You talkin' to me ? (Alma)

« Hey Tahlia !! » En entendant son prénom, prononcée d'une voix forte et joyeuse, Tahlia se retourna et aperçut son ami, gérant du petit café sur la place qui la saluait, tout sourire. Elle rebroussa chemin et s'empressa d'aller le voir, le serrant dans ses bras pour le saluer. « Tu es revenu ! » Elle savait qu'il était parti quelques mois en mission humanitaire, laissant la gérance du café à sa famille. Alors qu'il l'invita à boire un café, Tahlia regarda l'heure, se disant qu'elle avait bien encore une vingtaine de minutes à lui accorder avant de récupérer Thaïs. Le jeune homme lui demanda de le retrouver à l'intérieur de l'établissement, le temps pour lui de récupérer les commandes des quelques clients qui se trouvaient là. Tahlia hocha la tête et se dirigea à l'intérieur, bien vite rejointe par son ami qui commença à gérer les commandes. Pour eux deux, il prépara deux cafés de plus qu'il laissa couler, le temps de terminer les commandes. « Attends, je vais t'aider pour le service. » Elle prit l'un des plateaux, écoutant les instructions de son ami et se dirigea vers la terrasse. Elle servit la première table puis se dirigea vers la deuxième table où se trouvait une blonde, toute seule. « Bonjour, c'est pour vous le café ? » demanda-t-elle, tout sourire, ayant le choix entre la boisson chaude ou une boisson froide. A vrai dire, elle était plutôt focalisée sur le maintien de son plateau plutôt que sur la jeune femme, dont le regard n'était pas des plus aimables...

La place de Bowen est tout ce qu'on peut trouver de plus charmant ici. L'atmosphère qui s'en dégage, les petits commerces aux alentours avec des vendeurs des plus sympathiques, les fleurs qui arborent le bord des rues,... tout est réuni pour faire de l'endroit un petit havre de paix. C'est sans doute voulu mais peu importe, tu te sens réellement bien ici. A Bowen de manière générale mais surtout ici. Posée à la terrasse d'un café, des lunettes de soleil sur le nez ainsi qu'un chapeau pour te protéger du soleil - et des gens qui pourraient te reconnaitre - tu guettes tes réseaux sociaux sur ton téléphone. Cela aussi, ça fait partie de ton métier. La communication est primordiale bien qu'elle ne soit qu'une infime partie de ton travail. Puis, cela permet de faire une promo en avance du film à venir et ça, ce n'est pas négligeable pour l'équipe de tournage. Bref, en pause pour deux petites heures, tu commandes un café latté frappé froid (évidemment) ainsi qu'un petit moelleux au chocolat. La personne qui prend ta commande est tout à fait charmante et ne semble pas te reconnaitre, heureusement. Par contre, celle qui t'amène ta commande est tout autre. Bien moins agréable, bien moins chaleureuse. Enfin, en réalité, c'est plutôt de toi qu'émane les ondes négatives. « Oui c'est pour moi. » Réponds-tu assez froidement sans la quitter du regard. Tahlia, l'ex de Ciàran. Ciàran étant ton cousin avec qui tu t'entends extrêmement bien. Même s'il n'est pas très loquace, tu en sais suffisamment sur leur histoire. Tu retires tes lunettes de soleil afin que la brune puisse te reconnaitre même si tu n'es pas certaine qu'elle se souvienne de toi. Vous vous êtes vus une seule et unique fois lors de vacances, ici, à Bowen et ça n'a été qu'une brève rencontre, dans la rue. « Tahlia, right ? » Demandes-tu alors que tu es assez sûre de toi. « Tu ne me remets peut-être pas. » Ajoutes-tu d'un air détaché avant de saisir ton café et de le porter délicatement à tes lèvres.

C'était étrange, mais tout se passait plutôt bien en ce moment. Peut-être un peu trop bien. En venant porter ce plateau, simplement pour aider son ami, Tahlia ne savait pas encore qu'elle allait passer un mauvais quart d'heure et qu'elle allait être confrontée au plus gros regret de sa vie. Les yeux rivés sur le plateau, demandant distraitement à la cliente quelle était sa boisson, la brune daigna relever la tête en entendant le ton plutôt froid de cette dernière. C'était l'une des raisons pour lesquelles elle ne regrettait aucunement son ancien emploi de serveuse au Chiki Boom : les clients désagréables qui, bien souvent, jouaient avec la patience – oui, il lui arrivait d'avoir de la patience – de Tahlia. Elle arqua un sourcil et posa le café latte sur la table, ne préférant même pas rebondir. Mais quand cette dernière retira ses lunettes, Tahlia bloqua un peu, plissant légèrement les yeux en la regardant. Elle avait déjà vu cette jeune femme. Mais où ? Elle commença à tourner les talons, s'arrêtant dans son élan quand la jeune femme prononça son prénom. « Oui, c'est moi. » dit-elle d'abord, perplexe. Elle sentait une certaine tension venant de celle-ci. Tahlia avait bien quelques ennemies, et il était certain qu'elle ne faisait pas l'unanimité dans la gente féminine, mais là, cela ne lui revenait absolument pas. Elle espérait simplement que ce n'était pas une ex aigrie. Elle n'avait pas l'envie de se prendre la tête pour une histoire de conquête sans lendemain. Quand elle affirma, avec certitude, qu'elle ne la remettait pas, Tahlia haussa les épaules et répondit, le visage renfrogné et le ton un poil condescendant : « Pourquoi ? Je devrais? »

