Don't say nothin', just be + Andrew

La cloche tinta doucement, mais assez pour que le propriétaire de la boutique sache qu'un potentiel client venait de faire son entrée. Charlize n'avait encore jamais mis les pieds dans ce shop depuis le changement de propriétaire. Et pour être honnête, depuis quelques mois, elle avait fait en sorte de ne pas trop s'en approcher. L'atmosphère qui y régnait était calme, avec une musique qui passait en fond, pas trop forte, juste ce qu'il fallait. Il y avait des étalages de vinyles, tout pour attirer les mélomanes. Elle n'en faisait pas tellement partie. Ce n'était d'ailleurs pas la musique qui lui avait fait passer le pas de cette porte, mais le courage, le peu qu'elle possédait et qu'elle avait ramassé pour entrer en retenant sa respiration. Il y avait toujours l'éventualité que Drew soit absent pour la journée et qu'il ait laissé la boutique à sa salariée, ce serait une occasion manquée dans ce cas. Pour l'instant, elle ne voyait personne, mais elle entendait que ça s'affairait en arrière-boutique. Charlize parcourait alors les rayonnages. Il y avait tous les styles de musique possible, du dernier Taylor Swift, à AC/DC, en passant par des groupes locaux. La pâtissière repéra même l'album du groupe d'Andrew, sur une étagère, elle ne put s'empêcher de sourire. Finalement, peu de choses avaient changé, depuis ce concert sur la plage. Pourtant, cette soirée restait gravée dans la mémoire de la jeune femme. C'était le point de départ d'une belle histoire, en théorie tout était réuni pour que ça fonctionne. Mais il s'agissait de Drew et Lize, deux personnes bien amochées par la vie, qui traînaient leur douleur. Andrew était tombé bien bas, en fin d'année dernière et Charlie avait pris peur, il n'y avait pas d'autre explication. Elle n'avait pas tellement eu peur de lui, il ne constituait pas un réel danger. Mais elle avait eu peur de ses sentiments qui commençaient à grandir, de s'attacher à un homme incapable de se soigner, peur qu'il se détruise et qu'elle ne puisse pas l'aider, peur également qu'il l'entraîne dans sa chute. alors ç'avait été plus simple de s'éloigner. Et puis il s'était fait hospitaliser de lui-même, c'était la bonne excuse pour ne pas donner de nouvelles. Et le temps était passé. Le temps oui, mais pas les sentiments. Charlize avait dû se rendre à l'évidence, elle était amoureuse du beau musicien. Quand elle avait reçu les billets de spectacle qu'il avait déposé chez Imogen, quelque temps après Noël, deux billets, pour elle et Romy. Elle avait été terriblement touchée, elle avait compris que lui aussi, ressentait vraiment quelque chose. Malgré tout, elle n'avait pas osé le contacter, elle s'était sentie trop gauche, fautive de l'avoir abandonnée. Le spectacle avait eu lieu la semaine passée, début mars, il était donc temps qu'elle se bouge. Qu'elle affronte ses peurs. Lize entendit des bruits de pas derrière elle, elle se retourna et découvrit Drew. Bonjour. Hésita-t-elle en le fixant avec des yeux brillants.

Ce n'était pas plus mal que Charlize ne croise pas Tahlia aujourd'hui au final, après l'annonce de sa rupture avec Percy, la pâtissière avait évidemment choisi de soutenir son meilleur ami et même si elle n'avait rien contre la brune, c'était encore suffisamment frais pour que la situation devienne gênante entre elles. Et autant dire que Lize était déjà assez gênée de rentrer dans cette boutique, elle n'avait pas envie de se rajouter une difficulté supplémentaire. Elle se retourna sur le brun qui lui faisait face et réalisa que la dernière fois qu'elle l'avait vu c'était lors de cette soirée où elle l'avait ramassé au pub. Il avait la tête amochée et il n'était clairement pas lui-même ce soir-là, mais elle n'en avait pas un si mauvais souvenir. Ils avaient beaucoup parlé cette nuit-là sur son canapé, ils s'étaient ouverts l'un à l'autre, ç'avait été tendre et doux. Mais ce fut le lendemain, quand Charlize avait constaté l'absence d'Andrew et le fait qu'il se soit volatilisé, le vide qu'il avait laissé, la sensation étrange que ça avait provoqué en elle, que la jeune femme avait commencé à prendre conscience de tout ce qu'elle laisserait entrer dans sa vie et celle de sa fille, si elle y faisait entrer cet homme. Et en effet, elle avait pris peur. Aujourd'hui il la fixait avec un sourire hésitant, son visage ne portait plus aucun stigmate de cette bagarre. Il était beau, si beau, c'était un fair, Drew était terriblement séduisant. Un beau brun torturé, comme elle avait dit à Percy quelques jours plus tôt. Je vais bien, merci… Et toi ? Sa voix était presque tremblante, hésitante. Non, je… je ne suis pas là pour la musique. Déclara-t-elle avec un air désolé. Elle lui tendit une boîte estampillée Imogen. C'est pour toi, tes préférés. C'était comme une sorte de drapeau blanc, pour adoucir les esprits, parce qu'elle ne savait absolument pas comment elle serait accueillie. Je voulais te remercier, pour le spectacle. C'était magnifique Drew, vraiment. Romy a adoré, elle avait des étoiles dans les yeux. Et Charlize aussi, quand elle en parlait. Elle l'avait déjà remercié par message quand elle avait reçu les billets, mais rien de plus. En vérité ils s'étaient si peu parlé ces derniers mois, à peine quelques sms rapides. Ce qui était stupide, parce qu'ils devaient clarifier la situation, quelle qu'elle soit. Et la brune avait enfin trouvé le courage de le faire.

