préparez-vous pour la bagarre (aisling)

Le café a ouvert depuis un peu plus d’une semaine mais j’ai l’impression de ne pas avoir vu le temps passer. Grâce au marché de noël j’ai un peu de monde et j’espère que ça va continuer sur cette lancée. Il y a des moments un peu plus creux mais le coin librairie attire du monde un peu toute la journée. J’ai vu pas mal de têtes connues, des gens que je croise souvent en manifestation et qui avaient entendu parler du projet, venus voir et souvent acheter un livre ou une œuvre de créateur que je vends dans le coin boutique du Weird Kids. Certains me font des compliments, des remarques ou des idées pour faire évoluer le lieu. Je sais que si je veux continuer à investir ce ne sont pas les idées qui manqueront mais plutôt l’argent et la place. J’ai essayé de tout organiser pour que ça soit le plus simple possible d’y circuler tout en combinant divers coins aux fonctions différentes. J’aurais pu juste ouvrir un café ou une librairie mais je ne me voyais pas faire un lieu avec une seule fonction, je voulais quelque chose de plus original. Grâce aux suggestions du moment à la carte sur le thème de noël, je peux plus facilement attirer les curieux qui se baladent sur le marché de noël. Quand je les vois repartir avec un livre dans les mains au lieu d’avoir simplement bu un chocolat frappé aux épices de noël, je suis contente. J’ai tout de même hâte que le week-end arrive, enfin le dimanche puisque mes week-end sont le dimanche et le lundi, pour pouvoir me reposer un peu parce que depuis des mois je ne vis que pour ce projet et même si je me suis autorisée des moments de détente, j’avais toujours le stress du projet. Je sens qu’il redescend un peu à présent. Je suis en train de préparer une fournée de cookies avant l’heure du goûter parce qu’il n’y en a presque plus et que le lieu est presque vide actuellement, à part deux personnes en train de travailler avec un café. Quand j’entends la porte s’ouvrir, je lève la tête pour apercevoir la personne qui vient d’entrer, je lui souris avant de m’approcher d’elle. C’est Aisling, je la connais un peu parce que j’ai fait plusieurs manifs avec elle et surtout avec son copain que je croise plus souvent. On a la même manière de penser sur pas mal de trucs et j’aime bien quand on discute toutes les deux. « Salut ! Tu viens voir ce que ça donne maintenant que c’est ouvert ? » Je lui demande en espérant qu’elle trouve le lieu sympa.

Secret Santa au laboratoire où Aising travail en post-doc. Elle aurait aimé y échapper malheureusement on lui avait bien fait comprendre que c'était pour tout le monde. Qu'il n'y avait pas d'exception. Que sinon ce n'était pas très convivial, pas très esprit d'équipe et blablabla... Mais Aisling, elle n'avait aucun mal à admettre que l'esprit d'équipe, ce n'était pas son truc. Qu'elle passait le temps strictement nécessaire avec ses collègues, et c'est tout. Les déjeunes, les afterworks, tout ça... C'était pas son truc. Et elle y échappait toujours aisément. D'ailleurs, peu de gens lui en tenaient rigueur parce qu'elle était "maman, tu comprends, c'est normal". Si seulement ils savaient que ce n'était pas la raison principale, loin de là.

Bref. Elle s'était donc retrouvée affligée d'un horrible pull de Noël apporté par le petit lutin du Secret Santa. Toute l'équipe avait beaucoup ri. Elle détestait ça. Ils n'auraient pas pu se contenter d'une tasse ? Elle avait voulu s'en débarrasser au plus vite, mais iels s'étaient toustes ligué·e·s contre elle pour qu'elle le garde. Elle avait abdiqué, mais elle avait décidé de rentrer tôt. Son énergie avait fondu comme neige au soleil avec cette histoire. Au moins, elle se souvenait exactement pourquoi elle préférait rester enfermée dans son bureau la plupart du temps.

Elle profita donc de cette sortie pour faire quelques courses. Elle avait pris son vélo et il y avait toujours fixé le panier - merci Isaiah pour cette incroyable façon de vivre. Elle prit des bûches, elle savait bien que son amoureux préférerait faire des gâteaux lui même, mais enfin, il ne s'agissait pas là de gâteaux industriels, mais acheter un pâtisserie, ça lui ferait sûrement plaisir - et elle après les petits gâteaux de Noël elle avait assez donné sur la question. Elle profita d'être en centre-ville pour passer au distributeur et retirer quelques billets. Les étrennes pour Siobhan. Evidemment ce n'était pas grand chose, et elle n'en avait pas vraiment besoin - son père lui achetait déjà tout ce qu'elle voulait - mais elle trouvait que ça la responsabilisait un peu.

