acte II : le déjeuner (maddox)

La sonnerie de mon téléphone interrompit ma discussion ultra-philosophique avec mes copines de fac. Attrapant mon portable sans aucun appréhension, je fus surprise de voir que le SMS que je venais de recevoir provenait d'un numéro que je ne connaissais pas. « Si tu n'a rien de prévu entre midi je t'invite à manger un bout en ville. Je viens te chercher si tu veux. MAD. » Mad. Alors ça, pour une surprise... Je ne m'attendais pas à ce qu'il me contacte à nouveau. Je pensais qu'il allait m'oublier, passer à autre chose, voir d'autres filles (Bowen ne manquait pas de filles aussi faciles que canons, après tout) et ne jamais se servir de mon numéro. Mais visiblement, je m'étais trompée. Fixant l'écran de mon téléphone portable avec appréhension, je décidais finalement de ne pas lui répondre tout de suite. J'ignorais si ce déjeuner en sa compagnie était une bonne idée. J'ignorais si je devais accepter de le revoir, même si ma conscience me disait que c'était la moindre des choses après la façon dont je l'avais traité malgré moi... Le rejeter encore une fois n'était pas envisageable. « Lee, tu viens ? Le cours va commencer ! » Je relevais la tête, constatant que notre professeur était arrivé que la moitié des élèves étaient déjà entrés dans la classe. Glissant rapidement mon téléphone dans mon sac, je rejoignais la salle de cours tout en réfléchissant à la réponse que j'allais donner à Maddox. J'étais partagée entre mon cœur, qui ne voulait pas lui faire de peine à nouveau, et ma raison qui me hurlait de laisser tomber et ne plus jamais le revoir.

Pause de onze heures. Ces soixante minutes de cours m'avaient semblé interminables et un petit break ne me ferait pas de mal. Je pris à nouveau mon téléphone pour répondre à Maddox. J'avais décidé d'accepter sa proposition. La croyance populaire disait vrai : le cœur l'importait toujours sur la raison. Cela n'engageait à rien, après tout. C'était juste un déjeuner. On allait discuter en mangeant un morceau, rien de plus. Le prof indiqua quelques minutes plus tard que la pause était finie, reprenant ses explications barbantes et ses phrases incompréhensibles. Je soupiras doucement. Plus qu'une heure avant la délivrance. On ne dirait pas comme ça, mais enchaîner les heures de psychologie pouvait être assez éprouvant. Je sortais parfois de la fac plus crevée qu'après une journée entière au vidéoclub. Cherchez l'erreur !

Une fois le cours (enfin)terminé, je me dépêchais de sortir de la salle pour ne pas être trop en retard. Prévenant mes amies que je n'allais pas déjeuner avec elles, je me pressais de rejoindre Maddox, qui m'attendait comme convenu non loin de l'entrée de la fac.

« Salut ! », dis-je gentiment, sourire aux lèvres.

J'ignorais si je devais lui faire la bise ou non. Je ne savais même pas comment définir ce qu'on était, en fin de compte... Connaissances ? Potes ? Amis ? Il y avait une nuance entre les trois et je ne savais pas vraiment quel nom correspondait le mieux à ma relation avec lui. Mieux valait éviter d'y penser pour l'instant. Vivre l'instant présent, sans se soucier de rien marchait plutôt bien dans ces cas-là.

« Ça va ? »

J'acceptais son câlin sans broncher avant de lui sourire lorsqu'il me demanda comment c'était passé ma matinée. Je me trompais peut-être mais il n'avait pas l'air de quelqu'un qui aimait énormément l'école. Moi, j'adorais cela. Les cours étaient parfois ennuyeux comme la pluie et il m'arrivait d'avoir envie de tout arrêter mais le fait de ne pas avoir pu finir le lycée quand j'étais plus jeune m'avait beaucoup complexée. J'avais rattrapé mon retard en passant mon diplôme par correspondance l'année dernière mais je gardais une réelle envie de faire des études. De grandes études. Histoire de prouver au monde entier (et à moi-même) que je n'étais pas qu'une idiote et que je pouvais réussir. Voilà pourquoi j'attachais tant d'importance à la fac, voilà pourquoi je n'aimais pas sécher les cours.

Il ne me laissa pas le temps de lui répondre et m'embarqua pour une promenade dans les rues de Bowen. J'étais nettement moins à l'aise que la première fois où je l'avais vu, je devais l'avouer. Marchant en enfonçant les mains dans les proches de mon pantalon, je regardais distraitement autour de moi. Je me demandais ce que mes copines de fac penseraient si elles me voyaient avec Maddox. Elles seraient sans doute surprise. Qui ne le serait pas, d'ailleurs ? La voix du jeune homme me tira de mes pensées et ça remarque me refroidit un peu. "Je te préfère dans la même tenue que la nuit dernière" ? Ce n'était pas le genre de truc qu'une fille aimait entendre. Enfin, pas moi en tout cas. J'avais soudainement l'impression que tout ce qui l'intéressait, c'était de me voir sans mes vêtements. Ce qui était plutôt normal, en y réfléchissant bien, puisque j'avais couché avec lui avant même d'apprendre à le connaître... Bien joué, Emily. Maintenant que j'étais sobre et que l'alcool ne faisait plus effet, j'étais bien moins entreprenante. Pire, même : je me sentais honteuse à l'idée de ce que j'avais fait. Cela ne me ressemblait pas. J'étais plutôt sérieuse. Et sage. Passer la nuit avec un homme que je connaissais à peine n'était pas dans mes habitudes.

« Merci, c'est gentil », répondis-je tout de même en levant les yeux vers lui.