En soi, Charlize n’en avait pas voulu à Andrew d’être parti comme un voleur, elle pouvait aisément comprendre qu’il avait été mal à l’aise au petit matin, une fois l’alcool dissipé, en prenant pleinement conscience d’où il était et de comment la soirée s’était déroulée. Elle n’avait pas eu peur de lui cette nuit-là. C’était plutôt de la suite qu’elle avait eu peur. S’il n’arrivait pas à remonter la pente, s’il ne se soignait pas ? S’il réalisait qu’elle était tout autant détruite que lui aussi ? Tout un tas d’autres questions qui avaient freiné l’évolution de leur relation. Charlize n’avait répondu que vaguement aux messages du musicien dans les jours qui avaient suivi. Puis il n’y en avait plus eu du tout. Elle avait pensé que c’était pour le mieux, en outre le temps passant et on arrivait en décembre, les journées de la pâtissière étaient chargées en cette période de l’année. Elle avait tout de même tenté d’envoyer un ou deux messages à Drew, sans réponse. Un soir, elle s’était inquiété de ne plus avoir de nouvelles, de savoir qu’il ne venait même plus chercher ses pâtisseries préférées chez Imogen. Alors, elle avait ravalé sa fierté et contacté Léo dans l’espoir qu’il ait eu plus de messages. Le photographe lui avait appris que Drew s’était fait admettre à l’hôpital depuis quelques semaines déjà. Cette réponse l’avait bouleversée autant que soulagée. En vérité la jeune femme avait beaucoup pensé au musicien, ce serait mentir que de dire le contraire, il était dans sa tête, dans ses rêves parfois. C’était bien pour cette raison qu’elle avait fini par prendre la direction du magasin de musique. Elle lui tendit la boite cartonnée, ce n’était pas grand-chose, quelques gâteaux qu’il aimait. Elle ne cherchait pas à l’amadouer, juste à briser la glace après ces semaines de silence. En vérité, elle l’aurait pensé plus farouche, plus renfermé. Après tout, elle l’avait comme repoussé, il aurait de quoi être froid. Mais un sourire tendre se dessinait sur ses lippes, il lui facilitait la tâche. Avec plaisir, oui. Je veux bien un thé. Elle lui rendit son sourire et le suivit vers le canapé. Effectivement, Charlize ne connaissait pas ce petit coin cosy et elle le trouva tout à fait charmant. Elle fut évidemment attirée par les guitares, Andrew n’avait jamais joué pour elle. Elle n’eut pas le loisir de lui demander, il reprenait déjà la parole. Assise sur le bout du canapé, mal à l’aise, la brune écouta les excuses du bel australien. Mal à l’aise, elle l’était parce qu’elle se sentait terriblement fautive dans la situation dans laquelle ils étaient actuellement, elle était persuadée qu’elle avait tous les torts dans cette histoire. C’était bien elle qui avait gardé le silence et décidé de prendre de la distance entre eux après tout. Tu n’as pas à être désolé. C'est moi qui… Elle hésita, se tortillant les doigts par nervosité. Je suis désolée, j’ai eu peur. Moi non plus, je ne sais pas où on en est. Lize baissa les yeux avant d’ajouter. J’ai appris que tu avais été hospitalisé peu après… c’est bien. Tu as l’air d’aller bien. Elle esquissa un sourire timide à son attention.

