Etre un homme ne se mesure pas à la force des poings | Brett

L’effort. La respiration qui s’accélère. Les muscles qui se tendent. L’adrénaline qui circule dans nos veines. La concentration que cela requiert. Les battements de notre cœur martelant dans notre poitrine. La précision de chaque coup porté. La satisfaction obtenue à chaque coup esquivé… C’était un peu tout cela que Brett aimait dans la boxe. Il n’avait jamais été un garçon bagarreur, il réglait ses conflits par le dialogue, rarement à l’aide de ses poings… Pourtant, il aimait toutes les sensations que lui procurait ce sport. C’était comme prendre le contrôle et enfin libérer toute la colère, toute la frustration qu’il avait enfouies en lui, emmagasinées depuis sa plus tendre enfance. Lorsqu’il enfilait ses gants et montait sur le ring, le taximan n’était plus le même homme. Véritable bisounours dans la vie de tous les jours, ici, il devenait un redoutable adversaire pour les autres boxeurs.
Comme chaque soir, il avait garé son taxi devant la salle de sport et s’était emparé de son sac avant de se changer dans les vestiaires. Enfilant une tenue adéquat pour boxer, il avait rejoint la pièce où déjà s’entrainaient plusieurs sportifs. Il termina de bander soigneusement ses mains en parcourant la salle des yeux. Il repéra alors Donovan. C’était l’une des rencontres que Brett avait fait ici, grâce à la boxe. Un sourire étira aussitôt les lèvres du taximan. Se faire des amis dans une salle de boxe pouvait paraître contradictoire. Dans l’esprit populaire, il devait résider une sorte de rivalité primitive entre les boxeurs comme entre Rocky Balboa et Apollo Creed. Mais ici, malgré l’ambiance chargée de testostérone, peu de femme fréquentant cette salle, Brett avait trouvé une atmosphère sereine et un véritable esprit d’équipe liait les boxeurs entre eux. Avec Donovan, le courant était aussitôt bien passé. Le jeune homme avait repris après plusieurs années sans pratiquer. Brett lui avait naturellement proposé de l’aider, n’hésitant pas à lui prodiguer quelques conseils. Il s’approcha du punching-ball sur lequel Donovan frappait avec puissance. « Fais gaffe à tes poignets lors de tes crochets, je voudrais pas que tu te blesses avant d’avoir ma revanche… » lui conseilla Brett en arrivant auprès de lui. Lors d’un de leurs derniers entrainements, les deux amis s’étaient affrontés et l’élève avait dépassé le maitre lors d’un combat serré. Donovan avait en effet remporté la victoire de quelques points... « Ca va bien ? » lui demanda-t-il ensuite.

Spoiler:

Le taximan avait à peine franchi le seuil de la salle de sport qu’il se sentait bien. C’était son défouloir, l’endroit où il pouvait se vider la tête, oublier toutes les frustrations de sa journée de travail, les plaintes des clients éternellement insatisfaits, la circulation dense, les coups de klaxons, les refus de priorités… Brett était célibataire, alors retrouver le calme et la solitude de son appartement n’avait rien de séduisant. Il avait besoin de cette pause sportive, de cet entrainement quotidien, avant de rentrer chez lui. Il s’était souvent dit que si il avait eu femme et enfants qui l’attendaient impatiemment chez lui, ses habitudes auraient surement été différentes. Mais après ses fiançailles rompues suite à la découverte de la tromperie de sa fiancée, le garçon n’avait pas su retrouver l’amour, ou du moins pas su s’investir suffisamment dans ses relations suivantes… Il chassa ses pensées de sa tête, c’était sa coupure, son moment, pas la peine donc de ressasser le passé. Ici, c’était également l’occasion de retrouver ses amis comme Donovan. Il le repéra rapidement, et le rejoint en lui prodiguant d’emblée un petit conseil. Le boxeur interrompit ses coups en entendant Brett, il releva les yeux sur lui et lui sourit avant de venir lui serrer la main. Il lui promit qu’il aurait le droit à son combat et lui assura qu’il le mettrait à terre une seconde fois. Brett laissa échapper un petit rire : «C’est ce qu’on verra… »

