Finding you home | Jamie

Le temps était gris en cette fin de journée sur Bowen, c'était assez rare pourtant mais on sentait que l'orage arrivait, il faisait lourd, les nuages s'épaississaient. Sara n'était pas mécontente qu'un peu de fraîcheur s'installe mais elle adorait le soleil Australien, l'idée de se promener en robe à bretelle quasiment toute l'année, c'était tellement agréable. Elle s'était couverte d'un gilet léger et maintenant elle faisait les cents pas dans la maison maternelle. C'est ici qu'elle avait trouvé refuge depuis son retour, il y a quatre jours, ses parents avaient insisté pour qu'elle réintègre sa chambre d'enfant et elle n'avait pas eu le courage de le leur refuser. Elle songeait pourtant à partir, vivre tous les jours sous les regards trop bienveillants de sa mère qui cherchait plus à la couver qu'à l'aider, elle se sentait déjà étouffer. Elle avait contacté Lily, sa cousine, qui lui offrait volontiers une place sur son canapé, elle repenserait à cette possibilité. Mais pour l'instant elle avait bien plus à penser, elle avait réussi à arracher de la bouche de sa sœur que Jamie était en vie et qu'il avait été rapatrié à Bowen depuis longtemps, probablement juste après l'accident. Elle n'avait pas eu de nouvelles de son mari depuis des mois, elle s'était fait à l'idée qu'il soit mort et le fait qu'il soit bien vivant la sidérait. Pourquoi n'avait-il pas cherché à la retrouvé ? Pourquoi ces silences. Tant d'autres questions la hantaient depuis son retour, elle ne trouvait plus le sommeil et elle en avait maintenant marre de se tourmenter de la sorte, il fallait qu'elle sache, qu'elle le trouve, qu'elle ait des réponses avant de devenir folle.  

Elle était alors sorti de la maison et avait marché, se demandant où et comment le trouver et puis elle s'était dirigée vers leur ancienne maison, c'était l'endroit le plus logique par lequel commencer. Elle s'y était rendue à pieds, ça n'était pas bien loin. Puis elle avait frappé à la porte, c'était une chose étrange que de frapper à sa propre porte, mais elle n'avait plus de clef. Elle attendait maintenant que quelqu'un ouvre, avec un mélange d'appréhension et d'excitation. Personne ne lui avait donné d'informations sur l'état de Jamie depuis l'accident, elle ne savait donc absolument pas comment elle allait le retrouver mais elle avait hâte de revoir son visage.  

Elle sonna une seconde fois, de plus en plus nerveuse, il n’était pourtant pas très tôt, Jamie devait être à la maison… et en même temps, qu’en savait-elle ? Un an s’était écoulé depuis leur séparation forcée, il avait peut-être pris de nouvelles habitudes, changé de vie, peut-être d’ailleurs ne vivait-il plus ici, ce qui était peu probable puisqu’elle avait remarqué que leurs deux noms se trouvaient encore sur la boite aux lettres. Elle se tordait les mains dans tous les sens et après deux ou trois minutes d’attente, allait se décider à quitter ce perron, déçue, bien entendu. Un premier coup de tonnerre se fit entendre au loin, l’orage allait éclater, elle était venu à pied, si la pluie se mettait à tomber ça serait à torrent, comme chaque fois, elle ne pouvait pas rester ici à attendre indéfiniment que son mari absent lui ouvre la porte, elle devait rentrer chez elle. Finalement une voix la fit sursauter. Je peux vous aider. Jamie… Elle fit volte-face et ses jambes faillirent se dérober. Sara se trouvait face à un homme en chaise roulante, son mari, handicapé. Elle n’en revenait pas, personne ne l’avait prévenu, préparée à ça, après le choc de le savoir en vie, c’en fut un second, plus violent encore. Elle fit un pas vers lui. « Jamie… mon amour… » Elle n’éprouvait aucune pitié, elle savait trop ce que c’était, mais une réelle tristesse de le voir diminué, le visage si dur, inexpressif, vide, tellement différent du Jamie qu’elle avait connu et aimé. Elle se dit qu’elle aurait dû être là pour lui ces derniers mois, même si elle savait que ça aurait été impossible à cause de sa propre rééducation, finalement elle comprenait qu’il ne l’ai pas appelé, toute colère contre lui s’était envolée, elle voulait juste le retrouver, lui dire qu’elle était là maintenant, que tout irait bien. Elle était sure qu’il irait mieux s’ils étaient réunis, éternelle optimiste.

