première rencontre (pandi panda)

Voilà quelques semaines que Maybelle travaillait dans ce petit café du western district et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle n'avait pas le temps de s'ennuyer. Entre les clients qui multipliaient les commandes à rallonge et ses collègues qui ne lui avaient pas franchement réservé un accueil chaleureux, elle doutait parfois de son avenir ici... Mais elle tenait absolument à travailler. Pour gagner son propre argent et prouver à son père que quoi qu'il en pense, elle était une jeune fille sérieuse et responsable. Elle espérait qu'elle pourrait bientôt quitter la maison familiale pour voler de ses propres ailes, loin de cette ambiance morose qui l'étouffait un peu plus chaque jour. Ce petit boulot était la première étape de son envol vers l'indépendance. Une jolie blonde entra à l'intérieur et se pressa jusqu'au comptoir, arrachant May à ses pensées. Elle lui adressa un sourire chaleureux, prête à la servir. Elle n'avait pas encore tout à fait pris ses marques et elle commettait encore quelques petites erreurs. Comme se tromper dans les commandes. Ou rater des boissons malgré toute sa bonne volonté. Elle espérait que cette fois-ci, tout se passerait bien. Elle ne deviendrait sûrement jamais l'employée du mois mais elle ne voulait pas passer pour une empotée aux yeux des Boweniens. « Bonjour ! Qu’est-ce que je vous sers ? »

« Un cappuccino s'il vous plait. » Maybelle retint un soupir de soulagement. Un cappuccino. Ce n'était une boisson compliquée et normalement, elle devrait s'en tirer sans problème. Cela changeait des clients qui demandait des latte macchiato ou autres boissons aux noms limites imprononçables. « Je vous fais ça tout de suite », répondit-elle en se mettant immédiatement à l’œuvre, ultra-concentrée. « Je ne vous ai jamais vue ici... vous êtes nouvelles ? » Maybelle releva la tête pour croiser le regard de son interlocutrice, qui faisait visiblement partie des habituées du café. Elle hocha légèrement la tête et lui adressa un petit sourire. « Oui, je suis travaille ici depuis deux semaines. Une place s'est libérée récemment et je cherchais un boulot alors j'ai sauté sur l'occasion... » Elle ne connaissait pas la personne qu'elle remplaçait mais elle avait cru comprendre qu'elle était plutôt bien estimée par les clients - et encore plus par ses collègues. En tout cas, une chose était certaine : prendre sa place n'était pas chose facile. Elle servit finalement son cappuccino à la jeune femme, non sans un sourire satisfait. Ce n'était pas tous les jours qu'on parvenait à faire une boisson parfaite ! « Vous venez souvent, ici ? »

