it's gotta be you + maydriss.

Cet après-midi là, j’avais reçu un SMS de ma meilleure amie. Elle me donnait rendez-vous à vingt heures au bar du coin, histoire de passer une soirée toutes les deux, rien qu'entre filles. J’étais partante, évidemment, mais je devais impérativement passer par la case « parents » pour obtenir une permission de sortie… J’avais beau avoir presque vingt ans, je restais sous leur joug et me pliais sans broncher à leurs exigences. La seule fois où je leur avais désobéi n’avait pas été glorieuse et je ne voulais pas retenter l’expérience. Par miracle  (et après plus d'une demi-heure de supplications), j'avais réussi à convaincre mon père de me laisser la permission de minuit. J’avais l’impression d’être une Cendrillon des temps modernes et même si ce n’était pas très gratifiant, je préférais sortir quelques heures que ne pas sortir du tout. Voir Aléna me faisait toujours du bien, même si ce n'était que pour quelques minutes. Après avoir enfilé un pantalon pris au hasard dans mon armoire et un haut à l’effigie de Batman, je quittai finalement ma chambre pour prendre mon sac et ma veste dans l’entrée, où mon père me rappela une bonne dizaine de fois de "ne pas le décevoir à nouveau" et de "faire très attention à ce que je faisais". Toujours la même rengaine...

Après quelques minutes de marche dans les rues de Bowen, j'entrai finalement dans le bar où nous avions rendez-vous et… Oh non, dites-moi que je rêve. Ydriss. Ydriss était là, seul, assis à une table un peu plus loin. Bizarrement, j'étais sûre que ma détestable meilleure amie était derrière tout cela et que sa présence ici n'avait rien d'un hasard. J’aurais pu partir sans demander mon reste mais malheureusement, mon regard croisa le sien – et quel regard, mon dieu ! – et je n’eus d’autre choix que de me joindre à lui. « Hey ! », dis-je avec mon entrain habituel en m'approchant de lui. J’espérais vraiment qu’Aléna était simplement en retard. Qu’elle allait finir par se pointer et que le fait qu'Ydriss soit là n'était qu'une malheureuse coïncidence. Mais au fond de moi, je la connaissais assez bien pour savoir qu’elle avait monté cette "soirée" de toutes pièces, histoire que lui et moi nous retrouvions en tête-à-tête. Elle était sûrement planquée dans un coin de la pièce à nous regarder en se marrant comme une idiote... Pitoyable. « Laisse-moi deviner : Aléna t'a donné rendez-vous ici, à toi aussi ? », demandais-je en souriant. J’ignorais qu’elle souhaitait se lancer dans une carrière d’entremetteuse... Certes, elle savait qu’Ydriss me plaisait (beaucoup) et j’avais cru comprendre que je ne lui étais pas indifférente non plus mais de là à imaginer un plan pareil pour qu’on se retrouve tous les deux… C'était tellement ridicule. Et ingénieux, je devais l'avouer. Elle savait que j'étais incapable de me lancer dans une déclaration enflammée, même si Ydriss m'avait plus dès la première fois où je l'avais rencontré. Je m'étais toujours interdit de m'attacher aux garçons que je rencontrais, de peur que l'histoire se répète, et la perspective de passer une soirée avec lui me plaisait autant qu'elle m'angoissait. La séduction n'était pas mon terrain de prédilection et à vrai dire, j'étais complètement nulle en matière de drague.

Aujourd'hui était une journée que j'attendais depuis bien longtemps. J'avais enfin une journée de congé, après deux semaines sans en avoir eu. Parfois, je regrettais sincèrement l'époque où je devais me lever à sept heures pour aller en cours. Là, au moins, j'avais deux mois de vacances sans rien faire, ici, au McDo, c'était bien plus différent, mais je ne m'en plaignais pas parce que malgré tout, j'adorais ce boulot qui me permettait de vivre à peu près normalement. Donc, ce qui était certain, c'est que je n'allais pas rester cloîtré entre quatre murs à ne rien faire, au contraire. Et puis, j'étais assis dans mon canapé, cherchant mille possibilités pour sortir de chez moi, quand je reçus un sms. C'était Aléna, ma meilleure amie. Elle tombait à pic : elle me donnait rendez-vous dans un bar vers vingt heures. Mes heures de travail ne me permettant pas de passer du temps avec elle, je n'avais pas pu refuser une si belle occasion. J'acceptais donc, ça me permettrait de souffler un peu et de changer d'air, parce qu'à force, les frites m'insupportaient au plus haut point. Ma marraine - ma tutrice, ne demandait pas mieux que de me voir sortir. Elle le prendrait moins bien si elle savait que c'était une fille, quoiqu'il n'y ait pas de craintes à avoir puisque c'est ma meilleure amie, et quand bien même elle ne surveillait pas mes fréquentations.

