what was i made for ? (livio)

Quand j’ai fait passer les annonces pour le café, cherchant une ou des personnes, suivant leur disponibilité, pour m’aider, je savais que ça ne serait pas forcément simple. Au début pour me dépanner, quelques amis passaient me filer un coup de main mais l’idée est tout de même d’avoir des personnes présentes régulièrement dont c’est le travail et pas compter sans cesse sur la gentillesse de mes amis pour m’aider. Pour le recrutement j’ai fait le choix de n’engager que des personnes qui d’habitude n’ont pas les mêmes chances à l’emploi et se retrouvent discriminées. J’ai envie qu’en franchissant la porte, tout le monde puisse se sentir bien et représenté et que mon café ne ressemble pas à un coffee shop bourgeois rempli de digital nomade en train de saturer le wi-fi. J’ai reçu plusieurs messages m’accusant de communautarisme, de moi aussi faire de la discrimination, etc mais tant pis, je reste sur mes positions. Il y a quelques semaines j’ai embauché Livio. Je le connaissais vaguement de vu, parce qu’il était marié à Aura qui joue dans le même groupe qu’Elmo, donc on s’est déjà croisé à un ou deux concerts du band mais sans plus. Sachant, pour avoir lu des livres et écouté des podcasts sur le sujet, que les personnes handicapées sont aussi particulièrement discriminées, au quotidien, simplement parce que les installations publiques ne sont pas adaptées, j’ai tout fait pour que le café soit accessible aux personnes à mobilité réduite ou présentant un autre handicap qui les empêche de vivre normalement. Je n’ai pas seulement réfléchi à la salle mais également derrière le comptoir, pour qu’un fauteuil puisse bouger sans problème. A l’arrivée de Livio j’ai tout de même dû adapter le placement de certaines choses pour que ce soit plus simple pour lui mais le plus gros était déjà fait. Je profite d’un moment plus calme dans la matinée pour discuter un peu avec lui de son ressenti depuis qu’il a commencé au café. « J’ai l’impression que les nouveaux cookies partent bien ! » Je teste différentes recettes alors j’essaie de jauger lesquels ont le plus de succès. « D’ailleurs ça fait trois semaines que tu travailles ici aujourd’hui, on devrait fêter ça avec un cookie. » Je lui dis en souriant.

@Livio Manzoni

Depuis son accident, depuis qu'il était cloué dans ce fauteuil roulant, toute la vie de Livio avait éclaté. Il avait perdu sa motricité, son mariage, sa maison, son travail.  Il était passé par toutes les émotions possibles : la colère, le déni, le chagrin, la déprime, la rage. Et l'image, déjà bien peu fameuse qu'il avait de lui, en avait pris un sacré coup. Comme si la situation n'était déjà pas des plus faciles, il sentait que les regards sur lui avaient changé. Pas ceux de son entourage, non (ou pas trop). Mais ceux d'inconnus aux regards trop compatissants, à la limite de la pitié, ou ceux qui ne savaient pas trop comment agir avec lui, ou qui l'infantilisaient. C'était souvent de la maladresse, il le savait bien. Et il ne vous parlait même pas des infrastructures de la ville !  Il ne comptait plus le nombre de fois où il était obligé de rouler sur la route parce que le trottoir était trop haut ou trop étroit pour son fauteuil. Il ne comptait même plus les fois où il restait devant un bâtiment parce qu'il ne pouvait pas entrer avec son fauteuil. Il y avait encore du travail à faire – et sans doute un rendez-vous avec le Maire serait à prendre – mais il y avait aussi des personnes qui tentaient de rendre des lieux accessibles à tous. C'était le cas de Vega. Vega et son café ouvert à tous. Café au sein duquel il avait trouvé un travail, depuis presque trois semaines maintenant. Quelques ajustements avaient été nécessaires au début, mais pour la première fois depuis son accident, Livio se sentait de nouveau à sa place dans une société qui le dépassait. Aujourd'hui, il travaillait toute la journée, sa séance de rééducation ayant été annulée. Alors qu'il profitait d'un instant de calme pour refaire le stock de cookies, Vega avança jusqu'à lui. Il hocha la tête à ses mots, lui répondant aussitôt : « Ceux au matcha/chocolat blanc font fureur ! Les gens les trouvent hyper gourmands. » Il tendait toujours l'oreille et récupérait tous les petits commentaires afin d'aider sa patronne à améliorer les recettes. Redressant la tête vers elle alors qu'elle annonçait qu'il fallait fêter ses trois semaines ici, il s'exclama : « Déjà ?! » Puis taquin, il enchaîna : « Tu as encore une semaine pour pouvoir me virer. Sinon, tu vas devoir te coltiner mon humour à la con pendant encore longtemps. » C'était un grand enfant, Livio. Celui qui ne faisait pas de mal mais qui faisait rire avec ses stupidités. Plus sérieux, il reprit néanmoins : « Puisqu'on fête les trois semaines, je tenais à te remercier de m'avoir filé ce poste. Je suis bien ici. Et ça faisait un petit moment que je ne m'étais pas senti de la sorte dans un endroit avec autant de monde. » C'était important de le dire. Elle avait eu les épaules pour ouvrir un établissement comme celui-ci et c'était bien de lui faire part que cela fonctionnait.