« Oh, je vois ! La serveuse avant vous était vraiment agréable, mais vous partez plutôt d'un bon pied vous aussi. » Maybelle avait bien vite compris qu'elle remplaçait quelqu'un d'estimé, tant par les clients que par ses collègues. Depuis son arrivée au café, tout le monde lui parlait de celle qu'elle remplaçait. On lui demandait pourquoi elle était partie, où elle était, ce qu'elle faisait... Comment pouvait-elle le savoir ? Elle ne la connaissait même pas. Elle avait parfois l'impression d'être de trop, comme si le vide laissé par cette Emily serait impossible à combler. Enfin bref, cette cliente venait de lui faire un compliment plutôt flatteur, auquel Maybelle répondit par un sourire. « C’est gentil. Je fais de mon mieux pour devenir l'employée du mois ! », plaisanta-t-elle. En réalité, elle se fichait d'être élue "employée du mois" et d'avoir sa photo dans un cadre accroché près du comptoir. Elle voulait simplement faire son boulot du mieux possible. Les honneurs, très peu pour elle ! Soucieuse de poursuivre cette conversation, elle demanda à la jeune femme si elle faisait partie des habitués. Elle voulait savoir quels étaient les clients occasionnels et quels étaient ceux qu’elle allait croiser régulièrement. « Oui plutôt ! Je me suis attachée à l'endroit... Tu peux me tutoyer au fait, je ne suis pas bien plus vieille que tu ne dois l'être. » Étonnamment, cette familiarité ne l'avait pas surprise. Pour être parfaitement honnête, elle devait se forcer à vouvoyer les clients de son âge. Dire "tu" à cette jolie blonde qui semblait très sympathique ne la dérangeait pas le moins du monde, au contraire. « Avec plaisir ! Je dois avouer que j'ai un peu de mal avec le vouvoiement », admit-elle en souriant. « Je m'appelle Maybelle. Et toi ? » C’était ce qu’elle aimait dans ce boulot : la proximité qu’elle avait avec les gens. Plus que des clients, les personnes qui passaient la porte du café étaient comme des compagnons de route. Elle partageait un petit bout de leur vie et chaque conversation était unique. « Au fait, il y a un autre serveur qui travaille ici, non ? Tu t'entends bien avec elle ? » Maybelle haussa les sourcils. Cette question était peut-être bienveillante mais elle était mal à l’aise. Elle n’aimait pas parler d’elle. Et même si sa « relation » - si on pouvait appeler cela comme ça ! – avec l’autre serveur n’était pas le sujet le plus personnel qui soit, elle trouvait la jeune femme un peu trop intrusive à son goût. Gênée, elle entreprit de nettoyer frénétiquement le comptoir pour se donner une contenance. « Tu parles d’Emrys ? Je ne le connais pas plus que ça », dit-elle, nettement moins avenante. « Mais il a l’air très sympa. » Ce n’était pas exactement le cas mais elle n’allait pas s’étaler sur l’accueil qu’Emrys lui avait réservé. Si cette cliente était une habituée, autant jouer la carte de l’équipe soudée. « Et il est très apprécié des clients, d’après ce que j’ai vu. Surtout par les filles. » Ça, c'était vrai. Bon nombre de personnes discutaient avec lui et apparemment, Emrys était de bonne compagnie. Et plutôt beau garçon, ce qui plaisait visiblement aux clientes. « Je suppose que tu l'aimes bien, toi aussi ? » Y avait-il seulement une seule personne qui n'aimait pas Emrys au sein de ce café ? Il travaillait ici depuis plus longtemps qu'elle et s'était mis tous les clients dans la poche. Nul doute que cette jolie blonde était elle aussi sous le charme du beau serveur.

Pandore. Ce n'était pas un prénom très commun mais elle le trouvait particulièrement joli et original. Ce qui correspondait plutôt bien à la jeune femme qu'elle avait devant elle. Une fois les présentations d'usage terminées, la discussion dévia rapidement sur Emrys. Maybelle ne comprenait pas vraiment l'intérêt de déblatérer sur son collègue mais elle était trop polie pour couper court à la conversation. Et puis, Pandore avait l'air sympathique et elle ne voulait pas la vexer en lui disant que ses questions étaient déplacées. « J'imagine bien, oui. » Elle disait cela comme si Emrys était un Dieu vivant et qu'il était absolument normal que la gente féminine soit à ses pieds. Question de point de vue, sans aucun doute. Maybelle se contenta de lui sourire un peu. « Ben il est sympa, toujours très ouvert avec ses clients, un peu comme toi quoi, donc c'est agréable. Puis, il est plutôt beau garçon, on peut pas dire le contraire, n'est-ce pas ? » Pandore jouait son rôle à la perfection. Personne n'aurait pu soupçonner qu'elle sortait avec Emrys tant elle paraissait détachée. Maybelle l'écouta d'une oreille attentive, bien qu'elle ne partageait pas vraiment son avis. Elle haussa les épaules, un petit sourire aux lèvres. « Oui, il est mignon. » Elle reconnaissait sans mal qu'il avait un physique plus qu'avantageux mais il s'était montré tellement désagréable qu'elle avait du mal à le trouver charmant. Elle croisa le regard de Pandore et détourna aussitôt les yeux. Comme si elle était mal à l'aise. Elle l'était, en réalité. Non pas parce qu'elle parlait de son collègue mais parce que cette cliente, aussi gentille soit-elle, était bien trop curieuse. Elle avait l'impression qu'elle allait la presser de questions et elle n'aimait pas ça. Écouter les autres ne lui posait aucun problème mais elle se braquait facilement dès qu'elle était au centre des conversations. Elle s'arrangeait généralement pour répondre de manière évasive dès qu'on lui parlait d'elle - et ça marchait plutôt bien. « Il a une copine ? », demanda-t-elle soudainement. Cela ne l'intéressait pas vraiment mais parler d'Emrys était un bon moyen d'éviter de parler d'elle. S'il le fallait, elle poserait question sur question pour occuper leur discussion jusqu'au départ de Pandore.  

