Retrouvailles fortuite [Pv Khaleen]

I'TS TIME TO REMEMBER

I need to know now, can you love me again ?

Mes jambes chancelaient, ma tête tournait, j’avais des nausées, j’étais dans un état second, un état semblable à celui où l’on lutte pour ne pas s’endormir ou ne pas mourir. Apprendre tant de choses d’un coup me tuait à petit feu. Je savais déjà que ma vie n’était qu’une pure mascarade mais là c'était la goutte d’eau qui venait de faire déborder le vase portant le prénom de Khaleen. Khaleen… ce n’était même pas mon vrai prénom, mon premier prénom était celui d’Ange, prénom que je portais en second désormais. Mon père ignorait que je savais tout, que j’étais au courant que je n’étais pas de son sang. Il avait eu beau me le cacher durant des années, j’étais tombée par hasard sur mes papiers de naissance soigneusement rangés à doubles tours dans son coffre-fort. J’étais adolescente en ce temps-là et je regardais un peu trop de films d’espions si bien que j’avais voulu m’entraîner sur le propre coffre de la famille, il ne faut pas grand-chose à une sotte pour la motiver d’après ce qu’on dit. J’avais alors passé ma soirée devant ce stupide coffre à essayer toutes les combinaisons possibles jusqu’à tomber d’épuisement, je m’étais endormie et à mon réveil j’avais eu comme un éclair de génie. Mes doigts fins s’étaient alors baladés sur les numéros de celui-ci et il m’avait cédé son trésor. En découvrant ces papiers, j’avais décidé de ne pas m’arrêter dessus, à quoi bon après, sauf qu’en les posant, j’avais pu remarquer que le nom du père inscrit n’était pas celui de l’homme qui m’avait élevé. Encore une fois j’avais tout gardé pour moi, je n’avais même pas osé en parler à Aaron alors que j’avais pour habitude de tout lui dire. Assise sur cette chaise froide, j’avais l’impression de revivre la même scène, mon cœur était encore une fois de plus brisé, et ma vie en était chamboulée.

« Je n'ai jamais fait ça, je n'en aurais jamais été capable. Je suis passé à autre chose parce que je croyais que tu m'avais oublié et rayé de ta vie. Oui je me suis marié. Mais je n'ai jamais oublié mon premier amour et ce ne sera jamais le cas. On ne peut pas oublier tant de sentiments. » Je relevais le regard vers mon ami qui semblait inquiet pour moi. J’ignorais quoi faire, j’avais juste envie de rentrer chez moi, de pleurer toutes les larmes de mon corps et d’attendre que Morphée m’attire soudainement dans ses bras. Après tout ce que venait de m’apprendre Aaron tout se dessinait à l’horizon. Durant toutes ces années j’avais préféré faire confiance à mon père, une confiance aveugle pour ne pas croire ou plutôt voir les magouilles qu’il arrangeait, si j’avais su… J’aurais dû creuser un peu plus la chose, je n’aurais pas pu m’apitoyer sur mon sort en pensant que j’avais été lâchement plaqué, j’aurais dû tenter de recontacter Aaron pour lui demander des explications. Seulement tout cela c'était du passé et tout avait changé désormais. Je tentais de reprendre mon souffle tout en restant amorphe, j’ignorais quoi dire, j’étais totalement perdue, cela faisait trop d’un coup à encaisser. « Il a gâché ma vie… » Murmurais-je alors empli de haine. J’exagérais peut-être mais il avait tout de même brisé mes rêves, ainsi que mon cœur, au final il prônait mon bien en me faisant souffrir. Ma voix s’était étranglée car mon esprit avait décidé de faire des siennes. D’un coup je me prenais à me demander ce que j’avais raté, ce qu’il nous avait volé, ce que nous aurions pu vivre ensemble pendant tout ce temps. Je desserrais alors ma main et lâchais mon sac tout en ravalant mes derniers sanglots, j’entrouvrais alors ma bouche mais aucun mot ne pouvait en sortir. Je voulais demander conseil à Aaron, lui demander ce que j’allais faire, ce que je devais faire mais tout ceci était au-dessus de mes forces pour l’instant.

