas la présence d’un type handicapé, ça, il en était persuadé. Alors, il ne lui avait pas dit non plus que Nastya était partie, peu après elle. Le départ de la russe avait été un coup supplémentaire, mais il n’avait pas eu aussi mal que lorsque Ruby avait mis les voiles. Nastya, il s’était attaché à elle, il ne pouvait le nier, mais il ne l’avait pas aimé comme il avait toujours aimé sa Ruby.  Néanmoins, il pariait que sa mère s’était chargée de lui transmettre la bonne nouvelle. La mère Kelly n’avait jamais vraiment apprécié la fille avec laquelle son fils préféré sortait à cette époque. Une mère, sait, elle sent, qu’elle disait. Ouais… Sa mère savait que ça avait toujours été Ruby. Le magicien s’était excusé néanmoins auprès de la gynécologue, pour elle, pour l’insistance gênante dont elle faisait preuve. Il avait pris ses distances, parce qu’il savait que même si elle revenait, rien ne serait plus pareil, parce qu’il prenait conscience de son état, au fil du temps. Il n’y aurait plus de bagarre de boue, plus de longue marche sur le sable de Bowen, plus de tentatives de danser ou de concours à l’hopital à courir dans les couloirs pour amasser la plus grande foule de patients. Non… C’était fini tout ça.

Alors, le retour de Ruby, il avait fini par ne plus le fantasmer, à ne plus y penser même, à tourner la page, clore le chapitre peut-être... Il était doué pour ça, pour accepter l’idée de perdre les gens qu’il aime. Il avait été surtout doué pour être celui qui part, il se retrouvait dans le rôle inverse et il ne s’autorisait pas à en être malheureux. Il se résignait. Probablement que ses ‘amis’ de Vegas ne reconnaîtraient plus le Teddy Kelly qu’ils ont jadis connu. Ce n’était pas plus mal, ce Theodore là n’était pas terrible en tant qu’être humain… Même si dans l’état actuelle des choses, il peinait à se rendre compte de ce que sa vie valait. Bien peu à ses yeux, mais il s’accrochait.

Pourtant, Ruby était bel et bien là. Tenant ses jambes qui spasment un peu, il avait mal, affreusement, mais il était trop dans les vapes pour le dire. La baisse de sa glycémie était toujours soudaine et rapide. Il esquisse un léger sourire à sa réponse, son rire… C’était bien elle. “ Je serais docile. “ Promit-il, elle serait surprise de toutes manières, de découvrir à quel point il l’est devenu ces derniers mois. Bien obligé de se plier à sa condition, à obéir… Enfin, s’il le faisait vraiment, il ne serait probablement pas au sol à l’heure actuelle. Preuve que malgré sa mélancolie et sa résilience, il y avait bien encore ce Teddy quelque part enfoui, qui ne demandait qu’à exister à nouveau, même s’il devait exister différemment. Il ne savait juste pas comment, il avait besoin d’apprendre à se connaître et ça demandait du temps, beaucoup trop de temps et sa patience était mise à rude épreuve.

Il sentit une piqûre à l'extrémité de son doigt, il ne s'habituera jamais à cette sensation.  “ 0,64 ? Je peux mieux faire… “ dit-il à l’attention du kiné pas vraiment amusé par la situation. Il lui fourrait dans le bec quinze grammes de sucre que le magicien peinait à avaler. Bien qu’il lui était plaisant de contempler le visage de Ruby, la fatigue le poussa à fermer les yeux, juste quelques instants. La tétanie de ses muscles s'apaisait doucement et les douleurs qui allaient avec aussi, il se serait volontiers endormi.

“ Ouais… Ouais, ça va mieux. “ répondait-il à la question posée, puis il grogne parce qu’on lui piquait encore la phalange pour obtenir une goutte de sang et constater que son taux avait bien augmenté pour être dans la norme basse. La bonne nouvelle du jour était qu’il n’aura pas à finir cette séance de sport dans un camion de pompiers. Le magicien ouvre les yeux pour découvrir que Ruby, face à lui, au-dessus de lui en fait, tenant ses jambes immobiles qu’elle fut autorisée à reposer au sol . “ Va s’y doucement, ça fait mal… ” Et pourtant, elle savait à quel point ce n’était pas son genre de se plaindre de douleur, c’est qu’il avait drôlement mal en effet. Bien qu’à cet instant, il ne serait pas capable de définir ce qui fait le plus mal. Ses jambes, sa présence, l’humiliation d'être vu ainsi… Encore. Faible, fragile… Juste minable. Après tout, le moment où il ne se sentait pas vulnérable étaient assez rares pour qu’il finisse par s’habituer à tout ça, il tombait seulement de beaucoup trop haut. L’esprit sauvage et indépendant de Kelly, emprisonné dans un corps pas capable de tenir debout, ouais… L'incompatibilité de sa situation sautait aux yeux. “ Qu’est-ce que tu fais ici ? “ demandait-il alors que sa lucidité revenait bien plus vite que lorsqu’elle était venue lui rendre visite à Sydney au réveil de son bien long coma. “ Ça… Ça fait déjà un an ? “ Et ça aussi, ça faisait affreusement mal… Qu’un an plus tard, il soit encore à ce stade alors qu’il devrait plutôt s’estimer heureux d’être encore en vie. Mais quelque part, dans sa petite tête de challenger, il s'était mis l'idée qu'au retour de Ruby, il marcherait à nouveau. Et ce n'était pas le cas, il était même, loin du compte.

