Hello there, the angel from my nightmare # Ft May

Ce jour-là, j’avais décidé d’aller me promener sur la plage pour faire le vide. Regarder les vagues aller et venir était reposant et cela permettait de réfléchir. La plage avait toujours eu une importance capitale pour moi. À mes yeux, c’était l’endroit le plus génial de tout Bowen et ce pour une simple et unique raison : j’y avais vécu des moments merveilleux. Le plus souvent en compagnie de Nick, mon meilleur ami. Ou ex-meilleur ami, je ne savais plus très bien comment qualifier notre relation… Quand j’étais gosse, je le considérais comme un grand frère et j’étais heureuse de l’avoir à mes côtés Il était toujours là pour me protéger, quoi qu’il arrive. Nous avons grandi ensemble et je dois avouer que je me suis imaginée me marier avec lui une ou deux fois… Malheureusement les choses ne se passent pas toujours comme prévu et à présent, j’étais certaine que ce rêve idiot de mariage ne se ferait jamais. Premièrement parce que je ne le considérais plus comme un « petit ami potentiel » mais comme le meilleur ami que je puisse avoir, deuxièmement parce que nous ne nous adressions plus la parole depuis près de trois ans. Depuis le jour où j’avais dû quitter Bowen sans avoir le temps de le prévenir. Depuis que j'étais tombée enceinte et que mes parents se sentaient tellement honteux d'avoir une fille comme moi qu'ils m'ont envoyé à l'autre bout de l'Australie pour éluder le problème. Une seule petite soirée avait fait basculer ma vie et j’avais tout perdu : ma virginité, ma dignité, mes parents et mon meilleur ami. Je ne serai plus jamais la Maybelle du passé et pourtant, je faisais comme si rien n’avait changé devant les autres. Jouer la comédie était plus fatiguant qu’autre chose mais c’était mon seul recours.

Alors que j’avançais lentement, regardant les gens autour de moi, mon cœur eut un raté. Il était là. Allongé sur le sable, les yeux fermés. J’avais envie de me blottir contre lui, comme je le faisais avant. Je voulais lui parler et plus encore, je voulais qu’il me pardonne et qu’il me rassure. Il y a des gens qui comptent plus que les autres sans qu’on ne sache vraiment pourquoi. Nicholas en faisait partie. Je le connaissais depuis ma plus tendre enfance et il était l’un des piliers de ma vie. Ne plus l’avoir à mes côtés était plutôt déstabilisant. Comme si je n’étais plus totalement moi-même, comme si nous formions un tout indivisible, comme si "May sans Nicholas" ne pouvait pas exister. J’avais besoin de lui plus que n’importe qui. Après l'avoir observé pendant de longues secondes, je décidais finalement de prendre mon courage à deux mains et de m’approcher. J'avais compris que me réconcilier avec lui ne serait pas facile, mais il était hors de question que je baisse les bras. « Salut, cap’taine », dis-je en m’asseyant près de lui. J’avais l’habitude de l’appeler comme cela quand nous étions gosses. J’espérais qu’entendre ce surnom lui donnerait envie de m’adresser la parole, en souvenir du bon vieux temps. Je ramenais mes genoux vers moi, le regard perdu vers l’horizon. Il allait probablement se plonger dans le silence, une fois de plus. Même si je pouvais le comprendre, savoir qu’il ne souhaitait plus me parler me brisait le cœur. « Tu vas m’ignorer encore longtemps ? », demandais-je après un court silence, d’un air beaucoup plus désespéré que je ne l’aurais voulu.

   