Enfin, elle se retrouva devant la boutique de Vega. Elle ne l'avait pas réalisé tout de suite, c'est en admirant la devanture un moment qu'elle le réalisa. Garant le vélo, elle entra et remarqua tout de suite la jeune femme qui s'avançait vers elle. Elles ne se connaissaient pas énormément mais elles avaient bien accrochés l'une et l'autre. Alors qu'elle s'approchait vers elle, elle lui adressa un sourire, sûrement son premier de la journée.

-Vega ! Je passais dans le coin, ça aurait été bête de ne pas entrer.

Puis, lui tendant la main, elle réalisa qu'elle avait toujours son horrible pull de Noël, et qu'elle s'était baladé avec ça dans la rue.

-Putain... J'avais oublié que j'avais ce truc... J'aurais au moins pu me mettre sur mon 31 pour ma première visite.

Elle soupira et secoua la tête de droite à gauche.

-Alors, tu me fais faire le tour du propriétaire ?

Je souris en voyant qu’Aisling porte un magnifique pull de noël, lequel en plus d’être particulièrement moche (rien d’étonnant pour un pull de noël), doit aussi lui donner bien chaud. Heureusement pour une journée d’été, la chaleur n’est pas trop présente pour elle. Je me doute qu’elle ne le porte pas de son plein gré, enfin je ne l’imagine pas vraiment être du genre à passer son mois de décembre déguisée en lutin du père noël mais je me trompe peut-être. Sa réaction en se souvenant de la présence de son pull me confirme qu’elle ne s’est pas dit ce matin qu’elle allait sortir comme ça. « T’inquiète pas, ici c’est chill, pas besoin de robe de soirée et de talons hauts pour rentrer. Au moins t’es dans le thème de noël ! » J’ai mis quelques décorations dans la boutique, rien de trop chargé, pas comme dans les films de noël où le budget décoration doit représenter moitié de l’argent dépensé tellement chaque centimètre carré respire noël. Et je me dis aussi que pour les personnes qui n’aiment pas ou ne fêtent pas noël, avoir un lieu où les décorations ne sont pas omniprésentes, ça doit être un soulagement. J’ai fait quelques recettes thématiques dans le menu pour attirer les visiteurs du marché de noël mais la carte classique est aussi là, de quoi ravir, je l’espère, tout le monde. « T’es pas obligée de garder ton pull si ça peut te rassurer. » Ici le seul critère est que les gens soient habillés, comment, je m’en fiche. Je pose quand même la limite de ne pas venir en maillot de bain, surtout que l’océan n’est pas juste à côté de la boutique donc ça n’aurait pas trop de sens que quelqu’un traverse moitié du centre-ville en maillot de bain pour venir ici. Aisling me demande de lui faire un petit tour. Depuis que j’ai ouvert, j’ai l’impression d’être un guide touristique du café mais ça me fait plaisir de le présenter à tous ceux qui veulent. « Bon c’est pas très grand mais y’a plein de choses. Déjà là c’est le coin librairie, j’pense qu’il y a pas mal de livres qui pourraient te plaire dans le lot. » Parce que je sélectionne des livres engagés, féministes notamment et je sais que là-dessus on se réunit. « Là c’est la partie bar, comptoir, pour le service. D’ailleurs je vais juste mettre mes cookies à cuire en attendant de te faire le tour. » Je lui dis en passant derrière le comptoir et en mettant la plaque contenant les biscuits dans le four.

Aisling éclata de rire quand la propriétaire des lieux lui dire qu'elle n'avait pas besoin de venir en tenue trop classe. Certes mais quand même, un minimum non ? Il y avait un juste milieu entre cette horreur et une tenue chic.

-Peut-être que je devrais venir en tenue de soirée la prochaine fois, je t'attirerai une autre clientèle tu verras !

Aisling n'était pas particulièrement douée en marketing, mais elle pouvait avoir des idées parfois ! Et une étonnante bonne volonté. Mais elle se voyait bien, s'habiller de façon chic, se faire passer pour une bourgeoise pour susciter l'étonnamment et l'intérêt de la rue marchande, un vrai rôle de composition - qui risquait de tenir à peu prés trois minutes avant la première injure.

A sa remarque sur le fait que rien ne l'obligeait à garder son pull - ce qui était très juste - Aisling la pris au mot et retira le cadeau du démon, restant simplement en débardeur.

-T'as raison, ça va mieux comme ça.

Ce "problème" réglé, elles allaient pouvoir entrer dans le vif du sujet. Certes le lieu n'était pas immense mais pour la blonde il était bien agencé, ça ne donnait pas l'impression de quelque chose d'étriqué, de mal rangé. Elle regardait ce qu'elle lui montrait, écoutait. Elle ne put s'empêcher de jeter un œil à la plaque de cookies et eu un petit rire.

