(hot) if there's too much distance, then race towards her -r.

Les derniers rayons de soleil s’éteignaient à l’horizon, laissant un ciel rosé et orangé bercer la ville. J’étais à la fenêtre de ma nouvelle chambre, la main s’accrochant sans effort au rideau, l’écartant légèrement afin de me laisser la chance de regarder la beauté de la vue. Je soupirai, appuyant finalement ma tête contre le rebord de la fenêtre, fermant les yeux un moment pour les ouvrir de nouveau sur ce spectacle. Les idées se bousculaient dans ma tête alors que je ne voulais qu’une chose : apprécier ce moment et oublier tout le reste. Il m’était difficile, depuis quelques mois, de profiter des petites choses de la vie. J’avais toujours ces petits démons, ces souvenirs sombres, qui trottaient dans ma tête sans jamais me laisser tranquille. Parce que j’avais tout foutu en l’air, perdant Tara, perdant mon emploi, perdant ma colocataire. Je n’avais plus d’ancrage. J’étais à la dérive. J’allais m’y noyer si je ne trouvais pas une bouée. Pourtant, j’étais si bien entouré. Victoria et Emma avaient été là à chaque fois que mes doigts avaient machinalement composé leur numéro respectif. Lola m’avait ouvert sa porte lorsque je m’étais retrouvé dans une situation délicate dans mon ancien logement. Ted m’avait initié à un tas de nouveaux jeux vidéo pour me changer les idées. Certes, ils m’aidaient momentanément. Sauf que dès la seconde où je me retrouvais seul de nouveau, confronté à moi-même et à mes mauvaises décisions, je retombais. Je coulais de nouveau dans cette eau glaciale.

Mais le soleil ce soir était si beau à ses dernières minutes. Et la brise tiède emplissait mon cœur d’espoir. J’avais perdu le goût de vivre et d’avancer sans Tara, sauf que ce soir j’avais trouvé l’envie d’y trouver goût à nouveau. C’était mieux que rien. Je laissai finalement retomber le rideau et je sortis de la chambre, pour une fois vêtu d’autre chose que d’un pantalon sport gris. Lola était là, en train de laver la vaisselle de son repas. « Tu viendrais patiner avec moi ? » Demandais-je, juste comme ça, sans préliminaire. Je n’avais lu que du bon, sur les réseaux sociaux, de cette bulle hivernale dressée à Bowen pour le temps des Fêtes. Je ne voulais pas rater cette chance.

Je m’attendais à une réaction différente de la part de Lola, plutôt qu’une simple affirmation sur le fait qu’il s’agissait de moi. À mon oreille, cela sonna comme un oh, c’est « juste » toi. Peut-être que je le prenais personnel, et que j’étais plus susceptible à cause de la fatigue et de la tristesse, aussi. Ainsi, je ne retins pas contre Lola. Je laissai cette vague impression de la déranger ou de la décevoir partir loin de mes pensées, et je l’invitai quand même à aller patiner. La demoiselle m’informa de ses plans initiaux pour la fin de la journée, avant de m’annoncer que ma proposition la tentait et qu’elle avait bien besoin de sortir d’ici. « Ça tombe bien, moi aussi. Je suis resté trop longtemps dans ma chambre, maintenant on dirait que j’y étouffe … » Et pourtant, cette pièce de l’appartement avait été ma zone de confort des trois derniers mois. Le seul endroit où je me sentais en paix ; ce n’était qu’une illusion. C’était en fait la seule place où j’étais protégé du regard des autres, du jugement des autres aussi. Je me retrouvais alors seul avec moi-même et voilà où l’illusion de paix entre en jeu : je m’étais maudit, pendant trois mois, d’avoir laissé filer Tara. Bref, j’eus un mince sourire en coin en regardant Lola. « Et puis, j’ose espérer que je passe avant un tas de feuilles. » Tentais-je de dire avec humour. Il ne m’était plus habituel de vouloir être drôle dans mes commentaires, mais je me disais que je ne retrouverais jamais ma joie de vivre d’autrefois si je continuais à tout voir du côté négatif. « Amène-toi des trucs plus chauds, semblerait-il que c’est vraiment plus frais à l’intérieur. » J’emmenai donc deux grosses vestes, n’ayant pas de manteau, cette double épaisseur suffirait sans doute. Je louerais des patins à glace une fois là-bas, n’ayant jamais vu l’utilité d’en posséder en Australie. Une fois prêt, j’attendis Lola, et ensemble nous nous rendîmes jusqu’à cet endroit artificiellement givré. Je louai deux paires de patins, dont une que je ramenai à mon amie. « Et voilà mademoiselle. » Dis-je en m’asseyant à côté d’elle pour enfiler mes patins. « T’as pas l’air d’aller, toi non plus. » Affirmais-je tout simplement. Ce n’était un secret pour personne que je n’allais pas bien, alors je ne le cachai pas.

