north is south, right is left (charlize)

J’avais généralement Maxwell avec moi plus tard vers la fin de l’année, après Noël seulement. Il passait le début des Fêtes avec sa maman et la nouvelle avec moi. Cependant, cette année, Ally avait eu de grands projets avec son travail et elle était complètement débordée. Dommage pour elle d’être overbooké pour les fêtes de fin d’année, mais c’était une très bonne nouvelle pour moi qui pourrais profiter de mon fils pendant tellement plus longtemps. Soyons honnête, dans le deal que j’avais avec Ally, j’étais clairement perdant. Même si je voyais souvent Maxwell en Facetime, ça n’avait rien à voir avec du temps réel passé avec lui. Mon ex avait cette chance-là, moi, je ne l’avais que lors des vacances scolaires. Ally se défenderait en disant que justement, elle devait se débrouiller avec la grosse routine scolaire alors que moi je l’avais pendant que tout son temps était libre, mais quand même. C’était une bien mince consolation. Bref, Maxwell était déjà arrivé en Australie, alors que son école n’était pas terminée aux USA mais il ne manquerait qu’une seule semaine, ce n’était pas si mal. Autrement, les vols étaient déjà bien remplis ou alors les billets coûtaient la peau du cul. On s’était dit, Ally et moi, qu’une petite semaine de moins, ce ne serait pas la fin du monde. Nous n’allions pas en prendre l’habitude.

Aujourd’hui, c’était une journée père-fils. Lara était à la garderie et Alizée était avec sa mère, Pippa, ma petite amie. J’en avais profité pour demander à Max ce qu’il voulait faire puisqu’il avait le choix à lui tout seul. À mon grand étonnement, il avait choisi d’aller faire une randonnée pédestre. Ce n’était généralement pas une activité à laquelle je m’adonnais souvent, mais c’était cool, c’était physique, et dans la nature. Ça nous permettrait d’avoir beaucoup de temps rien que tous les deux, à parler de tout et de rien. L’idée m’enthousiasma.

Elle m’enthousiasma … jusqu’à ce qu’on prenne un sentier assez peu fréquenté du Mont Roundback, en raison de son niveau de difficulté. J’avais mal lu le panneau, et Maxwell s’était élancé à suivre les balises vertes, parce que c’était sa couleur préférée. Sauf que les balises vertes, je ne sais pas si c’est parce que la couleur se fondaient dans la forêt, mais après un moment, je stoppai Max. « Est-ce que tu vois la prochaine balise ? Il me semble que ça fait un moment que j’en ai pas vue, même si on a l’impression de suivre un sentier, je suis pas certain que c’en est encore un … » Max monta sur une grosse roche en bordure du sentier, comme pour se donner une meilleure vision des devants. Il admit ne pas en voir devant nous. Ne pas paniquer, ne pas paniquer, pensai-je. « Ok, ben, on peut peut-être juste essayer de revenir sur nos pas, jusqu’à la dernière balise qu’on a vue, comme ça on repart de là en portant un peu plus attention à où on va. » À force de parler ou de regarder où on mettait nos pieds, on avait un peu perdu le fil du sentier. On rebroussa chemin, regardant tous les troncs d'arbre, à la recherche d'une fameuse balise verte.