-On dirait que j'arrive pile au bon moment !

Qui dirait non à un cookie après tout ? Elle la laissa finir son enfournage avant de reprendre.

-J'avoue que je suis curieuse d'avoir tes conseils. J'aimerais consacrer un peu plus de temps à la lecture... A... m'instruire quelque part, tu vois ? Mettre des mots sur des choses que je ressens mais que je n'ai jamais réussi à verbaliser. Ah, d'ailleurs, tu as des livres pour enfants ?

Je ris en imaginant Aisling débarquer avec une longue robe brillante en pleine journée au café, un peu dans le style d’Audrey Hepburn qui flâne devant Tiffany’s le matin avec sa longue robe noire. Bon, mon café n’a rien à voir avec Tiffany’s mais pourquoi pas un remake, breakfast at Weird Kids Coffee & Shop. Bon le titre est un peu long quand même. « Une clientèle de gens en gueule de bois qui rentrent chez eux au petit matin ? » Je lui demande en riant, préférant les avoir eux plutôt que des bourgeois qui me regarde de haut à juger le moindre truc et qui voudraient voir ce que le bas peuple peut faire. Je dis à Aisling qu’elle peut retirer son pull si elle veut parce que je vois bien qu’elle est en souffrance là-dedans et qu’elle a juste envie de s’en débarrasser, ce qu’elle fait assez rapidement. Je passe derrière le comptoir pour mettre mes cookies au four, lançant un chrono pour ne pas les oublier. « Oui dans dix minutes tu auras droit à un cookie tout juste sorti du four. » Je lui dis en souriant avant qu’elle ne m’explique vouloir quelques conseils, notamment en matière de lecture. Je vois tout à fait ce qu’elle veut dire. « Oui je vois, j’ai pas mal de trucs qui pourraient te plaire. » Je lui dis en allant vers le coin librairie. « J’ai quelques livres pour enfants mais faut encore que je creuse là-dessus. C’est pas si simple de trouver des livres qui n’ont pas vingt mille clichés. » Grâce à mon temps passé comme bibliothécaire, j’ai pu en apprendre plus sur les livres pour enfants et j’ai aussi commencé à me renseigner dessus, vu que ce n’est pas du tout quelque chose que je lis. Comme c’est assez rapide à lire, je lis tous ceux que je mets en vente avant, pour être sûre qu’ils rentrent bien dans ce que je recherche, à savoir des livres pouvant servir de modèle à des enfants peu représentés parce que pas blanc hétéro cis valide ou bien des histoires avec une variété de personnages qui ne va pas dans les clichés. « D’ailleurs si t’as des recommandations aussi n’hésite pas ! » Je me dis qu’avec ses filles elle doit avoir plusieurs titres à me conseiller, je sais qu’Isaiah est aussi pas mal impliqué dans les livres pour enfants. « J’ai pas beaucoup de livres neufs, j’essaie d’avoir un maximum d’occasion donc le stock varie pas mal. Tu sais ce que t’aimerais un peu plus précisément ? »

Aisling fit la moue à la question de Vega avant d'éclater de rire. Elle finit par hausser les épaules comme résignée.

-Oui, bon, peut-être n'est-ce pas la meilleure idée. Les gens bourrés sont incapables de lire après tout.

Et encore moins de remettre en question le patriarcat et tout un tas de choses. Et est-ce que les gens de la haute société étaient capables de remettre ça en cause ? Ca non plus, elle n'en était pas sûre. Voire elle était sûre de l'inverse. Bref.

-Comment résister à ça ? Isaiah risque de râler car je n'ai plus faim en rentrant.

Elle eut un léger rire. Elle aimait sûrement plus que de raison le faire râler.
Elle la suivit côté librairie, hochant la tête quand elle parla des livres pour enfants avec des clichés. C'était bien pour ça qu'il fallait les choisir avec soin. C'était vraiment beaucoup de temps investi.

-Pour les livres pour enfants, Isaiah aura sûrement de meilleurs conseils que les miens, il s'est beaucoup penché sur la question. Moi j'ai surtout râlé.

Aisling hocha la tête quand elle lui confia ne pas avoir beaucoup de livres neufs. Ca, c'était quelque chose qui ferait plaisir à son amoureux aussi. C'était bien ce que faisait Vega. En réalité, elle l'admirait, d'aller ainsi au bout de ses convictions. Elle n'était pas très expressive, elle le savait bien, et elles ne se connaissaient sûrement pas assez pour qu'elle sache encore la lire entre les lignes.