Lola et moi n’avions tous les deux le même entrain que je nous avais connu lors de nos premières rencontres. Que ce soit au club lorsqu’elle avait chanté sur scène, ou alors lorsque nous avions par la suite joué à des jeux vidéo ensemble, et puis toutes les sorties amicales qui suivirent, nous avions toujours été très allumés par la vie. Les yeux brillants, le sourire facile, la conversation qui coulait. Que nous était-il arrivé à tous les deux ? Lola était de ces personnes qui étaient entrées dans ma vie pour une raison bien spéciale : ne plus jamais en ressortir. Et c’était très bien comme cela. Elle avait toujours eu ce don de me mettre à mon aise, de ne jamais me sentir jugé, d’être juste bien. Sauf que voilà, aujourd’hui, nous avions tous les deux la mine basse. L’un ni l’autre n’était tout à fait capable de remonter le moral de l’autre. Parce que nous avions déjà nos petits démons à chasser de dedans nous-mêmes.

Je questionnai alors mon amie sur ce qui n’allait pas. J’avais peut-être la tête dans mon sombre nombril depuis des mois, mais j’avais encore assez d’attention pour me rendre compte que Lola n’allait pas bien non plus. Sa réponse me confirma mes inquiétudes. Je fis une moue désolée et penchai la tête en la regardant. « Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu sais que tu peux tout me dire … » Je redoutais qu’il soit arrivé quelque chose entre elle et Ted. Ils formaient un si beau couple, deux de mes bons amis. Ce serait malheureux. Mais Tara et moi aussi, nous formions un beau couple, et regardez où nous en étions. Comme quoi, la vie était injuste avec l’amour. « Viens, tu me racontes tout ça sur la glace. » Je me levai et lui tendis ma main, qu’elle attrapa. Sans lâcher celle-ci, autant pour la réconforter que pour nous aider à marcher sur patins jusqu’à la patinoire, nous nous rendîmes jusqu’à l’anneau de glace. J’embarquai sur la patinoire et commençai à patiner, tout près de Lola, pour tout entendre lorsqu’elle commencerait à se vider le cœur si elle le voulait.

Ce que je craignais donc le plus venait de se concrétiser par les paroles de Lola qui m’apprirent que c’était terminé entre Ted et elle. Bien des gens auraient souligné le fait que c’était elle qui avait rompu, selon la tournure de sa phrase. Mais pas moi. Pourquoi ? Parce que lorsqu’on regardait la situation de plus près, c’était aussi moi qui avait fait le premier pas pour rompre avec Tara. Pourtant, j’avais le cœur brisé en mille morceaux. Ainsi, de temps à autre, ce n’est pas par absence d’amour ou par colère qu’on rompt avec quelqu’un. Ce sont des forces extérieures à nous, quelque chose de bien plus grand que nous, qui nous poussent à le faire. On ne peut pas toujours avoir le contrôle sur le destin. C’est pourquoi je ne questionnai pas Lola à savoir pourquoi elle l’avait laissé si ça allait la rendre aussi triste. Je comprenais, tout en ne sachant pas les raisons précises. Nul besoin de les connaître. Le moment présent était le plus important. Et en ce moment, nous étions tous les deux démunis, mais nous nous avions l’un l’autre.

Je m’arrêtai de patiner, sourit tristement à Lola, puis la serrai dans mes bras. « On va s’en sortir. » Affirmais-je, tentant autant de me convaincre moi-même que mon amie. Je soupirai, puis me détachai de mon étreinte. J’eus un léger rictus, pas heureux, plutôt ironique face à la vie. « L’été dernier on était deux oiseaux libres, puis on a rencontré ceux qu’on croyait être les bons, et nous voilà près de sept mois plus tard … retour à la case départ. » Et cette case départ avait toujours été un peu floue pour Lola et moi. Après tout, durant cette soirée où nous avions échangé un peu de nos mondes, il s’était passé quelque chose d’électrisant entre nous, même si techniquement rien n’était arrivé de particulier. Du moins, moi, je l’avais senti. J’ignorais ce qu’il en était pour Lola. De toute façon, ce n’était pas le moment de ramener cela sur la table. Nous avions tous les deux la tête ailleurs, non ? Je recommençai donc à patiner, reprenant Lola par la main parce que j’avais envie qu’on se soutienne, elle et moi, autant sur cette glace que dans nos déboires amoureuses. « Ça fait du bien de sortir. Je suis bien avec toi. » Lui avouais-je.

