#7 - Piano piano sweet and bravo

Ses doigts minces voletaient d'une touche à l'autre, et Rose avait fermé les yeux. Elle jouait. Elle jouait, et elle se sentait bien. C'était toujours ainsi quand elle jouait du piano, elle était ailleurs. Elle oubliait tout: son exil forcé en Australie, la déception qu'elle avait lu dans les yeux de son père, son cancer... Rose était apaisée quand elle s'asseyait devant son piano. Du plus loin qu'elle pouvait se rappeler, la demoiselle avait toujours joué du piano, ses aristocrates de parents estimant que toute Lady digne de ce nom devait savoir jouer d'au moins un instrument. Elle savait également danser la valse et avait des bases en danse classique, ainsi que chanter et elle avait eu d'innombrables cours sur la manière se tenir en société. Heureusement, depuis qu'elle était majeure tout ceci avait cessé, et la jeune femme était libre de faire ce qu'elle voulait. Cela faisait désormais quelques semaines qu'elle était en Australie, et elle commençait à se faire au calme de cette vie, même si elle continuait à sortir et à collectionner les coups d'un soir. Emportée par la mélodie, elle sursauta quand elle entendit un bruit derrière elle. Se retournant, elle aperçut Kearney, son ordonnance que son père avait engagé pour qu'il s'occupe d'elle. L'air embarrassé du jeune homme fit sourire Rose, qui se rendit soudain compte qu'ils ne s'étaient presque jamais parlé. Bonjour, Kearney.

« Pardonnez-moi, je ..euh..je passais juste et, enfin excusez-moi…euh et bonjour mademoiselle. » L'air maladroit et le bafouillage de Kearney agrandirent le sourire de Rose. Elle ne se moquait pas, non: une Lady ne se moquait jamais, c'était irrespectueux et indigne d'une personne d'un tel rang. Elle le trouvait juste... touchant, à balbutier ainsi. « Je vous en prie, ne vous arrêtez pas, continuez, c’est très joli... » La jeune femme se détourna du piano à queue afin d'être face à face avec son ordonnance. Elle savait bien que son père désapprouverai le fait qu'elle cesse de jouer pour parler à quelqu'un d'"inférieur" à elle dans l'échelle sociale, mais son père n'était pas là et de plus elle se fichait complètement de ce qu'il pouvait bien dire ou penser. Non, ce n'est pas grave: de toute façon j'avais presque terminé le morceau. Et puis, il me plairait de faire plus ample connaissance avec vous: après tout, nous sommes ici depuis quelques semaines désormais, et je ne connais de vous que votre prénom! D'un geste de la main, et toujours avec un léger sourire sur le visage, elle l'invita à s'asseoir sur un fauteuil, et prit elle-même place dans un fauteuil en face de celui de son ordonnance.

Bien, trois semaines oui environ… euh je suis Kearney O’Shannon, votre ord.. enfin vous savez ce que je suis hehe, mais vous pouvez me tutoyer, vous m’appelez déjà par mon prénom alors continuez. Le sourire de Rose s'agrandit un peu plus devant le malaise apparent du jeune homme. Je veux bien te tutoyer, mais à une condition: que tu me tutoie aussi. Je sais ce que tu vas dire: je suis une Lady, et on ne tutoie pas une Lady mais... J'en ai marre de tout ceci. Donc désormais tutoie-moi, et appelle-moi Rose, c'est un ordre! Après tout, nous sommes tous les deux coincé dans ce pays donc... Autant faire connaissance, non? Des fois, Rose Alice Windsor aurait aimé être juste Rose, une jeune femme comme les autres. Et, puisqu'elle était en Australie sans que personne ne soit au courant, il était temps pour elle de devenir cette Rose-là. Mais pour commencer, il fallait qu'elle crée des liens avec son entourage, et Kearney était sans aucun doute la personne qu'elle voyait le plus dans une journée- et paradoxalement, la personne à laquelle elle parlait le moins. Après tout, il était son ordonnance: il était là pour servir, et non discuter. Cependant, Rose voulait le connaître. Elle se sentait légèrement... attirée par lui, alors qu'elle ne connaissait quasiment rien de lui. Vu ton accent, je parie que tu es Irlandais, je me trompe?