-Honnêtement, je ne sais pas tellement. Il faudrait que j'essaie et puis, je vois si ça me plaît ou pas. Je n'ai pas pris le temps de me renseigner, j'imagine que je pourrais commencer par des "classiques" du genre, si on peut dire ? Un ouvrage qui fait référence ?

Je préfère éviter d’accueillir des gens encore bourrés au café, n’ayant pas franchement envie de devoir éponger du vomi au petit matin. « Ouais mais en général ils ont faim ! » De quoi vendre des petits-déjeuners facilement, même si je n’ai pas envie de courir après les clients. J’ai envie que ça fonctionne, qu’il y ait du monde, je fais de la promo, mais je ne suis certainement pas prête à mettre de côté mes idées pour faire venir plus de monde. Je sais que le côté engagé du café peut faire peur à certains mais bon si ça empêche des gens de venir manger un cookie parce qu’il y a des bouquins féministes en devantures, je pense que c’est à eux de se poser des questions et pas à moi. « Tu pourras en prendre un pour lui aussi. » Je lui dis avec un clin d’œil, ça pourra peut-être faire d’Isaiah un nouveau client, je pense qu’il aimerait bien l’endroit aussi. Mes cookies sont généreux mais ils ne permettent pas non plus de caler quelqu’un pour un repas, même si je comprends Aisling. Si elle est comme moi, son appétit n’est pas énorme et il ne faut pas grand-chose pour avoir l’estomac plein. Quand on vit avec Elmo il faut bien ça en même temps, si c’est lui qui se met aux fourneaux, à savoir commande à manger, c’est rarement un truc avec des légumes, parce que non les frites c’est pas des légumes. « Je lui demanderai, faut vraiment que j’en trouve plus. » J’ai envie de viser tous les âges, les adultes mais pas seulement, parce que les stéréotypes ça commence tôt, très tôt et plus tôt on lit des ouvrages avec des personnages variés aux enfants, plus tôt ils comprennent ce qu’est vraiment l’égalité, la discrimination aussi. Aisling a elle envie de se mettre à la lecture féministe et veut donc commencer par la base. J’ai quelques livres dans ma liste starter pack pour débuter. J’ai essayé de mettre les ouvrages plus abordables ensemble, dans le même coin, histoire que ça soit un peu organisé. « Je vais avoir du mal à en donner juste un mais je vais faire au mieux pour pas en sortir trop. » Je lui dis en attrapant le premier. « Celui-là c’est un de mes chouchous et je pense un des premiers que j’ai lu. Dedans bell hooks parle de sa condition de femme mais aussi de femme noire et de comment le fait d’être à la fois une femme et noire fait qu’elle subie deux oppressions, ça permet de comprendre comment tout ça s’imbrique. » Je lui explique en lui montrant Ain’t I a woman de bell hooks. « Niveau livres plus récents il y a Men explain things to me de Rebecca Solnit, qui parle de mansplaining, c’est elle le point de départ de ça. Et aussi Everyday sexism de Laura Bates. J’pense que ça permet de débuter sans trop aller dans des trucs compliqués. En référence connue tu as aussi une chambre à soi de Virginia Woolf, je sais pas si tu l’as déjà lu, il ressort souvent quand on cherche un premier livre féministe à lire. »

hj : je n’ai pas lu ces livres (j’en ai trop à lire mais certains sont dans mes projets de lecture ) donc je peux pas assurer qu’ils soient géniaux, abordables et pas problématiques

Aisling eut un rire en ne pouvant qu'admettre que Vega avait raison. Ils pouvait au moins venir prendre de délicieux cookies. Elle ne s'était pas trop interrogée sur ce qui était le meilleur pour le chiffre d'affaire de son amie. Dans la recherche, les business plan ce n'était pas vraiment la même chose qu'un commerce. C'était plus le rayon d'Isaiah, encore une fois.

-Il faudrait prévoir de bons stocks alors.

La blonde sourit alors que Vega lui suggérait de prendre un cookie pour Isaiah.

-Oh, bien vu, soudoyer l'autre... Tu iras loin dans la vie de couple !

En réalité elle n'avait aucune idée de ce à quoi ressemblait la vie amoureuse de Vega - et elle faisait bien ce qu'elle voulait. C'est seulement que ce conseil l'amusait et était plutôt judicieux, surtout pour quelqu'un comme elle qui, à la base, n'était pas du tout faite pour la vie de couple.

Elle hocha la tête quand elle affirma devoir se renseigner auprès d'Isaiah. Aisling ne doutait pas qu'il aurait plein d'idées.

En attendant, Vega en a aussi des idées en ce qui concerne sa future lecture. La blonde est très attentive, elle hocha doucement la tête au fur et à mesure des explications. Elle enverra sûrement Isaiah choisir ses propres livres, elle est certaines qu'il trouvera plein de thèmes qui lui plairont.