Mon silence n’était pas de l’indifférence, ni de la méchanceté, ni une incompréhension de la situation, ni quoi que ce soit d’aussi négatif et mal intentionné envers Lola. Ce silence n’était que le résultat de ce que le destin nous faisait, à Lola et moi. De vilains tours pas très magiques. Il enlevait toute la magie à la vie et à l’amour, en fait, ce destin. J’avais donc finalement décidé, plutôt que d’utiliser les mots, d’utiliser le réconfort des gestes. J’avais entouré mes bras autour du mince corps de mon amie et je l’avais serrée contre moi. Pour lui faire comprendre que j’étais là, pour lui faire comprendre que je la comprenais, que je ressentais sa souffrance et que nous pouvions nous entraider tous les deux à surmonter ces peines de cœur. Je fermai les yeux un moment, et je sentais que Lola était dans ce même état, alors j’allongeai un peu ce moment avant de me détacher d’elle et de lui assurer que nous nous en sortirions. Forcément. Il le fallait.

La brunette rigola à ma façon de voir les choses, et de comparer notre situation à jeu de société dans lequel nous serions de retour à la case départ. Son rire était tout aussi ironique que le mien, parce que toute cette histoire l’était. Nous avions tous les deux tellement attendu l’amour, et voilà qu’on se retrouvait sans, de nouveau. Bref, pour le moment, je glissai ma main dans celle de Lola et je commençai à patiner à ses côtés. Après un moment de silence, Lola m’appuya dans ses propos et dit que ça lui changeait les idées de sortir. Je souris à sa remarque sur le fait que j’aurais dû sortir de ma chambre plus tôt. « Tu as raison. Je crois que … je crois que j’avais peur, tu vois … peur de … je sais pas, de ne pas être capable de m’amuser, d’être un poids lourd pour l’autre, d’être ennuyeux … » J’haussai les épaules. « Dans les premières semaines je crois que c’était préférable que je reste enfermé, mais … j’avoue que j’aurais dû aller vers toi plus tôt. Ça m’aurait sans doute aidé à aller mieux plus rapidement. » Je souris à mon amie, avant de reprendre un air plus sérieux. « Ça fait combien de temps, Ted et toi, que … que c’est terminé ? Je suis désolé de pas avoir été là quand c’est arrivé. » J’aurais voulu que mon épaule soit celle sur laquelle elle avait pleuré, mais je n’avais pas pu. J’avais été trop perdu dans mes propres chagrins.

Rupture sur un coup de tête ou pas, Lola et moi étions tout de même tous les deux autant démunis. Après tout, à bien y songer, ma rupture d’avec Tara n’était pas des plus réfléchies non plus. Cela s’était fait en une soirée ; c’était la première fois que je la revoyais depuis son accident, on avait essayé, puis j’ai pris à la fin de la soirée la décision qui me semblait la plus logique et la plus raisonnable pour moi-même. Sauf que pendant trois mois, je me suis maudis d’avoir pris cette décision. Si j’avais pris le temps de peser les pour et les contre, peut-être que ma situation actuelle serait différente. Sauf que vivre dans les « si » et les « peut-être » ne mène à rien. La réalité était telle qu’elle était : Lola et moi, seuls mais maintenant réunis.

Je souris au compliment de Lola, même si dans ces situations on ne saurait jamais dire s’il s’agit réellement d’un compliment ou bien si l’autre personne le dit rien que pour ne pas avoir l’air d’acquiescer. Dans le cas de Lola toutefois, je doutais rarement de sa sincérité. Si elle avait quelque chose à le dire, normalement elle le disait, de façon détournée ou non. « Non, mais tu vois ce que je veux dire. » Je souris, elle hocha la tête, puis elle souligna sa compréhension face à ma situation. J’hochai à mon tour la tête lorsqu’elle avoua qu’après tout, elle n’avait pas cherché à me sortir de la chambre. « C’est vrai. En même temps je te comprends, de un t’avais tes propres soucis en tête et de deux, à ta place j’aurais probablement pas osé non plus. » Je souris. J’avais tellement été d’humeur maussade que même les araignées sur mon plafond de chambre allaient se réfugier ailleurs –façon de parler. Je demandai finalement à ma brunette depuis quand c’était terminé entre Ted et elle. « Ok. » Répondis-je tout simplement, avec compassion, parce qu’il n’y avait rien de plus à dire. Et puis valait mieux ne plus en parler pour ce soir.

Je continuai à patiner avec la main rassurante de Lola dans la mienne. Je souris et je rougis même un peu à son remerciement. « Ça me fait plaisir. Vraiment. Ça me fait très plaisir qu’on soit ici. » Lui assurais-je. Puis je commençai à patiner plus rapidement. « Attrape-moi si tu peux ! » Lui criais-je alors que je prenais de l’avance, rigolant comme un gamin.

