take a second to show me how to burn and to rise (alba)

Lundi, en fin de journée, voilà que se déroulait la toute première épreuve de cette édition de la Fête de la mangue. J’avais passé un weekend assez mouvementé avec le lancement de la fête. Nous avions fêté jusqu’à pas d’heure, chez les ananas, après avoir loué un étage complet de l’hôtel de Bowen. Ça m’avait fait du bien, de déconnecter à ce point de ma vie personnelle. Je n’avais pas abordé l’épineux sujet de ma relation avec Pippa, ou alors je ne l’avais qu’effleuré sans vouloir m’y plonger. J’avais juste profité du moment, des rires, des stratégies à la con et de tous les cocktails à l’ananas qu’on avait bu. Cela dit, cette épreuve que nous venions de terminer, soit une course à relais jusqu’en haut du Horseshoe Bay Rotary Lookout, avait été pas mal rude pour mes coéquipiers et pour moi-même. Ça nous apprendra à trop faire la fête. Nous avions terminé troisième. Je me consolais en me disant que c’était quand même une place sur le podium contrairement à la quatrième et dernière équipe, mais bon, clairement on allait devoir faire mieux dans les prochaines épreuves. Moins boire à tous les soirs, peut-être. Après tout, la Fête de la mangue durait six semaines, si on voulait survivre et possiblement gagner, il faudrait un peu de sérieux ! Après le couronnement de l’équipe gagnante au sommet de l’observatoire, je rejoignis Alba. La plupart des gens redescendaient déjà le sentier, en célébrant ou en parlant ou en râlant. « Bien joué quand même. T’étais plutôt en forme malgré tous les pinas coladas. C’est quoi ton secret ? » Demandais-je dans un rire. J’essuyai la sueur sur mon front. « T’as envie de rester un peu en haut ? Tant qu’à avoir tout monté, aussi bien profiter un peu de la vue, non ? » J’avais beau l’avoir vue des centaines de fois, cette vue, c’était difficile de s’en lasser.

Alba hésitait toujours sur la suite de son avenir professionnel. La photographie avait toujours été sa passion, la première de toute. Elle l’avait fait vibrer pendant des années, et de plus en plus elle souhaitait retourner vers son premier amour. Mais elle devait lâcher un peu du zest sur la galerie, cet endroit qu’elle affectionnait énormément. Cette fête de la mangue tombait à point, ça lui permettait de prendre un peu de recul, profiter pleinement de l’alcool tournois sportifs amicaux et aussi compétitifs. Ça amenait son corps à bout et cette course de relais avait été intense. Ils avaient réussi à monter en équipe, à s’aider et à s’encourager, même si la sueur était surtout l’alcool de la veille qui s’évaporait. Peut-être que la soirée de la veille avait été un peu trop alcoolisé pour gagner cette course. En haut de la colline, ils avaient réussi à monter sur le podium, ce n’était pas certes la première place, mais c’était un bon début. L’équipe de Léo était arrivé juste devant elle, heureusement qu’il n’était pas là pour pavaner devant elle. Le podium terminé, les personnes commençaient à redescendre, alors qu’Alba reprenait un peu son souffle, même si finalement elle s’en remettait assez bien. Concho la rejoignait. Ils étaient dans la même équipe, et après ces dernières années, leur relation était instable et pourtant elle avait une grande estime pour lui. « J’ai bu beaucoup d’eau, beaucoup d’eau. » Disait-elle en riant. Elle le regardait, alors qu’il lui proposait de rester un peu en haut. « Oui, on peut profiter de la vue et du calme. » Elle lui souriait, alors qu’elle s’asseyait au sol, observant le paysage devant elle. En sa présence, elle se sentait timide, comme s’ils devaient tout reconstruire et retrouver leur complicité d’antan.