Oui, je suis désolé je n’ai jamais perdu mon accent même pendant les cours de savoir-vivre de l’Academy… au grand dam des instructeurs qui voulaient faire de nous de parfaits British gentlemen, je suis d’Irlande du Nord, de Derry-Londonderry plus précisément, vous connaissez ? Je veux dire…tu.. tu connais l’Irlande ? Le fait que Kearney ai pensé à la tutoyer fit sourire la jeune femme. C'était l'une des premières fois de sa vie qu'elle était tutoyé, d'ordinaire même ses parents la vouvoyait, et elle devait bien avouer que c'était une sensation plutôt agréable. Derry-Londonderry... Non, cela ne lui disait rien. Ce n'est pas grave, j'ai toujours adoré l'accent irlandais. Ca donne un effet... Je ne sais pas comment l'expliquer, mais disant que c'est... charmant. Se rendant compte de ce qu'elle venait de dire, Rose se tue brusquement, et sentit une légère roseur envahir ses joues. Afin de dissimuler sa gêne, elle reprit la parole: Je n'ai pas l'honneur de connaître Derry-Londonderry, a vrai dire je connais surtout l'Irlande du Sud. Mes parents ont une propriété à Galway, sur la côte ouest.

Il avait eu du mal à la tutoyer, les habitudes ont la vie dure. Mais il l’avait fait, il avait trouvé ça bizarre mais elle semblait en être ravie et beaucoup plus à l’aise que lui. Elle souriait. Il aimait bien la voir sourire un peu, son exil ici n’avait pas été pour l’enchanter, elle commençait à aller mieux. « Ce n'est pas grave, j'ai toujours adoré l'accent irlandais. Ca donne un effet... Je ne sais pas comment l'expliquer, mais disant que c'est... charmant. » Elle avait dit çà tout naturellement, s’interrompant un instant pour reprendre avant qu’il n’ai pu dire quoi que ce soit ou sourire par embarras, ou encore la remercier pour son indulgence. « Je n'ai pas l'honneur de connaître Derry-Londonderry, a vrai dire je connais surtout l'Irlande du Sud. Mes parents ont une propriété à Galway, sur la côte ouest. ». Ainsi elle connaissait SON ile, même si elle ne connaissait pas sa région, c’était toujours intéressant et sympathique. "Vraiment ? Hmm Galway est bien plus calme que Derry-Londonderry en même temps, ce serait trop dangereux pour une princesse comme v… Euh comme toi d’y aller. Entre nous je n’ai pas le droit de dire ce que je pense mais j’aurais préféré qu’on vous envoie en Irlande plutôt qu’en Australie enfin... Vous avez, pardon tu as chaud ? Tu es toute rose, je vais ouvrir les fenêtres et servir un rafraichissement… " Il n’avait même pas pensé à lui servir quelque chose en montant, quel imbécile pensait-il en se levant précipitamment du fauteuil.

"Vraiment ? Hmm Galway est bien plus calme que Derry-Londonderry en même temps, ce serait trop dangereux pour une princesse comme v… Euh comme toi d’y aller. Entre nous je n’ai pas le droit de dire ce que je pense mais j’aurais préféré qu’on vous envoie en Irlande plutôt qu’en Australie enfin... Vous avez, pardon tu as chaud ? Tu es toute rose, je vais ouvrir les fenêtres et servir un rafraichissement… " Trop dangereux? Qu'entendait-il donc par là? Sa condition de membre de la famille royale n'avait jamais enchanté Rose, à qui on avait toujours interdit plein de choses, comme par exemple grimper aux arbres, sauter toute habillée dans une rivière ou sortir seule... Les seules fois ou l'enfant qu'elle était alors avait transgressé ces règles, elle avait été sévèrement réprimandée. Ainsi, la vie de Rose n'avait jamais été bien excitante. Le voyant se lever, le pris par le bras, avant de le lâcher presque immédiatement- une Lady n'agrippe pas les gens comme ça! Peut-être voulait-il juste s'en aller car la conversation l'ennuyait? Non, ne t'inquiètes pas, je n'ai ni soif ni chaud. Si tu ne veux plus discuter, ce n'est pas grave, je comprends que tu ai autre chose à faire... A peine avait -elle dit ça que la jeune femme sentit une forte douleur dans son ventre, qui se propagea jusque dans sa colonne vertébrale. Se mordant la lèvre, elle tâcha de faire comme si tout allait bien. Son cancer. A chaque fois qu'elle n'y pensait plus, il la rappelait à l'ordre. Personne ne devait être au courant, même pas ceux qui vivaient sous le même toi qu'elle. Personne.