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J’ignorais comment réagir face à tout cela, je me maudissais d’être trop sensible, de trop souvent me laisser emporter par les émotions. J’avais beau essayer de me construire une carapace depuis des années, celle-ci chancelait dès que quelque chose même insignifiant m’atteignait et à chaque fois je devais refaire ce douloureux travail sur moi-même. À cet instant plus rien n’avait d’importance. Je frissonnais parce que j’étais exténuée et parce que j’avais soudainement froid, sensation certainement due à la fatigue et à l’émotion qui s’était emparé de moi depuis ce début de soirée. Je souffrais en silence depuis qu’Aaron m’avait appris qu’il n’y était pour rien dans cette histoire, c’est dingue j’aurais pu ne pas le croire, le traiter de menteur en le giflant, j’aurais pu me mettre à pleurer en le traitant de tous les noms pour m’avoir brisé le cœur, mais au final j’avais préféré le croire plutôt que croire mon père. Mes sentiments ne se trompaient pas, et ils ne s’étaient pas trompés, il ne m’avait pas oublié… du moins le jour où mon père me l’avait annoncé, son mariage était autre chose et à vrai dire je n’avais pas du tout envie d’y songer. Il nous fallait soudainement rattraper tant de choses, et j’avais une subite envie de la mettre cette fichue gifle mais sur le visage de mon père. J’avais beau bouillonner de l’intérieur, à l’extérieur je restais presque… avide d’émotion, les larmes coulaient le long de mes joues, pour sûr, seulement je n’avais pas la force de m’énerver, ou encore de pleurer à chaudes larmes. Dans ma tête, c’était un bordel monstre. Des souvenirs s’entremêlaient avec des moments de souffrances et de bonheur, ma haine se mélangeait à ma colère et ma joie, et même si j’avais l’impression que le temps s’écoulait lentement entre deux paroles, il s’écoulait en réalité très rapidement. Je voyais, sans vraiment voir, Aaron qui ne savait pas comment réagir face à la poupée amorphe que j’étais, et je ne pouvais pas lui en vouloir, après tout si j’étais dans cet état c’est que je ne savais pas réagir non plus.

Je reprenais mon souffle durant quelques secondes, il me fallait juste un peu de temps pour que tout se dénoue dans ma tête, pour que tout se mette en place, après je repartirais de plus belle, c’est comme ça que je fonctionnais après tout. Lorsque je devais faire face à quelque chose d’aussi terrible je restais impassible puis j’allais souvent accuser le coup en silence dans un endroit qui m’était cher, et une fois que j’avais tout assimilé, tout retourné dans tous les sens, je me mettais enfin à réagir. Cela pouvait prendre du temps, beaucoup de temps, mais je n’y pouvais rien, c’était ma seule défense pour ne pas devenir folle ou quoi que ce soit d’autre. Je gardais toujours le silence et laissais ma main désormais libre s’aventurer vers mon verre que j’attrapais et portais à mes lèvres afin de le finir. Je le déposais alors sur la table pendant que la main de mon ancien amant se dérobait à la mienne. Un rictus s’était emparé de mes lèvres, j’avais soudainement l’impression qu’il allait m’abandonner de nouveau, mais non, il se contenta de se redresser et de m’enlacer. « Ça va aller… Je suis là. » Je me détendais alors un peu plus et posais ma tête sur son épaule en expirant de soulagement. Soucieuse de sa santé et parce que je savais que cette position n’était pas confortable, je me levais doucement en restant proche de lui et une fois debout je passais mes bras sous les siens, l’enlaçant à mon tour, reposant une nouvelle fois ma tête après avoir plongé mon regard dans le sien quelques instants. Je ne voulais pas rompre ce charme qui m’envahissait à nouveau, même si cela n’était que pour quelques secondes, je voulais juste… profiter de ce moment.