Je me disais que cette Fête de la mangue et le fait que je sois dans la même équipe d’Alba, n’arrivait pas pour rien. C’était probablement l’occasion, pour nous deux, de tenter de retrouver notre complicité d’avant. C’aurait été bien plus facile à faire si tout avait été rose avec Pippa, je dois l’admettre. Alba aurait été avec Léo et moi j’aurais été avec Pippa, on aurait filé le parfait bonheur chacun de notre côté. Ce n’était pas le cas. Je ne flottais pas sur le petit nuage sur lequel je pensais flotter en me lançant dans une relation avec ma meilleure amie. Visiblement, je n’apprenais pas de mes erreurs. Bref, tout ça pour dire que “laisser le passé au passé”, comme on aurait dû le faire Alba et moi, serait un peu plus douloureux pour elle que pour moi, j’imagine. Ce serait peut-être le même genre de malaise que lorsque je lui avais appris la grossesse de Pippa, finalement, l’année dernière. Quelques mois seulement après son avortement. Quand même, j’avais envie d’essayer. Alba me manquait. Elle était une personne avec qui il était si facile de parler de tout et de rien. De passer du rire aux pleurs en quelques minutes. De se respecter et de s’épauler là-dedans. « Ah … C’est ce que j’ai skip, j’pense. L’hydratation. » À la place, j’avais pris du café, et on sait que l’effet n’est pas du tout le même. Je proposai à Alba de rester un peu en haut. Je n’avais pas envie de redescendre tout de suite, et ça nous permettrait peut-être de faire table rase sur certaines choses, pour mieux profiter de la fête ensemble. Je la rejoignis au sol, ramenant mes genoux vers moi. Le silence s’installa, inévitablement. Je cherchai quoi dire, pour le moment, c’était rien. Mais au bout d’un moment à regarder le paysage en silence, je lâchai simplement : « J’étais content quand je t’ai vue arriver samedi, à l’hôtel. Quand j’ai compris qu’on était dans la même équipe. » Je la regardai avec un mince sourire. « J’ai pas trop su comment revenir vers toi, après tout ce qui s’est passé. La Fête de la mangue me simplifie les choses. » Admis-je.

En arrivant dans cet hôtel et en voyant Concho, Alba avait légèrement paniqué. Leur dernière entrevue avait été compliqué, Concho lui avait appris la grossesse de Pippa et les deux anciens amants ne savaient pas comment réagir l’un face à l’autre. Puis, elle avait dû l’annoncer à Léo, qu’elle était dans la même équipe que Concho. Ils avaient passé des longues minutes à parler, Alba l’avait rassuré parce qu’elle était claire avec elle-même. Léo était le futur qu’elle voulait, mais elle avait toujours beaucoup d’estime pour Concho. Alors oui, il ne serait pas invité au repas d’amis, mais elle et lui pouvaient se parler et reconstruire une amitié. Ils avaient réussi à braver la première épreuve, même s’ils étaient arrivés troisième. Alors que tout le monde descendait, ils restaient là-haut, pour discuter. « On n’a plus vingt ans, l’eau est notre salut quand on boit. » Disait-elle en riant. Elle aimait retrouver cette légèreté entre les deux. Alba aimait cet endroit, il était toujours aussi beau, même si elle avait passé des heures ici, à prendre parfois des photos, surtout quand le crépuscule arrivait. Ce silence il était un peu pesant, eux qui trouvaient toujours des sujets de conversation. Mais il y avait à présent cette tension, ce poids des erreurs passées et des souvenirs trop frais. Alba venait enfin d’accepter l’avortement, cette période sombre où elle avait failli tout perdre. A présent, il y avait un avenir doux qui l’attendait et Concho aussi, alors peut-être que maintenant ils pourraient simplement s’épauler et devenir ami. Le danseur lançait la conversation, avec cette honnêteté qu’elle connaissait de lui. Elle se tournait légèrement vers lui en souriant. « Je ne savais pas comment tu réagirais si je revenais vers toi. » Elle lui avait brisé le cœur, et pas qu’une seule fois. « Tu crois qu’on arrivera à être ami, après tout ce qui s’est passé ? » Peut-être faudrait-il qu’ils mettent les limites, qu’ils soient honnêtes.