Ce n'est pas ton accent américain qui te trahit puisqu'il est assez discret. Tu as pris pour habitude de le travailler pour ne pas qu'il transparaisse trop à l'écran. Au final, c'est un accent des plus "passe-partout" que tu possèdes. Puis, ton côté espagnol ne va pas l'aider étant donné que Ciàran est italien. Cela ne t'étonne pas tant que ça que Tahlia n'ait pas de souvenirs de toi. Toi, par contre, tu as entendu ce prénom sortir de la bouche de Ciàran plus d'une fois. Et pourtant, ce n'est pas du tout le genre d'hommes à se confier ou à se vanter - bien au contraire. La brune fait mine de s'en aller avant que tu lui signifies, à ta manière, que vous vous connaissez. Enfin, plus ou moins. « Disons qu'on aurait pu faire partie de la même famille si les choses s'étaient passées différemment. » Dis-tu avec une touche d'aigreur dans la voix. Pour toi, si Ciàran est malheureux encore aujourd'hui, c'est à cause d'elle. Elle a bousillé tout ce qu'ils avaient construit. Et Dieu sait que ce n'était pas gagné avec quelqu'un comme l'italien et son coeur de pierre. « Je suis Alma. La cousine de Ciàran. » Ajoutes-tu en arquant légèrement un sourcil, curieuse de savoir quelle va être sa réaction à présent. « J'ignorais que tu bossais ici. » Ciàran ne t'a pas parlé de ça mais dans tes souvenirs, la situation professionnelle de la brune a beaucoup changé. Peut-être à cause de son instabilité, qui sait ?

Plus Tahlia la regardait et plus son visage lui disait quelque chose. La brune était physionomiste, mais là, quelque chose l'empêchait de reposer le contexte dans lequel elle l'avait vue. Sans compter que la tension qui émanait de la jeune femme n'aidait pas Tahlia à se recentrer. Elle sentait que c'était quelque chose qui allait lui déplaire. Et les mots que la blonde eut ensuite la confortèrent dans cette idée. On aurait pu faire partie de la même famille si les choses s'étaient passées différemment. Elle l'avait. Putain, oui, elle l'avait. Elle savait très bien de quelle famille elle parlait. Elle savait très bien avec qui elle aurait pu avoir une deuxième famille. Son cœur se serra instantanément alors que la jeune femme révéla ce que Tahlia redoutait déjà. C'était Alma. La cousine de Ciàran. En entendant le prénom de celui qu'elle avait tant aimé – et qu'elle aimerait à jamais – le visage de Tahlia se décomposa. Et à l'intérieur, c'était l'ouragan. C'était comme si on prenait son cœur à deux mains pour le serrer le plus fort possible. C'était comme si une plaie se rouvrait brutalement. Elle n'avait pas entendu ce prénom depuis longtemps. Ciàran était devenu son celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Les années passaient mais la peine était toujours la même. Elle avait l'habitude de mettre son masque, mais quand on prononçait le nom du jeune Adreani, la carapace de Tahlia s'effritait. Elle déglutit difficilement, alors que son regard avait changé totalement d'expression, passant de la froideur au désarroi. Elle avait touché droit dans le mille, Alma. « Je me souviens de toi. » Elles ne s'étaient vues qu'une fois, alors que Ciàran faisait visiter la ville à Alma. Tahlia n'avait échangé que quelques mots avec elle, espérant un jour pouvoir faire plus ample connaissance avec elle. Elle n'en avait jamais eu l'occasion. Les yeux verts de Tahlia se paraient de tous ces fantômes du passé, des regrets qui subsistaient encore, de la force de son amour qui restait là, malgré tout. Il était parti avec un bout d'elle, Ciàran. Ce fut Alma qui la sortit de ses pensées. Tahlia reposa ses yeux sur elle et secoua vivement la tête, un peu sur la défensive : « Je ne travaille pas ici. Je venais juste donner un coup de main. » C'était plutôt sa présence à elle qui l'intriguait. « Mais, toi, qu'est-ce que tu fais là? »