Dix-neuf heures trente-cinq. Tiens, pour une fois que je n'étais pas en retard. Je me connaissais, Aléna savait que si elle ne me voyait pas après une heure - voire deux, il ne fallait pas qu'elle s'inquiète. Elle s'y était habituée après trois ans. Pour une fois, j'avais décidé de m'y prendre plus tôt pour qu'à mon arrivée elle ne soit pas en train de râler. Après avoir marché pendant dix minutes dans les rues de Bowen, mouillées à cause de la pluie - il faut dire que la météo n'était pas joyeuse ces temps-ci -, j'arrivais enfin au lieu de rendez-vous. Le bar n'était pas plein. Je regardais de tous les côtés si je n'apercevais pas une chevelure blonde mais rien, elle n'était pas encore là. Cette fois, c'était moi qui devais attendre. Installé à une table, je regardais devant moi les gouttes de pluie qui tombaient du toit. Ce n'était pas fort distrayant en temps normal mais ça m'amusait tout de même. L'attente était longue, alors que ça ne faisait que quelques minutes que j'étais là. Je détestais attendre, mais je connaissais Aléna, elle ne tarderait pas à arriver. Au bout de quinze minutes, une chevelure blonde s'approchait de la porte d'entrée. J'étais prêt à l'accueillir chaleureusement lorsque cette dernière leva la tête et qu'il ne s'agissait pas de ma meilleure amie, non, mais bien de Maybelle Goodwin. Sa présence me paraissait assez étrange sachant qu'Aléna m'avait beaucoup parlé d'elle et que, bien entendu, je n'y étais pas indifférent puisque l'on s'était croisé à plusieurs reprises. Et bizarrement, je me disais qu'elle n'était pas là pour rien, et directement, l'idée qu'Aléna l'ait faite venir pour nous arranger le coup me paraissait plausible. La jeune blonde s'approchait doucement de moi et nos regards se croisaient ; ses yeux étaient magnifiques soit-dit en passant. « Hey ! » Je lui esquissais un des plus beaux sourires que je pouvais offrir. Je redoutais un peu qu'elle reste ici, moi qui étais persuadé qu'Aléna arriverait d'une minute à l'autre mais c'est quand elle m'expliqua que ma meilleure amie lui avait donné rendez-vous ici, au même endroit comme elle l'avait fait avec moi que je perdais tout espoir qu'elle arrive. Bizarrement, à ce moment précis, j'aurais voulu l'étrangler, je la détestais, mais d'un côté, si elle avait fait ça c'est qu'elle estimait qu'on allait bien ensemble. « Laisse-moi deviner : Aléna t'a donné rendez-vous ici, à toi aussi ? » À ce moment, j'étais un peu dégoûté en fait. « Hey ! Dans le mille... Attends que je la vois, elle. » dis-je en plaisantant. Je ne savais pas comment la soirée allait se terminer, mais ça m'angoissait autant que ça me plaisait. Et puis, ce n'était pas la mort de devoir passer une soirée en compagnie de May. Au contraire.

