il reste en moi des éclats de toi que ton absence fait brasiller. (eflo)

il reste en moi des éclats de toi que ton absence fait brasiller

Effy descendit du bus, le bruit des freins se relâchant, perçant le silence du petit matin, dans l’air déjà chaud de Bowen, en ce presque début d’été. Elle n’avait pas eu envie de marcher aujourd’hui. Ni même de prendre son skate. Et contrairement aux habitudes qu’on lui connaissait, il était tôt, vraiment tôt. On pouvait apercevoir quelques âmes dans les rues qui se rendaient déjà au travail, ces personnes qui avaient l’air de toujours vivre un peu en-dehors du temps, les fantômes du travail qu’on ne voyait pas, parce qu’il commençait avant tout le monde et se terminait après tout le monde. Bien avant l’heure de pointe, ils commençaient leur journée. C’était ce qu’avait décidé de faire l’Anglaise aujourd’hui aussi, aussi surprenant que cela puisse paraître. Son regard d’un bleu presque indécent traîna quelques secondes sur ces rues quasi désertes, qu’elle n’avait plus foulées pendant quelques mois, trois, peut-être quatre, elle ne savait plus très bien. Elle avait parfois l’impression que ces dernières semaines, à l’écart de Bowen et de tout ce qui avait pu la torturer, avaient fini par distordre sa notion du temps, sa mémoire aussi, comme pour la protéger de ses souvenirs douloureux. Son sac en bandoulière lourd de pages de texte et de documents sur lesquels elle avait travaillé ces mois durant, à Cairns, la jolie brune parvint enfin à mettre un pas devant l’autre, après une expiration contrôlée. Elle avait saisi l’opportunité de quitter Bowen, dès qu’elle s’était présentée. Presque suppliante. Mais elle avait toujours su qu’elle reviendrait. Que fuir pour l’Angleterre ne l’aiderait pas. Et surtout, que quelque chose faisait que même si elle avait besoin de s’éloigner de tout ce qui l’avait fait mourir à petit feu ici, elle ne pouvait pas s’en détacher totalement non plus. Pas définitivement. Et c’était la boule au ventre qu’elle commençait les premiers pas de ce retour à la réalité. Quoi que cette réalité ne l’avait jamais vraiment quittée, lui collant à la peau comme une sève acide et toxique. Elle l’avait accompagnée, même à distance, même en étant moins pesante, même si elle s’était concentrée corps et âme sur son travail à Cairns pour oublier son cœur qui saignait nuit et jour. Six heures trente de route entre son cœur et sa tête. Elle avait été capable de respirer à nouveau, mais en mode survie. Et maintenant que sa mission était terminée, et qu’il fallait rentrer à la maison, elle ne savait plus si elle était toujours aussi prête à affronter tout ce qu’elle avait fui, dans l’espoir d’en guérir. Elle n’était pas guérie. Rien que le message de Milo, quelques jours plus tôt, timing si cocasse que c’en était absurde, lui avait envoyé une décharge d’adrénaline et avait fait cogner son cœur dans sa poitrine. Quelques jours avant son retour. Quelques jours avant qu’elle ne prenne le chemin du bureau de la rédaction, le souffle court, le regard analysant chaque coin de rue, chaque pavé, chaque fenêtre d’immeuble, craignant quelque chose sans savoir ce que c’était.

Elle te manquait, bordel ce qu’elle te manquait. T’avais joué au con avec Effy, mais tu voulais qu’elle sache que tu étais désolé pour tout. Même si annoncer à quelqu’un que tu étais maintenant père après une infidélité, c’était pas un truc qu’on pardonne tout de suite. Et c’est bien normal. Tu le savais, tu en étais conscient. Mais Effy, c’était la fille de tes rêves, celle que tu aimerais toute ta vie. Malgré vos démons, malgré vos différences, tu savais que vous étiez fait pour être ensemble tous les deux. C’était votre destinée, tout simplement. Ce matin, il était tôt mais tu n’arrivais pas à dormir. L’envie folle de prendre quelque chose pour dormir t’avait titillée toute la nuit. Mais tu n’avais pas cédé et il ne fallait pas que tu cèdes de toute façon. Donc, alors que la brume n’était pas dissipé sur le matin qui prenait doucement place dans la ville, tu avais pris ton skate pour rouler. Rouler où ? Telle est la question. T’avais juste besoin de t’aérer l’esprit. Tu ne savais pas vraiment quoi faire, pas vraiment où aller. Mais tu avais besoin de rouler. Alors une clope au bec, tu roulais sans but précis dans la ville. C’était une bonne balade. Tu t’étais arrêté prendre un café sur la route, histoire de ne pas être un cadavre toute la journée. Il avait un goût amer, ce café, toi qui avait pour habitude de boire ton café avec une goutte de whisky dedans. Mais tu le sirotais, alors que tu continuais à rouler. Sans trop réfléchir, t’avait pris une destination précise. Tu ne savais pas qu’elle rentrait aujourd’hui, tu ne savais pas qu’elle allait arriver dans les secondes qui suivaient, mais tu étais bien devant les bureaux du Bowen Independant.