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J’aimais ce contact, nos corps ensemble, nos doigts entrelacés, ce n’était pas grand-chose, juste un léger contact, pourtant cela m’avait toujours suffi, et cela avait toujours suffi à mon cœur pour s’emballer de plus belle. Je ne voulais pas voir la vérité en face, j’étais une éternelle indécise, ma vie était remplie de choix dont je n’avais pas su trouver les réponses, départager, mais une chose était sure, j’avais eu beau avoir le cœur brisé, j’aimais toujours autant Aaron. J’avais essayé de refaire ma vie, quitte à me faire souffrir en me poussant à l’imaginer heureux en ménage, mais jamais je ne m’étais attachée, jamais je n’étais allé plus loin qu’une courte relation. Il avait beau avoir disparu de ma vie, sa présence les repoussait tous un par un. J’étais comme hanté par un fantôme et cela ne me déplaisait pas forcément. J’étais dans ces bras et à cet instant plus rien ne comptais. Son corps m’avait réchauffé en une fraction de seconde et j’étais prête à parier que du rose m’étais monté aux joues, voilà pourquoi j’enfouissais un peu plus ma tête dans son torse, enfin dans ses habits. Je ne voulais pas le quitter, je voulais que cette étreinte dure toujours, je voulais juste avoir en une fraction de second tour ce que mon père avait pu nous voler. Il m’avait volé mon bonheur, des instants où j’aurais pu sourire. Après tout le destin était trompeur, nous nous serions peut-être quittés en mauvais terme, mais au moins nous aurions eu une chance, chance que je considérais comme envolée à tout jamais à cause de mon paternel. Je humais son parfum tout en resserrant mon emprise sur lui, j’étais égoïste sur le coup et je pourrais facilement l’admettre, après tout il m’avait sûrement serré dans ses bras car des larmes avaient coulé sur mes joues. Je savais qu’il ne résistait pas à une demoiselle en détresse… Notre passé était loin derrière nous après tout, aujourd’hui plus rien ne nous unissait sauf quelques vieux souvenirs qui s’étaient probablement effrités avec le temps.

« Tu souhaites rentrer ? Je te raccompagne si tu le veux bien. » Je fermais les yeux en fronçant les sourcils, comme une petite fille qui ne désirait pas se réveiller. Je prenais alors mon courage à deux mains et venais me décoller légèrement vers lui, levant ma tête pour apercevoir son regard. Nos visages étaient proches si bien que mon cœur en avait des ratés. J’aurais tant aimé revenir dans notre passé, être cette adolescente insouciante dans les bras de son petit ami. Mais la vie avait changé notre relation, la vie nous avait changés et je ne pouvais rien espérer. Je me contentais alors de hocher la tête tout en avalant discrètement ma salive, puis je me détachais complètement de lui pendant que la serveuse refaisait son apparition. Elle avait sûrement observé la scène derrière ce fichu rideau mais qu’importe, elle avait au moins fait mine de nous laisser un instant seul. Je reprenais alors longuement mon souffle et passais le dessus de ma main droite sur mes deux joues pour enlever toute trace de perle saline. « Oui, avec plaisir. Après tout je viens d’apprendre que j’ai sacrifié mes rêves pour rien, que j’ai perdu mon seul amour et tout ça à cause de mon père, il ne manquerait plus que je me fasse agresser sur la route ! » Mon ton s’était voulu très sarcastique mais il fallait que ça sorte, je me contentais alors de hausser les épaules et d’attraper mon sac, déposant ensuite un billet sur la table pour payer les boissons. Je mettais ensuite mon manteau et sortais avec Aaron de ce bar pour me retrouver dans la rue à peine éclairée. La nuit était tombée si vite que cela me glaçait le sang, mais j’étais rassurée, après tout j’avais un garde du corps à mes côtés pas vrai ?

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J’avais peur que tout ceci ne soit qu’un rêve, ou un cauchemar, de toute manière je n’arrivais plus à faire la différence entre les deux à présent. Revoir Aaron était une chose qui me remplissait le cœur, cependant, assimiler que j’avais raté une histoire d’amour avec lui à cause de mon paternel pour une raison que j’ignorais me faisait chuter dans les limbes. J’avais eu peur au moment où je l’avais enlacé dans mes bras, peur qu’il s’envole, peur qu’il ne devienne que poussière, après tout ce ne serait pas la première fois qu’un cauchemar du genre m’arrivait, même si depuis quelque temps je dormais plutôt sur mes deux oreilles… du moins quand j’arrivais à trouver le sommeil. Dans cette vie, celle dénuée de passion et d’amour, je n’avais pas grand-chose à faire à part dormir. Oh bien sûr il y a eu le travail mais y aller chaque jour était une torture. Rester dans mon lit à fixer mon plafond toute la journée était quelque chose de plus intéressant croyez-moi. J’avais eu le courage de décoller nos corps même si la passion qui avait toujours été là me soufflait de ne pas le lâcher ne serait-ce qu’une seconde. J’avais un sourire nostalgique aux lèvres, mais c’était un sourire après tout… J’étais heureuse de le retrouver et à la fois triste d’avoir manqué tout ce temps en sa compagnie, d’être passé à côté de quelque chose qui aurait pu me rendre heureuse. J’étais cependant heureuse pour lui qu’il ait connu le bonheur avec une autre femme même si je jalousais celle-ci du plus profond de mon être. En me dérobant j’avais pris une longue respiration, je devais sortir de cet été de léthargie, je devais profiter de cette soirée peut-être unique en son genre, après tout si mon père apprenait que nous savions ce qu’il avait fait, peut-être qu’il déciderait de nous mettre des bâtons dans les roues pour que des… amis ne se rencontrent plus à nouveau.