« Je n'en sais rien du tout. Je ne le connais pas plus que ça, tu sais. » May hocha légèrement la tête. Avec le recul, elle se disait qu'elle n'avait pas posé la bonne question. Pour un peu, Pandore allait penser qu'elle en pinçait secrètement pour son beau et mystérieux collègue... Ce qui était loin, très loin d'être le cas. Ce n'était pas qu'elle ne l'aimait pas, mais elle n'était pas du tout intéressée par Emrys. C'était un collègue de travail et leur relation (si on pouvait appeler cela une relation) était purement et strictement professionnelle. De toute façon, elle ne s'intéressait à aucun garçon. Elle s'interdisait tout bonnement de les regarder d'un peu trop près, histoire de ne s'enticher de personne. Pandore détourna soudainement le regard, inspectant le reste de la pièce des yeux. Comme si elle cherchait quelqu'un. Son attitude était étrange mais Maybelle ne voulait pas poser de questions. On ne pouvait pas reprocher aux gens d'être trop curieux et les assommer de questions par la suite. « Désolée si je t'ai embêté avec mes questions, tu dois sûrement avoir du travail, j'ai tendance à trop parler. » La jeune blonde lui adressa un sourire pour lui montrer qu'elle ne lui en tenait pas rigueur. « Y a pas de mal », répliqua-t-elle gentiment. « Et puis, je préfère les clients un peu trop bavards à ceux qui sont aimables comme des portes de prison et qui te lances un regard noir dès que tu leur adresses la parole... » Et ils étaient plutôt nombreux. Certains venaient simplement pour boire un café et détestaient qu'on les dérange en essayant de parler de la météo ou des derniers événements survenus à Bowen. Maybelle le comprenait très bien, cela dit. « Tu vis à Bowen ? » Puisque la conversation ne tournait plus autour d'Emrys, pourquoi ne pas la dévier sur Pandore ? Elle n'avait pas l'impression de l'avoir déjà rencontrée auparavant et elle devait avouer que le personnage l'intriguait un peu. Quelque chose - elle ne saurait dire quoi - lui semblait étrange chez cette jolie blonde.

Plus Maybelle y pensait, moins elle parvenait à cerner Pandore. Elle était sympathique et semblait à l'aise, certes... Mais il y avait un je-ne-sais-quoi qui la rendait méfiante. C'était sans doute le fait qu'elle ait posé autant de questions au sujet d'Emrys. La jeune serveuse détestait se sentir espionner et les questions de la jolie blonde avaient été un peu trop intrusives à son goût. Elle devait vraiment apprendre à se livrer un peu plus, sans quoi elle finirait par être totalement asociale. Si ça continuait, plus personne n'oserait lui demander quoi que ce soir. « Oui, depuis un peu plus de deux ans. Tu viens d'emménager, toi ? » May sortit de ses pensées, reportant ses yeux azur sur ceux de la cliente assise en face d'elle. Elle n'était pas vexée par sa question : elle ne sortait quasiment jamais, passant les trois quarts de son temps cloîtrée dans la maison familiale des Goodwin. Il était normal que Pandore ne l'ai jamais remarquée auparavant. « Non, en fait je suis là depuis... Une petite vingtaine d'années. Je suis née ici », ajouta-t-elle, un petit sourire aux lèvres. « Et tu viens d'où, si ce n'est pas indiscret ? » Maybelle Goodwin et ses contradictions. Elle détestait qu'on lui pose des questions mais elle était la première à jouer les curieuses quand elle discutait avec quelqu'un. Faites ce que je dis et pas ce que je fais, pensa-t-elle. Elle avait cru remarquer que Pandore avait un petit accent mais elle ignorait lequel. Elle n'était pas très forte pour deviner ce genre de choses. Elle confondait l'accent Américain avec l'accent Anglais, prenait les Allemands pour des Français... Elle n'avait aucun sens de la déduction. En matière d'étrangers, tout du moins.

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