© charney

Le sourire d'Ydriss me fit soudainement oublier toute la rancœur que j'avais à l'égard d'Aléna. Comment pouvais-je lui reprocher de m'avoir organisé une soirée en compagnie du garçon qui me faisait craquer ? Elle avait fait cela pour moi, parce qu'elle pensait que c'était le meilleure chose à faire - et qu'elle avait raison, même si je peinais à me l'avouer. Sans l'ingéniosité de notre meilleure amie, nous aurions été bien incapables d'échanger plus de quelques mots. Je ne savais pas où cette soirée allait nous mener mais je n’étais pas mécontente du stratagème d’Aléna. Ydriss me plaisait et j'allais enfin avoir l'occasion d'apprendre à mieux le connaître. « Hey ! Dans le mille... Attends que je la vois, elle. » Je lui adressais un sourire amusé avant de m'asseoir en face de lui. Quitte à passer la soirée ensemble, autant prendre ses aises dès maintenant. « On s’est fait avoir comme des débutants », soupirais-je. « Et je suis sûre qu'elle est planquée dans un coin du bar, à surveiller nos moindres faits et gestes... »  Je regardais furtivement autour de moi, tentant d’apercevoir la petite tête blonde dont nous étions si proches. Mais rien. Elle était sûrement cachée derrière une plante verte ou sous une table. Venant d’Aléna, rien ne m’étonnait. Je reportais finalement mon attention sur Ydriss, m’autorisant à l’observer pendant quelques secondes. J'aurais pu me perdre dans ses yeux pour le restant de mes jours. Sans mentir, c'était le garçon le plus beau que j'aie jamais vu de toute ma vie – et j’étais très objective. Enfin, j’essayais de l’être (ce qui était plutôt compliqué alors qu'il était là, en face de moi, à me regarder). « Bon, eh bien... Je crois qu'on va devoir passer la soirée tous les deux », dis-je en souriant. Ce n'était pas un supplice, bien au contraire. C'était juste... tellement irréel. Je ne m'étais jamais retrouvé dans une telle situation. J'évitais généralement les rendez-vous galants. Et cette soirée en était un, même si ni lui ni moi ne l’avions prévu. « Enfin, tu veux peut-être retourner chez toi ? » J’avais ajouté cela d’un ton légèrement paniqué et totalement pathétique. Comme si je craignais qu’il ne veule pas passer du temps en ma compagnie et qu’il prenne la poudre d’escampette sans me laisser une chance. C’était le cas, en réalité. J’avais peur qu’il se lève et dise "désolé mais j’étais venu pour Aléna, te voir ne m’intéresse pas du tout". Soudainement stressée à l'idée qu'il puisse se lever et partir sans attendre, je passais une main dans mes cheveux pour essayer de me masquer mes angoisses. Je ne savais pas si je serais capable de gérer un échec sentimental mais je ne pouvais pas le forcer à rester avec moi s'il n'en avait pas envie.

En temps normal, il est vrai que j'aurais pu très bien étrangler Aléna et la noyer tant elle m'avait énervé. Je détestais qu'on s'occupe de mes affaires, encore plus lorsqu'il s'agissait des amours. Mais d'un autre côté, je ne pouvais pas lui en vouloir puisque c'était sur cette fille qui me faisait craquer. Le fait que ce soit Maybelle au lieu d'une autre m'avait plutôt plu, je ne voulais pas me retrouver en compagnie d'une fille dont j'ignorais complètement l'identité. Bien que cette perspective m'avait fait sourire, je n'en connaissais pas plus sur la jeune blonde devant moi. C'est pour cela que j'aurais souhaité qu'Aléna soit à mes côtés, même si, aussi diplomate qu'elle puisse paraître, elle aurait trouvé tous les moyens possibles et inimaginables pour que l'on sorte ensemble du premier coup. Sincèrement je crois que rester rien qu'avec elle était beaucoup plus bénéfique et judicieux, au moins, j'aurais l'occasion d'en apprendre plus à propos de Maybelle. « On s’est fait avoir comme des débutants. Et je suis sûre qu'elle est planquée dans un coin du bar, à surveiller nos moindres faits et gestes... » Un sourire amusé apparaissait sur son visage, ce qui m'arrachait un sourire à mon tour. Un sourire débile, ridicule, et c'était sûrement pathétique à voir. Elle s'installait devant moi, et je me rendis compte que j'étais complètement affalé sur la table, ce n'était pas très respectueux. « La connaissant, elle en serait bien capable. » Ces mots parvenaient seulement à mon esprit que je tournais vivement la tête de tous les côtés, pratiquement certain que ce que l'on disait s'avérait vrai. Et puis, zut, je devais bien l'oublier quelques instants, j'étais avec la fille qui me faisait littéralement craquer, je devais en profiter. « Bon, eh bien... Je crois qu'on va devoir passer la soirée tous les deux » Son sourire était la plus belle chose que j'aie pu voir dans ma vie, il me mettait un peu mal à l'aise d'ailleurs. Le ton de sa voix me faisait penser qu'en fait, elle aurait voulu passer cette soirée en compagnie de sa meilleure amie, ce qui était tout à fait compréhensible, mais à ce moment-là, j'angoissais sérieusement de la voir partir. Pour ma part, cette perspective ne me dérangeait pas plus que cela, voire même pas du tout. C'était une très belle occasion et jamais, au grand jamais, je n'aurais pu lui dire sans scrupule que je préférais rentrer chez moi, gentleman oblige. Et puis, même si je ne l'étais pas, je ne voulais pas passer au-dessus du fait que je puisse passer la soirée avec mon "crush". « Enfin, tu veux peut-être retourner chez toi ? » Je la voyais totalement paniquée à l'idée qu'elle me voie partir. Partir n'était pas du tout ma première idée, et c'était d'ailleurs une chose que je n'envisageais même pas. Avant qu'elle me demande ça, ça n'avait même pas traversé mon esprit. « Le prends pas mal surtout, hein... » J'avais rajouté une point de désolement dans ma voix, pour lui faire croire que ses craintes allaient devenir vraies. J'étais prêt à partir, je jouais avec elle, et aussi probablement avec ma seule chance. Elle ne le savait pas encore, mais j'adorais taquiner les gens, et là, j'avoue craindre qu'elle ne le prenne mal. « Je rigole. J'adorerais passer la soirée en compagnie d'une aussi jolie fille que toi. » D'accord, avouons-le nous, ma technique de drague était dépassée et totalement pathétique, mais je préférais lui dire véritablement ce que je pensais, même si elle n'en savait qu'un dixième. J'esquissais un sourire en guise d'excuse pour cette blague de très mauvais goût et levais la main comme pour appeler le serveur. Finalement, cette soirée promettait grandement.