Elle se trouvait maintenant tellement près de lui qu’ils n’auraient eu qu’à tendre la main pour se toucher, pourtant chacun gardait ses distances. Le voyant si mutique elle ne savait pas bien quoi lui dire. Elle tenta quelque chose, ça ne pouvait être qu’emprunté, maladroit, timide, compte tenu de la situation. « Je viens d’arriver … il parait que j’étais morte pour toute la ville… tu imagines le choc ? » Finissant par un demi sourire gêné.
 

Ils restaient tous deux planté là, au milieu de l’allée alors que l’orage menaçait de plus en plus. Sara se sentait de plus mal à l’aise en la présence de Jamie, comme s’il était un étranger qu’elle rencontrait pour la première fois. C’était si facile de l’aborder avant, il était avenant, gentil, il avait toujours le sourire aux lèvres. Mais là c’est un tout autre homme qu’elle avait devant elle, au-delà de son expression perdue, ce qui pouvait se comprendre puisqu’il la croyait morte, il avait surtout le regard dur, si dur, celui de quelqu’un qui a beaucoup souffert, qui a vécu de graves choses. Elle comprenait ça aussi, ils avaient vécu ce crash ensemble, ils avaient cru mourir tous les deux. Elle se souviendrait toute sa vie de la dernière fois que leurs regards se sont croisés, ils pouvaient chacun lire la crainte dans les yeux de l’autre, la peur de mourir, de se perdre, le regret de ne pas avoir eu le temps de s’aimer, de vieillir ensemble, de fonder une famille, de vivre, tout simplement. Elle avait en tête les derniers mots qu’ils s’étaient prononcé, un simple je t’aime qui en disait bien long. Et puis la sensation de sa main dans celle de Jamie, qu’elle serait fort, qu’elle broyait presque parce qu’elle était terrorisée, parce qu’elle ne voulait pas que l’avion s’écrase. Sara pouvait comprendre une partie de ce que son mari avait vécu, des souffrances infligées par la suite… le handicap mental et physique… et le traumatisme d’avoir enterré sa femme, de l’avoir crue morte. Elle-même avait pensé que Jamie n’avait pas survécu, elle s’était crue seule au monde, dans ce pays étranger, sans famille, sans amis, sans lui, maintes fois elle avait pleuré en pensant à lui. Et quand elle avait su qu’il avait finalement survécu, qu’il était en vie, elle avait senti son cœur s’alléger en partie. Mais elle n’était pas lui, chacun vit les traumatismes à sa façon, il avait fait de nombreux deuils et il le portait sur lui, ça se voyait dans ses expressions, dans ce regard vide.
Il était perdu, il ne comprenait pas qu’elle se trouve en face de lui. Sara tenta de se justifier tant bien que mal, la situation était tout aussi étrange pour elle, de façon différente. « J’ai passé 3 mois dans le coma, ils n’avaient pas retrouvé de papiers ou quoi que ce soit qui leur donne mon identité, j’ai été transportée à Jakarta et à mon réveil mon esprit était si confus que je ne me souvenais plus de quoi que ce soit… il a fallu du temps pour qu’on sache qui j’étais… et Bowen m’avait déjà enterrée. Je n’ai pu contacter ma famille, mes parents, qu’il y a quelques semaines… je viens de rentrer. » Elle s’approcha encore de lui en boitant légèrement, il lui restait quelques séquelles de l’accident, infimes par rapport à celles de Jamie, mais bien présentes, elle lui prit la main avec une infinie douceur. « Je suis tellement soulagée de te savoir en vie… je t’ai cru mort moi aussi. » Sa voix se brisa et une larme roula sur sa joue.
 

