(#07) Comme des enfants - Lula

Il était 6h30 du matin et Julian venait à peine de rentrer à l'appartement. Encore une fois, il avait découché et à vrai dire, personne ne savait réellement où il passait ses nuits. A peine eut-il mis un pied dans l'entrée que son golden retriever, Shadow, lui sauta dessus pour lui faire la fête. Après lui avoir donné son quota de caresses, il regarda l'animal rejoindre son panier et fermer les yeux, rassuré d'avoir retrouvé son maître. Le jeune homme se dirigea alors vers la grande fenêtre du salon qu'il ouvrit, se posant un bref instant sur le balcon. Il posa le sachet de croissants tout chauds - quel colocataire attentionné ! - sur la table puis s'alluma une cigarette. Tout était silencieux : la rue, l'appartement, et cela en devenait ennuyeux, voire même oppressant. Et l'ennui, pour Julian, c'était inacceptable. Il tira sur sa cigarette, laissant la fumée envahir ses poumons, quand soudain d'un pas déterminé, il entra de nouveau dans le salon et prit la direction d'une des chambres. Celle de Lula bien évidemment. S'il y en avait bien une à embêter, c'était elle. Il tapa un bref coup sur la porte et entra, sans attendre l'aval de la demoiselle. Il savait pertinemment qu'elle dormait. Une fois à l'intérieur, il alluma la lumière et lança, d'une voix forte et sur un ton jovial :

DEBOUUUUUUUUUUUUUUT ! C'est l'heuuuuuure ! Il faut se lever ou tu vas être en retard pour bosser.

Quand soudain, en surjouant, il se stoppa net, mit la main devant ses lèvres comme s'il avait fait une énorme bourde et ajouta :

Oups... Attends, on est quel jour ? Ah oui, on est dimanche ! Désolé !

Désolé ? Il ne l'était absolument pas. Il savait très bien que c'était le week-end, mais voilà, il ne pouvait s'empêcher de faire son chieur. C'était plus fort que lui, et encore plus, quand il avait une adversaire à sa taille qu'il avait trouvé en la personne de Lula. Il adressa un énorme sourire à la jeune femme et avant de se prendre un flot d'injures en pleine tête, il tourna les talons et quitta la chambre de la brunette, fier de lui. C'était petit, mesquin, immature même, mais c'était tellement bon de s'amuser de telles futilités. Cela faisait énormément de bien à notre blondinet en ces jours plus ou moins sombres. Il retourna sur le balcon, posa sa béquille près de lui et s'installa sur une des chaises. A voix haute, il commença le décompte, comme s'il savait d'ores et déjà qu'elle déboulerait au plus vite :

5............. 4............... 3................ 2 ....................

Il n'y a pas à dire, ce que Julian venait de faire, c'était vraiment mauvais ! Mais il savait avec qui il pouvait le faire. Et malheureusement pour elle, Lula faisait partie de ces personnes-là. C'était d'ailleurs un lien assez spécial qui s'était tissé entre eux : ils devaient se faire des crasses, c'était obligé. Et c'était peut-être leur façon de se montrer qu'ils s'appréciaient bien, malgré tout. Après avoir fait son petit show dans la chambre - d'ailleurs, il regrettait de ne pas avoir sorti l'appareil photo, la tête de Lula était mémorable -, il s'était posé sur le balcon, comme si de rien n'était, et commença son petit décompte. 5... 4... 3... 2... 1... Bah... où était-elle passée ? Il eut à peine le temps de tourner la tête qu'il se reçut un des coussins du salon en pleine face. Pour le coup, elle savait viser ! Et elle avait réussi à le surprendre la bougresse.

Aïeuuuuuuuuuuh !

En ramassant le coussin, Julian esquissa un léger sourire en coin qui montrait clairement que le Aïeuuuh n'était que de circonstance et avait une consonance assez surjouée. Vint alors le moment le plus amusant, celui où Lula, bien en rogne, commença à lui faire des reproches. En élevant la voix en plus ! Julian y croirait presque, mais toujours aussi serein, il posa son index sur ses lèvres et lança, d'un ton presque neutre qui vous donnerez envie de lui mettre des baffes :

Chuuuuuuut, tu vas finir par réveiller nos chers voisins ! Je ne suis pas certain qu'ils apprécient ta jolie et douce voix de si bon matin...

Il la regarda, toujours avec ce grand sourire aux lèvres, et attendit qu'elle le rejoigne sur le balcon. Une fois cela fait, vint la deuxième étape après l'étape des reproches : celle des menaces. "Tu vas me le payer". Julian prit un faux air choqué et rétorqua :

Tu oserais t'en prendre à moi ? Je ne suis qu'un pauvre infirme, je te rappelle. Non mais vraiment les jeunes d'aujourd'hui, plus aucun respect ! Je viens faire mon bon colocataire, en venant gentiment te réveiller, parce que je suis soucieux de ton rythme de sommeil. C'est bien connu, dormir trop d'heures, ce n'est pas bon pour la santé, eh oui mademoiselle ! Et je récolte quoi en échange ? Des menaces ! Et puis arrête de me fixer comme ça, tu me fais peur...

Bras croisés, sourcils froncés, regard fixe, dans un autre contexte, c'était certain que Julian se méfierait de Lula, quand elle adopterait cette position. Mais là, ce n'était pas le cas... D'où son envie de la provoquer encore et encore.