J’avais fait une réflexion stupide à propos de mon cas, elle était bête certes mais malheureusement vraie, et même si j’avais jeté la plupart de ma haine du moment dans ces mots, je m’étais prise à rire un bon coup, c'était sans doute nerveux après tout, il fallait que le lâche prise seulement quelques secondes pour aller mieux. C’était pour cela que j’avais quitté le bar sans attendre Aaron, je ne voulais pas qu’il me prenne pour une folle non plus. À sa sortie, je lui adressais un léger sourire, calme de mes émotions, puis je me mettais en marche à ses côtés. Je n’habitais pas loin, un logement tout frais payé par mon père, un endroit plutôt froid et luxueux. « Tu n'as pas froid ? » Je me contentais de faire non de la tête, pour l’instant je n’avais pas froid ce qui était rare pour moi. Combien de fois Aaron s’était foutu de moi car je tremblais alors que lui était en tee-shirt. J’avais beau être Norvégienne, je tremblais toujours à cause du froid. Pendant notre trajet, mon portable s’était mis à sonner, j’avais alors sorti celui-ci de mon sac et avais toisé le prénom du contact cherchant à me joindre. Fronçant les sourcils j’avais décliné l’appel de mon père et éteint mon portable dans la seconde qui suivant. Ils nous restaient quelques pas et nous arrivions à mon adresse. Je montais alors les quelques marches qui nous séparaient de mon habitation avec mon ami. « Voilà… c’est là… Tu… Tu veux entrer boire un verre ? » Disais-je en le regardant, je savais qu’il était tard, je ne voulais donc pas l’obliger à rester.

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Sur le chemin pour aller chez moi, un long silence s’était installé entre moi et Aaron, j’adorais entendre sa voix légèrement rauque, cependant j’appréciais ce petit moment de répit. J’avais appris beaucoup de choses en une fraction de seconde et j’avais besoin d’un temps de tranquillité pour tout assimiler et me détendre. En marchant j’observais souvent Aaron qui ne bougeait pas d’un pouce. Aucune expression, même pas un sourire ou un sourcil levé, cela me perturbait. J’avais toujours été trop sensible, trop expressive alors que lui ne l’était guère, à vrai dire je l’étais suffisamment pour nous deux. En y réfléchissant, on ne se ressemblait pas tant que ça, pourtant on se complétait, un peu comme le yin et le yang ce qui faisait de nous un couple parfaitement en harmonie autrefois. Faisant claquer mes talons sur le sol froid, je me questionnais à propos du futur. Auparavant j’avais un tas de questions à lui poser, et je savais que cette conversation n’était pas terminée après tout. Certes il m’avait avoué que mon père était derrière toute cette souffrance, cependant je n’allais pas en rester là car ses dires se résumaient à de simples rumeurs sans preuves, même si au fond je lui faisais une confiance aveugle à ce sujet car ne je ne connaissais que trop bien mon père. Mais à part cette histoire, j’avais envie de rattraper le temps perdu, j’avais envie de me raconter ce qui s’était passé dans sa vie pendant que j’étais loin de lui, comme de bons vieux amis car au final c’est ce qu’on était depuis tout petit, bien avant que des sentiments naissent entre nous alors plus âgés. Je me revoyais parfois au premier jour où j’avais posé mes yeux de gamine sur ce petit garçon, j’étais persuadée que j’allais le détester, et en petite princesse que j’étais, je l’avais fait parce qu’il me tirait les cheveux, ce genre de chose banale. Puis j’étais passée au-dessus et lui aussi, c’est simple comme début de relation, l’important c’est ce qui avait eu après, notre complicité, notre incapacité à nous séparer, c’était nous contre le monde, nous et rien d’autre.