Le café a ouvert depuis presque deux mois maintenant, la petite routine commence à s’installer, les clients habituels prennent leurs marques, des nouveaux continuent à découvrir le lieu et pour l’instant ça fonctionne plutôt bien. J’avais tellement peur d’avoir mis tant d’énergie pour que ça fasse un flop que de voir qu’il y a du monde régulièrement et qu’à certaines heures on est plein, ça ne fait vraiment trop plaisir. J’ai dû me plonger dans la comptabilité pour voir un peu où on en est financièrement, ça roule plutôt bien même si j’ai du temps avant que l’emprunt soit remboursé. Globalement mon idée des prix variables en fonction de ce que les gens peuvent mettre fonctionne assez bien. Je pense que certains mettent plus que si j’avais mis un prix fixe et d’autres moins, donc dans l’ensemble ça s’équilibre assez. C’était le vrai point d’interrogation de ma démarche, si les gens allaient adhérer à cette idée ou non. Grâce à tout ça j’ai pu embaucher Livio, même si ça avait moins fonctionné je l’aurais embauché parce que je ne peux pas tout gérer toute seule et que mes amis n’allaient pas venir me filer un coup de main éternellement. Au fil des semaines j’ai pu faire quelques adaptations sur la carte pour retirer certaines choses qui fonctionnaient moins bien et faire davantage en quantité sur d’autres. Livio m’aide bien là-dessus, en me donnant les retours des clients et ses suggestions. Parce que bon, les cookies n’ont beau pas être les choses les plus complexes à faire, je n’ai pas de grands talents en cuisine et j’ai un peu appris sur le tas, pour le plus grand bonheur de mes colocataires qui se sont retrouvés avec des fournées de cookies à manger. « Je vais en faire plus alors ! Mais avec les cookies, question gourmandise on se plante rarement. » Je lui dis en souriant, retenant son conseil tout de même, histoire de rendre d’autres recettes tout aussi gourmandes. J’en profite pour parler des trois semaines qu’il a passé ici, en retour il plaisante sur le fait qu’il ne me reste plus beaucoup de temps pour le virer avant de devoir le supporter sans rien pouvoir faire. « J’essaie de trouver des excuses pour te virer depuis que t’es arrivé mais j’ai pas trouvé jusqu’à maintenant. » Je lui réponds en riant, un peu une forme de compliment pour dire qu’il fait bien son travail et qu’il a l’air bien intégré ici, les clients l’aiment bien. J’en soupçonne aussi certains et certaines de rester un peu plus longtemps juste pour pouvoir profiter de ses beaux yeux. Je pense que son impact sur les ventes n’est pas négligeable. Je n’ai pas besoin de lui demander comment il se sent ici qu’il me dit de lui-même qu’il est bien ici et que ça lui fait du bien de venir bosser au café. « Ça me fait plaisir que tu te sentes bien ici. C’est vraiment mon objectif que tout le monde puisse se sentir accueilli. Et puis j’pense que c’est pas forcément facile pour toi tous les jours mais que ici t’as plein de gens qui viennent pour sortir de leur vie pas simple parce qu’ils rentrent pas forcément dans les cases prédéfinies par la société, du coup c’est pas des gens qui vont te regarder bizarrement. » Après des cons il y en a partout, c’est pas parce que t’es queer par exemple que tu n’es pas validiste, mais bon, on va dire que le public du café est en général plus sensibilisé à ces problématiques que la plupart des gens. Dans les livres du coin librairie, il y a quelques livres sur le validisme d’ailleurs. Mais je n’ai clairement pas envie de ramener Livio à sa condition d’homme en fauteuil roulant, même si je ne veux pas non plus effacer cette part de lui. C’est un équilibre à avoir et parfois je peux me planter.