La chanson « Sunday, Bloody Sunday » de U2 tout le monde connaissait, son histoire beaucoup moins. Londonderry en Irlande du Nord, ou Derry pour certains, à été témoin d’évènements tragiques, et reste aujourd’hui encore une ville profondément divisée, illustrant à elle seule la situation de toute une ile. Imaginer qu’une princesse Britannique y séjourne sans incidents, ou pire morts, relevait d’une illusion.

Tandis qu’il s’était levé très vite et se dirigeait déjà vers la sortie pour servir le thé, par exemple, Rose le retint au passage par la manche, interloqué il regarda et eut juste le temps d’apercevoir la pression aussitôt relâchée, comme si le geste avait été honteux. « Non, ne t'inquiètes pas, je n'ai ni soif ni chaud. Si tu ne veux plus discuter, ce n'est pas grave, je comprends que tu ais autre chose à faire... ». Après coup une fille s’appelant Rose, c’était peut-être normal qu’elle ait les pommettes roses… non il était bête bien sûr que non. Il rectifia aussitôt « Oh non Lady Rose pas du tout, mais demandez-moi au besoin…après tout…je suis là pour çà… C’est un plaisir et un privilège de discuter avec vous, toi pardon» . Il ne remarqua pas qu’il avait dit ça très vite au début et très lentement ensuite, ni ne pensa à ce que sa protégée n’allait en penser, interpréter. Il se rassit sur le fauteuil, toujours prêt à faire quelque chose à ses ordres. Il nota qu’elle se mordit la lèvre un court instant se concentrant pour bien la tutoyer comme elle l’avait ordonné : « Quelque chose te tracasse ? »

On lui avait bien demandé lors de ses briefings de faire attention à ses moindres gestes, d’une parce que par politesse les princesses ne disent pas tout et font souvent usage de manières détournées ; ensuite parce qu’il s’agissait d’un intérêt supérieur concernant sa mission. Il était après tout le seul à savoir qui elle était ici, et connaissait par conséquent certaines choses, oh bien sûr pas en détail, mais de toute façon son application dans sa mission dépassait de plus en plus le cadre professionnel, il s’attachait à elle, c’était interdit, c’était dangereux, c’était mal, mais c’était comme çà…

Oh non Lady Rose pas du tout, mais demandez-moi au besoin…après tout…je suis là pour çà… C’est un plaisir et un privilège de discuter avec vous, toi pardon Un sourire rassuré apparut sur le visage de Rose. Elle avait rarement l'occasion d'avoir une vraie discussion avec quelqu'un n'appartenant pas à la famille royale britannique, et cette conversation avec Kearney lui faisait du bien. Merci. L'Irlandais se rassit pile au moment ou la douleur commençait à apparaître dans le ventre de la jeune femme, et malgré la tentative de cette dernière pour être discrète, il s'aperçut que quelque chose n'allait pas. Quelque chose te tracasse ? Rose se figea durant quelque secondes. Elle ne devait pas le dire. Seul son médecin était au courant de son état de santé, et cela devait rester strictement confidentiel. Rose hésita à reprendre son masque de princesse, celui qu'on lui apprenait à mettre depuis qu'elle était tout enfant, celui qu'elle portait la plupart du temps mais qui n'était pas vraiment elle. Non. Pas devant Kearney. Elle savait qu'il la comprendrait et la soutiendrait, quoiqu'il arrive. Elle ne savait pas pourquoi d'ailleurs, mais elle se fiait à toujours à son intuition. Néanmoins, même lui ne devait pas être au courant. Non, tout va bien. Dis-moi, as-tu des frères et soeurs?