Chose certaine, je n’avais plus vingt ans, non. J’aurais préféré que ce soit le cas, pour une multitude de raisons, mais aujourd’hui c’était surtout le côté physique qui ressortait, qui se faisait sentir. Je ne pourrais sans doute pas performer autant à la fête de la mangue que comme c’était le cas il y avait cinq ans de cela. Surtout pas si on continuait à boire à tous les rassemblements des ananas. Je rejoignis Alba au sol après lui avoir proposé de profiter de la vue un peu plus longtemps. Ce sommet, animé depuis les vingt dernières minutes, devenait maintenant silencieux. Et ce silence était un peu plus lourd, entre nous deux. Je ne savais pas trop quoi dire à la blonde, finalement, même si j’avais été celui à l’inviter à rester avec moi à l’observatoire. Je cherchais les mots, les bons, je cherchais ce qui était adéquat à dire et ce qui ne l’était pas. J’aurais aimé que ça coule naturellement entre Alba et moi, comme avant, malheureusement ce n’était plus le cas. Mes paroles étaient trop cherchées, trop réfléchies. « Je ne sais pas non plus comment j’aurais réagi. J’sais même pas encore tout à fait comment je réagis, là, en fait. » Admis-je avec un petit sourire coupable, gêné. J’avais certes souligné que j’avais été content de voir qu’elle était dans mon équipe, c’est vrai que cela facilitait le contact, mais tout un tas d’autres émotions se bataillaient aussi en-dedans de moi. J’haussai les épaules à sa question, l’air songeur, fixant l’horizon avant de la regarder. « Pour être honnête, je ne sais pas, Alba. J’aimerais te dire que oui. Je t’apprécie énormément et j’aimerais pouvoir te garder dans ma vie. Mais … il y a ce qui s’est passé avec Léo, il y a la peine qu’on s’est fait l’un à l’autre, il y a tout ce qui aurait pu arriver mais qui n’arrivera jamais et qui m’laissera toujours un goût d’inachevé, je pense, peu importe où j’en serai dans ma vie, alors … » J’haussai à nouveau les épaules, plus faiblement. « Je ne sais pas. Peut-être que la Fête de la mangue opérera sa magie. » J’esquissai un sourire.  

Si cette conversation commençait avec douceur et légèreté, le cœur de la jeune femme palpitait bien trop vite. Elle acceptait de se poser avec lui, sur cette montagne silencieuse, identique au calme qui s’était imposé entre eux. Elle faisait un pas en avant, espérant apaiser les événements de ces dernières années. Son histoire avec Concho avait un goût d’inachevé, mais jamais elle n’avait été aussi sûr d’elle en choisissant Léo. Pourtant, il lui manquait, cette légèreté, cette joie de vivre contagieuse et cette bienveillance dont il avait toujours fait preuve. A l’hôtel, elle aurait aimé faire ce pas en avant, mais elle se sentait bloqué par la légitimité de cette action mais également de son envie. Accepter une nouvelle fois Concho dans sa vie, c’était prendre le risque de créer une tension dans son couple. Assis l’un à côté de l’autre, la conversation était timide, comme s’ils n’avaient jamais été proche. Pourtant, les souvenirs étaient encore brûlants, comme cette première fois dans le studio de danse, ou de cette journée familiale dans le train de noël (et tant d’autres qui aujourd’hui seraient censurés). Il souriait, gêné et Alba soupirait, perdue dans la manière de procéder. Elle savait qu’elle ne serait pas revenue vers lui, parce qu’il y avait eu trop de choses et qu’au fond elle s’en voulait énormément Alba. Mais la photographe était bien trop fière, et surtout qu’elle ne regrettait pas son choix. Peut-être avaient-ils quand même une infime chance d’être ami. La réponse de Concho lui fit l’effet d’une douche froide, et en même temps il n’y avait pas meilleure réponse. « Je tiens énormément à toi aussi, mais Concho je ne peux pas te dire que je suis désolée. » Avouait-elle presque honteuse, mais si elle voulait reconstruire cette relation, l’honnêteté serait primordiale. Il la connaissait, mais jamais elle ne lui avait parlé de cette angoisse profonde qui l’animait depuis sa naissance. Elle avait fait le choix de Léo et de sa famille, choix qu’elle n’aurait jamais pensé faire une dizaine d’année plus tôt. Si Concho était optimiste sur cette fête, Alba l’était moins. « Peut-être. » Répondait-elle tout simplement, alors que son regard était posé sur l’horizon. Alba aurait pu partir sur plein d’autres sujets, mais les confessions amicales n’étaient pas les bienvenus à ce moment-là. « On a une chouette équipe, je pense qu’il y a quand même des chances de gagner cette édition. » Disait-elle pour changer le sujet.

