déjeuner entre cousines (thalia).

Thalia. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette petite brune pétillante tenait une place importante dans la vie de Maybelle. Plus qu’une simple cousine, elle était comme une grande sœur, une amie proche à laquelle elle pouvait tout dire… Enfin, presque tout. Aussi complices soient-elles, la jeune fille ne lui avait jamais parlé de ce qu’il s’était réellement passé lors de son séjour à Sydney. La jeune psychologue avait beau insister, encore et encore, elle ne parvenait pas à lui dire la vérité. Elle se contentait de changer de sujet ou de répondre de manière évasive, comme elle le faisait toujours quand on évoquait sa vie privée d’un peu trop près. Elle continuait naïvement à penser que sa cousine finirait par se lasser de lui poser des questions. Son mutisme avait découragé bien des gens - et c'était très bien comme cela. Thalia avait toujours été un modèle pour elle. Une sorte d’idéal féminin, le genre de fille qu’elle voulait devenir et qu’elle trouvait inspirante. Ce n’était pas de l’admiration malsaine, bien au contraire : la brunette la tirait vers le haut, elle l’aidait à devenir quelqu’un, à prendre sa vie en mains en évitant de s’apitoyer sur son sort. Se savoir entourée par des gens bienveillants faisait beaucoup de bien. Un rapide coup d’œil à sa montre et Maybelle sortit immédiatement de sa rêverie. Elle était encore en retard... C'était désespérant. Même avec toute la bonne volonté du monde, elle ne parvenait pas à se montrer ponctuelle. Elle était toujours en train de rêvasser et perdait complètement la notion du temps. Attrapant rapidement son téléphone portable et son sac à main, elle sortit de chez elle avec hâte pour regagner le restaurant où elle avait l’habitude de déjeuner avec sa cousine. Elles se donnaient régulièrement rendez-vous là-bas pour passer du temps entre filles, papoter et refaire le monde. Évidemment, une fois arrivée au restaurant, elle constata que Thalia était déjà là, confortablement installée à une table. Elle la rejoignit en vitesse, espérant qu'elle ne lui en tiendrait pas rigueur. « Je sais, je sais… Je suis encore en retard. Désolée ! », fit-elle en grimaçant après l’avoir serrée furtivement dans ses bras pour la saluer. Elle enleva sa veste, posa son sac près d’elle et s’installa finalement en face de sa cousine, lui offrant un sourire resplendissant.  « Tu es là depuis longtemps ? »

À en juger par la mine boudeuse de sa cousine, elle devait attendre depuis un bon moment. « Depuis au moins une heure ! Je commençais même à déprimer tu sais.. » Aïe. Maybelle se promit intérieurement de faire plus attention à l'heure, la prochaine fois. Même si elle savait pertinemment qu'elle continuerait à être en retard quoi qu'il arrive. Elle avait beau mettre une dizaine d'alarmes sur son téléphone, se coller des post-it sur le front ou se préparer à l'avance pour être sûre d'être à l'heure, les circonstances ne jouaient jamais en sa faveur. Fort heureusement, Thalia ponctua sa phrase accusatrice par un éclat de rire et Maybelle se détendit aussitôt. Une fois de plus, elle remerciait le ciel de lui avoir donné une cousine si patiente. « Tu sais que j'adore me faire désirer », plaisanta-t-elle à son tour, lançant un regard espiègle à la jolie brune. « Que faisais-tu? Je pari que tu as passé ton temps à contempler une aire de jeux avec plein de gosses ! Je me trompe? » Le sourire de Maybelle vola en éclats et son visage se ferma malgré elle. Elle oubliait parfois que sa cousine était psychologue et qu'elle remarquait tous les petits détails insignifiants aux yeux des autres. Comme le fait qu'elle allait souvent faire un tour du côté des aires de jeux, par exemple. « Oui, tu te trompes. J'ai juste passé beaucoup trop de temps dans la salle de bain, comme d'habitude. » Elle avait beau tout faire pour ne pas changer de comportement, elle n'y parvenait pas. Elle était sur la défensive à chaque fois que quelqu'un, peu importe qui, se montrait un peu trop curieux ou s'approchait dangereusement de son secret. Habituellement, les gens comprenaient et arrêtaient de lui poser des questions. Ils n'en pensaient certainement pas moins, mais ils avaient la décence d'accepter son mutisme et se contentaient de ses réponses plus qu'évasives. Mais pas Thalia. Elle était bien trop curieuse et perspicace pour mettre ses sautes d'humeur sur le compte de la pudeur. Et c'était plutôt énervant. Liens du sang ou pas, May n'avait envie d'évoquer cette histoire avec personne. Et certainement pas maintenant, dans un restaurant bondé. « Comment ça va, depuis la dernière fois ? », demanda-t-elle finalement en se forçant à sourire un peu, soucieuse de changer de sujet au plus vite.