La pomme bleue d'Australie, c'était le fruit que Charlize cherchait en se baladant aujourd'hui sur le mont Roundback. Elle était constamment à la recherche de nouvelles recettes, d'ingrédients innovants, pour réinventer sa pâtisserie. Et elle avait entendu parler de ce fruit sauvage qui poussait généralement en hauteur, en lisière de forêt. On lui avait dit qu'on pouvait en trouver dans la nature luxuriante autour de Bowen alors la blonde avait tenté sa chance. Cette sortie, c'était aussi un prétexte pour sortir, se changer les idées, pour s'éloigner de la ville et ne penser à rien. Ou peut être pour penser, justement, laisser son esprit vagabonder et ne pas de laisser envahir par du négatif. Elle avait commencé à faire ce genre de balade solitaire après le départ d'Axten, elle en avait ressenti le besoin. Elle ne pouvait pas le faire aussi souvent qu'elle le voulait, entre son travail très prenant et sa fille. Mais en ce moment il y avait tout un tas de choses qui la travaillaient, avec tout particulièrement Andrew. Le musicien était entré dans sa vie par la pointe des pieds et aujourd'hui il prenait plus de place, dans son cœur également. Charlize n'avait plus laissé personne y entrer depuis son mari. En avait-elle envie, en vérité ? C'était là toute la question qui la rendait fébrile. Elle l'aimait vraiment beaucoup, mais est ce que c'était suffisant, face à la culpabilité et la peur, surtout la peur, de se lancer dans une nouvelle histoire. Bref, aujourd'hui elle avait besoin d'air. La pâtissière ne s'était pas rendue compte qu'elle s'était avancée un peu loin et, quand elle releva la tête, elle ne reconnaissait plus rien. Un peu désorientée, elle chercha des points de repère, avant de sortir son téléphone pour chercher du réseau. C'est à ce moment-là qu'elle entendit une voix un peu plus loin. Celle d'un homme. Elle s'avança vers lui, sans trop savoir pourquoi. Charlize tomba donc sur cet homme, bientôt rejoint par un enfant. Bonjour ! Je pensais être seule par ici et puis j'ai entendu une voix. La solitude ça lui allait bien un moment, mais Charlize restait sociable, elle ne perdait pas une occasion de faire la conversation.

Ça devait faire dix minutes que Maxwell et moi, on “pensait” suivre le sentier dans le sens contraire de quand on l’avait fait à l’aller. “Penser” faire quelque chose c’était loin d’en être une certitude. Cependant, je préférais agir comme si tout était son contrôle, pour éviter que mon fils cède à la panique comme moi. En même temps, soyons honnêtes, Maxwell était pas mal plus courageux que son père. Il aurait été capable de keep his cool et de dire qu’au pire on n’avait qu’à toujours aller vers le bas et qu’on retrouverait bien une route à un moment donné. Ouais, sauf que … non. Je savais que la forêt s’étendait sur des kilomètres, en bas, dépendamment du sens duquel on arrivait. L’autoroute A1, ou la Bruce Highway, passait au Nord du Mont Roundback. Il suffisait qu’on s’égare et qu’on passe plutôt par le sud de la montagne, et ça y est, on était carrément perdus dans la densité végétale. Je me rappelais avoir vu un cours d’eau qui traversait la montagne et s’en allait vers la mer, mais le retrouver à partir d’ici, ce n’était pas gagné d’avance. Bref, tout ça traversait mon esprit à vive allure et pendant ce temps, j’essayais de garder le dialogue avec Maxwell, pour que ça ne paraisse pas trop auprès de mon fils, que j’étais un peu en train de flipper. Quand j’entendis une voix féminine, mon coeur rata un battement, autant de surprise que de soulagement. « Oh, thank God ! » Il s’approcha de la jeune femme. « Bonjour ! Si vous êtes là ça veut dire qu’on n’est pas complètement perdus au milieu de cette montagne et ça, c’est vraiment, une très très bonne nouvelle ! » Bon, si j’avais voulu faire semblant que tout était sous contrôle auprès de mon fils, c’était maintenant raté. Il me dévisageait d’ailleurs avec plein de jugement dans le regard.

Charlize était là, avec son tote bag à peine rempli de quelques malheureux fruits, pas de quoi créer une recette à succès, tout juste de quoi tester un petit quelque chose. Mais au fond, la recherche de ce précieux fruit, c'était un prétexte, elle le savait bien. Cependant, elle n’avait pas prévu de se perdre lors de sa balade. Elle faillit paniquer en réalisant qu’elle ne savait pas où elle était, que personne n’avait été prévenu de son départ et qu’elle était seule, évidemment. Mais avant ça elle tenta de sortir son téléphone, elle n’était pas non plus au beau milieu de nulle part, il devait bien y avoir un peu de réseau, à seulement vingt minutes de Bowen, n’est-ce pas ? Elle n’eut pourtant pas le temps de regarder que déjà, elle entendait des voix et qu’elle se dirigea dans leur direction. Quand elle les rejoignit, en quelques enjambées, elle découvrit donc un père et un jeune garçon, son fils, probablement. L’homme lui disait vaguement quelque chose, sans qu’elle puisse vraiment dire quoi, peut-être un client de la pâtisserie. Elle l’aborda de façon tout à fait cordiale, sans pour autant montrer qu’elle était soulagée d’avoir trouvé âme qui vive. Lui, cependant, sembla carrément soulagé de ne plus être seul et elle ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux. Il n’allait clairement pas l’aider à retrouver son chemin, mais, pire, il était perdu avec son fils ?! Qui fait ça ?! Oui, Lize avait le jugement facile. Heu, oui, c’est une nouvelle encourageante en effet. Elle esquissa un sourire légèrement crispé. Ça fait longtemps que vous cherchez votre chemin ? En vérité, elle avait tout un tas de questions en tête, par exemple, est-ce qu’il était dérangé pour partir sans carte avec un enfant ? Ou bien s’il avait déjà eu le sens de l’orientation ? Ou encore s’il comptait perdre ce pauvre gamin dans la foret et donc, par conséquent, est-ce qu’il était mauvais ? Est-ce que sa vie était en danger ? Il n’avait pas l’air bien méchant, en vérité, mais n’était-ce pas ce que l’on disait de tous les tueurs en série avant qu’ils ne révèlent leur vraie nature ?