Le calme de la montagne n’avait rien à voir avec le chaos qui régnait en nous. Je ne savais pas que le cœur d’Alba palpitait autant que le mien, mais je sentais certainement la tempête silencieuse entre nous. Je savais que nos chemins avaient dérivés mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi difficile de revenir vers elle à contre-courant. Je pensais qu’on pourrait au moins se poser ici, au calme, et se parler de tout et de rien, un peu comme avant. Naïvement, je pensais que ça reviendrait naturellement, que nous n’aurions pas besoin de forcer quoi que ce soit. Malheureusement, la dure réalité me rattrapait. Ce que nous avions vécu était trop important pour qu’on le relaye en arrière-plan, vers le passé, sans y toucher. Les paroles d’Alba étaient violentes, dans un sens, même si elle les disait avec douceur. Elle était toujours douce, Alba. Ça ne l’empêchait pas de détruire sur son passage. Elle avait piétiné mon cœur, à l’époque, et j’avais l’impression de revivre cette douleur. Bien malgré nous, nous nous étions faits du mal. Il aurait sans doute été mieux qu’on poursuivre notre chemin chacun de notre côté. « Ça a le mérite d’être clair. » Lâchais-je avec un léger rire, plus nerveux qu’autre chose, détournant le regard. Le malaise se réinstallait (il n’était jamais parti, en fait). Je me disais que cette Fête de la mangue, peut-être, nous permettrait de retomber dans une ambiance un peu plus légère et amusante. Alba ne semblait pas de cet avis. Son peut-être était tout sauf convainquant. Je la regardai du coin de l’œil, avant de reporter les yeux vers l’horizon, puisque c’est ce qu’elle fixait aussi. « Je pense aussi qu’on a des chances. Mais bon, qu’on soit les premiers ou pas, j’voulais surtout juste me changer les idées et avoir du plaisir. Je suis rarement déçu avec les Fêtes de la mangue. » En plus, je pourrais me dépasser, et ça ferait peut-être du bien à mon estime, de gagner quelques épreuves. J’en avais bien besoin, de regagner un peu confiance en moi.

Quand elle repensait à toute sa relation avec Concho, Alba sentait cette culpabilité. Il avait été mis sur son chemin, au mauvais moment, et l’univers leur avait laissé entrevoir une belle histoire pour mieux les briser. Il était la dernière personne qu’elle aurait voulu blesser et finalement il est celui qui a le plus subi de dommage. Aujourd’hui, c’était difficile de lui parler, de lui exprimer ses excuses. Alba avait toujours été maladroite avec ce genre de mots, le blessant une nouvelle fois avec des mots durs. Sa douceur ne suffisait pas et elle s’en voulait une nouvelle fois. Non, elle ne regrettait pas d’avoir choisi Léo, ils étaient liés depuis trop longtemps. Elle soupirait sentant l’émotion prendre le dessus. « Je n’ai jamais voulu te blesser. Je suis désolée de t’avoir entraîné dans ce merdier. Tu mérites tellement plus Concho. » Elle était très sincère, et peut-être qu’un jour elle lui avouerait qu’elle avait été sincèrement amoureuse de lui. Ce n’était pas de sa faute à lui, et le fait que ce soit Léo n’a pas aidé à ce que cette histoire ne soit pas si brutale. Ils auraient besoin de temps pour recréer la complicité passée. Cette fête de la mangue pouvait les aider, mais Alba savait que tout n’allait pas se régler en six semaines. « Tu rigoles ? C’est premier ou rien d’autre. » Répondait-elle en souriant. Surtout que si elle pouvait gagner contre l’équipe de Léo ça lui ferait plaisir.

