Asher & Jude ∆ Une vague qui emporte tout sur son passage

Asher n’était pas sage, il ne l’avait jamais été, sans être forcément un mauvais garçon non plus. Il avait toujours eu beaucoup trop d’énergie, une vraie pile électrique. Enfant hyperactif qui rendait ses parents fous, ce n’était pas pour rien qu’on l’avait mis aux sports de combat dès le plus jeune âge, pour canaliser son trop plein d’énergie, pour lui apprendre la discipline. Il avait appris, effectivement, mais il était resté ce sale gosse toujours prêt à faire une connerie. Jude adorait ce côté clown quand ils étaient gamins, ils se tapaient des barres de rire juste à cause d’une grimace ou d’un défi qu’elle lui avait fait réaliser. Alors il hocha donc la tête à la réflexion de Jude, fair enough, elle avait raison. Un début de tension, réminiscence d’une soirée vieille de plus de vingt ans, commençait à naître entre eux, dans le jeu de regards, dans les mots choisis pour faire réagir l’autre, comme un vieux souvenir qui remontait. Asher sentit le vertige l’envahir, il ne pouvait pas se permettre rejouer la même partition, ç’avait trop mal terminé, il ne pouvait plus se permettre de jouer sur le même tableau, il avait déjà fait trop de mal. Il avait passé des mois à enfouir le souvenir et les sensations de cette nuit au plus profond de lui pour s’assurer de ne pas les voir ressortir. Il ne permettait pas que tout ressorte si facilement, il ne l’acceptait pas. Mais il n’était pas contre déterrer les souvenirs de leur enfance, ceux-là, c’étaient les plus jolis, la période la plus heureuse de sa vie. Cette maison, ces vacances qu’il attendait avec impatience, leurs quatre cents coups dans la foret, leurs éclats de rire sur la plage, le bonheur pur, sans sous-entendus, sans mensonges. Ils évoquaient tour à tour les travaux, quelques mots sur cette enfance qu’ils avaient partagée ici. Il grimaça en passant une main dans sa barbe. Oublier j’en sais rien, accepter et passer à autre chose, ouais. Il ne pourrait jamais oublier la trahison, tout son entourage qui lui avait tourné le dos, sa compagne qui l’avait quitté dès qu’il n’était plus digne d’intérêt. Il n’oublierait pas, non, sa carrière foutue en l’air alors qu’il avait encore de belles années devant lui, à cause de mensonges, de jalousie. Non, tout ça était bien trop gros. Mais la colère s’était atténuée, il avait accepté que tout ça était à présent derrière lui. Aujourd’hui, il était prêt à avancer, à écrire un nouveau chapitre de sa vie. Il était d’accord pour prendre un nouveau tournant. Déjà en discussion avec le club de boxe, les choses avançaient doucement, il avait tout son temps, comme pour cette maison. Sa vie ne s’était pas arrêtée avec sa carrière, elle avait juste changé. Un peu comme cette soirée de Nouvel An, le monde ne s’était pas écroulé en passant à l’an 2000, mais sa vie à lui avait changé cette nuit-là. Ils observaient les chiens, la brune s’inquiétait de la situation de son ancien ami, le ton était plus léger, un peu taquin. Asher arrivait à tourner les situations en dérision, c’était sa meilleure arme pour désamorcer les bombes. Il n’était pas une drama queen, comme il venait de l’insinuer, mais cette image le faisait rire. Il était resté simple, même quand les projecteurs étaient braqués sur lui à l’époque, il n’en avait jamais fait des tonnes, jamais pris la grosse tête. Par contre, il râlait beaucoup, ça, c’était un fait avéré. Il haussa les sourcils avec un sourire espiègle à l’attention de Jude. Cette même tête que quand il était gosse et qu’il s’apprêtait à faire une connerie, comme quand ils avaient gravé leurs initiales sur la souche, presque tout pareil, avec juste un peu de barbe, quelques rides et des cheveux blancs pour entourer ce regard rieur. Il pinça les lèvres, en avait-il trop dit en évoquant cette souche ? Est-ce que ça devait rester un secret, qu’elle lui avait manqué, qu’il avait pensé à elle malgré son silence durant toutes ces années ? Il la fixa alors avec un regard un peu plus brillant. J’ai nettoyé tout le