Celle qui était supposée être notre ange gardienne pour la journée, notre étoile du Nord sortie de nulle part, ne semblait pas tout à fait à l’aise avec notre rencontre inopinée. Je n’avais quand même pas l’air bien dangereux, non ? Avec mon fils de huit ans, en plus. À moins qu’elle soit en train de penser que j’étais un psychopathe qui kidnappe des enfants et les emmène se cacher en montagnes mais franchement, qui aurait ça comme première pensée ? Pourtant, son sourire crispé ne me mettait pas trop en confiance avec la situation. Mon soulagement laissa alors place à une certaine incertitude, à un malaise que je n’arrivais pas à dissiper. Mon sourire se crispa un peu, à mon tour. « Euh, dix ou quinze minutes, peut-être. On savait qu’on ne pouvait pas s’être éloignés tant que ça du sentier. » La preuve, nous étions rapidement revenus dessus, puisque la jeune femme était là. Ce que j’ignorais, c’est qu’elle-même avait décidé de se lancer dans le hors-piste, à la recherche de petits fruits. Elle n’avait pas davantage d’idée d’où elle se trouvait, comme nous. À côté, Maxwell s’impatientait. Il me lança : « Papaaaa … Tu m’avais dit qu’on aurait une vue de fou, en haut. C’est quand qu’on va y être ? C’est long … » J’échangeai un sourire embarrassé avec la jeune femme avant de regarder Maxwell, le sourire encore inconfortable. « Bientôt, Max, bientôt. » Lui assurais-je, n’arrivant pas à me convaincre moi-même. Je regardai de nouveau la randonneuse. « Est-ce que vous savez si on est bien loin du sommet ? » Parce que même si on avait retrouvé le sentier, si on en avait encore pour des kilomètres, est-ce que Maxwell serait partant pour continuer ? Et moi, alors ? Je ne savais pas trop.

Ils étaient dans un sacré pétrin tous les trois mine de rien. Charlize était moyennement emballée par l'idée d'avoir trouvé cet homme et son fils et qu'ils soient aussi perdus qu'elle. Cependant le constat était simple, ils étaient deux adultes et il y a avait un enfant qu'il ne fallait, d'une part, pas effrayer, d'autre part réussir à motiver à marcher. Parce que s'il se démotivait, alors ils étaient cuits. Visiblement on peut s'en éloigner autant, oui. Répondit-elle un brin moqueuse. Il sortait d'où cet homme ? Évidemment que ça pouvait être dangereux de s'éloigner. Le dénommé Max s'impatienta, ce que Lize redoutait, elle regardait son père qui n'en menait pas large, il était visiblement bien embêté. Elle faillit rouler des yeux alors qu'il la questionnait. Est-ce qu'elle avait une tête de guide de montagne ? En même temps ce n'était pas réellement une montagne, une bonne colline tout au plus. On ne doit pas être si loin, non, j'ai bien grimpé jusque là. J'ai cru voir un chemin un peu plus loin quand je vois ai rejoint. Est ce qu'on essaye ? Au point où ils en étaient, il n'y avait pas grand chose à perdre. Ils se mirent donc en route tous les trois et décidèrent de suivre ce chemin, à priori balisé, ils finiraient bien par arriver quelque part, qui sait, peut-être au sommet ! La pâtissière observait le gamin qui crapahutait en tête de cortège, il semblait que rien ne pouvait l'épuiser et c'était tant mieux parce qu'ils n'étaient peut être pas prêts d'arriver. Elle sourit, attendrie, pensant inévitablement à sa propre fille. Max devait avoir à peu près le même âge que Romy à vue d'œil. Il est plein d'énergie votre fils. Il a quel âge ? Elle avait peut-être l'air un peu revêche au premier contact, Charlize, mais au fond elle n'était pas méchante. Et la présence du jeune garçon aidait à briser la glace.