Voir le visage de Jamie si froid, si fermé, impassible, c’était quelque chose de très difficile pour Sara. Elle se souvenait de ce garçon drôle, ouvert, tellement sociable, c’est comme ça qu’il avait réussi à la faire craquer d’ailleurs, avec sa bonne humeur contagieuse. Il était ce genre de personne qui vous donne le sourire rien que par sa présence, son aura, il avait quelque chose d’agréable, qui attirait les autres, un bon fond communicatif, le visage lumineux avec un regard espiègle et le sourire jamais loin. Mais aujourd’hui Jamie semblait être si différent de l’homme qu’il avait été. Il semblait souffrir, physiquement, probablement, mais aussi intérieurement, d’un mal que peu connaissent vraiment, de la peine, de l’absence, du traumatisme. Sara le connaissait par cœur, elle pouvait sentir ça, elle le lisait sur lui, dans son attitude, dans son mutisme et même dans les quelques mots qu’il daignait articuler. Pourtant il lui semblait avoir affaire à un étranger, elle ne connaissait pas cette part de lui, c’était nouveau, avant il vivait en éternel optimiste, de ceux qui ne s’en font pas, qui ne s’embarrassent pas de problèmes existentiels.
Bien que sonnée de se retrouver devant un parfait étranger, bien que peinée que son mari ne soit plus le même, Sara tentait de donner le change, elle devait faire bonne figure pour comprendre cette attitude. Elle était de retour et ne comptait plus repartir avant un bon moment, elle voulait retrouver sa vie et surtout être de nouveau présente dans celle de Jamie. Parce qu’il lui avait manqué, atrocement, elle avait pleuré sa perte, elle avait ressenti un vide immense, seule dans sa chambre d’hôpital et quand elle avait su qu’il était lui aussi vivant elle s’était posé milles questions sur les raisons de son silence, pourquoi il ne l’avait pas cherché. Bien entendu elle voulait des réponses, elle devait lui en parler, mais pas maintenant, elle voulait profiter de ces retrouvailles, le reste pouvait attendre.
Pour répondre à sa question, elle aurait très bien pu lui demander la même chose d’ailleurs… elle le lui demanderait plus tard… elle ne savait pas vraiment quoi dire, elle l’avait cru mort et c’est vrai que sa famille n’avait pas contacté Jamie pour lui faire part de la nouvelle, mais elle ne savait pas pourquoi, peut-être ses parents étaient-ils eux aussi tellement abasourdi par la nouvelle qu’ils n’avait pas pensé à prévenir le jeune homme, préférant prendre le premier avion pour la rejoindre… Dans tous les cas elle sentit les larmes baigner ses yeux, elle tenta de les repousser mais lors qu’elle prit la main de Jamie et lui dit qu’elle l’avait cru mort, la première larme déborda sur sa joue. Et vinrent ensuite plusieurs autres, de grosses larmes de chagrin et de soulagement mélangé. Elle avait peu pleuré depuis l’accident, trop choquée par ce qui lui était arrivé, mais là c’en était trop, trop d’émotions pour une seule personne, trop de peurs, de pertes, d’espoirs d’illusions et de tellement d’autres choses qui s’étaient accumulés depuis des mois, elle devait pleurer, elle en avait besoin.
La main de Jamie dans la sienne lui faisait du bien, il ne l’avait pas retiré, au contraire il la serrait lui aussi. Mais sa voix était si froide, il lui dit pourtant qu’il était ravi de la savoir en vie, en bonne santé, mais ça sonnait faux, comme s’il tentait juste d’être gentil, aimable mais qu’il n’en pensait pas un mot. Pourtant en regardant ses yeux, Sara croyait y lire la douceur, l’amour qu’il ressentait encore pour elle, mais elle n’était plus sure de rien. Cet accident les avait ravagés, avait détruit leur vie, et leur couple par la même occasion. Elle voulut lui répondre que non, elle n’allait pas si bien que ça, qu’elle était détruite et triste, mais en voyait son mari dans sa chaise roulante, elle n’eut pas le courage de le lui avouer. Elle esquissa un sourire bien triste puis désigna sa chaise du regard. « Tes jambes, tu ne peux plus marcher ? » Parce qu’il fallait bien aborder le sujet à un moment, elle était là avec lui dans ce crash, la question n’était donc pas maladroite, ni gênante pour Sara, elle la trouvait même légitime et puis elle préférait savoir son mari dans un fauteuil que dans un cercueil. L’orage se mit à gronder avant que Jamie ne puisse répondre, il lui proposa d’entrer dans leur maison. La première fois qu’elle remettait les pieds chez elle depuis un an… Elle lâcha la main de Jamie. « Je te suis. »