terrain, c’était là. Ce n’était pas une réponse, ce n’était pas suffisant. Mais Asher restait le même, parler de sentiments, de cette amitié qu’il avait gâché et qui lui avait tant fait défaut, c’était difficile. Asher préféra évoquer sa grand-mère qui n’était plus de ce monde et qui leur manquait à tous les deux, c’était une certitude. Ils avaient la même tendresse dans la voix tandis qu’ils en parlaient. Il savait que Jude avait continué à venir lui rendre visite malgré son absence à lui, un vrai lien s’était noué entre les deux femmes et ça l’avait toujours énormément touché de le savoir. Il pouffa d’un rire discret quand la brune évoqua l’idée de fêter son divorce. Elle était heureuse pour toi. Mais les mondanités ça n’a jamais été son truc. Je lui avais pris un billet pour venir me voir aux JO à Londres, elle a refusé, elle a laissé papy venir tout seul. Il se rappelait ce souvenir avec beaucoup de fierté, la concrétisation de son rêve avec son vieux à ses côtés, quelle chance. Quelques mois après, le vieil homme s’éteignait et son amour de toujours juste après lui. Wow, tu es une femme très occupée. Il était impressionné, mais pas envieux, les enfants, ce n’était pas pour lui, il aimait bien trop son indépendance. Pourtant, il adorait les jeunes, les entraîner, discuter avec eux, échanger, il trouvait toujours que c’était très intéressant de les rencontrer. Mais il n’avait jamais eu envie d’être père. Peut-être parce qu’il n’avait jamais rencontré la bonne personne avec qui bâtir un avenir. Il lâcha un rire amusé à la réflexion de Kavinsky. Ça te surprend ? J’ai toujours été intéressant. Qu’il répliqua en la fixant, amusé. Il se mit un peu plus à l’aise en s’appuyant contre le chambranlant de la porte. Ça parlait boxe à présent, une gamine qui aimait la boxe, ça l’intéressait toujours. Et si en plus c’était la gamine de Jude, ça le rendait curieux. Il esquissa un sourire en écoutant sa réponse, il avait l’impression d’entendre sa propre mère qui refusait de venir voir ses combats parce qu’elle ne voulait pas voir son bébé se faire taper.  Il imaginait aisément que pour la maman d’une fille, ça devait être un sentiment encore plus accru. C’est en l’en empêchant que ça devient dangereux, au moins, dans un cours, c’est contrôlé. Et puis une fille qui sait se défendre, c’est bien, y a tellement de sales types dehors. Il pouffa de rire, il n’avait pas connu Jude après ses quinze ans, mais déjà à cet âge-là, elle n’hésitait pas à pousser les autres filles dans une piscine sans ciller. Alors, il était prêt à parier qu’elle avait bien d’autres fois montrer les griffes quand c’était nécessaire. Des clubs ça se retrouve, elle se refera des copains ici, ne t’en fais pas. Asher n’ajouta pas qu’il faisait lui aussi partie d’un club, ça n’avait pas d’importance de toute manière. Par contre, il ne put s’empêcher de faire une réflexion sur Blake. A l’époque, ils n’étaient pas tellement copains, Asher avait toujours été persuadé que c’était la blonde qui ne l’aimait pas, jusqu’à cette fameuse soirée. Il avait compris qu’elle cherchait juste à protéger sa meilleure copine, ils avaient les mêmes intérêts au fond. Mais pour lui il y avait des sentiments en plus, elle l’avait bien compris, Blake était clairvoyante, elle savait que le futur boxeur avait le pouvoir de la rendre heureuse, mais aussi de la briser. Malheureusement, elle n’avait pas imaginé à quel point il pouvait faire du mal, de la pire des façons. Il haussa les épaules. Tu veux un café ? Il venait de réaliser qu’il n’avait encore rien offert à la jeune femme. Lui, il avait envie d’un petit coup de pouce, surtout après sa séance à la salle. Un shot de caféine ne lui ferait pas de mal. Sa cuisine n’était pas terminée, loin de là, mais il avait installé une machine à café et quelques tasses, pour pouvoir en offrir aux artisans durant les travaux. Il mit alors la machine en route, rajouta de l’eau et des capsules. C’est elle qui ne m’aimait pas, enfin, je crois. Qu’il reprit ensuite. Elle avait peur que je te fasse du mal.