-Honnêtement je n'en ai lu aucun pour l'instant. Je veux bien commencer par le mainsplanning... Ca me servira dans mon boulot.

Elle avait la chance d'avoir un caractère de cochon qui faisaient que généralement on évitait de se la mettre à dos. Et pourtant, des hommes qui venaient mettre leur nez dans ses études, sur le simple fait qu'ils étaient des hommes et qu'ils avaient un avis, il y en avait. Peut-être que ce livre l'aiderait à s'armer ? Sans risquer un incident diplomatique continuel et une convocation chez les RH.

-Et après je continuerais avec tes recommandations. Je ne sais pas encore bien à quel rythme je vais réussir à lire.

Je vais voir si les lendemains de soirée j’ai plus de monde au café, dans ce cas je ferai peut-être plus de stock de pâtisseries pour pouvoir contenter leurs estomacs et augmenter mon chiffre d’affaire par la même occasion. Je ne suis pas vraiment le genre working girl, girl boss qui veut avoir un empire et devenir aussi riche que les mecs qui n’hésitent pas à écraser les autres pour s’en mettre plein les poches. Non, j’ai envie que le lieu fonctionne pour pas me retrouver à la rue, mais je n’aspire pas vraiment à une vie de richesse alors si le lieu fonctionne, j’investirais davantage dedans ou dans d’autres choses qui peuvent être utiles, plutôt que de m’acheter un manoir avec douze salles de bain. « Ouais, j’suis pas encore au point là-dessus alors s’ils peuvent attendre pour débarquer ça m’arrangerait. » Je dis en riant, le café étant encore en rodage, il arrive souvent que je manque d’une pâtisserie ou d’une boisson, victime de son succès, mais je m’adapte. Je propose à Aisling de prendre aussi un cookie pour son copain, quand ils seront sortis du four, histoire qu’il se plaigne pas de son manque d’appétit. « Jusqu’à maintenant ça n’a pas été un grand succès. » Je lui réponds seulement, à propos de ma vie de couple. On ne peut pas dire que j’ai eu une histoire qui se soit bien terminée, qui ait vraiment durée, je n’ai enchaîné que les mauvais plans et rien qui m’a bien enthousiasmée, pourtant je ne suis pas contre une belle histoire d’amour. Mais maintenant je ne m’en préoccupe plus, j’ai d’autres choses dans ma vie pour m’occuper que de courir après des gens qui n’en valent pas la peine. Présenter des livres à des gens et les éveiller à des problématiques, je trouve ça bien plus enthousiasmant, je m’enthousiasme sans doute un peu trop d’ailleurs. Je présente quelques livres à Aisling, qui s’arrête sur celui sur le mansplaining. « Tu m’étonnes ! On doit souvent te prendre pour l’assistante ou l’étudiante aussi. » Parce que bon une femme en science, elle ne peut pas avoir une thèse ou connaître plein de choses, elle est forcément moins bien qu’un homme c’est bien connu. « Il y a quelques bouquins plus spécifiques sur les sciences et le sexisme dans les sciences si jamais. » Mais je ne veux pas la surcharger de référence surtout qu’elle me dit qu’elle ne sait pas si elle va pouvoir beaucoup lire. « Si tu veux en apprendre plus il y a des podcasts aussi, ça peut être plus simple. Comme par exemple Cleopatra, et je dis pas ça parce que c’est le mien. » Je lui dis en riant. Mon podcast n’est pas le plus actif en ce moment, le rush avec l’ouverture du café ayant pas mal pris de mon temps, mais il y a tout de même quelques épisodes à écouter. « Et sinon plein de comptes Instagram ou autres. C’est plus rapide à lire que des livres même si ça peut être plus difficile pour décrocher. »

Aisling esquissa un sourire, elle imaginait comment ça devait être difficile, l'anticipation, la gestion des stocks, savoir en fonction des jours s'il fallait plus ou moins prévoir... Elle espérait que Vega pourrait se rôder tranquillement, sans un incident diplomatique ou quelque chose du genre. Après tout, les clients pouvaient être parois particulièrement exigeants et odieux.

Alors qu'Aisling la taquinait à propos de son conseil, elle avoua que sa vie de couple n'avait pas été un franc succès. Elle se mordit l'intérieur de la joue. Elle ne savait pas si elle lui disait cela avec fatalité, ou une pointe d'humour.

-Je serais nulle en conseils mais... Si jamais un jour tu veux en parler, ou juste insulter tes ex, là-dessus je suis plutôt bonne !

Elle avait bien géré la situation quand Sahar avait trompé et plaqué Oskár, non ?