Il avait été facile pour Ruby de partir de Bowen. C’était ce qu’elle faisait, partir pour mieux revenir. Mais cette fois-ci elle savait qu’elle reviendrait, Luke devait connaître son père. Elle ne pouvait pas lui enlever des années de plus, sachant qu’elle aurait dû partir un an. Finalement, elle achevait sa mission un peu plus tôt, revenait huit mois plus tard dans sa ville de naissance. Elle y avait tout fait Bowen, c’était la ville qui l’avait vu grandir. Alors même si elle partait, elle finissait toujours par revenir Ruby. Pourtant, elle n’avait pas trop annoncé son retour pour le moment, préférant éviter que les bruits de couloirs ne deviennent des bruits de rue. Il y avait des personnes qui méritaient de savoir qu’elle revenait par elle et non par The writers ou un autre canal de communication. Teddy faisait partie de ces personnes là. Ils ne s’étaient pas quittés fâchés, loin de là, mais Ruby se sentait en trop. Elle s’était toujours sentie de trop dans la vie du magicien. Ils avaient grandi non loin de l’autre, sortant même ensemble durant les jeunes âges. Theodore il avait été le premier de Ruby, celui qu’elle avait aimé, à qui elle avait donné sa confiance. Il a été aussi le premier qui lui a brisé le cœur, le seul qui a pu goûter son poing sur son visage. Ils avaient un passif les deux jeunes, une histoire commune mais que le temps avaient fini par passer. Chacun de leur côté ils avaient mûri et grandi. Ruby elle avait eu le temps d’avoir un enfant, se marier et perdre l’homme qu’elle aimait. Ça changeait une vie la perte de son mari, la gynécologue avait changé, mettant un peu les rancœurs de côté pour retrouver son amoureux d’enfant.

Pendant quelques semaines, elle y avait cru à cette proximité. Theodore avait réussi à lui redonner une sourire franc quand ils se balançaient chacun dans la boue. Sourire hôpital avait vu les deux amis se faire les quatre cents coups, jouant à celui qui irait le plus vite. Ruby adorait passer du temps avec les enfants, même si à chaque fois les personnes âgées la faisait mourir de rire. Ils avaient vécu de bons souvenirs ensemble, mais l’ombre de Nastya avait plané au-dessus d’eux. Ils s’étaient faits un dernier adieu, dans la cuisine de l’espace game de Theodore. La russe rendait Teddy heureux, alors Ruby se sentait de trop. Quand il eût son accident, la gynécologue aurait eu envie de le secouer, lui faire comprendre que beaucoup de personnes tenaient à lui. Mais on lui proposait cette mission, ça lui permettait de s’éloigner un peu, de cette ville et de son idylle. L’Inde avait été grandiose, Ruby ressortait des plein de souvenirs. Elle avait pu profiter de son séjour là-bas pour retrouver un peu sa famille. Son retour avait été plutôt discret à Ruby, profitant du calme pour courir et faire ses kilomètres. Elle ne s’attendait pas à tomber, enfin à voir par terre Theodore. Sa réflexion la fit rire, ayant l’impression d’un déjà vu. Le kiné il n’avait pas l’air heureux, il était même agacé par les agissements de son patient, le piquant. Ruby elle fronçait légèrement les yeux, se rendant compte de la situation. Teddy il n’allait pas mieux, il semblait planer. Elle préférait ne rien dire, attendant patiemment que le magicien aille mieux pour poser ses jambes. Le kiné lui expliquait un peu la situation, alors que Theodore se remettait un peu. Quand elle croisait une nouvelle fois son regard, Ruby avait le regard sévère. « Toujours aussi tête brûlé à ce que je vois ! » Disait-elle avant d’écouter sa demande. Elle redéposait les jambes de son ami délicatement, attendant qu’il puisse se redresser. « Non ça fait huit mois, ma mission s’est terminée plus tôt. » Elle avait surtout eu envie de rentrer. Durant son séjour en Inde, elle avait croisé un ancien collègue des pays-bas. Il la connaissait depuis des années, ayant été plusieurs fois invité à dîner chez les Van Loon. Ça lui avait rappelé des souvenirs douloureux de Jur, alors Ruby avait décidé de retourner en Australie. Là-bas, tout le monde la connaissait sous Kaur et il n’y avait pas l’ombre de Jur à chaque coin de rue. « Je suis revenue, j’ai repris mon cabinet et mes horaires à l’hôpital. » Lui annonçait-elle avec un sourire. « Je voulais t’en parler, t’envoyer un message. » Elle aurait préféré qu’il soit au courant d’une autre manière que de le croiser là, alors qu’il venait de subir un choc à cause de son entêtement.