La réponse de la jeune femme me laissa, encore une fois, perplexe. Pourquoi elle affirmait que visiblement, oui, on pouvait s’en éloigner autant ? À ce que je sache, elle ne savait pas d’où on arrivait, elle ne savait pas à quel rythme de pas nous étions revenus, bref elle ne pouvait pas juger à ce point de notre niveau d’égarement. « Ok … » Avais-je juste répondu. C’était difficile de ne pas laisser paraître mon embarras, même si devant Maxwell, je préférais que ça ne se dégage pas de ma personne. En même temps, il avait huit ans, lui aussi il devait se dire que cet échange était un peu bizarre. Mais bon, elle était devant nous et nous, on était dans un beau pétrin, alors je n’allais quand même pas continuer mon chemin et risquer de me perdre encore, alors que cette femme avait peut-être les réponses à mes questions. Je lui demandai donc si elle savait si nous étions proches du sommet et, quand je l'entendis répondre, je compris (enfin) qu’en fait, elle non plus ne savait pas où se trouvait le sentier. « Attendez … Vous ne savez pas non plus où on se trouve ? » Et elle se permettait quand même d’avoir un petit air plein de jugement ! Bon, c’est vrai, moi j’avais la responsabilité d’un enfant en plus de la mienne, mais ce n’était pas tellement plus responsable pour elle de s’être éloignée du sentier. Une équipe de rescue, ça aurait coûté cher aussi pour elle. « Bon, ben, ouais, on peut s’essayer pour ce chemin. » Nous n’avions plus trop le choix, à ce stade. Je suivis la jeune femme. Maxwell traînait de la patte mais il était là, tout juste derrière moi. Je m’en assurais à chaque cinq pas et bientôt, j’allais me le faire dire par mon fils, que je n’arrêtais pas de le surveiller. « Huit ans. C’est la première fois qu’il se décide à utiliser cette énergie pour faire une activité de ce genre avec son père. J’espère que je ne vais pas lui avoir coupé l’envie de la montagne pour toujours. » Dis-je avec un léger rire embarrassé.

Si cet homme pensait avoir trouvé une sauveuse providentielle en la personne de Charlize, effectivement, il se trompait totalement. Malheureusement, la pâtissière était tout aussi perdue que lui. Seulement elle ne s'était pas aventurée dans la nature avec un enfant. Elle s’imagina une seconde dans cette situation avec sa fille, jamais elle ne lui aurait fait prendre un tel risque. Même si, au fond, le risque était relativement limité, on n'était pas en pleine haute montagne. Si Lize était elle aussi perdue, elle n’avait pas paniqué pour autant. Ceci dit, tout était différent quand on avait une personne à charge. Elle le regarda en fronçant les sourcils. Non. Je cherchais des pommes bleues. Elle ouvrit son sac pour lui montrer son maigre butin, mais dont elle était tout de même un peu fière. Vous connaissez ?! Elle n'attendit pas tellement sa réponse, se mettant déjà en marche pour retrouver le chemin qu'elle avait aperçu. Au bout de quelques petites minutes, la pipelette que Charlize était ne pu pas s’empêcher de l’ouvrir à nouveau, mais de façon plus douce cette fois, elle complimentait le jeune Max. Pourquoi ça lui couperait l'envie ? C'est super de se perdre en forêt avec son père, c'est une aventure ! Elle se rappelait ses balades en forêt avec ses parents et ses sœurs, c'était toujours une expédition, l’occasion de découvrir plein de choses, de s’éloigner des sentiers tracés et d’apprendre à retrouver son chemin. C'était d'ailleurs sûrement pour cette raison que la brune n'était pas tant effrayée que ça à l’idée d'avoir perdu le chemin. Max ! Elle fouillait dans sa poche tout en captant l’attention du garçon. Tu vois ça ? Ça s'appelle la pomme bleue d’Australie, c'est un fruit qui se mange. On le trouve normalement dans cette forêt. Un fruit assez rare... comme les Pokémons ! Ça te dit de faire le concours de celui qui réussi à en ramasser le plus ?! Max sembla plutôt amusé par l’idée et il se mit déjà en chasse. Ça va l'occuper un moment déjà. Au fait, moi c'est Charlize. Et vous ? Elle réalisait qu'ils ne s'étaient pas présentés, c'était dommage, s'ils devaient faire un bout de chemin ensemble.

