between us -r.

J’hochai la tête. Il est vrai que la tournure du Twister pouvait bien dépendre de où tombait la flèche. « C’est vrai. Parfois c’est le hasard qui nous joue des tours. » Et parfois, c’était une petite partie tranquille sans grand fou rire. Je réalisai donc à cette pensée que ce jeu n’était drôle que lorsqu’il était pris sous un œil pervers. Sinon, il perdait tout intérêt à mes yeux. Étais-je plus obsédé que ce que je me laissais croire ? Bref, Hanaé me ramena à l’ordre quant au fait que nous n’étions pas en train de boire un coup. Je la regardai d’un regard suspicieux. « Pourquoi es-tu réticente à ce point-là à boire en ma compagnie ? Pas tous les hommes sont des trous de cul et essaierons de profiter de ton état pour te mettre dans leur lit. Je ne te ferais jamais cela. » Lui dis-je. Pour moi, boire avec Hanaé nous permettrait de nous ouvrir un peu plus à l’autre, de déconner, de parler de tout et de rien. C’est connu, l’alcool désinhibe, et même si je n’avais pas forcément besoin de ce liquide pour passer une bonne soirée, j’étais aussi conscient que je m’ouvrais plus aux autres lorsque j’étais un peu pompette. La demoiselle me dit qu’elle aimait bien les soirées tranquilles. Je souris, prêt à lâcher prise. J’haussai les épaules. « Moi aussi. De temps en temps. Y’a vraiment rien de mal à cela. » Il fallait que je respecte Hanaé. Elle semblait être très sage et j’avais toujours eu ce petit côté-là moi aussi, même si aujourd’hui je tentais de rattraper le temps perdu maintenant que j’avais beaucoup plus d’amis que durant mon adolescence. Bref, j’avais terminé mon assiette, et mon verre de vin. Ayant compris que la brunette ne comptait pas perdre la carte ce soir, je refermai la bouteille de vin. « On débarrasse la table et on sort la tarte ? » Demandais-je, presque en salivant.

J’avoue que je sautais parfois aux conclusions avec les gens, et c’était le cas ce soir avec la blondinette alors que je l’accusais de ne jamais vouloir boire avec moi, de peur de se retrouver aux bras d’un trou de cul ivre. Ce que je n’étais absolument pas. Hanaé m’expliqua tout de suite le véritable fond de sa pensée, et je me sentis tout d’un coup assez stupide de lui avoir déballé ça comme si elle se fichait de moi. Je souris, baissant la tête. « Je sais. Désolé. J’ai juste l’impression que tu te mets parfois des limites avec moi. » En même temps, nous n’étions pas colocataires depuis des lustres. Quelques semaines à peine. Je ne pouvais donc pas lui demander d’avoir une confiance absolue en moi. Nous ne nous connaissions pas encore assez pour pouvoir faire n’importe quoi en la compagnie de l’autre. Une amitié solide ne se construit pas en quelques jours, j’en étais conscient. Et pourtant, voilà que j’aurais demandé à Hanaé de le faire. Finalement, la demoiselle tenta de détendre l’atmosphère en rajoutant que c’était peut-être elle qui profiterait de mon ivresse, après tout. Je rigolais. « Peut-être, peut-être !! » Dis-je en riant également.

Finalement, une fois le repas terminé, je commençai à ranger ce qui se trouvait sur la table – sans toutefois foutre la pression à Hanaé – et celle-ci me rappela à l’ordre alors que j’allais reboucher le vin. « Ok alors. » Lui répondis-je avec un sourire content. Je n’étais pas un ivrogne, mais ranger une bouteille de vin entamée mais pas terminée me faisait toujours un petit pincement. Je ne prévoyais pas non plus terminer la soirée la tête sur la cuvette, détrompez-vous. Toutefois, deux ou trois verres de vin nous mettraient sans doute dans un état plus léger, plus heureux et détendu. J’avais envie de vivre ce genre de soirée avec mon amie. Bref, j’emmenai la tarte sur la table avec deux assiettes et je nous en coupai des parts. « Ça sent boooooooon. » Lâchais-je, ayant presque la salive au bord des lèvres.