© charney

Plus les minutes passaient, plus ma rancœur envers Aléna se transformait en admiration. Monter un tel plan pour qu'Ydriss et moi nous retrouvions seul à seule était machiavélique mais aussi - et surtout - très judicieux. Grâce à elle, j'allais enfin avoir l'occasion de le connaître un peu mieux et de voir s'il était aussi parfait que je le pensais. J’avais craqué pour lui dès la première fois où je l’avais vu mais au final, nous ne connaissions rien l’un sur l’autre… Hormis ce que notre meilleure amie nous avait raconté, évidemment. J’espérais qu’elle avait dit vrai lorsqu’elle m’avait assuré que ce « coup de cœur » était réciproque mais mes angoisses prirent vite le dessus. Je le voyais déjà se lever et quitter le bar après avoir inventé une excuse bidon pour ne pas rester une seconde de plus à mes côtés… « Le prends pas mal surtout, hein... » Et voilà. Comme je l’avais imaginé, il ne voulait pas passer plus de temps en ma compagnie. Son air désolé ne trompait pas : il était venu pour voir Aléna et l’idée de se retrouver en tête-à-tête avec ne l’enchan – « Je rigole. J'adorerais passer la soirée en compagnie d'une aussi jolie fille que toi. » Le flot de pensées négatives qui traversait mon esprit à une vitesse record cessa soudainement. J’étais soulagée – et flattée, bien évidemment. Je ne me trouvais pas particulièrement jolie ni même intéressante, savoir qu’un garçon tel qu’Ydriss m’aimait bien (au moins un peu !) était très plaisant. « Tss. T’as de la chance d’être mignon, sinon je crois que je t'en aurais voulu », plaisantais-je, sans pouvoir m’arrêter de sourire pour autant. C’était probablement la réplique la plus nulle de tous les temps, mais je n’avais jamais su comment parler aux garçons… À vrai dire, je n’avais jamais eu de vrai petit-ami alors l’art de la séduction n’était pas vraiment mon truc. « Je dois t’avouer que je n’ai jamais eu de rendez-vous avec quelqu’un avant, alors je ne sais pas vraiment comment on s’y prend… » Venais-je réellement de lui avouer que je n’étais jamais réellement sortie avec aucun garçon ? Merveilleux ! Si je continuais sur cette lancée, il allait finir par prendre ses jambes à son cou… Sentant mes joues s’empourprer, je me pinçais doucement les lèvres pour éviter de me taper la tête contre la table. Je devais penser à réfléchir avant de dire tout ce qui me passait par la tête, sans quoi Aléna m'étriperait. Elle ne s'était pas donné tout se mal pour que j'anéantisse tous ses efforts en un éclair... Heureusement, un serveur arriva à notre table pour savoir ce que nous voulions. Après quelques secondes de réflexion, mon choix se porta sur un cocktail sans alcool puis j'adressais un sourire à Ydriss en attendant qu'il passe commande à son tour. J'avais sûrement l'air idiote, avec mes grands yeux émerveillés et mon sourire béat collé aux lèvres à chaque fois qu'il ouvrait la bouche... Ce garçon avait vraiment un drôle d'effet sur moi. « Parle-moi un peu de toi », dis-je finalement une fois le serveur partit. J'avais hâte d'en apprendre un peu plus. Sa famille, ses passions, ce qu'il faisait de ses journées... Je voulais tout savoir. Outre le fait qu'il était extrêmement séduisant, qu'il travaillait dans un fast-food et que nous avions la même meilleure amie, j'ignorais tout de lui.