Enfin, parler des ouvrages que Vega avait à partager, c'était encore une meilleure idée - sujet moins épineux pour Aisling et ses difficultés en relations sociales. Elle eut un rire à sa question, et pourtant, quand elle le vivait elle ne trouvait pas ça drôle du tout.

-Oui, mais ça c'est parce que je suis d'une beauté qui trouble les gens sur mon âge !

Son sourire se fit ensuite un peu plus mesquin.

-Je peux te dire que quand je leur abois dessus, ils ne confondent plus.

Parfois elle se disait que si elle prenait un stagiaire, on risquerait de le prendre lui pour le docteur, et elle pour la thésarde ou la stagiaire. Mais cette problématique ne se posait pas car... Elle serait absolument incapable de gérer un stagiaire.

-Oh, ouais, je serais vachement intéressée par ses bouquins là aussi. Parfois je me penche sur des vidéos de scientifiques femmes méconnues qui ont pourtant révolutionner leurs domaines, j'adore.

Autant qu'elle était en colère de les savoir ainsi dans l'ombre, spoliée de leurs travaux par des hommes. Elle rit avec elle quand elle lui parla de son propre podcast, elle n'allait pas lui jeter la pierre de se faire de la pub dans son propre café.

-On l'écoute parfois avec Isaiah.

Quand ils faisaient la cuisine ou le ménage.

-Ouais, j'hésite un peu sur les comptes Insta', enfin j'en suis quelques uns mais je ne voudrais pas n'avoir plus que ça dans mon feed parce que... Enfin... Je suis déjà tout le temps énervée, tu vois ?

On ne peut pas dire que dernièrement j’ai beaucoup d’ex sur qui m’énerver, mes dernières relations qui ont duré plus d’une nuit ou deux remontent à un bon moment maintenant. Mais même si ça date, j’ai parfois toujours du ressentiment, surtout vis à vis des hommes bizarrement, étrange dis donc...Mais je me dis qu’une petite session à gueuler avec Aisling, ça pourrait être sympa. « Merci, ça peut être marrant en vrai, je note ! » Je lui dis en souriant. Je ne suis pas une grande fan d’insultes, la violence ce n’est pas mon truc et j’essaie de l’éviter mais en vrai, juste crier ou dire ce que j’ai sur le cœur, ça me ferait du bien des fois. Et sans forcément parler de mes exs, juste du million de plans foireux que j’ai eu, ça serait bien aussi et je pense qu’il y a de quoi s’occuper un moment avec. Je pourrais même écrire un livre sur mes dates foireux, je n’aurais pas de mal à remplir les pages. Je continue en lui présentant des livres et je sens que les problématiques que j’évoque la touche et tout particulièrement celle d’être une femme en science. Je lui dis qu’on doit souvent la prendre pour une assistante plutôt que pour une docteure, parce que je sais que ça arrive très souvent. Je ris à sa réflexion, me disant que je n’ai pas de doute sur le fait qu’elle arrive à rapidement leur faire comprendre qui elle est et qu’ils n’ont pas intérêt à la prendre de haut. « J’imagine ! Ils doivent se dire que t’es pas sympa parce que bon une femme si elle est pas douce et docile c’est forcément une connasse. » Ouais je crois que dans la tête de certains hommes il n’y a que deux catégories bien précises de femmes. Et je crois que je préfère être dans celles qu’ils n’aiment pas plutôt que les autres. « Je me note ça, je t’en chercherai quelques uns. » Je lui dis et comme ça ça sera l’occasion pour elle de repasser. Oui j’essaie de fidéliser la clientèle, même si c’est mes amis donc j’imagine qu’ils viendraient tout de même de temps en temps pour me faire plaisir. Je lui parle aussi de podcasts et du mien au passage, ça me touche qu’elle l’écoute. « Merci ! C’est donc vous mes deux auditeurs mensuels ? » Je lui demande en riant. Bon il y en a un peu plus que deux mais on n’est pas non plus sur le podcasts numéro un d’apple podcasts, ça reste un petit truc. « J’te comprends. Quand je vois des trucs passer ça m’énerve encore plus mais j’ai pas envie de fermer les yeux tu vois ? Des fois c’est pas simple, je craque et j’sens que ça va pas donc je fais une pause mais c’est pas parce que je regarde plus que y’a plus de problèmes. J’crois que j’ai besoin de voir tout ce qui se passe. »

Un sourire sincère, presque... bienveillant ? se dessina sur les lèvres de la jeune femme alors qu'elle acceptait son invitation à bitcher et à se défouler.

-Je ramènerais l'alcool.

On avait toujours besoin d'alcool pour ce genre d'occasions, non ?