C’était ainsi entre les deux jeunes hommes depuis qu’ils s’étaient rencontrés. Ils se taquinaient gentiment, s’entrainaient au combat ensemble, sans qu’aucune rivalité ne s’instille entre eux. Brett demanda aussitôt à son ami comment il allait et celui-ci lui répondit qu’il était content d’être là avant de lui retourner la question. « Ca va aussi mais je vois ce que tu veux dire… J’ai mis trois heures à faire Bowen-HomeHill parce qu’il y avait un énorme accident sur l’A1. J’étais coincé dans mon taxi avec ma cliente de 70 ans qui me racontait la vie de ses dix chats… » confia-t-il en riant. Cette déconvenue le faisait sourire à présent mais sur le moment, le taximan avait bien cru qu’il allait faire demi-tour au milieu de l’autoroute. Heureusement, Brett était quelqu’un de patient… « Et toi, ta journée ? » demanda-t-il alors à son ami. Il glissa ensuite les mains dans ses gants et se positionna devant le putching ball adjacent à celui sur lequel s’entrainait Donovan et il commença à y frapper quelques petits coups peu puissants pour s’échauffer en douceur.

Donovan ne semblait pas envier le métier de Brett. Il faut dire que le taximan avait à faire à de sacrés loustics parfois. « Si bien sûr, tu peux toujours refuser quelqu’un et prétexter avoir un autre client qui t’attend déjà ou que ta journée est terminée… » Répondit Brett à la question de son interlocuteur. « Mais je peux pas trop me le permettre tu comprends, je suis à mon compte… » C’est sûr que si il avait pu, financièrement parlant, il aurait probablement joué les fines bouches avec ses clients et les aurait surement sélectionnés un peu plus. Mais la crise c’était pour tout le monde même les chauffeurs de taxi indépendants en subissaient les conséquences. Les gens se freinaient sur tout, y compris sur leurs trajets. Brett laissa néanmoins échapper un petit rire lorsqu’il entendit Donovan parlait de meurtre, apportant une touche plus légère à leur conversation. Il avait du mal à imaginer son ami perdre le contrôle. Il le connaissait sur le ring où le jeune homme faisait preuve de maitrise, qualité essentielle pour quiconque veut pratiquer la boxe. « C’est sûr que cela me débarrasserait radicalement de certains clients gênants… »

Les deux boxeurs tapaient dans leurs sacs respectifs tout en poursuivant leur conversation. Brett était désolé d’entendre que son ami s’épanouissait si peu au travail. Ok, lui aussi avait des coups de raz le bol parfois, mais en tout cas il ne pouvait pas qualifier son job de rasoir. Il voyait des gens différents tous les jours, avait un vrai contact avec eux, faisait face à quelques imprévus parfois… Ce n’était certainement pas un métier routinier contrairement à ce que l’on pouvait penser de prime abord. « Si tu n’avais pas indirectement menacé mes clients de meurtre, j’aurais pu te proposer une place d’associé ! » plaisanta Brett. A vrai dire, il comprenait Donovan : le monde des affaires semblait être à part et particulièrement impitoyable. « En tout cas, pour moi, le simple fait de devoir être habillé en costume toute la journée ça me refroidirait. » avoua-t-il. C’était l’un des côtés positifs de son job : lui il pouvait conduire dans la tenue qu’il voulait, du moment qu’il était présentable. Pas besoin de costard, de cravate etc... Malgré tout son ami retrouva bien vite le sourire tout en lui confiant ses projets pour la soirée…

Brett réalisa alors quelque chose : c’était étrange, ils s’entrainaient depuis quelques temps tous les deux, mais ils n’avaient jamais encore mentionné ce versant plus personnelle de leur vie. Donovan était donc en couple. « Un petit restau en vue ? » demanda Brett. Il avait évidemment envie d’en savoir plus, il appréciait Donovan et souhaitait apprendre à le connaître davantage mais il ne voulait pas non plus se montrer intrusif et trop curieux. Ce n’était pas dans son caractère. « Et moi qui voulait t’inviter à manger un burger avec moi à la fin de l’entrainement… J’imagine que je ne fais pas le poids face à ton rencard ? »