Je fronçai les sourcils en entendant la jeune femme me parla de pommes bleues. « Des pommes … bleues ? » Plus cette conversation avançait, plus je nageais dans le doute, par rapport à tout, même les pommes maintenant ! Je secouai donc la tête, non, je ne connaissais pas. Je regardai l’intérieur de son sac en faisant un pas vers l’avant, et quand je reculai de nouveau en relevant la tête vers la blonde, celle-ci avait déjà repris sa marche, d’un bon pas, vers la direction indiquée un peu plus tôt. Je me mis à sa suite, suivi de pas trop loin par Max. Je n’osais plus trop parler, maintenant, par peur de me mettre les pieds dans les plats avec elle, sauf qu’elle fut la première à recommencer à me parler. « Ouais, tant que c’est un bon dénouement. Je vais investir dans une boussole, j’crois. Si j’apprends à m’en servir d’abord. » Et voilà que je m’enfonçais, raison pour laquelle j’aurais préféré me la fermer et marcher en silence. C’était pourtant rare, venant de moi, je pouvais être un vrai moulin à paroles en situation de stress, mais pas quand je me sentais jugé. Là, les traumatismes du passé revenaient au galop (merci à Léo, le méchant garçon). Au bout de quelques pas supplémentaires, la jeune femme stoppa net et se tourna vers mon fils, lui ouvrant son sac avec ce fameux fruit qu’on croirait tout droit sorti d’un conte pour enfants. Maxwell regarda l’intérieur du sac, et déclara que ça ressemblait plutôt à de petites aubergines. Maintenant, je savais ce qu’Ally lui faisait bouffer par chez eux, parce que ce n’était certainement pas avec moi qu’il avait pu découvrir les aubergines. Je lançai un regard interrogateur à mon fils avant de regarder la jeune femme de nouveau alors qu’elle proposait un concours. Maxwell accepta, évidemment, son esprit de compétition ressortant tout d’un coup. Avec la mère qu’il avait, pas difficile à croire. La pomme (pas bleue) n’était pas tombée bien loin de l’arbre. « Hé, je participe aussi, hein ! » Lâchais-je. « Et ne va pas trop loin, toi ! » Lançais-je à mon fils qui se mettait déjà à la chasse aux pommes bleues. « C’est mieux que Pokémon Go, au moins il chasse pour vrai, pas les yeux rivés sur l’écran. » J’esquissai un sourire mais ce que j’omettais de dire, c’est que moi aussi je jouais à Pokémon Go depuis sa sortie. « Conchobáhr. Merci, pour Maxwell. C’était une bonne idée. » Je souris. « Bon et ça goûte quoi, cette fameuse pomme bleue ? Parce que c'est vrai que ça ne ressemble pas tout à fait à une pomme ... »