« Je veux bien, mais je ne veux pas m'imposer. » Je lui souriais, au fond j’espérais qu’il accepte même si je ne voulais pas le déranger. Je savais que même s’il ne disait rien, il était touché par ces retrouvailles, par ce que mon père nous avait fait endurer. Aaron était souvent comme un animal blessé, attristé, souffrant, mais restant digne, la tête haute, essayant de ne rien montrer, et moi j’aimais être là pour panser ses blessures, même si le destin… non, même si mon père nous avait séparés. « Très bien… » Je baissais alors la tête vers mon sac et en sortais mon trousseau de clés, j’ouvrais ensuite ma porte et allumais la lumière, une fois à l’intérieur de l’appartement je toisais mon ami du regard. « Tu viens ? » puis je le laissais entrer avant de refermer derrière lui. Jamais personne n’avait mis les pieds dans mon appartement, il était le premier, sans doute parce que j’en avais envie, ou parce que je lui faisais confiance. Je déposais mon manteau sur la porte manteau et mon sac près de celui-ci, puis je trottinais près de la cuisine. « Installe-toi hein. Tu veux boire quoi ? » Mes placards étaient remplis bien que je n’y touchais que rarement. Mon ventre commençait à me tirailler légèrement, j’avais fait, il faut dire que mes repas étaient maigres en ce moment, du moins quand je mangeais… « Tu veux manger quelque chose ? »

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Mon éducation avait fait de moi une parfaite petite fille, une sage petite princesse. Jamais un mot plus haut que l’autre, toujours droite, je gardais souvent ce que je pensais pour moi, arborant un large sourire. Mais depuis mon adolescence tout avait légèrement changé, probablement à cause de la crise d’ado. Disons que j’avais osé me rebeller, dire ce que je pensais et en contrepartie je me recevais souvent des gifles qui tentaient mes joues blafardes. En grandissant, en vivant ma vie de mon côté, il avait fallu que j’évolue, je m’étais trop souvent laissée marcher sur les pieds, il m’avait donc fallu changer, me renforcer. J’avais toujours eu un comportement très impulsif même si je tentais sans cesse de me contenir. En tant que vraie pile électrique je me laissais souvent dépasser par les émotions, comme il y a quelques instants dans ce bar miteux. J’avais traité Aaron d’ignoble, et j’avais été à deux doigts de le gifler, bien sûr je ne pensais pas du tout de ça de lui mais sur le coup mes paroles avaient dépassé mes intentions, comme à mon habitude. J’étais du genre à agir et après à réfléchir, puis à regretter, c’était un handicap et j’avais beau essayer d’anticiper la chose, je finissais toujours pas de m'en vouloir et à briser des relations. Avec un trait de caractère pareil on aurait pu penser que j’étais très douée pour les excuses mais il n’en était rien, non j’étais toujours aussi dépassée lorsqu’il fallait s’excuser. La bouche entrouverte, j’attendais que la personne en face de moi déverse son poison histoire que l’on soit quitte et que l’on repart sur des bonnes bases. Seulement jamais Aaron n’oserait me traiter de tous les noms d’oiseaux possibles, jamais il n’oserait porter la main sur mon maigre corps, j’allais devoir m’excuser, et étant donné que je n’étais pas douée avec les mots, j’espérais que mes gestes me devanceraient.