Tu perçois précisément l'instant où Tahlia comprend enfin qui tu es. Ou plutôt, se rappelle. Vous ne vous êtes vues qu'une seule et unique fois mais Ciàran fait partie de ce souvenir et tu sais qu'il a marqué la vie de la brune. Elle aussi, peut-être ne se rend t-elle pas compte à quel point. Encore aujourd'hui, tu vois bien que le regard de Ciàran est éteint lorsqu'il fait allusion à Bowen, à Tahlia ou à son ancienne vie ici. Heureusement, il a Gabriel qui lui apporte réconfort et bonheur. Mais parfois, c'est comme s'il n'était plus totalement là. C'est sûrement pour cette raison que tu tiens la jeune femme responsable du mal être de ton cousin, tu ne l'avais jamais vu comme ça avant elle. Lui qui s'était érigé une grande muraille encerclant son coeur. Tout a fini brisé, en morceaux. Pendant quelques secondes, tu vois les yeux de Tahlia se perdre dans le vide. Un regard un peu similaire à celui de Ciàran, par moments, d'ailleurs. Ils ont sûrement beaucoup souffert de cette relation, tous les deux. Malgré tout, ça n'enlève pas toute la rancoeur que tu peux éprouver à son sujet. « Oh je vois. » Dis-tu en hochant la tête lorsque la brune t'explique qu'elle ne travaille pas ici mais donne un coup de mains, tout simplement. « Je ne sais plus si Ciàran t'avait parlé de mon travail. Mais je suis ici parce qu'on tourne un film à Bowen. Je suis là depuis quelques mois déjà. » Expliques-tu à ton tour bien que tu ne sois pas certaine que ça intéresse réellement Tahlia de connaitre les détails de ta vie. Après tout, vous ne vous connaissez pas. Et te voir là, lui rappelle sans doute de douloureux souvenirs. Cela la fait revenir quelques années en arrière quand tout a implosé entre elle et l'italien. « Ciàran m'avait bien dit que j'finirais par te croiser. » Ajoutes-tu avec un léger sourire. Puis, Tahlia, la seule que ton cousin ait réellement aimée, on ne l'oublie pas. Tu l'aurais reconnue entre mille.

Elle était de nature physionomiste, Tahlia. Son métier l'avait conditionné à cela. Mais il était vrai qu'il lui avait fallu quelques secondes pour repositionner cette jolie blonde dans son contexte. Dans un contexte qui incluait Ciàran. Et bien qu'elle n'avait eu d'yeux que pour son bel italien, le jour de cette rencontre, elle se souvenait de cette jeune femme qu'elle avait trouvé sublime, quand Ciàran l'avait présentée. A l'époque, Tahlia s'était dit qu'elle la rencontrerait de nouveau, un jour. Mais elle n'avait pas imaginé un seul instant que ce serait dans une telle situation. Elle avait imaginé un repas de famille, au bras de Ciàran, avec Gabriel, Thaïs et leur fille qui serait née et aurait cimenté leur relation. Là, c'était plutôt dans la rancoeur pour Alma, dans la douleur pour Tahlia. Parce que cela ne s'était pas passé ainsi. La promesse d'un joli futur avait été balayée, comme ça, d'un revers de la main. Elle avançait, Tahlia, oui, mais elle n'oubliait pas. Retournant la question sur la raison de la présence d'Alma ici, la brune hocha la tête à sa réponse : « C'est vrai qu'il m'avait dit que tu étais actrice. » Elle marqua un temps de silence avant de reprendre : « C'est bien ! Bowen est un joli coin pour tourner. » Elle n'était pas vraiment là, en disant cela. Au fond une question subsistait dans sa tête : Pourquoi ? Avec tous les coins possibles dans le monde, qui pouvaient être de très beaux lieux de tournage, pourquoi la cousine de Ciàran venait ici, à Bowen ?! Pourquoi devait-elle la rencontrer ?! C'était juste appuyer là où ça faisait mal. Tahlia sentit son cœur se serrer un peu plus en entendant ses derniers mots. « Il sait que c'est chez moi, que je reviens là à chaque fois... et que je resterai là jusqu'au bout. » Et au fond, elle aimait qu'il sache qu'on la croiserait ici. Parce qu'il pourrait la retrouver, si un jour il le voulait. Elle posa ses yeux sur Alma, mal-à-l'aise à l'idée de poser cette question qui finit, néanmoins, par franchir ses lèvres : « Qu'est-ce qu'ils deviennent ? » Ciàran et Gabriel, évidemment. Alma ne la portait sûrement pas dans son cœur, Tahlia était vulnérable face à elle, mais à ce moment-là, la blonde était sûrement la seule personne qui pourrait répondre à cette question qui obsédait son esprit. Elle ne pouvait pas passer à côté d'une telle opportunité.