Il n'avait pas besoin d'argent, Livio. Durant ses belles années où il gagnait très bien, il avait eu le bon réflexe d'investir dans l'immobilier, ce qui faisait qu'il avait des rentrées d'argent tous les mois, sans avoir à travailler. Mais en postulant à ce job, ce n'était pas l'aspect financier qui l'avait bercé, mais l'aspect social. Il avait juste envie de sortir de chez lui, de rencontrer d'autres personnes que ses médecins ou sa famille. De redevenir un peu utile pour quelqu'un. C'était ce qu'il avait trouvé chez Vega. Il se retrouvait d'ailleurs en elle, quand elle parlait de son café, des projets qu'elle avait pour l'améliorer, la lueur déterminée dans les yeux. Entre entrepreneurs, ils se comprenaient. Et il était heureux d'apporter un peu son aide à ce bel endroit. Cela ne faisait que trois semaines, mais il avait le sentiment d'être là depuis bien plus longtemps. Il avait ses repères, des têtes qu'il commençait à reconnaître et à apprécier, des discussions intéressantes tous les jours. Il aimait bien être les yeux et les oreilles de Vega, en lui faisant remonter les suggestions des clients à propos des produits proposés. « Ah si, on peut se planter ! Je ne te dis pas le nombre de fois où j'ai acheté des cookies dans lesquels il y avait deux pépites de chocolat qui se battaient. Là, y a de la matière. » C'était cela qu'il voulait dire quand il parlait de gourmandises. Elle lui proposa d'ailleurs de s'accorder une pause cookies pour fêter cette troisième semaine ici, l'avant-dernière avant que sa période d'essai ne se termine. Il s'amusa d'ailleurs à la taquiner à ce sujet, éclatant de rire à sa réponse : « Tu préfères quoi ? Que je me dispute avec un client ? Que je vole dans la caisse ou que je crame tous les cookies ? » Il n'allait rien faire de tout cela, évidemment. Mais il avait bien perçu le petit compliment qu'elle lui avait fait et son sourire en témoigna. Il était bien, ici. Et il ne s'empêchait pas de le dire. Il hocha la tête aux mots de Vega. « C'est justement ça qui m'a le plus déstabilisé depuis l'accident, de voir à quel point les regards que l'on te porte peuvent vite changer. » Lui, il ne vivait cela que depuis quelques mois. D'autres le subissaient depuis des années. Et finalement, cela l'avait peut-être aussi permis de se remettre en question et de se rendre compte que, parfois, son propre regard avait peut-être été un peu trop porté sur le jugement. Comme quoi, on évoluait toute une vie. « Mais oui, tu sens qu'ici, tout le monde peut trouver sa place. Je pense que c'est bien parti pour que tu atteignes ton objectif. » Il y avait toujours des petites choses à ajuster, par-ci, par-là, mais Vega était plus que réactive sur ce sujet-là. « Comment t'es venue l'envie d'ouvrir ce café ? » demanda-t-il, curieux et passionné par tous ces récits de ces gens qui faisaient tout pour faire naître leurs idées, pour les rendre concrètes.