Theodore prenait tout ça à la légère, l’hypoglycémie n’aidait pas vraiment à être lucide. Il était heureux de revoir Ruby, même si ça lui brisait le cœur de devoir admettre qu’elle avait cruellement manqué à sa vie. Bien plus qu’il ne l’aurait envisagé. Il s’était souvent autoflagelle en se disant que tout ça, n’était au final qu’un coup bien mérité du karma. À condition d’y croire. Teddy reprenait doucement ses esprits, la dose de sucre faisait beaucoup de bien à son état de conscience. Il n’écoutait pas vraiment les paroles du kiné, qui expliquait à la brune que le magicien avait beaucoup de progrès à faire, mais qu’il voulait bien trop brûler les étapes, qu’il n’écoutait pas vraiment les consignes et que c’était presque habituel avec lui que les séances se terminent… Mal. Theo n’aimait pas les limites, et quelles meilleures contraintes que celles imposées par l’usage d’un fauteuil roulant ? Il voulait en sortir, il voulait tellement le pouvoir. Il se battait chaque jour, toujours un peu plus dans le déni à vrai dire. Il n’acceptait pas l’idée que sa vie s’était brutalement arrêtée alors qu’il n’avait que trente ans, il n’acceptait pas ce virage dans son existence.

Les minutes s’égrainent et lorsqu’il ouvrit les yeux, ce fut pour croiser le regard sévère de la jeune gynécologue. Il ne répondit pas, lui demandant seulement d’être douce en reposant ses jambes. Tant bien que mal, il s'assoit, c’était loin d’être facile pour lui de se maintenir dans cette position sans avoir de quoi reposer son dos, mais quand ça se joue au mental, il n’était pas le dernier… Loin de là.

“ Tout s’est bien passé ? “ Pourquoi la mission s’était terminée plus tôt ? En général, ça ne dure pas plus longtemps ce genre de choses ? Théodore n’a jamais fait d’humanitaire, le caritatif n’avait jamais été son truc, jamais. Puis en arrivant à Bowen, il y a eu Sourire Hôpital. Et ça lui a ouvert les yeux au magicien fort bien égoïste qui débarquait de sa petite vie de rêve à Vegas. Il en avait fait du chemin, trop même.

« Je voulais t’en parler, t’envoyer un message. » Il compris qu’il était censé lui en vouloir alors, mais de tous les défauts qu’il avait, le magicien n’était en rien rancunier. Il n’avait strictement aucun esprit de vengeance. C’était même fascinant de voir à quel point on pouvait le piétiner et qu’il pouvait décider que c’était pas si grave, pas si important. Ouais… C’était bien pour ça qu’il n’avait rien révélé d'intéressant à la police concernant l’enquête qui le concernait à propos de ce qui lui était arrivé. Il avait toutes les raisons du monde de maudire ces gars-là et pourtant… Il passait à autre chose. Depuis la mort de son père, il avait simplement accepté, intégré l’idée que les gens, qu’on les aime ou non, peuvent faire très mal. Les gens, on ne peut pas lutter contre ça… Alors, on peut choisir de vivre dans un monde de haine ou de simplement passer à autre chose. “ Mais ? “ qu’il demande sans agressivité, histoire juste de comprendre pourquoi il n’a pas reçu de message, si elle était revenue à Bowen. Ça pouvait faire mal, de s’entendre dire qu’elle avait espéré qu’ils ne se croisent jamais, pourtant, c’était une petite ville australienne. Peu de chances que ça arrive ça, tout le monde fini par croiser tout le monde tôt ou tard.

“ Merci. “ Dit-il poliment au kiné qui avait assez souffert avec lui pour la journée, il prit la barre chocolatée riche en protéines qu’il lui tendait. Il n’avait aucune envie de manger, comme 90% du temps désormais, alors pour tenter de se soustraire à cette corvée, du moins partiellement, il propose avec un p’tit sourire “ T’en veux la moitié ? “