 

Certes elle avait évité de répondre à sa question, laissant un certain malaise s’immiscer entre eux, sournoisement, mais ça n’était pas à elle de justifier les actions de sa famille, elle n’avait rien demandé, elle le pensait mort. Et puis ses parents n’avaient appris qu’elle était en vie que depuis trois semaines, elle n’était revenu que depuis quelques jours, Jamie était une des toutes premières personnes qu’elle allait retrouver. C’était légitime, il était son mari, elle se devait de lui apprendre la nouvelle, mais elle n’avait pas voulu téléphoner, elle se voyait mal lui apprendre une nouvelle pareille au bout d’une ligne impersonnelle, ils valaient bien mieux que ça. Alors il lui avait fallu quatre jours pour qu’elle se décide à venir le voir, parce qu’elle avait dû se préparer psychologiquement au choc que serait cette rencontre, préparer son texte, ses premières paroles. Mais tout cela était tombé à l’eau bien entendu, parce que l’émotion l’avait submergé à la vue de celui qu’elle aimait en vie et aussi surement à cause du fauteuil roulant, elle ne s’y était pas attendu, mais cela restait secondaire, comme dit précédemment elle s’en moquait bien de cette chaise, du moment qu’il soit vivant, peu importe qu’il ne puisse plus marcher s’il lui restait son amour pour elle, mais elle doutait maintenant de cela, après avoir subi son regard froid et fermé. C’était une torture de se retrouver mal à l’aise à côté de son propre mari… D’ailleurs il ne l’aida pas vraiment lorsque pour la calmer, l’apaiser, il sera à peine sa main et tenta un faible « calme-toi, tout va bien maintenant. » … non, tout n’allait pas bien, le Jamie qu’elle aimait l’aurait prise dans ses bras, avec ou sans chaise roulante, il l’aurait forcé à s’agenouiller pour pouvoir toucher son visage, pour un contact physique plus fort, pour l’embrasser, pour l’apaiser réellement, et il l'aurait fait avec force et conviction, pas de façon aussi faiblarde et peu convaincue. Un instant elle pensa qu’elle l’aurait préféré mort plutôt que dans cet état de végétation émotionnelle, mais elle s’en voulu directement. Alors elle lui sourit, faiblement, parce que c’était plus simple.
Non, l’idée qu’il soit paralysé n’allait pas de soi, il pouvait y avoir mille raisons pour qu’il soit en fauteuil roulant, certes cela pouvait être dû à l’accident, mais il pouvait simplement être dedans pour une période de transition ou pour un accident tout autre, bien moins dramatique, qui lui serait arrivé durant l’année, après tout elle avait été absente de sa vie durant une année, tout peut arriver durant ce lapse de temps. Et concrètement, elle aurait préféré qu’il se blesse au sport de façon provisoire plutôt que ça… Alors sa réponse était tombé comme un couperet bien tranchant, il était paralysé, c’était sans appel, elle voulait lui demander s’il avait vu les meilleurs spécialistes, s’il y avait des choses à faire, mais à son air qui s’était encore plus rendurci, à sa mine renfrognée, à sa main qui se crispe dans la sienne, elle n’osa pas, encore une fois elle rongea son frein. Tant mieux, l’orage se mit à gronder. La brunette suivit alors son époux dans la maison. Elle observa tout cet intérieur qui avait été le sien et auquel elle se trouvait pourtant étrangère. Pourtant les photos étaient restées au même endroit, rien n’avait vraiment changé, mais ça n’était plus chez elle. « Oui, je vois, c’est bien que tu aies pu rester dans notre maison, c’est important je crois… » La vérité c’est qu’elle ne savait pas quoi lui répondre, il était si mutique, si rigide. « On se prend un thé ? » Elle voulait faire référence à leurs anciennes habitudes, chaque après-midi qu’ils passaient ensemble ils prenaient un goûter avec une tasse de thé, ils parlaient de tout et de rien, ils refaisaient le monde à leur façon ou parlaient de leur avenir. Elle espérait qu’il comprendrait et que ça l’aiderait à se radoucir.