Puis nous entrions dans un restaurant Italien. Et cela me fit penser à Casey malgré moi. Mon ex-mari était Italien et forcément, il avait l'habitude de cuisiner des plats qui lui rappelaient ses origines... Ce n'était pas l'endroit idéal pour me changer les idées mais la compagnie de Maddox m'y aiderait peut-être. Essayant de chasser tout cela de mon esprit, je m'installais à la table désignée par la serveuse avant de sourire à Mad. Son invitation m'avait fait plaisir et j'espérais que nous passerions un bon moment.

« Je ne pensais pas que tu allais me contacter, pour être honnête... Je pensais que tu étais fâché et que tu ne voudrais plus jamais me voir. Qu'est-ce qui t'as poussé à m'inviter à déjeuner ? »

J'étais curieuse de connaître la réponse. J'étais persuadée qu'il m'avait oubliée, qu'il n'allait jamais me rappeler et que toute cette histoire était terminée. Surtout après la façon dont je l'avais fait tourner en bourrique... Mais au final, voilà qu'il m'invitait à passer du temps avec lui. Je n'avais rien contre au contraire. Il était gentil et j'appréciais sa compagnie. Mais je me demandais quelles étaient réellement ses intentions.

Le discours de Maddox me surprit un peu. Beaucoup, même. Il cherchait visiblement à deviner ce que j'avais en tête mais je ne voyais pas où il voulait en venir. Je n'avais pas l'impression d'avoir un problème, j'agissais le plus naturellement possible et j'étais désolée d'être beaucoup moins à l'aise que la Emily qu'il avait rencontré dans ce bar. Le serveur nous apporta les menus mais je ne détachai pas mon regard de Maddox pour autant. Il n'avait pas fini de parler et je voulais entendre ce qu'il avait à dire. Lorsqu'il évoqua Casey, mon visage se décomposait. Comment était-il au courant de son existence ? Même alcoolisée, je ne pense pas l'avoir évoqué à un quelconque moment quand nous étions au bar.

Interpellée, je me contentais de le regarder dans les yeux en cherchant quoi répondre. J'étais surprise, en fait. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me pose ce genre de questions. Mais il avait été honnête et je me devais de l'être aussi. De toute façon, je détestais le mensonge.

« Je n'ai aucun problème, rassure-toi. Je veux dire, je ne pense pas être la seule fille de vingt-et-un ans qui s'amuse... Si ? Les gens ne sont peut-être pas comme ça aux États-Unis, je n'en sais rien. Mais en Australie, c'est assez courant de voir des filles de mon âge, voire même plus jeune, profiter de la vie. »

J'avais dit cela très calmement, ponctuant ma dernière phrase d'un sourire. Je ne voulais pas qu'il pense que j'avais mal pris ce qu'il m'avait dit. En réalité, j'étais même touchée qu'il s'inquiète pour moi. Il me rappelait un peu mon père. Enfin, les quelques souvenirs que j'avais de lui en tout cas.

« Je n'ai pas peur de toi, Maddox. Je sais que tu n'es pas dangereux », repris-je en faisant référence au fait qu'il faisait partie d'un gang. « T'es impressionnant et super charismatique mais je sais que je ne risque rien avec toi. Et je le savais aussi le soir où tu m'as ramené chez toi, sinon je ne t'aurais jamais suivie. »

Je sous-entendais que jamais je n'aurais pris de risque si je n'avais pas été sûre de lui, qu'il n'avait pas à s'inquiéter pour moi. Il prétendait que je n'avais rien à faire avec quelqu'un comme lui mais... Pourquoi pas ? J'étais assez grande pour choisir mes fréquentations toute seule. D'ailleurs, je le faisais depuis que j'étais gosse. Et j'étais plutôt du genre méfiante. S'il avait réussi à m'amadouer, alcool ou pas, c'est que j'avais eu confiance en lui. Suffisamment pour le suivre jusqu'à chez lui en tout cas.  

« C'est adorable de t'en faire pour moi mais je t'assure, je vais bien et il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Je sais que c'était certainement une erreur de passer la nuit avec toi alors qu'on se connaissait à peine mais y a pas mort d'homme... C'est peut-être pas réciproque, mais je suis contente de te connaître. Je t'aime bien, tu sais. »

Je lui adressais un nouveau sourire avant de me préparer à aborder le sujet "Casey". Vaste dossier dont je n'aimais pas vraiment parler, à vrai dire. Que savait-il exactement sur mon ex-mari ? Le connaissait-il ? J'espérais que non. Si Casey venait à apprendre ce que j'avais fait, j'étais bonne pour quitter Bowen. J'aurais trop honte pour le regarder en face après ça.

« Je ne sais pas comment tu as entendu parler de Casey mais je ne joue pas. Ni avec toi, ni avec lui. Casey, c'est... Je n'aime pas en parler, mais ça n'a aucun rapport avec toi ou avec ce qu'il s'est passé entre nous. C'est juste que c'était la première fois que je me retrouvais dans le lit d'un mec que je ne connais pas et que je n'ai pas su comment réagir. J'aurais pas dû essayer de te séduire, l'autre matin. Mais sur le coup, j'en avais vraiment envie. Peut-être parce que je n'avais pas encore totalement décuvé et qu'avec de l'alcool dans le sang, on est beaucoup plus audacieux. Ou peut-être parce que tu me plais, je n'en sais rien. C'était une erreur parce que maintenant, tu dois me voir comme une allumeuse alors que ce n'est pas du tout le cas. J'avoue que j'ai du mal à te regarder en face sans rougir, parce que faire ce genre de trucs, ça ne me ressemble pas. Et je n'ai pas envie que tu aies une mauvaise opinion de moi... Mais je ne regrette rien. »