Maybelle devait absolument apprendre à mieux gérer ses émotions. Même si elle faisait toujours son possible pour rester parfaitement neutre dès que Thalia se montrait trop curieuse, elle ne parvenait pas à masquer son embarras. Et cela ne faisait que renforcer le ténacité de sa cousine...  Malheureusement. « Oh ça va, je n'ai pas eu trop de visites ce matin. C'était tranquille. Et toi alors, chère cousine?  » La jeune blonde esquissa un sourire qui sonnait un peu faux, bougeant ses jambes malgré elle pour évacuer le stress. « Ça va, je continue à bosser au café et ça se passe plutôt bien », dit-elle d'un ton parfaitement courtois. La serveuse interrompit son récit peu intéressant, leur amenant les menus pour qu'elles puissent faire notre choix. May la remercia poliment avant de plonger la tête dans la carte pour éviter de croiser le regard de sa cousine. Elle savait qu'elle n'hésiterait pas à la harceler de questions si elle captait son attention et elle n'en avait pas envie. Thalia dit quelques mots mais May était trop perdue dans ses pensées pour pouvoir l'entendre. Son esprit était ailleurs. « Bon sérieusement, je sais que y'a un truc qui cloche et je sais que tu vas faire ta têtue et que tu n'en parleras pas, mais je pense que ça te ferait énormément de bien. Je vais pas faire ma psy avec toi, mais je reste ta cousine. » La jeune femme releva soudainement la tête, interpellée par les propos de la jolie brune. Pourquoi fallait-il que sa cousine soit psychologue ? Pourquoi fallait-il qu'elle insiste autant et qu'elle cherche absolument à savoir le pourquoi du comment ?  « Je ne vois pas de quoi tu parles, Thalia », mentit-elle avec plus ou moins de conviction. « Y a absolument rien qui cloche. Tout va très bien. Vraiment. » Elle était probablement la pire menteuse de tous les temps et malgré tous ses efforts, elle était persuadée que la belle psychologue ne laisserait pas tomber. May avait beau lui dire de ne pas s'inquiéter, de ne plus poser de questions et de ne plus s'occuper d'elle, Thalia persistait à vouloir connaître la vérité. Et tôt ou tard, elle finirait par l'entendre. Cela faisait trois ans que Maybelle tenait le coup mais plus les jours passaient, plus elle se sentait flancher. Elle lui dirait la vérité un jour ou l'autre - mais le plus tard serait le mieux. Elle n'avait pas envie d'être confrontée au jugement de sa propre cousine. C'était déjà bien assez difficile comme cela. « J'ai pas envie d'en parler », dit-elle finalement, replongeant la tête dans le menu. Elle venait, pour la première fois, de sous-entendre qu'elle avait effectivement un problème. Et elle le regrettait déjà ; Thalia allait sans doute redoubler d'efforts pour la faire cracher le morceau et elle n'en avait pas envie. « Alors, qu'est-ce que tu vas prendre ? », demanda-t-elle soudainement, pour éviter de continuer cette conversation gênante. Elle n'était spécialement intéressée par les plats proposés par ce restaurant mais si elle meublait la discussion, peut-être qu'elle parviendrait à esquiver les questions gênantes. « J'ai super faim ! »