 

Pénétrer dans cette maison était une épreuve de plus pour Sara, elle aurait pourtant cru le contraire, pensant que ça pourrait l’apaiser, l’aider à retrouver enfin ses repères dans cette vie qui avait volé en éclats, mais évidemment rien n’était aussi simple, Jamie ne l’aidait pas et la brunette se trouvait étrangère à sa propre demeure, se remémorant avec difficulté et souffrance les souvenirs d’une vie de rêve qu’elle n’avait fait qu’effleure, elle avait eu à peine quelques années pour découvrir ce qu’était que le bonheur avec lui, la stabilité d’un foyer chaleureux et tout ceci lui avait été arraché alors qu’elle était à l’aube d’une jolie vie de femme. Sara n’avait jamais eu de grandes aspirations dans la vie, elle n’avait jamais cherché le frisson, la gloire, l’exotisme, elle se plaisait dans son existence paisible et simple, elle se laissait porter, reconnaissante de ce qu’elle avait, alors elle était en droit d’être en colère, en colère contre ce destin qui était clairement contre elle, pourquoi est-ce que tout avait valsé, pourquoi tout réduire en miette et les laisser Jamie et elle sur le carreau… Elle n’était pas du genre à se plaindre mais elle trouvait que ça n’était pas juste.

Le jeune homme répondit que retourner dans cette maison avait été difficile et que maintenant il n’avait pas le choix. Sara le comprenait, à quoi bon rester dans une demeure où chaque pièce lui rappelait un souvenir éteint, cette maison n’était qu’un toit qui ne signifiait plus rien de vrai à présent. Mais elle avait l’espoir qu’ils réussissent à se reconstruire et peut-être raviver la flamme chaleureuse de ce foyer. C’est pourquoi elle lui proposa un thé, comme clin d’œil, elle craignait que Jamie balaye cette idée ridicule mais contre toute attente il sourit, ce ne fut pas un sourire éclatant, pas de ceux qui avaient fait chavirer Sara quelques années plus tôt, non, c’était plutôt une sorte de rictus mais qui ne passa pas inaperçu pour la jeune femme qui crut que son cœur allait déborder dans sa poitrine, peut-être y avait-il de l’espoir finalement. Il lui répondit de façon moins froide, proposa même de quoi le pimenter, sur le coup Sara ignorait totalement de quoi il parlait, mais elle serait bientôt fixée. Ils n’avaient pas pour habitude d’ajouter du rhum à leur thé. Il lui désigna les canapés et l’invita à faire comme chez elle, Sara sourit à cette réflexion. Pourtant elle resta debout, arpentant la pièce comme pour la découvrir à nouveau. Jamie s’éclipsa dans la cuisine, elle n’osa pas lui proposer son aide. Elle attrapa çà et là quelques objets de leur passé, se remémorant les jours heureux, se faisant autant de bien que de mal lorsqu’elle entendit le brun lui demander à travers le mur si elle voulait récupérer ses affaires. Ce fut un coup de poignard en plein estomac, elle ne s’y attendait tellement pas. Sara la naïve qui venait récupérer sa vie, qui espérait retrouver sa place auprès de son mari, dormir de nouveau dans son lit, faire pousser de nouveau des fleurs dans leur jardin, lui faire amoureusement la cuisine et retrouver un contact charnel… elle se faisait simplement virer de chez elle.