« May... Je crois que je suis prêt. Je veux bien entendre tes explications. » J'étais étonnée qu'il se décide enfin à me parler. Avec les années, j'avais presque oublié le son de sa voix et l'entendre à nouveau était rassurant. Même si ses mots n'avaient fait que renforcer mon mal être. Il avait raison, je lui devais des explications. J'attrapais une poignée de sable, le laissant lentement s'échapper entre mes doigts. « Je... » C'était un bon début. Il ne me restait plus qu'à continuer et à lui avouer l'inavouable. Savoir si j'en étais capable était une toute autre histoire... « Je... » Je soupirais finalement. Lui dire la vérité était au-dessus de mes forces. « Je ne peux pas te dire pourquoi je suis partie », dis-je finalement après un petit silence, les yeux toujours fixés sur l'horizon. « Mais ce qui compte, c'est que je ne voulais pas. Je ne voulais pas partir comme ça, je ne voulais pas te laisser... Je n'ai pas eu le choix. » La culpabilité me brûlait la gorge et j'étais, une fois de plus, en colère contre moi-même. J'aurais pu blâmer le monde entier mais j'étais réaliste : j'étais la seule responsable de toutes ces choses qui ne tournaient pas rond dans ma vie. C'était moi et moi seule qui étais allée à cette fête sans permission, c'était moi et moi seule qui avais abusé des cocktails, c'était moi et moi seule qui avait fait n'importe quoi. J'aurais pu donner des nouvelles à Nicholas lorsque j'étais à Sydney mais j'en avais été émotionnellement incapable. J'avais préféré le rayer de ma vie plutôt que l'appeler pour lui dire que tout allait bien et que j'étais à Sydney pour voir du pays. Je ne pouvais pas lui mentir. « Mon père dit que c'est mieux qu'on ne se parle plus parce que tu es trop bien pour moi et que je ne te mérite pas. Je crois qu'il a raison. » Je m'autorisais enfin à tourner la tête vers lui, croisant son regard pour la première fois depuis longtemps. Je ne savais même pas ce que je ressentais exactement. Soulagement, joie, peur, gêne... Et honte, aussi. Quel genre d'amie étais-je pour l'abandonner du jour au lendemain et revenir comme si de rien n'était, sans pouvoir lui donner de réelles explications ? « Tu me manques, Nick. » C'était probablement la chose la plus sincère que j'ai dite depuis mon retour de Sydney.
   

J’ignorais s’il allait accepter de m’écouter. Je ne pouvais pas lui donner d’explication claire et pourtant, j’espérais qu’il pourrait me comprendre et qu’il me pardonnerait. Je me souvenais parfaitement qu’un soir d’été, l’année de mes neuf ans, nous nous étions juré de ne jamais nous séparer, quoi qu’il arrive. C’était une promesse de gosses sans réel intérêt mais elle comptait beaucoup pour moi. Plus jeune, je répétais souvent que nous deux, c'était à la vie à la mort. Ensemble sinon rien. Mais plus les années passaient, plus l'écart se creusait entre nous et plus je me rendais compte que les choses ne seraient plus jamais comme avant. Notre lien était brisé. Peut-être pas pour toujours, mais nous aurions beaucoup de mal à recoller les morceaux.

Au moment où je m'y attendais le moins, il se leva d’un bond et avança vers la mer. Je ne pouvais que le suivre du regard, anxieuse à l'idée qu'il puisse partir. Il aurait eu toutes les raisons du monde de me planter là, d'ailleurs, je méritais probablement le titre de "pire meilleure amie du vingt-et-unième siècle"... Alors que j'abandonnais tout espoir de pouvoir me réconcilier avec lui, il fit volte-face et se lança dans un discours qui me transperça le cœur. Il réclamait la vérité et c'était tout à fait légitime, mais j'étais incapable de le satisfaire. « Je peux pas, Nick », dis-je d'une voix mal assurée. Tête baissée, j'étais sur le point d'éclater en sanglots mais je devais faire mon possible pour me contenir. Je détestais me montrer vulnérable, même s'il m'avait déjà vue pleurer bon nombre de fois. C'était toujours vers lui que je me tournais quand je n'allais pas bien - mais je ne pouvais plus le faire, à présent.

Il tomba à genoux devant moi et je n’eus d’autre choix que de lever la tête pour croiser son regard. Cette situation le faisait souffrir autant que moi et je me sentais encore plus mal de lui infliger ça. « Dis moi May s'il te plaît. » Je secouais légèrement la tête, résistant à l'envie de tout lui avouer. « C’est mieux que tu ne saches rien… Fais-moi confiance. » Et je le pensais. Savoir la vérité ne changerait rien. Je ne voulais pas qu'il me voie autrement, j'avais peur qu'il me juge et que le fossé entre nous se fasse encore plus grand. « Je te demande juste de me pardonner et de faire comme si rien n'avait changé. D’essayer de le faire. » Je n’étais pas dupe : plus rien ne serait comme avant. Je n’étais plus la même et il avait dû changer, lui aussi. Trois ans que je ne savais plus rien de sa vie, trois ans que nous étions de parfaits étrangers. Trois foutues années remplies de doutes, de colère, de rancœur… On ne pouvait pas en sortir indemne. « Je veux que tu sois là, comme avant, et que tu me dises que tout va bien aller parce que c’est ce que j’ai besoin d’entendre. » Ma vue était brouillée par les larmes et j’étais incapable de regarder dans sa direction. Je ne pouvais pas lui mentir. J’étais incapable de jouer la comédie et de faire comme si tout allait bien parce qu’il me connaissait mieux que je me connaissais moi-même et qu’il savait interpréter chacune de mes expressions et chacun de mes silences. « Je sais que tu as toutes les raisons du monde de me détester et de m’en vouloir pour le restant de mes jours mais… Mais j’ai besoin de toi. Maintenant plus que jamais. C’est super facile de venir te demander de me pardonner après tout ce qu’il s’est passé mais je t’en supplie, me laisse pas tomber. » J’avais beau faire la fille heureuse et bien dans sa peau, ce n’était pas du tout le cas. Je n’avais plus rien. Mon monde tout entier s'était écroulé en l'espace de quelques heures et je ne parvenais pas à retrouver ma place. Je n'avais plus aucun point de repère et la seule chose qui me rattachait à mon "ancienne vie" était Nicholas. Je refusais de le perdre, lui aussi. Ma mère me répétait souvent que le temps pansait les blessures et que tout finirait par rentrer dans l'ordre ; elle se trompait. Le temps n'effaçait ni les regrets, ni la culpabilité. Et il ne refermait pas non plus les blessures. Il ne faisait que les accroître davantage au fil des jours.
   