Moi qui pensais que la confection des cookies n’était pas si compliqué, il faut croire que c’est possible d’en faire qui ne soient pas bons et gourmands. Peut-être que j’ai un niveau en cuisine pas si catastrophique parce que je n’ai pas mis si longtemps à mettre au point mes recettes. J’ai trouvé une recette de base sur internet que j’ai essayé, j’ai un peu ajusté les quantités et ensuite fait varier les toppings, et hop, le tour est joué ! Mais de ce que semble dire Livio, c’est le manque de générosité en chocolat ou autre qui fait défaut souvent, moi je n’ai pas envie qu’on se retrouve avec un cookie tout sec et un micro bout de chocolat. Non, il y a à manger et j’ai essayé de faire quelques versions un peu plus légères pour les personnes qui ne voudraient pas manger trop sucré, mais forcément, c’est un peu moins gourmand. « C’est sûr que je fais pas des cookies sans rien, les gens en ont pour leur argent ! » Je lui réponds en riant. J’essaie de vendre au maximum au juste prix pour que tout roule, même si chacun est libre de donner plus ou moins suivant ses moyens. Je ne cherche pas à devenir riche avec le café, juste à pouvoir en vivre déjà et que je puisse payer tout le monde et tous les frais, donc je vois les marges au minimum. Je ne pense pas être une patronne tyrannique, avide d’argent et sans cesse sur les dos des personnes avec qui je travaille (c’est toujours bizarre de dire employés), justement Livio en plaisante, puisqu’il aura bientôt fini sa période d’essai. Je me dis que je dois pas le traumatiser sinon il ne se permettrait pas ce genre de blagues, pour certains ça serait une bonne excuse pour le virer même. « J’pense qu’aucun serait suffisant en vrai….enfin ça dépend pourquoi tu te disputes avec un client. » Je lui dis en réfléchissant un peu. Parce que voler dans la caisse, je chercherais des explications avant d’aller plus loin, s’il a besoin d’argent ou quoi, brûler des cookies c’est pas la fin du monde. Par contre s’engueuler avec un client, je pense que ça dépend de quel côté je suis, parce que si ça me montre que Livio est un gros con avec des idées de merde, là ça pourrait être un argument pour le virer. Je n’ai pas envie de travailler avec des gens qui ne partagent pas mes idées et ma manière de voir les choses, j’ai envie que chacun se sente accueilli au Weird Kids alors c’est pas pour embaucher quelqu’un d’intolérant. En tout cas, le jeune homme confirme mon ressenti par rapport au regard des autres, il a changé depuis qu’il est en fauteuil et pour lui ça a été assez brutal. « Dès que tu rentres pas dans la norme hyper stricte, on te regarde bizarre. Pas tout le monde, mais une partie des gens. Genre si j’embrasse une fille dans la rue je pense que y’a plusieurs personnes qui vont nous regarder avec un peu trop d’insistance et certains vont faire des remarques. » Ce n’est pas la même chose que le handicap mais je pense que toutes les minorités ont ce truc en commun qu’on leur rappelle toujours qu’ils ne font pas partie des standards de la société. En tout cas, au sein du café, ce genre de comportements ne devraient pas arriver et je m’assure que ça n’arrive pas, en rappelant à l’ordre certaines personnes si besoin. Je lui souris, contente de voir que mon objectif semble bien parti pour être accompli. Il me questionne ensuite sur l’idée du café, de ce lieu un peu spécial et hybride. « Alors...je vais essayer de pas être trop longue. » Je lui dis en riant avant de poursuivre. « C’était y’a un moment, j’étais un peu paumée, je savais pas trop quoi faire, j’voulais même partir d’ici. Et puis j’ai eu un date, un peu foireux, avec la proprio du Adam & Yves, on a discuté et en parlant de sa boîte de nuit, de ce que j’aime faire et tout, l’idée d’un lieu un peu en mode café inclusif est venue et ensuite j’ai creusé un peu plus et je me suis lancée. J’ai eu plein d’idées mais j’ai dû en sélectionner pour pouvoir tout faire rentrer ici. » Parce qu’il y a le coin café, bibliothèque, librairie, boutique d’artiste, ça en fait des choses dans un si petit lieu.