Elle vint alors à la rencontrer de Jamie, se cala dans l’encadrement de la porte de la cuisine, bras croisés sur la poitrine, l’air soucieux. Elle remarqua la bouteille de rhum posé sur la table à côté des tasses de thé, voilà ce qui allait pimenter leur breuvage. Elle ne put s’empêcher de se demander s’il buvait beaucoup depuis l’accident… mais elle ne dit rien, cette réflexion aurait été trop déplacée et Sara avait conservé son tact. « Je pensais plutôt récupérer ma vie en vérité… » Elle le fixait intensément, le forçant à affronter son regard. « J’ai attendu ce moment durant une année Jamie, je n’ai plus de repères, je n’ai plus rien, il ne me reste que toi, cette maison et le souvenir qu’on était heureux toi et moi. Tu te souviens de ça au moins ? » Sa voix s’était faite plus dure que ce qu’elle aurait voulu, proportionnelle à la déception qu'elle ressentait envers celui qui la rejetait clairement, elle en venait à se demander s'il avait déjà été amoureux d'elle, ou bien s'il en avait perdu le souvenir en même temps que ses jambes dans cet accident. Parce que pour Sara rien n'avait changé, les mois passés n'avait rien effacé, ça n'était pas aussi simple, elle l'aimait toujours et c'était une torture de le voir si distant.

 

Les nerfs à vif depuis des mois, la peur qui lui cramponnait le ventre, le soulagement d’avoir retrouvé Jamie vivant, vite essoufflé par son air si glacial, autant de sentiments qui animaient la jeune brune et la rendait nerveuse, empressée et qui la faisaient réagir au quart de tour. Voilà pourquoi elle avait eu une réaction si violente devant Jamie qui semblait surpris de la voir s’emporter. Il avait cet air désinvolte là l’épreuve de tout et surtout au-dessus de tout, comme si rien ne pouvait l’atteindre, comme s’il n’avait définitivement plus de cœur. C’était tellement déstabilisant pour Sara qui l’avait connu si chaleureux. Il tenta néanmoins de justifier ses paroles, de lui faire comprendre qu’il ne la virait pas, qu’il essayait juste de l’aider, de la mettre à l’aise du mieux qu’il pouvait. Mais la jeune femme n’écoutait pas, elle était en colère, déçue, meurtrie. Elle avait rêvé, imaginé mille retrouvailles différentes, elle avait pensé d’abord se recueillir sur une tombe, puis en sachant qu’il était vivant le scénario fut différent, elle avait imaginé le retrouvé à l’aéroport, lui l’attendant les bras ouverts, souriant, aimant, soulagé. Ou bien elle lui faisant la surprise au magasin et qu’il a prendrait dans ses bras, ils auraient pleuré ensemble de bonheur… ou tout autre, chose, des scénarios heureux, des happy-ends comme dans les films. Mais jamais ça. Comment imaginer des retrouvailles pareilles…
C’est alors qu’elle commença à lui reprocher à de façon détourné de ne pas être assez heureux. Parce qu’elle ne comprenait pas qu’il puisse être totalement perdu à cet instant même. D’ailleurs il ne se cacha pas pour le lui dire. Jamie mit les choses au clair très vite, fermement, sans pour autant être méchant. Et il avait raison. Où avait-elle la tête ? Certes Sara avait attendu des mois de le revoir. Mais lui faisait son deuil depuis ces longs mois… Elle se sentit tout d’un coup égoïste et d’autant plus triste, elle n’était plus elle-même depuis si longtemps, elle déconnait totalement, s’imaginant que la terre s’était arrêté de tourner durant son absence. Mais non, Jamie devait panser ses blessures et Sara venait les rouvrir violement. Elle baissa les yeux à son tour, honteuse, gênée à nouveau. Elle n’osait plus parler, que dire de toute façon ? La bouilloire les rappela à l’ordre et c’est Jamie qui brisa la glace en lui demandant de le suivre avec l’eau. Elle s’exécuta sans rechigner, remarquant au passage qu’il attrapait la bouteille de rhum, étrangement elle trouva que c’était la meilleure idée de la journée… peut-être que ce bon vieux remède les aiderait. Ils s’installèrent l’un à côté de l’autre, elle remarqua qu’il s’en sortait très bien sur ses deux roues, cette idée la radoucie et l’attendrit. « Excuse-moi s’il te plais. J’ai été la personne la plus égoïste au monde. Je n’avais pas à te parler comme ça. Tu as le droit de prendre ton temps, il n’y a aucune urgence. Sache juste que je suis là maintenant... bien vivante, je ne compte pas repartir. » Elle leur servit leur thé et le laissa ajouter le rhum.