Dans la vie, on rencontrait des tas de gens. Des personnes qui nous marquaient plus ou moins, de faux amis, de bons copains... Mais au final, il n'y avait pas autant de rencontres inoubliables qu'on pouvait le penser. Généralement, les gens allaient et venaient, ils entraient et sortaient de notre existence parce que le temps avait raison du lien qui nous unissait. Maintenant que Nicholas était à nouveau en face de moi et qu'il était près à me pardonner malgré toutes les erreurs que j'avais commises (malgré moi), je prenais conscience qu'il faisait partie de ces gens que je ne voulais pas perdre. S'il y avait bien une rencontre marquante dans ma vie, c'était lui. Mon meilleur ami, mon confident, mon frère de cœur... La seule personne qui ne me laisserait jamais tomber, quoi qu'il arrive. Les épreuves rencontrées au cours de ces dernières années avaient quelque peu altéré ma foi, mais je remerciais tout de même le Ciel d’avoir mis un garçon de cette exception sur ma route. Sans lui, ma vie aurait été bien plus terrible.

Il me serra dans ses bras et je fermais les yeux, laissant mes larmes couler librement sans essayer de les retenir. C’était Nicholas, il me connaissait par cœur et je n’avais pas besoin de faire semblant avec lui. Nous avions toujours tout partagé, les bons comme les mauvais moments. Il m’avait déjà vue euphorique, malade, en larmes, pleine de doutes, heureuse, déprimée… Il ne s’offusquerait pas de me voir pleurer – et cela faisait tellement longtemps que je retenais ces sanglots que j’avais réellement besoin de lâcher prise. Son discours me rassura et lorsqu’il planta un baiser sur ma joue avant de me dire qu’il m’aimait, je resserrais mes bras autour de lui. Je ne voulais plus jamais qu’il s’éloigne, il m’avait bien trop manquée. « Je t’aime aussi, Cap’taine. Très fort. » Ma voix était tremblante à cause des sanglots qui nouaient ma gorge, mais j’étais on ne peut plus sincère. Je l’aimais d’un amour inconditionnel. Il s'allongea finalement sur le sable, m'attirant à lui pour prolonger notre étreinte. Et bizarrement, dans ses bras, j’avais l’impression que ma vie prenait à nouveau un sens. C’était étrange de se dire qu’il avait autant d’importance à mes yeux, mais c’était la stricte vérité. Comme si je ne pouvais réellement être moi-même qu'avec lui.

Après avoir sangloté quelques minutes encore, je décidais de reprendre le contrôle et d’arrêter de pleurer. Je me sentais toujours coupable de ne pas lui avoir dit la vérité mais j'étais aussi soulagée que nous nous soyons réconciliés. Notre amitié était à toute épreuve. « Merci, Nick. J’ai vraiment de la chance de t’avoir. » Je déposais un baiser dans son cou avant de relever un peu la tête pour pouvoir le regarder correctement. Il avait changé. Il était plus mature, plus 'adulte", comme si ces trois années passées loin de lui l'avaient fait grandir pour de bon. Il n'était plus l'adolescent mignon pour qui j'avais eu le béguin quelques années plus tôt mais un jeune homme extrêmement séduisant avec qui j'avais une relation particulière. Mais je ne devais pas penser à cela. Ce n’était ni l’endroit, ni le moment. Et puis, je n'avais pas le droit de le trouver séduisant. C'était Nick, mon "brother from another mother", celui que je considérais comme un frère. Je chassais ces pensées parasites de mon esprit et lui adressais un petit sourire, me rendant compte que je n'avais pas répondu à sa proposition. « On passe la soirée chez toi ? Comme avant. » Nous avions tellement de choses à rattraper… J’étais heureuse de me dire qu’à présent, je pourrai le voir autant que je le voulais. Comme au bon vieux temps, quand nous passions la plupart de nos soirées ensemble à discuter, se goinfrer et regarder des films qu'on avait déjà vu mille fois.