Dans mon coeur et dans ma vie, Alba avait fait ses ravages. Ses décisions m’avaient blessé, moi qui avais osé imaginer un futur avec elle et nos enfants, moi qui avais cru que ce serait possible de créer quelque chose de beau et de doux ensemble. En toute simplicité. Sans tracas. Finalement, elle avait été au premier rôle de l’une des périodes les plus difficiles de ma vie. Les mots qu’elle utilisait aujourd’hui n’avaient rien pour me réconforter, au contraire, ils semblaient rouvrir les plaies que je pensais un peu mieux cicatrisées. Alba sentit sans doute mon malaise puisqu’elle s’excusa de m’avoir entraîné dans ce merdier. Elle n’avait jamais voulu me blesser. Ce qu’elle ignorait c’est qu’elle continuait à le faire, encore et encore. J’esquissai un faible sourire alors qu’elle me disait que je méritais plus. « Oh, je ne sais pas. Au final, que je regarde mes relations, qu’elles aient été avant ou après toi, je me rends compte que je fais partie du problème. Je pense que je récolte ce que je sème. » J’aurais pu avoir ma belle et grande histoire avec Pippa, nous avions été ensemble pendant plus d’un an, nous avions eu une fille magnifique (une annonce qui, je me souviens, avait fait mal à Alba, d’ailleurs). Malheureusement, encore une fois, je nous avais conduit directement dans le mur. Cette Fête de la mangue, elle ne permettrait pas seulement de, peut-être, réparer ce qui était brisé entre Alba et moi. Elle me permettrait, aussi, de me recentrer et d’essayer de réparer ce qui était brisé en moi, seulement moi. Alba me ramena à l’ordre concernant notre position en tant qu’équipe : premiers ou rien du tout. Je ris en regardant l’horizon. « T’as raison, qu’est-ce que je raconte ! » Lâchais-je d’un ton de voix réprobateur envers ma propre personne. « Comment va Jonah ? » Demandais-je, puisque ce petit gars, je l’aimais quand même beaucoup.

Alba se demandait si un jour, ils arriveraient à discuter comme avant ? En quatre ans, elle ne comptait pas le nombre de fois où elle avait blessé le danseur, alors qu’ils avaient été là pour, elle, presque toujours. Dans une autre réalité, elle était persuadée qu’ils auraient été un beau couple, mais il n’y aurait pas eu tout ce qui était beau dans leur vie. Leurs enfants. Le jour où Alba avait appris qu’elle était enceinte soit de Léo soit de Concho, elle avait senti son cœur s’arrêter. Son choix avait été clair dès le début, elle ne le garderait pas parce que la photographe était assez réfléchie pour ne pas garder un enfant dans une telle situation. Elle n’avait pas le monopole de l’enfance merdique, c’était même tout le contraire, mais elle savait à quel point les traumatismes de l’enfance pouvait marquer toute une vie. La révélation de Concho lui fit de la peine, parce qu’elle n’avait rien à reprocher à cet homme. « Je pense juste que tu tombes amoureux des mauvaises personnes, celles qui ne savent pas te reconnaître à ta juste valeur. » Elle en faisait partie. Et même si finalement elle aurait continué avec Concho, peut-être qu’ils auraient fini par se séparer et se briser parce qu’Alba avait cette indépendance trop grande, cette envie de liberté. De toute ses rencontres, Léo fut le seul capable de la canaliser, et c’était peut-être pour ça que finalement il était la bonne personne pour elle. Concho trouvera la perle rare, elle l’espérait parce qu’il était si bon et tendre. La conversation déviait sur la fête de la mangue et il était hors de question qu’ils ne la gagnent pas cette année. « Je préfère ça ! » Répondait-elle en riant légèrement. Elle se tournait vers lui quand il prenait des nouvelles de sa personne préférée. « Il va très bien, il grandit si vite j’en reviens pas. Et toi ? Comment vont Lara, Max et … » Elle se rendait compte qu’elle ne connaissait pas le prénom de son dernier enfant, celle qu’il avait annoncé à la bibliothèque et qui lui avait fait un choc.