« Je ne sais pas, si tu as du whisky je suis partant. » Je hochais machinalement la tête en me pinçant les lèvres, j’espérais avec ce nectar dans l’un de mes placards. J’avais soudainement l’impression de vivre dans une maison témoin, ou d’être dans un de ces magasins où des pièces étaient représentées. Ce n’était pas vraiment de ma faute, mon père obligeait quelqu’un à faire des courses pour moi, et encore, quelqu’un passait auparavant chaque jour pour faire le ménage, toute cette intrusion dans ma vie m’étouffais si bien que j’avais renvoyé tout son petit monde il y quelques jours. « C'est gentil mais je n'ai pas très faim. » J’attrapais alors une bouteille de whisky, un Chivas, ce n’était pas le meilleur whisky du monde mais ça allait le faire. J’attrapais ensuite quelques gâteaux, s’il n’avait pas faim, pour une fois mon ventre grognait. Je fourrais ma bouche de quelques gâteaux le temps d’attraper deux verres et me dirigeais vers le salon pour poser tout ça sur la table basse. « Tu vis seule ici ? » Je finissais de mâcher tout ce que j’avais dans la bouche tout en hochant la tête. « Oui, c’est n’est pas vraiment à mon goût mais bon… » Je n’avais même pas une touche de déco personnelle, tout était très design et très impersonnel. Je servais alors deux verres de l’ambré et tendais l’un des deux à Aaron. Je n’étais pas fan du whisky, bien au contraire, mais j’avais décidé de l’accompagner, j’allais cependant devoir faire attention aux vices de ce nectar étant donné que je ne tenais pas du tout l’alcool.

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Je n’avais pas l’habitude de recevoir du monde, à vrai dire je n’aimais pas ça non plus. Organiser n’était pas mon truc, c’était plutôt ce qu’aimait faire ma mère. J’adorais cependant revêtir une belle robe et danser parmi les invités mais ça s’était autre chose. Je n’avais que rarement menti sur la fortune de ma famille, cependant étant très riche et ayant des parents très influents, des soirées étaient souvent organisées dans la ville familiale, des soirées que je trouvais ennuyantes mais auxquelles j’étais obligée d’y assister. Souvent je buvais un verre avec le sourire, forcé, aux lèvres et passais d’un groupe d’invités à un autre, trouvant à chaque fois une excuse différente pour me congédier, et une fois que tout le monde m’avait aperçu je filais dans ma chambre et sortais en douce les soirs où j’avais le droit à un peu de répit, autant dire que ces fois-là étaient rares, mais j’étais toujours mieux dans ma chambre avec un bouquin qu’au milieu de cette foule me souriant pour cacher un air hypocrite. Aaron était le premier à entrer dans mon appartement, je l’avais laissé entrer car j’étais fatiguée, et car je ne voulais pas le laisser dehors, après tout je l’avais retrouvé ce soir, je voulais en profiter, qui sait quand est-ce que nous aurions pu nous recroiser. S’il était parti, j’aurais voulu l’appeler le jour suivant, il aurait certainement pris peur que je le harcèle à cause de nos histoires passées, pensant que je voudrais rattraper tout le temps perdu en une journée. Bien sûr, j’aurais voulu rattraper le temps, seulement celui-ci s’était envolé avec les années, et donc impossible à rattraper.

« Je ne savais pas que tu buvais du whisky. » Je me contentais de hocher les épaules en me penchant pour attraper un autre gâteau dans lequel je mordais à pleine dent dans la seconde qui suivait. « Disons que je bois ce que j’ai sous la main. » Je n’étais pas vraiment une adepte de l’alcool contrairement à mon ami, je me contentais de boire en soirée histoire de finir ivre mais je n’appréciais en rien le goût, surtout d’un alcool prononcé comme le whisky. Mon gâteau fini j’attrapais alors mon verre et le portais à mes lèvres pour le finir d’une traite. Ma gorge était soudainement en feu et un rictus venait de s’afficher sur mon visage. Éloignant le verre de ma bouche je portais mon poignet à celle-ci pour m’éviter de tout recracher. Je toussais ensuite discrètement et expirais longuement, satisfaite. Je reposais ensuite le verre et déversais à nouveau du liquide ambré dans celui-ci. « Tu es ici depuis longtemps ? » Je passais ma langue sur mes lèvres pour m’enlever le goût de l’alcool et je m’enfonçais un peu plus dans mon canapé, ramenant mes jambes contre ma poitrine. « Trop de temps si tu veux mon avis… » Oh oui j’étais là depuis bien trop longtemps, je n’arrivais pas à m’habituer à cette ville, il faut dire que je n’avais rien pour m’accrocher ici, la seule chose que j’avais c’était mon boulot, super. L’alcool commençait à taper dans mon cerveau, pas étonnant vu le verre que je venais de m’enfiler. Il ne m’avait pas fallu longtemps mais qu’importe. Je posais alors ma tête sur le rebord du canapé après avoir attrapé mon verre dans un élan rapide. « J’crois que je devrais prendre un chat… » Pour me sentir moins seule, et puis c’était mignon un chat non ? Je portais une nouvelle fois mon verre à mes lèvres et après avoir bu quelques gorgées je demandais, « Et toi alors, ça fait combien de temps que tu travailles pour mon père et surtout... ici ? »