 

La situation dans laquelle le couple était semblait surréaliste, Sara ne savait pas comment réagir devant cet inconnu en face d’elle. Pourtant il lui sembla que Jamie essayer de mettre un peu d’eau dans son vin. Sa réflexion avait un peu ouvert les yeux à la jeune femme, elle accepta de comprendre qu’il soit très chamboulé et qu’il ne l’accueille pas à bras ouverts, c’était difficile à encaisser mais elle devait s’y faire. Elle espérait que le rituel du thé apaise leurs esprits et aide à ce qu’ils s’ouvrent l’un à l’autre. Alors elle le suivit docilement dans la pièce d’â côté, elle l’avait observé prendre les petits gâteaux et tout ce qui faisait leur ancienne habitude, cette attention lui fit chaud au cœur, il n’avait pas tout oublié. Elle formula ses plates excuses alors qu’ils s’installaient autour de la table, elle s’était sentie bête et bien empressée. Si Jamie avait besoin de temps alors elle pourrait bien le lui laisser, même si elle doutait que le temps suffise à panser leurs plaies et à combler une année d’absence. Jamie s’excusa à son tour et ses paroles finirent de radoucir la brunette. Elle le laissa leur servir du rhum. « Merci… tu n’as personne pour t’aider à la maison ? J’imagine qu’Alice est plus que présente pour toi… » Le Jamie d’avant avait beaucoup d’amis, il était sociable, gentil, amical. Sara se doutait que toutes ces personnes ne l’avaient pas laissé tomber. Après tout dépendait l’accueil qu’il leur réservait, s’il était le même que celui qu’elle avait eu quelques minutes plus tôt alors peut-être que ses amies se faisaient plus rares…

Sara pris sa tasse entre ses mains, la chaleur lui fit du bien, elle souffla sur sa boisson pour tenter de la refroidir avant d’y tremper les lèvres. Et puis elle se servit un gâteau, elle était toujours aussi gourmande, surtout depuis qu’elle avait avalé de la nourriture d’Indonésie durant un an, bien moins agréable ! Jamie commença à lui poser plusieurs questions, cette soudaine conversation sembla étrange à Sara, se forçait-il ? Etait-il vraiment curieux de savoir tout ça, il lui souriant c’était donc un bon point… mais accepterait-il de répondre si elle venait à lui poser ces questions… « Je sais… j’ai attendu de te retrouver tellement longtemps, me retrouver face à toi c’est surréaliste. Mais ça me fait du bien. » Elle sourit faiblement, elle espérait vraiment qu’il ressente la même chose. « C’était… étrange, j’ai passé pas mal de temps sur un lit d’hôpital donc autant te dire que le tourisme ce n’était pas ça ! Non, je m’en remets bien, je dois suivre des séances de kiné pour ma jambe mais ça reviendra… si on ne s’arrête pas aux multiples cicatrices on peut dire que je vais bien. » Nouveau sourire avant de boire une gorgée de son thé corsé. « Et toi… » Elle avait demandé timidement, presque dans un souffle.