Je ne répondis rien sur la question de qui aurait osé ou pas, et de qui aurait dû faire le premier pas dans tout ça. Lola et moi avions été inondés par nos propres soucis et nos vies respectives s'étaient transformées en chaos. Aucun de nous deux n'avait eu la tête à remonter le moral de l'autre. La faute n'était effectivement à personne et ça ne servait absolument à rien de chercher un coupable qui n'existait pas. Je changeai donc l'ambiance en commençant à patiner plus vite et en mettant Lola au défi de me rattraper. Nos mains se lâchèrent, j'entendis la brunette crier mon nom dans une rigolade craquante et mignonne, et je continuai pourtant ma course sans me retourner. Arrivant au bout de la patinoire, je rigolai devant ma victoire et me tourner enfin vers notre position initiale, et je vis Lola, quelques mètres plus loin du point de départ, les fesses sur la glace. Je retournai vers elle aussi rapidement que j'en étais parti. « Hé ! Ça va, tu t'es pas fait mal ? » Demandais-je avec inquiétude, même si Lola ne semblait pas au bord des larmes. Je lui tendis la main. « Je tire à 1, 2, 3 ... » Et plutôt que de l'aider à se relever en la tirant vers le haut, Lola me tira vers le bas en rigolant. Je basculai vers l'avant et j'atterris sur Lola, qui se coucha sur le dos sous mon poids. Je mis mes bras sur la glace pour ne pas m'écraser complètement sur elle. J'éclatai de rire. « T'es pas croyable, toi ! » Et je la regardai dans les yeux, les siens étaient bien plus près des miens que je ne l'aurais imaginé. Nos corps et nos lèvres aussi. Ma respiration commença à être beaucoup moins naturelle. Parce que je me sentais à la fois bien et inconfortable. Une tension indescriptible montait entre les quelques centimètres qui nous séparaient. Alors plutôt que de faire augmenter le malaise en lâchant une blague niaise ou en m'éloignant en rougissant, je décidai de couper la distance qui s'était forgée entre nous et je posai mes lèvres sur les siennes. Pas pour un baiser chaste et pur. Plutôt pour un baiser chaud et enivrant.

Le même malaise que lorsque nous étions dans ma chambre à coucher s'était installé. La première fois, j'avais fait comme si de rien était, j'avais brisé le moment d'hésitation et de confusion en proposant à Lola de dormir ou de la raccompagner chez elle. Cette fois, j'avais compris que si cette tension existait entre nous, ce n'était pas pour rien, et qu'on ne saurait jamais de quoi il s'agissait si on rompait sans cesse le moment. C'est pour cette raison que j'avais posé mes lèvres sur les siennes, et que j'avais profité au maximum de ce contact chaud et humain. Je n'avais embrassé aucune lèvres depuis celles de Tara, et je réalisai à quel point je m'ennuyais d'avoir une femme dans mes bras. C'était un sentiment si unique que de se sentir aimé et désiré. Dans le cas de Lola, ce n'était pas de l'amour, certes, mais on s'appréciait assez pour passer du temps ensemble et l'attraction était inéluctablement présente entre nous deux. Sauf que la brunette mit fin à cette passion en disant qu'ils ne devraient pas. Je me sentis tout d'un coup très honteux d'avoir été aussi impulsif. Je ne voulais pas que Lola pense que je profitais de sa vulnérabilité et de sa peine d'amour. J'étais moi aussi tellement perdu. J'avais juste cherché du réconfort et l'oubli. « Je suis désolé, j'avais cru ressentir que quelq ... » Je n'eus pas le temps de lui expliquer que j'avais cru ressentir un courant électrique entre nous que Lola m'attrapa par le manteau et me tira vers elle, plaquant ses lèvres contre les miennes. Je repris donc notre baiser enflammé, ne cherchant pas à comprendre ce qui s'était produit dans la tête de la belle brune. Cet intermède ne faisait que me confirmer que ce n'était pas une bonne idée, que cela allait mal se terminer, que nous avions tous les deux la tête ailleurs, mais au diable tout ça. Je m'en fichais. Lola était belle, j'avais envie d'elle et elle me permettait d'oublier Tara pour le moment. « Est-ce que tu veux qu'on rentre ? » Même pas besoin de décider chez qui nous allions, nous vivions ensemble ! Je ne sais pas si Lola allait comprendre que mon invitation à rentrer sous-entendait que ce baiser ne se terminerait pas de si tôt, mais j'osais espérer que oui et que ma rapidité à brûler les étapes n'allait pas l'effrayer.