Au fil des secondes qui passaient, j'aurais vraiment voulu qu'Aléna sorte d'un coup du dessous d'une table. En y pensant, je l'imaginais très bien courir vers notre table en criant "surprise", mais ça aurait gâché tout l'effet de surprise. Le fait qu'elle nous ait réuni tous les deux transformait radicalement ma haine en son égard en engouement. Finalement, la jeune blonde n'avait pas fait cela dans le but de nous rabaisser, de passer pour des imbéciles, mais bien pour que l'on apprenne à se connaître, et je trouvais ça certes machiavélique, mais assez plaisant. Aléna était décidemment un génie, et dorénavant je la vénérais plus que quiconque. D'après ses dires, Maybelle était parfaite, mais je préférais le constater de moi-même. Et à première vue, elle n'était pas comme les autres filles; elle était spéciale, je ne sais pas encore pourquoi... « Tss. T’as de la chance d’être mignon, sinon je crois que je t'en aurais voulu » dit-elle en souriant. Bizarrement, son compliment - si on peut appeler ça comme ça, flattait mon ego à un très haut niveau, mais ça ne me dérangeait pas pour autant. Cela semblait la faire sourire, elle : tant mieux. Son sourire m'en arrachait un à mon tour, à croire que c'était automatique. C'était d'ailleurs le plus beau que j'avais  vu depuis bien longtemps, et sincèrement, j'avais l'air pathétique à sourire de plus belle sans aucune raison.  « Je dois t’avouer que je n’ai jamais eu de rendez-vous avec quelqu’un avant, alors je ne sais pas vraiment comment on s’y prend… » Je la regardais dans les yeux, sans trop insister pour ne pas l'effrayer. Après tout, tout a une première fois, et j'étais, d'un côté, heureux qu'elle la passe en ma compagnie. « Il n'y a aucun souci. Je ne mords pas, tu sais. »  déclarais-je en lui faisant un léger clin d'oeil, de quoi détendre l'atmosphère. Vu sous un autre angle, ce que je disais me paraissait complètement ridicule, j'avais l'impression d'agir comme un dragueur qui, en fait, n'en était pas un - ou du moins un très mauvais. Je détestais le fait que je veuille me donner une autre facette devant les filles, surtout qu'apparemment, Maybelle n'était pas comme les autres. Heureusement, un serveur s'amena à notre table - sauvé par le gong, comme on dit souvent - et nous demanda ce que l'on voulait commander. May opta pour un cocktail sans alcool, je fis pareil. Choix judicieux. Et puis vint cette question... « Parle-moi un peu de toi ». Étrangement, mon estomac se nouait d'un coup. Je n'avais rien de bien intéressant à dire, pourtant. « Hum... et bien... j'ai vingt ans, je travaille au McDo, je suis célibataire, j'adore les ordinateurs, je vis chez ma tante... Enfin, tu sais, j'ai pas une vie très passionnante. Et toi ? » lui répondais-je en esquissant un grand sourire, faisant remonter mes pommettes.