C'était cette même crainte injustifiée, ou pour le moins difficile à identifier, qui l'avait cloitrée entre les murs étonnamment rassurants de The Bowery tout le week-end, depuis qu'elle était rentrée samedi. À se préparer mentalement au lundi, au moment où elle reprendrait possession de sa réalité dans cette ville. L'Anglaise avait voulu nier cette sensation désagréable et anxieuse au creux de son estomac, se donnant le week-end pour prétendre que rien n'avait réellement changé. Et c'était vrai, rien n'avait changé. ]A part cette peur de refaire face à tout ce qu'elle avait pu fuir en étant à Cairns. Et si la belle brune n'était pas parvenue à mettre le doigt sur ce qui tendait son échine et compressait sa poitrine, elle eut la réponse au coin de la rue de sa destination. Même pas sept heures du matin, et il était là, avec son éternel skateboard, mais au dernier endroit où elle se serait attendu à le trouver. Pas le temps de se demander s'il l'attendait ou si c'était un pur fruit du hasard, ou encore un coup calculé de l'univers, car déjà, elle s'arrêtait net, le souffle coupé en croisant de loin ses yeux noisette. Elle n'avait pas besoin d'être plus près pour sentir le souffle de l'explosion qui lui terrassa le palpitant. C'était ça, l'une des raisons - et certainement la principale - responsable de cette sensation d'appréhension qui l'avait tiraillée tout le week-end, et toute la nuit dernière, et ce matin encore à chaque pavé dépassé. Effy devait paraître un tant soit peu métamorphosée. Ses chaussures à talons avaient résonné sur le macadam encore vierge de pas ce matin, sa jupe droite découvrant ses jambes trop minces mais assurées. Une veste bomber oversized toutefois pour casser un air trop adulte qui ne lui seyait pas. Mais maquillée d'un trait droit, le regard plus vif. Ses cheveux plus brillants et disciplinés qu'avant, cascadant le long d'un dos droit, même si on leur devinait toujours ce même brin d'insolence. Elle était toujours pâle, certes, mais son teint ne changerait probablement jamais, même sous la contrainte des rayons de soleil australiens. Bref, globalement, son séjour à l'écart de Bowen et de la version d'elle qu'elle était ici, semblait lui avoir rendu justice. Mais derrière cette façade, Milo devait probablement voir à quel point son âme était encore dévastée. De la même façon qu'elle pouvait voir, même à cette distance, que rien n'avait réellement changé en lui depuis qu'elle était partie. Nouvelle inspiration. Effy récupéra la notion de mettre un pied devant l'autre, tremblante derrière une assurance factice. Tremblante jusque dans les tréfonds de son âme de se retrouver à proximité de lui. Elle n'était pas prête. Elle l'avait su tout du long. Mais bordel qu'est-ce qu'elle avait simplement envie de se fondre contre lui et de retrouver la chaleur de sa peau. Au lieu de ça, elle ne put que plonger son regard de ce bleu presque révoltant, au fond des iris chauds du musicien. Incapable de décider de sa prochaine action. Son coeur trop pris par le garçon qui lui faisait face.

Même avec cette toute nouvelle famille que tu formais avec Freja, tu te sentais plus seul que jamais. Incapable de garder ton enfant seul, tu te voyais comme le pire père de l’univers. Le raté le plus affreux. T’avais trompé une femme avec une de tes meilleures amies, pour lui faire un enfant alors qu’elle était sensé ne pas en avoir, et tu avais blessé cette femme que tu considères comme la femme de ta vie. En plus de ça, tu dois gérer tes addictions et le fait de ne pas craquer devant une bouteille ou un cacheton. Quel complexité… Si seulement tu arrivais à avoir une vie plus simple, ça serait le paradis. Mais non, c’est la vie que tu as décidé de mener. Une vie décadente et surtout très triste. Comme si tu attirais les emmerdes au fur et à mesure que tu grandissais. 30 ans, et toujours aussi stupide à faire des actions débiles. Aujourd’hui, en ce matin brumeux, tu avais roulé le long de la ville et tu t’étais arrêté pour prendre une de tes nouvelles drogues : le café. Sans ça, ça serait vraiment compliqué. Tu t’étais ensuite arrêté devant les bureaux du journal, comme si tu savais qu’Effy allait arriver, comme si tu étais prédestiné à t’arrêter là. Tu te posais sur un muret, ton café à la main et une clope au bec. Et là tu la voyais, elle était là, réellement. C’était pas prévu. Elle allait surement te prendre pour le plus gros stalker de la terre. Mais tu n’es pas comme ça, c’était pas prévu comme ça. « Je te jure que j’te suis pas » soufflas-tu la gorge nouée, un peu fort pour qu’elle puisse t’entendre. Tu voulais vraiment pas qu’elle pense que tu la suivais. T’avais déjà fais ça, il y a quelques mois et on sait tous comment cette histoire s’est terminée. Tu prenais une grande inspiration, la dévorant des yeux. Elle n’avait pas tant changé que ça, depuis son départ pour Cairns, à tes yeux, elle resterait la plus belle femme de la terre.