En effet, ce n'était pas difficile de faire des cookies, et pourtant, certaines personnes – pour économiser de l'argent – proposaient des espèces de gâteaux secs, avec une petite pépite de chocolat, osant appeler cela des cookies. Sacrilège ! Vega n'était pas de celles-là. Elle proposait de vrais cookies, pour tous les goûts. Même les moins sucrés étaient gourmands. Livio pouvait en témoigner, alors qu'il avait un vrai bec sucré. « Et ça les fait revenir. » ajouta-t-il avec un sourire. Cela ne faisait pas longtemps qu'il travaillait là, mais il voyait qu'il y avait déjà un joli noyau d'habitués. Et c'était toujours beau de voir des nouveaux clients revenir encore et encore. Avec un peu de chance, il espérait voir cela sur le long terme. Après tout, sa période d'essai se terminait bientôt mais il se sentait vraiment bien ici. Il fit d'ailleurs un peu d'humour sur les raisons qu'il pourrait lui donner pour qu'elle le vire, mais même là, ça ne fonctionnait pas trop. Sauf la dispute avec le client. « Je pense qu'il y a le manque de respect envers moi ou d'autres clients qui me ferait sortir de mes gonds. » Pour le reste, il était plutôt bon esprit, Livio. Il ne s'arrêtait pas avec les remarques de clients trop pressés qui se plaignaient que la commande n'était pas servie assez vite. Dans ces cas-là, il se disait juste que c'était bête de courir sans cesse après le temps. Il s'était vraiment assagi avec le temps... et en ayant des enfants. Il valait mieux, parce que depuis que sa vie avait été bouleversé, il faisait face à des situations inconnues, à des regards qui changeaient sur lui. Enfin, ça, il l'avait aussi vécu durant son enfance, c'était juste difficile de voir ces cicatrices se rouvrir. Vega, elle aussi, avait droit aux remarques et aux regards insistants quand elle était avec une fille. « Alors que si tout le monde s'occupait de ses fesses, le monde irait bien mieux. » dit-il en haussant les épaules. Bon après, il ne fallait pas mentir, il y avait sûrement eu des moments dans la vie durant lesquels Livo n'avait pas été des plus tolérants. Mais il avait appris de cela et aujourd'hui, il espérait inculquer les meilleurs valeurs à ses enfants. Le summum sera le jour où le café de Vega ne sera plus un lieu à part, mais qu'il sera désormais commun d'avoir des lieux pouvant rassembler tout le monde, sans qu'il n'y ait le moindre regard de travers. C'était peut-être utopique, oui, mais il avait envie d'y croire. Il demanda alors à sa patronne d'où venait justement son idée de créer ce café. Il écouta son récit avec curiosité, un sourire sur les lèvres. « Tu parles d'April ? » la questionna-t-il à propos de son date foireux. C'était soit elle, soit la deuxième proprio qu'il ne connaissait, en revanche, pas. « Comme quoi, parfois, les dates foireux, ça aide à créer de supers projets. Faudrait que je reparte en date, ça me permettra peut-être d'innover. » dit-il en riant. Puis plus sérieux, il demanda : « Tu as laissé quelles idées de côté, du coup ? » Le lieu était déjà bien fourni, mais qui sait, cela pouvait peut-être ensuite donner des idées pour des nouveaux services.