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Je n’avais pas envie de finir saoule, seule et déprimée. Parfois, l’envie me tentait, lorsque j’étais seule et que je ne savais pas quoi faire, mais j’avais toujours peur qu’il m’arrive quelque chose, et étant donné que la seule personne qui savait où j’habitais était mon père, mon cadavre aurait pu rester pourrir très longtemps ici avant qu’on ne vienne le débusquer. Enfin si jamais j’allais jusque-là, car même si l’alcool pouvait être un fléau, j’étais du genre très pessimiste, à imaginer le pire, donc la mort aurait été le pire des cas. Mais ce soir Aaron était en ma compagnie, je pouvais donc me lâcher. Boire jusqu’à ce que mes idées soient embrumées était un moyen pour moi de me détendre, d’être plus proche de la situation, de dénouer ma langue, et c’était également un moyen pour moi de me remémorer le passé, ces quelques soirées où je finissais totalement bourrée et que j’amusais la galerie sous le regard dépité de mon ami. Je ne savais pas m’amuser, du moins je n’en avais jamais eu l’occasion avant qu’il ne m’aide à sortir de ma prison dorée, alors une fois sortie j’allais tout de suite dans l’excès. « Ça peut-être une bonne compagnie je te l'accorde. » Je souriais et fermais les yeux un instant, imaginant le chat que je désirais avoir. J’y pensais depuis longtemps, cela me ferait sentir moins seule mais j’avais toujours l’angoisse que cet animal ne m’aime pas, ou de le laisser seul trop longtemps ici, il ressentirait alors la peine que j’éprouvais depuis plus de deux ans. Je soufflais en cherchant un petit nom, j’aurais adoré avoir un animal de compagnie à l’époque, même un simple poisson rouge, mais mon père refusait à chaque fois. Trop d’entretien, allergie, et tout ce qui allait avec, toutes les excuses étaient sorties de sa bouche au fil des années.

Je rouvrais alors les yeux et avalais ma salive en pensant au gout d’alcool qui était toujours présent dans ma gorge. Ma tête posée sur le l’appuie-tête du canapé, sur le rebord de celui-ci, je la penchais vers mon ami et lui adressais un large sourire. « Pour ton père ça fait de nombreuses années mais je suis ici depuis environ deux ans. » Je soufflais d’exaspération, cela faisait réellement plus de deux ans que j’étais ici donc, et plus de deux ans que lui était là également. Mais pourquoi le destin ne nous avait-il pas réunis plutôt ? Comme pour accuser le coup je portais une nouvelle fois mon verre à mes lèvres en arquant mes sourcils, prenant de grosses gorgées de l’alcool qui ne me brulait désormais plus la gorge, déjà calcinée par mon précédent verre. Je fixais ensuite quelques instants le plafond avant d’étirer mes jambes, faisant attention de ne pas renverser mon verre. « Et il y a une raison pour laquelle tu tentes d'être ivre aussi vite ? » Je hochais les épaules, que pouvais-je répondre à ça ? La vérité ? Un mensonge ? Ou rien du tout, à vrai dire je n’avais pas de raison. « C’est faux, j’ai juste… soif. » Un léger sourire s’installa alors sur mes lèvres pendant que je posais mon regard sur le visage de l’homme que j’avais tant aimé. Je laissais le silence m’envelopper de sa bulle pendant que je parcourais chaque trait parfait de son visage. Sentir sa peau sous mes doigts fins me manquait, son regard sur moi me manquait également, et nos lèvres s’entrechoquant me manquaient par-dessus tout. « Tu t'souviens à cette fête où je voulais aller nager à 4h du matin ? Et qu’il faisait -30°c ? Au moins ce soir-là je n’avais pas froid… »

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