Il fut le premier à briser le silence, comme c'était bien souvent le cas. Au son de sa voix, Effy tressaillit. Les coins de ses lèvres se soulevèrent pourtant en un sourire, alors qu'une brève expiration amusée venait presque former un rire. Un rire bordé de larmes ceci dit, qu'elle tentait de ravaler. L'expression furtivement éveillée de la belle brune reprit rapidement son voile initial, distant, bouleversé. Elle oubliait encore, par moments. Que Milo était papa. Qu'il avait une famille. Avec celle avec qui il l'avait trompée. Avec quelqu'un dont il avait toujours été proche, qui plus est. Quelqu'un qui lui apportait des choses qu'Effy ne pourrait jamais. Elle oubliait, parfois, que Milo avait désormais une vie de laquelle elle ne ferait jamais partie. Elle avait cru que les plaies de son cœur avaient eu le temps de commencer leur cicatrisation. Mais il n'en était rien. Elle n'avait fait qu'y apposer des pansements factices. En-dessous, tout était encore à vif. Tout était encore sans dessus-dessous. Parce qu'elle se retrouvait, depuis des mois, devant un dilemme impossible. Elle ne voyait pas comment le photographe et elle pouvaient encore entrevoir un avenir ensemble, sans peine ni amertume. De la même façon qu'elle ne pouvait s'imaginer une vie sans lui, sans avoir l'impression qu'on foutait le feu à ses poumons. « Bon anniversaire en retard. » Strictement aucune idée de pourquoi elle avait répondu avec ce choix de mots, mais c'était tout le concept d'être Effy. Elle se contenta d'un sourire triste. Qui disait un million de choses qu'elle ne pouvait exprimer autrement. Elle restait là, plantée devant lui, sans savoir sur quel pied danser. Sans savoir ce que ses sentiments livraient comme bataille enragée dans son esprit, mais en tout cas, c'était violent. Alors pour gagner du temps, rien qu'un peu de ces secondes précieuses et comptées, où ils se balançaient des banalités, elle resta là, s'allumant une cigarette, laissant leurs regards entremêlés remplir le silence. Avant que tout ne fasse mal à nouveau. Avant que tout ne soit compliqué.

C’était le hasard qui t’avait emmené ici. Tu savais pas quoi faire de ta journée et apparemment ton cerveau savait que la britannique rentrait aujourd’hui. Mais elle était là, devant toi et tu restais figé sans bouger. Tous les deux d’ailleurs. C’est que quelques secondes après que tu brisais ce silence. Tu ravalais ton sourire de la voir, de l’aimer rien qu’en la regardant. C’était difficile pour toi, surement plus pour elle. Tu avais une famille, ou du moins un enfant avec une autre, et c’est ce qui avait brisé votre relation en premier lieu. Alors tu précisais que tu ne la suivais pas, pour la rassurer, pour assurer tes arrières. Tu ne la suivais pas, vraiment pas. Alors qu’elle laissait un moment de silence après ton intervention, elle te souhaitait un joyeux anniversaire en retard. Et là, tu ne pouvais pas cacher ton sourire. « Merci » soufflas-tu simplement, baissant les yeux par gêne. Puis tu relevais tes iris vers elle, pour bien la regarder. Enfin, ton regard c’était comme celui qui s’était posé sur elle la première fois. Tu la redécouvrais à chaque fois. C’est bien pour ça que tu étais amoureux, on ne pouvait pas dire le contraire. Le silence régnait entre vous. La brune allumait une cigarette pendant que tu consommais la tienne. Et vous vous retrouviez tous les deux dans le plus grand des silences, juste avec la fumée de vos cigarettes entre vous. « C’était bien ton voyage ? » demandas-tu naïvement. Tu savais pas trop quoi lui demander, mis à part lui dire que tu l’aimes et que tu veux la récupérer. Et c’était pas en lui balançant des mots doux que ça marcherait, tu le savais.