En parlant mainsplanning, Aisling fut assez évasive sur ses expériences personnelles - il faut dire qu'elle avait l'impression que c'était le même schéma qui se reproduisait tout le temps. Elle essayait de ne plus y faire attention. Elle se contentait d'être agressive.

-Oh, c'est sûr après... Ils ont raison, je ne suis pas sympa.

Elle eut un léger rire.

-Je suis une méchante, indubitablement. Alors ce qu'ils pensent de moi, ça ne m'intéresse pas beaucoup.

Elle avait toujours été comme ça. Elle n'avait jamais été du genre à se marcher sur les pieds. Elle ne savait pas si ça venait de son éducation ou simplement de son caractère. Même si elle semblait s'adoucir ces dernières années, enfin, seulement avec certaines personnes. Mais peut-être que ça avait un lien avec le fait qu'elle ne soit plus en train de continuelle chercher où était sa place.

-Merci beaucoup.

Elle savait que ça pouvait prendre du temps de chercher les bons livres pour quelqu'un. Surtout qu'elle ne lui avait pas demandé quelque chose de précis, elle allait ratisser large. Elle espérait ne pas lui faire perdre du temps - ce serait du temps en moins pour faire des cookies !

Elle éclata de rire quand Vega blagua sur le faible taux d'écoute de son podcast. Elle imaginait que c'était difficile de se faire une place. Les réseaux sociaux pouvaient donner une ascension fulgurante... Comme laisser des centaines de personnes dans l'oubli.

-Je plaide coupable effectivement. Et on ne sera pas très utile pour populariser ton émission... Mais j'en parlerais autour de moi à l'occasion.

Il y avait sûrement quelques personnes au labo' qui seraient sensibles à ce sujet. Où elle pourrait toujours l'envoyer dans les dents des mecs qui la saoulaient pour qu'ils se renseignent.

Aisling hocha la tête quand elle lui expliqua son rapport aux actualités. Elle comprenait très bien ce qu'elle ressentait, elle s'était beaucoup posé ses questions là également. Mais peut-être que son engagement pêchait, ou que le non amour d'Isaiah pour la technologie l'avait un peu contaminé aussi.

-Je comprends, et je pense que tu as raison. C'est juste que j'ai en quelque sorte besoin d'un... petit safe place ? Parfois. Malheureusement, ni toi ni moi ne pouvons porter tout ce poids sur nos épaules.

Une soirée à bitcher avec Aisling je me dis que ça peut être bien marrant comme truc. Elle propose de ramener de l’alcool et ça me rappelle les soirées avec Elmo où on faisait des jeux à boire tous les deux. Je ne suis pas du genre à boire beaucoup, sûrement un mélange du fait que de plus rien contrôler de ce que je fais m’intéresse pas et qu’en temps que femme, être bourrée c’est risqué. Mais parfois je déroge un peu à la règle, notamment si je suis dans un endroit safe avec des personnes en qui j’ai réellement confiance (soit pas énormément de monde). « On boit à chaque truc toxique d’un mec. La soirée qui dure deux minutes. » Je lui dis en riant avant que la jeune femme ne parle un peu de son expérience de femme travaillant en science, à un niveau assez élevée. Comme moi, elle n’hésite pas à recadrer les gens tant pis si ça la fait passer pour la méchante. Elle l’assume pleinement et me dit même qu’ils ont raison, qu’elle est méchante mais qu’elle s’en fout. « J’pense pas que tu sois méchante ou en tout cas tu me le caches bien. Juste tu rentres pas dans leur case de la petite femme douce et docile. » Après, on ne se connaît pas tant que ça, si ça se trouve c’est une grosse connasse mais bon, elle ne l’est pas avec moi en tout cas. Je garde en tête de lui chercher quelques livres, lui parlant ensuite d’autres supports pour se renseigner, notamment le podcast, faisant la pub pour le mien au passage. « C’est à moi de faire plus de pub en vrai, j’suis pas une très bonne communicante. » J’ai du mal à faire de la pub, avec le café j’essaie d’en parler aux gens parce que contrairement au pdocast, ma survie financière en dépend mais faut que je me penche un peu plus sur la question de la promo. Je traîne sur Instagram mais j’ai du mal à faire des posts pour attirer les gens, je suis plutôt là à rager sur tous les trucs problématiques du monde. Les news déprimantes ne manquent pas. Je sais qu’il faudrait que je filtre un peu, que je me protège aussi mais je trouve ça injuste, parce que les victimes ne peuvent pas juste fermer une app et oublier leur douleur. « Ouais, je sais...mais j’arrive pas à regarder ailleurs tu vois ? J’ai l’impression que ça serait fermer les yeux sur ce qu’il se passe. Je sais qu’il faudrait que je ralentisse des fois mais j’ai cette voix dans ma tête qui me dit : c’est pas en arrêtant de regarder tous les malheurs du monde qu’ils arrêtent d’exister et que tout va mieux, bats-toi, change le monde ! » Quand j’ai commencé mes études en sciences politiques, abandonnées rapidement, j’avais vraiment cette idée de changer le monde, ça a perduré mais maintenant j’essaie de faire ça à des échelles réalistes, comme avec le café.