Mes talents de cuisinière ne sont pas énormes mais j’ai fait le choix d’une carte simple avec des prix abordables et histoire d’avoir quand même toujours des trucs qualitatifs et plus travaillés, les créations d’Imogen viennent compléter la vitrine. Je sais qu’il y a quelques personnes qui sont venues uniquement pour ça, pour découvrir les créations uniques que la pâtisserie fait pour nous. Ce fut assez long de négocier un accord, de trouver les recettes, de se caler sur tout mais à présent, tout roule sur des roulettes et je sais que tous les matins ou un jour sur deux parfois, j’ai des petites gourmandises à proposer, histoire que si ma première fournée de cookies foire, j’ai des choses à proposer à ceux qui viennent prendre un petit-déjeuner. Enfin, il y a les pancakes aussi, que je crame moins souvent, même si je m’améliore grandement pour les cookies. En général ils finissent brûlés quand je fais trop de choses en même temps et que j’oublie de mettre un timer pour me rappeler d’aller les éteindre, je m’en souviens un peu trop tard. Mais je peux compter sur Livio quand il est là pour m’aider, on est deux à pouvoir y penser. Au début je ne savais pas s’il resterait, si l’endroit lui plairait, si le lieu était suffisamment adapté pour lui aussi mais finalement il a l’air de s’y sentir bien et notre aventure tous les deux risque de se poursuivre encore un moment. Il évoque les raisons pour lesquelles je pourrais le virer et celle qui me paraît la plus plausible serait une dispute avec un client où Livio serait clairement en tord, mais les raisons qu’il évoque pour cette fameuse hypothétique dispute ne serait pas un motif de licenciement. « Je viendrais sûrement te soutenir si ça arrivait. » Je lui dis en souriant. Parce que même si je tiens à garder mes clients, je ne compte pas rien dire s’ils se montrent intolérants ou irrespectueux envers les autres. Ce n’est pas trop mon genre de la fermer, je suis plutôt du genre à trop l’ouvrir et à me mettre les gens à dos. Mais tant pis, au moins tout le monde sait que ce n’est pas ici que les remarques intolérantes seront acceptées et minimisées. « Ça éviterait beaucoup de problèmes c’est clair ! » Les gens qui s’occupent de ce qui ne les regarde pas, font des réflexions aux gens parce qu’ils ne rentrent pas dans des normes arbitraires, c’est clairement un problème. Moi j’ai vraiment du mal à comprendre ce qui se passe dans la tête de ces gens lorsqu’ils vont s’en prendre à d’autres personnes dans la rue par exemple, à quel moment ils se disent que c’est ok d’aller insulter quelqu’un, pour n’importe quelle raison, de faire une remarque. Il y en a qui pensent que c’est gentil, que c’est pour aider, alors non me dire que ma robe est trop courte c’est clairement pas pour m’aider. Histoire que j’en vienne pas à rager sur tous les gens intolérants du monde, on parle plutôt de la genèse du Weird Kids, il y a un petit moment maintenant. J’évoque April, notre rendez-vous foireux et cette graine qui a été plantée à ce moment-là. « Tu la connais ? » Je lui demande lorsqu’il me dit son nom. Le fait qu’elle soit connue de plein de monde ne m’étonne pas mais je me demande surtout comment il la connaît, un peu curieuse. « Oui tu pourrais avoir une super idée, à défaut de passer un super moment sur le plan amoureux. » Je lui dis en riant avant qu’il ne me demande les idées que j’ai laissées de côté pour le café. « J’aimerais bien une zone friperie mais j’ai pas la place. J’adore les vêtements et je passe pas mal de temps dans les friperies de la ville, donc avoir un coin comme ça, ça permettrait de me trouver une excuse pour y aller encore plus. Et une zone pour les enfants je me dis que ça pourrait être bien. » Pour les vêtements il y a les créations d’Aïnhoa dans la partie boutique mais j’aurais aimé proposer plus.