Il y avait des relations que ni le temps ni la distance n’entachaient. Malgré les années, elles restaient intactes. Aujourd'hui, d'un œil extérieur, on pouvait avoir l’impression que c’était exactement le cas pour Jude et Asher. Ils avaient naturellement retrouvé le chemin de l'humour, de la taquinerie facile, des regards qui en disaient longs. Ce n'était pourtant pas si simple. Derrière l'humour, il y avait une forme de gêne, derrière les regards, un voile de regrets. C'était ténu, presque indécelable, mais c'était là. Ils avaient passé plus de vingt ans l'un sans l'autre, Asher était parti comme un voleur et avait intimé le silence. Tout en s'affichant partout dans le monde, s'imposant à Jude comme s’il devait être impossible qu'elle puisse totalement l'oublier. Si la brune lui avait manqué durant toutes ces années, il savait qu'en la retrouvant, il n’effacerait pas le mal qu'il avait fait d'un beau sourire enjôleur. Elle aurait des questions, elle demanderait des comptes peut-être pas ce jour-là, mais ça viendrait, à un moment. Le boxeur passait effectivement sa main dans cette barbe qu'il avait tant désiré quand il était adolescent et qui avait, à son goût, mis bien trop de temps à pousser. À présent son visage étant mangé par les poils et son geste prenait bien plus de sens qu'à l'époque. Il esquissa un rictus à la question de Jude. Pas sûr que cette question ne soit que pour lui. Ça fait dix mois que je suis là. Qu'il offrit pour toute réponse en haussant les épaules. C'était évasif, lui-même ignorait s'il était réellement passé à autre chose, s'il avait accepté. Les contrats publicitaires, les marques qui l’adoraient, être un des chouchous du star system, avoir dans son lit l’une des plus belles femmes au monde, les soirées de tous les excès, les tapis rouges. Tout ça il avait oublié, il n’en voulait plus. Mais sa passion, sa carrière trop vite avortée, il lui faudrait encore détruire quelques murs pour accepter. Dix mois qu'il avait commencé les travaux, sacrément bien avancé, il fallait l’admettre. Dix mois que des souvenirs par centaines se bousculaient dans son esprit, des bribes de son enfance entre cousins, de sa sœur qui lisait durant des heures accoudée à la grande fenêtre du salon. De Jude qui avait marqué cet endroit de son rire communicatif et de ces fossettes qui creusaient son visage pour lui donner cet air espiègle si particulier. Et de leurs bêtises de gamins dont il retrouvait des traces encore aujourd'hui. Comme cette gravure sur l'écorce qu’il avait redécouverte. Oui, c'était le but. Elle avait raison, ils avaient réussi leur coup, Sky et Cupcake seraient fiers, ça ne faisait aucun doute. Par la suite Asher évoqua sa grand-mère et son côté têtu, il cru qu'il avait fait une bourde en voyant les yeux de Jude s'écarquiller, finalement il lâcha un petit rire. Tu parles, elle l’a encadrée, oui. Il sourit tendrement, elle était fière de son petit gars, ça ne faisait aucun doute. Et Jude, que savait-elle du Asher d’aujourd'hui ? Serait-elle au moins venue le voir, si elle en avait eu l'occasion ? Après tout, la dernière fois qu'elle aurait pu, elle avait préféré rester dans l'ombre. Mais il balaya ce souvenir, ce n’était pas le moment de s'apitoyer. Au lieu de ça il fit le pitre, affirmant avec une fausse fierté qu’il était intéressant. En tout cas il l'était assez pour qu'au moins une grosse soit fan de lui. Et pas n'importe quelle gosse, celle de Jude, les chiens ne faisaient pas des chats. Alors ils parlaient un peu de ses enfants, à la brune, de cette vie chamboulée depuis peu, elle évoquait les vacances à Bowen, les