Elle l’avait remercié puis ils avaient repris le fil de la discussion. Elle ne lui avait encore jamais parlé sèchement ou avec arrogance, comme il s’était imaginé qu’une Windsor devait parler  à ses employés ; bien sûr il pressentait que Rose avait un petit côté fier quand elle le voulait, et il aimait ça, mais il ne l’avait pas encore vu. Et jusqu’à présent, encore plus à cet instant elle était très… il ne savait pas comment dire ? Douce. Elle n’avait pas encore rendu les choses encore plus compliquées, et il lui en était reconnaissant. « Non, tout va bien. Dis-moi, as-tu des frères et sœurs? »
Il avait pourtant remarqué qu’elle s’était raidie, mais comme il n’était pas encore très au fait des manières des ladies il pensa qu’il fallait la suivre et faire comme s’il n’y avait en effet rien. Il n’en était pas moins un peu soucieux pour elle. « Eh bien non…enfin je veux dire si, j’ai effectivement un frère, plus grand que moi ; mais…c’est enfin bref, j’ai eu peu d’enfants de mon âge pour jouer si c’est ce que vous vous demandez, une cousine, et d’autres petits Irlandais pour faire le plus de bêtises possibles, enfin vous voyez  le genre…tu vois… » On pouvait lire dans ses yeux les souvenirs repassés rapidement dans sa mémoire et une certaine émotion, très contenue certes, mais qu’un œil avisé pouvait déceler ; « Et toi dis-moi? » termina-t-il en souriant, rangeant les souvenirs là où ils étaient enfouis.

Il ne repensait jamais à son enfance, l’avoir fait pour Rose, avait replongé Kearney dans ses souvenirs ; il n’avait pas eu une enfance très heureuse, mais son île surtout lui manquait. L’Irlande, dans les bons comme les mauvais moments, avait toujours été sa maison, son terrain de jeu, son école, « son » rocher. Il n’avait voulu la quitter qu’une seule fois réellement : quand sa mère les avait quittés. Kearney était vraiment attaché à sa terre, et y repenser, l’évoquer, n’était pas pour l’aider.
Bien qu’il soit tombé sous le charme de la princesse, il avait ressenti son affectation comme une immense injustice, et un cadeau empoisonné. Il aurait voulu partir en Afghanistan, où servir dans la Garde-côtière en Ecosse, aux commandes d’un hélicoptère ; ce pour quoi on l’avait formé, ce pour quoi il était doué.
Ayant terminé, il demanda à son tour à Rose de lui en dire un peu plus, un peu gêné en voyant qu’elle le fixait avec profondeur. Et quand elle lui fit la remarque sur une certaine lueur dans ses yeux. Plus de la mélancolie que de la nostalgie en fait, mais elle ne pouvait pas le deviner. « Eh bien à vrai dire…non. Pas du tout, mais parlons de vous ! » Il avait souri comme pour adoucir sa réponse un peu rapide et pour lui montrer son intérêt, il préférait mille fois écouter la jolie voix de Rose plutôt que de devoir parler de lui, c’était plus joli et plus agréable. « Quand à moi, je suis bien loin d'être enfant unique: j'ai deux grands frères et deux petits. Quand on était enfants, c'était assez animé à la maison! Je me rappelle encore de toutes les fois où l'on se cachaient quand il était l'heure de nos leçons avec nos précepteurs... Notre gouvernante, Mary, se mettaient toujours en colère contre nous, mais au final elle nous pardonnait toujours et ne disait rien à nos parents quand ils venaient nous voir de temps en temps... Mes frères sont tout pour moi. » . Pendant un instant le jeune officier ne sut que dire, fixant Rose du regard, et triturant du bout des doigts l’un des boutons dorés de sa veste d’uniforme, touché par cette soudaine confession, intime de l’enfance méconnue de la Lady. Même si Kearney n’en avait rien a faire de la famille royale, tout le monde se doute bien que grandir en son sein ne doit pas être facile. Il se sentit soudain un peu plus proche de Rose, il n’avait pas plein de frères, ni jamais eu de complicité avec le sien, mais elle comme lui, n’avait pas eu autant de joie et d’affection, elle, comme lui semblait encore un peu en souffrir.
« Je..euh..oui je vois, j’ai fait beaucoup de bêtises aussi…mais je n’ai pas eu de gouvernante… » il rit doucement avant de reprendre « Vous les retrouverez bientôt. ». Il se leva cette fois encore, mais décidé à faire plaisir à la belle cette fois-ci : « Laissez-tomber le piano pour aujourd'hui, c’est un ordre, oui oui c’est moi qui ordonne maintenant, enfilez vite de quoi vous baigner, je vous emmène en mer, ca va vous changer les idées qu’en dites-vous ? » Il affichait l’apparente autorité d’un militaire, mais au fond mourrait de crainte qu’elle rejette l’idée.