Peut-être Charlize avait l’air d’une folle. Elle parlait en effet de pommes… bleues, avec un air totalement normal. En vérité elle non plus, il y a peu de temps, ne connaissait pas l’existence de ce fruit, alors elle ne pouvait pas en vouloir à cet homme de juger sa santé mentale. Elle, de son côté, avait du mal à comprendre pourquoi il était parti se perdre en forêt avec son fils s’il n’appréciait pas l'aventure et le petit frisson d’inconnu que ça pouvait procurer. En soi, ils ne risquaient pas non plus grand chose, ce n'était que le mont Roundback, pas le fin fond du Bush ! Elle esquissa un sourire amusé. Effectivement, il vaudra mieux que vous sachiez vous en servir ! Cet homme paraissait bien rustre, ou renfermé, comme s'il n'appréciait pas qu'on lui fasse des remarques, pourtant Lize n'avait pas l’impression d'avoir été si méchante avec lui. Mais elle savait que, parfois, elle pouvait prendre ce petit ton supérieur qui la faisait passer pour plus froide qu'elle ne l'était vraiment. (ne pas la comparer à un Léo svp   ) Elle sentait bien qu'il y avait un froid entre l’inconnu et elle, mais maintenant qu'ils s'étaient trouvés, il lui était difficile de le laisser, surtout avec son air perdu, elle s’en voudrait s'il arrivait quoi que ce soit. Alors elle eut l'idée d'occuper le jeune Max, au moins, si elle n'arrivait pas à s'entendre avec le père, elle pouvait essayer de motiver le fils à marcher. Charlize rit quand l’enfant compara les pommes bleues à des aubergines. C'est un peu ça oui ! Mais c'est meilleur, enfin j'espère, je veux en faire des gâteaux. Cette partie n'intéressa visiblement pas le petit garçon qui partait déjà en chasse. J’espère bien que vous participiez ! On est tous les trois dans cette galère. Attention, je suis très compétitrice. Ajoute-t-elle avec un sourire espiègle, bien contente d'avoir réussi son coup. Et il avait raison, au moins ils n'étaient pas collés à un écran. Avec plaisir. Enchantée Conch… Pardon, je crois que je vais écorcher ton prénom. Elle grimaça, embêtée. Ce prénom, d’ailleurs, elle l'avait déjà entendu. En fait sont des baies, on les appelle pommes bleues parce qu'elles ont ce goût acidulé caractéristique des pommes. Elles m'intéressent pour leur couleur. Imagine, une pâtisserie avec un goût de pommes, mais de couleur bleue ! Elle avait des étoiles dans les yeux. Avant d’esquisser un rictus. Je suis pâtissière, j'ai besoin d’innover. Mais peut-être que ce sera infect… si on n’essaye pas, on ne peut pas savoir. C’était probablement l’un de ses plus grands principes, à Charlize.

La raison pour laquelle je stressais, c’est peut-être parce que je savais que même si ce n’était que le Mont Roundback, il y avait aussi la possibilité qu’on prenne absolument la mauvaise direction et qu’on se mette à s’enfoncer dans l’arrière-pays.  Au sud-ouest de la montagne, il n’y avait pas grand-chose d’autres que de la forêt ou de vastes étendues sans route. Sans boussole, difficile de dire si on croiserait un jour l’A1. Heureusement, avec la rencontre de cette femme, je pouvais me dire qu’on ne s’était pas trop éloignés du sentier principal. J’avais pas mal plus d’espoir que dix minutes plus tôt. Bon, j’aurais préféré me passer qu’on me fasse sentir comme un imbécile, un papa indigne, mais c’était mérité, j’imagine. Et puis, finalement, alors que la jeune femme me parlait de pommes bleues, elle s’avérait plutôt sympathique. Surtout lorsqu’elle trouva une activité pour occuper Maxwell. Ça, je lui en étais grandement reconnaissant. « Ah, oui, si le but est d’en faire des gâteaux, j’espère que ça ne goûte pas les aubergines. » Dis-je avec une petite moue dégoûtée d’abord, avant de sourire. Je pensais faire rire mon garçon mais il était déjà parti pas mal plus loin, à la recherche du fruit convoité. « Je suis très compétiteur aussi. Vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez ! » Heureusement que c’était un cherche-et-trouve et non pas une épreuve d’orientation, uhuh. « Juste Concho, ça ira. » Lui assurais-je en riant. « Mes racines irlandaises me mènent la vie dure, par ici. » Charlize n’était pas la première et ne serait pas la dernière à ne pas savoir prononcer mon prénom. Je questionnai la brunette un peu plus sur ces pommes bleues, qui m’intriguaient moi aussi. Elle m’en parlait avec tellement de passion. Elle aimait son métier, ça ne faisait aucun doute. « J’avoue que juste au look, je pense que ça ferait fureur. Et pis, si ça goûte les pommes, je ne vois pas pourquoi ce serait mauvais … Ces pommes bleues, on n’en trouve pas aux marchés locaux, alors ? » Quand même, devoir venir faire une randonnée au Mont Roundback pour les trouver, ça semblait être un gros contrat, si elle voulait produire beaucoup de ces pâtisseries. Maxwell allait devoir bien fournir.