copains qu'ils retrouvaient sur quelques semaines dans l’année. Asher connaissait bien la situation, il l’avait vécue lui-même. Il gardait de très bons souvenirs de ses séjours à Bowen. Évidemment la fille Kavinsky en était une des raisons principales, mais il y avait tout le reste, les cousins, les potes, les stages de boxe offerts par son papy, les balades en forêt, les grands espaces et cette impression de liberté qu'il ne connaissait qu’ici. Il esquissa alors un sourire encourageant. S’ils ont les amis, le reste viendra tout seul. Tu as pris la bonne décision en revenant à Bowen, aies confiance en toi. Il n'en savait foutrement rien au fond, mais Bowen c'était la maison, la safe place, ça l’avait toujours été et il espérait que ce soit toujours le cas pour elle aussi. Il avait lui-même mis le sujet de Blake sur la table en rebondissant sur la réflexion de la brune, évidemment qu’elle attrapait une perche pareille. Mais est-ce que c'était le meilleur moment de remuer le passé ? Asher n'en avait pas tellement envie. Alors il ne répondit pas tout de suite, préparant du café pour son invitée et lui tandis que Sky prenait ses aises sur le plan de travail. Sa présence ici, dans cette cuisine, comme si c'était parfaitement naturel, il pourrait rapidement s’y faire à nouveau, ça ne faisait aucun doute. Il reprit le cours de leur conversation en terminant de préparer leur boisson chaude, puis lui tendit une tasse fumante. Il haussa un sourcil, peu convaincu par l’affirmation de Jude, avant de porter sa tasse à ses lèvres. Blake lui avait dit de partir, de sortir de la vie de leur meilleure amie, il n'appelait pas ça être dans son équipe. Mais ce qui lui pinça un peu plus le cœur, c'était que la brune confirme de façon détournée, qu’effectivement il lui avait fait du mal. Laisse-moi en douter. Elle avait plutôt l’air d'être dans la team de ton mec, là… Il désigna la petite marque sur son arcade sourcilière. Souvenir de cette fameuse nuit, parce qu'il ne se rappelait pas de son prénom, mais bien de son poing dans son visage. Celui qui m’a fait ça. Tu t’es pas remise avec lui, après cette nuit, j'espère ? Déjà, à l'époque, Ash n'aimait pas ce gars et visiblement ça n'avait pas beaucoup changé aujourd'hui. Pourtant tout ça n'avait plus vraiment d’importance, c'était des enfantillages. Il observa son amie humer le café et réalisa par ce simple geste à quel point ils étaient adultes à présent. Ils n’avaient toujours bu que des jus de fruits ou plus tard des sodas ensemble, un peu d’alcool les dernières années. Jamais ils n’avaient bu de café, c'était un truc dégueulasse, un truc de vieux le café. Aujourd'hui les vieux c’étaient eux. Ash était incapable de commencer sa journée sans sa tasse, avant ça, il était de mauvais poil. Et il en buvait pas mal dans sa journée. Son visage se figea et il jeta un regard de biais à Jude. On y arrivait enfin, à cette question qu'il redoutait. Derrière les blagues, les regards parfois doux ou brûlants, la trahison du boxeur restait l’éléphant au milieu de la pièce. Parce que tu veux que je m’excuse ? Ce serait mal le connaître de penser qu’Asher allait sortir les violons. J’ai été occupé. Il n'avait pas envie d’en dire plus, ce n'était ni le lieu ni le moment. D'ailleurs son téléphone lui sauva la mise en vibrant dans sa poche. Un appel de son électricien. Pardon, je dois décrocher. Il s'éloigna de quelques pas avant de revenir vers Jude. Les gars vont arriver d’ici une dizaine de minutes pour raccorder un peu d’élec. J’veux pas t’virer, mais… il faut que j’te vire. Qu'il affirma avec un petit sourire en coin