© charney

J'avais cru remarquer qu'Ydriss souriait à chaque fois que je disais quelque chose - ce qui me faisait sourire à nouveau. C'était un cercle sans fin. Mais ce n'était sûrement qu'une malencontreuse coïncidence. Ou bien peut-être qu'il se moquait de moi, qui sait ? Je venais tout de même de lui avouer que je n'avais jamais eu de réel "rendez-vous" avant celui-là, il y avait de quoi rire ! Il avait dû avoir des tas de rendez-vous et des tas de petites amies, je venais probablement de baisser dans son estime avec cette révélation pas franchement flatteuse... « Il n'y a aucun souci. Je ne mords pas, tu sais. » Mes doutes venaient de s'envoler à une fraction de seconde, un large sourire s'emparant à nouveau de mes lèvres. Si ça continuait ainsi, j'allais finir par avoir des crampes dans la mâchoire. Je devais avoir l'air tellement idiote, à sourire comme une imbécile à chaque fois qu'il prononçait le moindre mot... Une vraie potiche. Son clin d’œil me fit rougir malgré moi et je baissais les yeux une seconde avant de reporter mon attention sur lui. J'avais beau essayer de ne pas trop m'emballer, je me devais de constater qu'il semblait réellement aussi parfait qu'Aléna l'avait dit... Et c'était désolant pour un cœur d'artichaut comme moi. Comment ne pas s'attacher lorsqu'on a la perfection incarnée sous les yeux ? Après avoir passé commande, Ydriss m'en dévoila un peu plus sur lui et je l'écoutais avec la plus grande attention, buvant littéralement ses paroles. « Hum... et bien... j'ai vingt ans, je travaille au McDo, je suis célibataire, j'adore les ordinateurs, je vis chez ma tante... Enfin, tu sais, j'ai pas une vie très passionnante. Et toi ? » J'esquissais un petit sourire, m'accoudant à la table avant de poser mon menton dans le creux de ma main. « Je sais que tu travailles au McDo... J'ai pris quelques kilos à cause de toi, d'ailleurs ! Et je suis sûre que je ne suis pas la seule, tu dois attirer pas mal de clientèle féminine », plaisantais-je, sous-entendant que je me rendais dans ce célèbre fast-food juste pour lui. Même si j'avais dit cela sur le ton de la rigolade, j'étais plus ou moins sérieuse... Il m'arrivait de temps à autre d'aller au McDo, seule ou avec Aléna, et de me mettre dans un coin pour observer Ydriss. Pas d'une manière malsaine, évidemment, je n'étais pas une psychopathe ! Je voulais juste le voir un peu - tout en évitant qu'il le remarque, sans quoi il me prendrait pour une folle furieuse. « Les ordinateurs ? Ça c'est vraiment génial !», m'exclamais-je ensuite. « Va falloir que tu m'apprennes deux ou trois trucs, parce qu'à part aller sur Internet et consulter mes mails, je suis carrément nulle... » J'avais bien noté qu'il vivait chez sa tante mais je n'osais pas demander pourquoi. Nous ne nous connaissions pas encore assez pour entrer dans les déballages intimes et je ne voulais surtout pas le mettre mal à l'aise en lui demandant pourquoi il n'était pas avec ses parents. « Moi je la trouve passionnante, ta vie. Ça m'intéresse d'en apprendre plus sur toi », dis-je sincèrement à sa dernière réplique, un petit sourire aux lèvres. Puis vint mon tour de parler de moi et bizarrement, je n'avais pas grand chose à dire non plus... Mais j'allais devoir faire un effort si je ne voulais pas que la conversation tourne court. « Hmm... J'ai bientôt vingt ans, je travaille comme serveuse dans un café du centre-ville, je vis chez mes parents et ma passion à moi, ce ne sont pas les ordinateurs mais la danse ! » Je marquais une courte pause avant de hausser doucement les épaules. « Ma vie n'est pas très passionnante non plus, à vrai dire... » Je passais une main dans mes cheveux, soudainement nerveuse pour une raison que j'ignorais. « C'est marrant qu'on ne se soit jamais croisé avant... C'est une petite ville, je suis sûre qu'on a pas mal de connaissances en commun. » D'après ce qu'Aléna m'avait dit, il était lui aussi natif de Bowen et nous avions dû fréquenter les mêmes écoles, les mêmes endroits, les mêmes personnes... Le fait qu'on ne se soit jamais rencontrés auparavant était plutôt étonnant. Mais j'étais persuadée que tout arrivait pour une raison préciser et le fait qu'Ydriss n'arrive dans ma vie que maintenant était sûrement calculé.