La jeune femme s’empara de son mug fumant et le posa sur ses genoux, la sensation était réconfortante. Elle était à la fois heureuse et gênée de revoir Andrew. Elle avait tant de choses à lui dire et pourtant elle ne savait pas encore quelle serait l’issue de ces retrouvailles. Au fond, elle ne savait pas elle-même ce dont elle avait envie. Le musicien l’avait clairement chamboulé, depuis leur première rencontre. Et même si les débuts n’étaient pas prometteurs, elle ne pouvait nier qu’il y avait quelque chose entre eux, un courant électrique, quelque chose qui la réveillait, qui la rendait vivante. Mais Charlize avait surtout besoin de personnes qui la tireraient vers le haut et non pas qui risquaient de l’entraîner vers les ténèbres. Ça valait pour elle seule, mais d’autant plus parce qu’elle avait Romy, elle n’était pas seule, elle n’avait pas le droit de se lancer dans une relation destructrice et d’être égoïste. Elle esquissa un sourire gêné. Quand tu n’as pas répondu à mes messages, je me suis inquiétée et j’ai contacté Léo, c’est lui qui me l’a dit. Andrew pourrait aisément comprendre qu’elle avait sacrément dû s’en faire, pour avoir à envoyer un message à cet homme qu’elle ne supportait pas. Elle pinça les lèvres en inspirant, cherchant les mots les plus justes pour lui répondre. Non, ça n’a rien à voir avec le bar. Elle avala une gorgée brûlante avant de reprendre. Je n’ai pas peur de toi. Mais j’ai eu peur de ne pas être assez forte pour te voir te détruire, de ne pas être capable de te soutenir. J’ai eu peur que ça me fasse replonger aussi. Elle avait été rassurée de voir qu’il se reprenait en main, mais l’appréhension subsistait. Simplement parce qu’elle tenait à lui et qu’elle ne voulait pas risquer de trop s’attacher pour qu’après ce soit trop tard pour reculer. Je t’aime beaucoup, Andrew. Et ton attention, envers ma fille et moi, ça m’a vraiment touché. Elle avait réalisé qu’il faisait des efforts ce jour-là, plus qu’elle, très clairement.

Andrew avant l’air surprit de ce que Charlize venait de lui apprendre. Ou alors il était piqué qu’elle ait su qu’il avait été hospitalisé, la brune n’arrivait pas à interpréter son expression. Elle pouvait comprendre qu’il ait voulu garder l’information secrète, ce n’était pas rien de se faire admettre à l’hôpital, surtout pour les troubles dont il souffrait. Mais Charlize avait trouvé ça extrêmement courageux, elle admirait le musicien en vérité. Finalement, il semblait plutôt étonné que Léo lui ait dit, ou bien qu’elle soit allée le lui demander. Lize esquissa un sourire, ce serait trop facile de dire qu’elle ne le détestait pas, il faudrait encore attendre un moment avant que ça n’arrive, mais elle savait garder ses sources en cas de besoin. Et faire preuve de savoir-vivre, quand c’était nécessaire. C’est quoi l’expression déjà ? Sois proche de tes amis et encore plus de tes ennemies ? Quelque chose comme ça ! Qu’elle hasarda, non sans une pointe de fierté, elle pouvait être un peu mesquine, Charlize, quand il le fallait. Qu’attendait-elle de cette rencontre aujourd'hui ? Souhaitait-elle mettre définitivement fin à leur début d’histoire ? Ou bien avait-elle envie d’arranger les choses ? Le problème étant qu’elle n’en avait aucune idée. Elle était tiraillée entre son cœur qui battait plus fort quand elle voyait le beau musicien, qui s’inquiétait lorsqu'il n’allait pas bien, qui s’emballait lorsqu'il lui souriait. Et sa conscience qui lui criait de ne pas se laisser séduire par le danger, de se tenir éloigner de lui pour ne pas risquer de souffrir. Ne pas prendre de risque, ne pas trop s’impliquer, c’était sa ligne de conduite depuis quelques années déjà. Et être proche d’Andrew, c’était enfreindre toutes les règles. Je sais que ce n’est pas ce que tu veux. Elle ne l’accusait pas, bien au contraire. Il termina de l’achever en concluant que ce serait mieux ainsi. Ainsi comment ? La pâtissière se décomposait. Elle tentait de se raccrocher aux branches en le remerciant encore pour les places. Mais le mal était fait, il s’avouait vaincu et Charlize perdait peu à peu toute force. Au moment où son cœur se brisait, elle réalisait qu’elle était venue pour lui, pour eux. Seulement, elle qui croyait qu’elle avait été la seule à avoir peur, la seule à douter, à ne pas se trouver à la hauteur, elle comprenait que lui aussi n’y croyait plus. Le spectacle état certes une douce attention, mais ce n’était peut-être pas cette main tendue qu’elle avait imaginée. La belle était déçue, un peu blessée, triste surtout. Elle balbutia. C’était … oui, ç'aurait pu être beau. Mais… Elle lâcha un soupir puis se reprit, elle se redressa un peu, remarquant qu’elle s’était ratatinée sur elle-même. Elle bomba la poitrine pour se composer cet air de femme sûre d’elle, impassible. Cette façade pour que personne ne sache qu’elle souffrait. Pas même lui. Ça ne pouvait pas marcher, on le savait, n’est-ce pas ? Elle posa la tasse qu’elle avait à peine touchée sur la table, posa son regard sur les guitares, elle s’était imaginée se laisser séduire par une petite improvisation juste pour elle. Mais ça n’aurait pas lieu. À la place, elle se leva. Merci pour le thé, je ne vais pas te déranger plus longtemps. Elle évitait que leurs regards ne se croisent pas, pour qu’il ne lise pas la peine dans le sien. Il était temps qu’elle parte.