La réflexion d’Alba me fit réfléchir. Avait-elle une part de la réponse ? Est-ce que je tombais amoureux des mauvaises personnes ? Je n’en avais pourtant pas l’impression. Pas pour toutes, du moins. Zelda m’avait certainement aimée pour tout ce que j’étais, avec mes défauts et mes qualités. Ça n’avait pas été assez et il avait fallu que je fasse tout planter. Pippa aussi, il me semble, me reconnaissait à ma juste valeur. Je n’avais pourtant pas réussi à aller jusqu’au bout de cette relation-là non plus. Après, pour toutes mes autres relations, peut-être qu’il y avait une part de vérité dans ce qu’Alba avançait. Je n’en savais rien. Je n’avais surtout pas envie de rejeter le blâme sur les autres alors je savais que j’avais, au fond, ma responsabilité à prendre dans mes nombreux échecs amoureux. « Je ne sais pas. Peut-être. Ou peut-être que j’ai une vision de l’amour qui n’est pas atteignable. Peut-être que j’ai trop d’attentes irréalistes, et que je finis toujours par inventer des problèmes, par être déçu. » Cette réflexion-là faisait davantage du sens pour moi. Avec un peu d’introspection, c’est ce que j’en venais à réaliser, de plus en plus. Je voulais tout, dans une seule et même relation. L’amitié en passant des confidences au rire, la passion qui ne s’essouffle jamais, une complicité inégalable, la douceur dans les petits moments, l’honnêteté à propos de tout, se choisir encore et encore à tous les jours. Je voulais une histoire d’amour comme celle qu’on nous vendait dans les films. C’est ce que je voulais depuis toujours. Je commençais à croire que ça n’existait pas. On ne cesse pourtant de nous marteler que la perfection n’existait pas, justement, alors pourquoi m’entêtais-je à la chercher ? Il aurait été préférable que je m’entête à gagner cette édition de la Fête de la mangue, plutôt. Alba me remit d’ailleurs rapidement sur le droit chemin de la compétition. Puis, je pris des nouvelles de Jonah. « Alizée. » Terminais-je à sa place, puisqu’elle ignorait le prénom de ma plus jeune. « C’est vrai que le temps passe trop vite. Ali aura bientôt un an … » C’était signe qu’Alba et moi, on avait vraiment pris deux courants différents. Notre amitié, ce qu’il pouvait en rester, était carrément à la dérive. Ma fille aurait un an et Alba ne savait même pas son nom.