J'hochai la tête. Son explication avait du sens alors peut-être n'avais-je pas à m'en faire pour ce manque de liberté que s'infligeait Hanaé en ma compagnie. Peut-être avait-elle des antécédents quelconques avec l'alcool qui faisaient en sorte qu'elle savait pertinemment qu'elle commettrait certaines bêtises qu'elle regretterait. Je ne pouvais juger cela et je me devais de la respecter dans ses choix, même si cela me décevait un peu étant donné que je ne pourrais donc jamais prendre un coup avec ma colocataire, moi qui aimais tant ces petites soirées intimes qui se terminaient en conversations trop sentimentales pour exister. Tant pis, je n'avais pas besoin de l'alcool pour m'amuser et je savais que Hana et moi saurions trouver d'autres façons de nous créer des souvenirs inoubliables. « Je comprends. T'en fais pas, je le prendrais pas personnel, alors. » Je lui souris pour lui faire comprendre qu'on pouvait passer l'éponge et oublier. Je m'étais senti légèrement rejeté au début, ne comprenant pas pourquoi elle se retenait autant en ma compagnie, mais maintenant que les cartes avaient été mises sur la table, je me sentais mieux dans cette situation. Il fallait parfois me prendre avec des pincettes ; ayant été intimidé durant mon adolescence, j'avais encore certaines lacunes dans mon estime de moi. Pas pour rien que j'avais consulté une psychologue à ce sujet, plus tôt dans l'année.

Une fois la table ramassée et les pointes de tarte dans chacune de nos assiettes grâce à Hanaé qui nous avait servis tous les deux, nous reprenions place à la table. « Oh mon dieu que c'est bon ! Épouse-moi ? » Dis-je en souriant la bouche pleine de morceaux de pommes et de sucre. J'en avais partout de collé sur les dents et un morceau retomba même dans mon assiette. Quelle classe ! J'éclatai de rire et avalai finalement ma bouchée pour ne pas lever le coeur de ma colocataire, quand même. Je terminai ma tarte en quatre autres bouchées et je calai un verre de lait pour faire passer le tout. « J'ai une idée ! Karaoké, t'as envie ? » Dis-je en la regardant avec les sourcils qui levaient se baissaient à une vitesse hallucinante. Je faisais même une petite danse pour tenter de la convaincre. Il fallait qu'Hanaé lâche un peu son fou, et je ne connaissais pas de meilleur moyen qu'en chantant à tue-tête les chansons les plus quétaines de ce monde !

Je pris un air faussement offusqué quand Hanaé me dit que m'entendre chanter devait être rigolo. En toute honnêteté et en toute modestie, je jugeais que j'avais tout de même une assez belle voix. Plus jeune, je rêvais de faire partie d'une comédie musicale. Danser, chanter, acter, tout cela sous les projecteurs, j'aurais franchement adoré. Malheureusement, au lycée, je m'étais énormément fait intimider, et cela a fait en sorte que j'ai perdu toute confiance en moi. Je ne chante aujourd'hui plus beaucoup, même si j'adore toujours autant cela, j'ai peur de me couvrir de ridicule. De toute façon, j'avais maintenant un boulot, ma vie d'adulte était lancée ; il était trop tard pour les rêves d'enfant. Alors je chantais quand je pouvais, c'est-à-dire en faisant le ménage lorsque j'étais seul. Hanaé allait avoir droit à une partie secrète de moi ce soir. Un côté que je n'aimais pas trop montrer de peur d'attirer les rires. Parce que quand je chante, je me donne et je me sens bien. Toutefois, le commentaire de ma colocataire ne me fit pas de peine, car je savais qu'elle parlait en toute innocence. « Tu dois être assez drôle à voir aller, aussi ! » Dis-je en souriant. Ce serait une bonne façon de voir Hanaé lâcher son fou sans que ça implique l'alcool ou quoi que ce soit d'autre de dégradant. « Oui chef ! » Répondis-je à ses ordres. Je me dirigeai vers la télévision et y branchai mon ordinateur. On prendrait des vidéos de Youtube, car je n'avais pas logiciel ou de jeu de karaoké. Disons que "Sing It" et compagnie n'étaient pas trop mon genre ; je préférais les grands classiques aux chansons de l'année. Une fois le tout installé, la blondinette vint me rejoindre. « Qu'est-ce que t'as envie de chanter ? On se fait un duo ? Genre I've Had the Time of My Life ? » Proposais-je avec un petit regard sexy qui ne fonctionnait pas du tout en fait. Je rigolai.