Le jeu que propose Vega est amusant pour sûr. Et comme elle le fait remarquer, elles finiraient vite saoulent. Mais la blonde avait plutôt une bonne tolérance à l'alcool. Faut dire qu'elle n'en était pas à sa première cuite, loin de là. Sa phase d'autodestruction était passée par là, un peu trop violemment.

-Il faudrait que je réfléchisse aux propres trucs toxiques que j'ai fait !

Elle n'avait pas toujours été déconstruite dans ses rapports aux autres, et encore moins dans ses relations amoureuses et sexuelles avec les hommes. Bon à la réflexion, elle était rarement tombée sur des personnes très saines... N'était-ce pas par ça qu'elle était attirée à l'époque ?

Elle esquissa un léger sourire alors que Vega défendait qu'elle n'était pas méchante. Si elle s'était adoucie avec le temps, elle gardait son caractère de cochon.

-C'est sûr que ça s'est pas mon rayon.

La blonde haussa légèrement les épaules à la réponse de Vega. Elle imaginait bien que ça ne devait pas être facile de se faire une place sur les réseaux, il y avait tellement de monde.

-Le bouche à oreille ça ne nous coûte rien. Après c'est un travail la communication, c'est normal que ça ne se fasse pas comme ça.

Elle, elle ne saurait pas trop comment s'y prendre. Il faut dire qu'elle n'y connaissait pas grand chose en communication. Elle devrait peut-être mettre un petit flyer sur sa devanture ? Bref. Elle ne pouvait que comprendre son sentiment. Changer le monde. C'était un beau rêve. Est-ce qu'elle avait déjà espéré ça, elle aussi ?

-Oui, je vois. Mais pour changer le monde, il faut être en forme.

Elle lui sourit.

-Et nombreuses.

Des gars toxiques ou problématiques, j’en ai rencontré pas mal dans ma vie, des réflexions sexistes, homophobes ou racistes aussi, j’ai une pelletée d’exemples et je ne doute pas qu’Aisling aussi. Elle me réplique qu’il faudrait aussi ajouter ses propres trucs toxiques. C’est vrai que même si j’ai eu assez tôt un éveil féministe, j’ai été bercée par une culture sexiste qui m’a appris à désirer des relations toxiques et à trouver ça normal. Il n’y a qu’à regarder la relation que j’ai eu et qui a fait que je suis restée à Bowen au lieu de partir ailleurs faire mes études, j’étais complètement aveuglée par tous les exemples de relation qu’on nous balance comme étant des romances parfaites. « On en a tous fait mais depuis on essaie de ne plus refaire les mêmes conneries. » Et le truc c’est que je pense pas que les gars problématiques que j’ai rencontré dans ma vie se rendent compte pour la plupart de leurs comportements et qu’ils aient essayé de changer. Après tout ils vivent dans une société où ces comportements ne sont pas mal vus alors à quoi bon changer ? Bref, je vais pas m’étaler plus sur le sujet sinon je risque de commencer à m’énerver. Avec Aisling on ne ressemble pas vraiment au stéréotype de la femme docile, qui sourit en permanence et qui reste discrète, alors forcément ça nous a été reproché plusieurs fois, ce qui me donne à chaque fois encore plus envie de l’ouvrir. « C’est clairement pas un boulot que j’aurais pu faire en tout cas, j’suis un peu trop directe et honnête. » Je lui réponds en riant à propos de travailler dans la communication. Autant là je dois faire de la com pour des choses que j’ai faites, auxquelles je crois, j’ai juste à partager mon enthousiasme, mais pour une marque, j’aurais tellement eu l’impression de faire quelque chose de faux, de mentir et je suis pas comme ça. Je ne pense pas que les personnes qui bossent là-dedans soient de gros hypocrites, mais je pense que je n’ai pas le caractère pour ça. J’ai aussi trop tendance à m’obstiner et à parfois nourrir ma colère au lieu d’essayer de l’apaiser en faisant d’autres choses, mais j’ai du mal à décrocher des réseaux et de toutes les actualités que je vois passer. « C’est vrai...mais j’ai tendance à pas vraiment être la meilleure pour rallier du monde. » Parce que la diplomatie c’est pas mon truc, parce que j’arrive pas à rester calme face aux conneries qu’on peut me sortir, moi je sers à aller gueuler en manif.