Cette discussion à cœur ouverte était nécessaire, bien qu’un peu douloureuse. Entre Concho et Alba, il y avait eu tant de choses non dites. La photographe se souvient encore trop bien de cette scène à l’hôpital, se rendant compte que ce jour-là plusieurs cœurs ont été brisés. Sûrement dans une autre ville sans Léo, Concho et elle auraient vécu une belle histoire. Leur alchimie avait belle et bien exister. Il apportait la légèreté et la douceur à la blonde, et elle se souvient encore de leur rencontre, lorsqu’Alba lui avait crié dessus avant de le retrouver en s’excusant dans son studio de danse. Leurs fils s’entendaient à merveille, tout aurait pu amener à une belle histoire, sauf qu’Alba avait de trop grand sentiment pour Léo. Concho était malheureusement un dommage collatéral, et la photographe continuait à s’en vouloir. Il s’était séparé de Pippa, et il se questionnait sur les problèmes qu’il avait, l’empêchant d’avoir une belle histoire d’amour, celle dont tout le monde rêve. Peut-être qu’il choisissait mal les personnes, mais la raison n’était souvent pas présente lorsqu’elle faisait face aux sentiments. « Je ne sais pas. » Répondait-elle avec douceur. « A force de vouloir la perfection tu finis par être déçu, alors que tu pourrais juste te demander comment tu te sens quand tu es avec cette personne. » Alba avait eu cette réflexion, avec Léo, et même avec Concho. Au fond d’elle, elle avait toujours su que c’était Léo, ce qui était injuste pour Concho. Cette fête de la mangue les rapprocherait peut-être. Ils prenaient le temps de prendre des nouvelles des enfants, avant qu’Alba ne se rende compte qu’elle n’avait aucune idée du prénom de sa dernière fille. « C’est un très beau prénom. » Répondait-elle tout simplement. Ça faisait un an qu’Alizée était née, plus d’un an qu’elle avait avorté. Le temps avançait trop vite et Concho fit la même remarque oralement. En un an, elle n’avait pas eu l’occasion de savoir le nom de la fille de cet homme qui avait compté. « On devrait retourner avec les autres. » Elle se levait, prête à affronter la descente.

J’acquiesçai lentement de la tête, d’abord sans rien dire. La perfection n’existe pas, c’est pourtant quelque chose qu’on se faisait souvent répéter, dans la vie. Autant chez les autres que chez soi, il ne fallait pas la rechercher. Je ne pense pas que je la cherchais nécessairement chez la femme que j’aimais, cette perfection. Je n’en demandais pas autant. Généralement, j’arrivais même à apprécier les petits défauts de l’autre, tant qu’on arrivait à communiquer avec respect et à trouver des terrains d’entente. Cependant, c’est la perfection dans l’équilibre de la relation, que je recherchais : juste assez d’amitié, juste assez de passion, juste assez d’humour, juste assez de sérieux, juste assez de douceur, juste assez d’un peu tout ce que je recherchais dans un couple. Le truc, c’est que je réalisais que ça n’existait sûrement pas dans une seule et unique relation. Il fallait qu’il y ait un peu trop d’un ingrédient, un peu moins d’un autre, et c’est là-dessus que je bloquais. « C’est vrai. » Avais-je juste répondu. Je n’avais pas vraiment envie de m’étendre sur ce sujet avec Alba, de toutes les personnes. Parce que peut-être bien qu’avec elle, je me serais un peu plus rapproché de cet idéal que j’avais. Malheureusement, ce n’est pas moi qu’elle avait choisi, alors ça on ne le saurait jamais. On changea de sujet, et je lui parlai d’Alizée, ma fille qui avait maintenant un an et dont le prénom était demeuré inconnu pour Alba jusqu’à ce jour. Signe plus que clair de notre dérive. « C’était une proposition de Pippa. » Dis-je avec un sourire. Mon ancienne copine avait eu de très belles idées de prénoms, qui faisaient assez différents de ce qu’on entendait dans le coin. Je passai un commentaire sur le passage du temps, qui nous filait entre les doigts. Je ne voyais plus les années passer. Alba proposait de retourner avec les autres et se levait déjà. Ce moment à rattraper quelques bribes de ce temps perdu, était terminé. C’était déjà beaucoup, pour nos deux cœurs encore un peu blessés. J’hochai la tête et je me levais. « Ouais, t’as raison. Je sais même pas s’il y avait d’autres épreuves après. On est peut-être en train de faire perdre l’équipe. » Dis-je avec peu d’entrain dans la voix malgré l’effort de détendre, encore une fois, cette atmosphère étrange entre nous deux. Je commençai à redescendre le sentier, derrière Alba.