La carte de Vega attirait les gens, et c'était important de le préciser. Livio n'en était qu'à ses débuts, ici, mais il se voyait bien faire un bout de chemin par ici. Et qui sait, faire quelques propositions ou l'aider à diversifier la carte. Il était plutôt bon cuisinier, Livio. Sa spécialité, c'étaient les desserts et biscuits italiens, du fameux tiramisu aux amarettis, jusqu'au panettone. Et pour lui, ça devait se partager. Alors il était prêt à dégainer ses recettes, si Vega venait à être en manque d'inspiration. Et si elle le gardait, évidemment. Ils en vinrent à énumérer les diverses raisons pour le virer, mais étrangement, ils arrivèrent toujours à la conclusion qu'elle le garderait quand même. Il esquissa un sourire quand elle lui affirma qu'elle serait de son côté, si une dispute avec un client venait à éclater. « J'espère quand même que l'occasion ne se présentera pas. » Ils pouvaient toujours tomber sur des cons, et ça malheureusement, ils ne pourraient rien faire contre cela. Mais dans ce café, la tolérance et la bienveillance étaient de mise. Quiconque ne respectant pas cela prenait le risque de se faire mettre à la porte. Vega avait connu cela, les remarques désobligeantes, quand on sortait un peu de la norme (et encore la norme était un terme tellemet subjectif). On ne va pas mentir, il était arrivé à Livio, autrefois, d'avoir des regards déplacés ou un manque de tolérance, plus souvent pour cause de méconnaissance. Puis il avait ouvert ses horizons et son esprit, et il espérait désormais inculquer les meilleurs valeurs à ses enfants, pour que ces derniers ne se laissent pas entraver par cette norme imposée par la société. Il avait envie qu'ils vivent en étant eux-même, lui qui avait mis des années à s'accepter. Laissant de sujet de côté, ils parlèrent des origines du café. April avait aidé la graine à germer, visiblement. Livio hocha la tête : « Oui je la connais. Elle avait défilé pour ma marque, à l'époque où je l'avais. » Il ne l'avait jamais dit, Livio, qu'il avait été entrepreneur. C'était à la fois sa réussite et son échec. Il plaisanta alors sur les idées qui popaient lors des dates foireux, riant à la réponse de Vega. « On sait tous que l'amour, ça apporte plein de problèmes, alors ouais, innovons au moins sur le plan professionnel. » dit-il, en rajoutant une couche. Il écouta les fameuses idées mises de côté, esquissant un sourire en voyant qu'elle débordait d'idées. « Ce serait de supers idées ! Du coup, si tu en avais la possibilité, tu aimerais agrandir le lieu ? Ou à terme, tu envisagerais d'ouvrir un autre établissement pour ça ? »

J’espère aussi qu’il n’y aura pas d’embrouilles entre Livio et un client qui n’a pas compris l’ambiance du lieu et qui se montre intolérant, mais je ne me fais pas trop d’illusions non plus. Si j’ai envie de rester optimiste sur le monde et sur les gens, je suis aussi parfois très blasée parce que je sais que des trucs aussi basiques que de respecter quelqu’un qui n’est pas comme nous n’est pas franchement acquis par tout le monde. Même si je n’ai pas envie de vivre dans la peur qu’un truc puisse arriver au café, je sais qu’un matin je pourrais arriver et retrouver un tag sur la devantures ou que quelqu’un veuille déchirer les affiches pour des événements ou des manifestations que je mets en avant sur la devanture. Mais ce n’est pas pour autant que je m’empêche quoi que ce soit, surtout que jusqu’à maintenant à part deux trois haters sur insta, il n’y a rien eu d’autre. « Moi non plus. » Je lui dis même si on sait tous les deux que les gens intolérants c’est pas ce qui manque non plus. C’est à la fois pour accueillir ceux qui ne se sentent bien nulle part et aussi peut-être pour faire changer la mentalité de certains que j’ai eu envie d’ouvrir ce café hybride. Justement Livio me questionne sur l’origine du projet et il semble connaître celle qui m’a donné l’idée au détour d’un date plutôt foireux. « T’avais une marque ? » Je lui demande un peu curieuse. J’en connais pas tant que ça sur son passé après tout, je ne l’ai pas questionné là-dessus, ce qui m’intéressait surtout c’était son envie de travailler au Weird Kids et aussi son adéquation avec mon projet, qu’il fit bien dedans, avec ses valeurs notamment. Du coup forcément l’entendre parler d’une marque, ça me rend curieuse. J’imagine que c’était une marque de vêtements vu qu’il a parlé de défilés, je me demande du coup si c’est pas lui qui avait fait un défilé à Bowen il y a quelques années. Je me souviens avoir vu passer le truc sans y être allée et je n’ai pas du tout suivi ce que ça a donné. « Clairement c’est un peu le seul truc de positif qui est ressorti de ma vie amoureuse. » Je lui dis en riant. Est-ce qu’on peut vraiment considérer qu’April a fait parti de ma vie amoureuse sachant qu’on a eu un seul date où il ne s’est rien passé ? Mais grâce à ça j’ai un super café et trouvé un sens à ma vie, ce n’est pas rien. Mais maintenant j’ai trop d’idées, j’en partage quelques unes à Livio. « Je sais pas encore, c’est tôt...j’ai pas envie de trop me disperser et qu’au final ça fasse un flop quoi. Tu penses que ça serait une bonne idée toi ? »