Not just anybody.[Léo.]

Donovan n’avait pas beaucoup de certitudes dans la vie et d’ailleurs le peu qu’il avait acquis avait cette fâcheuse tendance à partir en fumé. Il était ce qu’on appelle un homme droit, le genre de personne sur lesquelles on peut compter, normalement. Il avait certes son lot d’erreurs, de casseroles qu’il trainait derrière lui tout en tentant de les dissimuler mais la vie était telle qu’il avait surtout appris à les accepter et à s’en servir pour ne plus les reproduire. Il avait ce que beaucoup appelaient une belle vie, né avec une cuillère en argent dans la bouche comme on dit. Il était « fils de », et pas de n’importe qui, de Peter Emery, l’un des PDG les plus fortunés d’Australie, rien que ça messieurs dames ! Ne vous en faites pas, cela il n’en était pas fier, il trainait ce fardeau depuis l’enfance et encore aujourd’hui. Parce que sa vie entière était construite sur cette réputation, ses fréquentations, ses études, son travail, même sa femme… tout était dû à sa classe sociale et à son patronyme. Beaucoup vous diraient qu’il n’avait aucune raison de se plaindre, en effet, il n’avait jamais manqué de rien, surtout pas d’argent ni de situation. Mais il est une chose dont il avait cruellement manqué et dont il ne pouvait parler à personne sous peine de passer pour un ingrat. Il n’avait jamais été totalement heureux. Sa conception même au sein de cette famille relevait d’une stratégie de son père pour assoir son patrimoine, en engendrant un fils, en le hissant à la tête de l’entreprise, il s’assurait une pérennité, presque la postérité puisqu’il était mégalo. Mais jamais il n’avait aimé son fils tel qu’un père se devait de le faire, jamais il ne l’avait amené à la pèche ni n’avait suivi ses résultats sportifs, jamais ils n’avaient eu de discutions d’homme à homme autour d’un feu, jamais il ne lui avait donné suffisamment d’importance pour qu’il se sente aimé pour qu’il se sente unique. Et pourtant unique il l’était, il était le seul enfant de Peter et Charlotte Emery, jamais sa mère n’avait pu donner naissance à un autre que lui et ce fut la tragédie de cette femme pourtant si aimante mais étouffée par son mari.
Plus que tout Donovan avait manqué d’un frère, ou d’une sœur, d’une figure fraternel avec laquelle grandir et s’épanouir. Il avait ressenti ce manque depuis son plus jeune âge, en voyant ses camarades passer du temps avec leurs frères et sœurs, il en avait toujours secrètement voulu à ses parents de ne pas lui avoir offert ce cadeau, plus que tous présents matériels, celui-ci aurait été exceptionnel à ses yeux. Mais le temps avait passé, laissant simplement un vide dans la vie de notre blond. Il tentait de le combler de bien des façons, en se faisant des amis qu’il avait gardé même adulte, le genre de personnes qu’il considérait comme de sa famille même sans liens du sang. Et aujourd’hui alors qu’il allait être père et même si rien n’était moins sûr que son avenir avec sa femme parce qu’ils traversaient une crise sans précédent, il espérait encore voir grandir une fratrie autour de lui. Il s’imaginait aisément ne pas avoir d’enfant, mais dès lors qu’il avait su que Victoria était enceinte il ne s’imaginait pas laisser cet enfant unique, il voulait lui donner la chance qu’il n’avait jamais eue.

Pourtant si nous reparlons de certitudes, ou du moins de doutes énormes qui l’avaient suivi toute sa vie il en est un qui subsistait encore aujourd’hui. Donovan n’était pas naïf, il savait que son père était un coureur invétéré qui avait probablement trahi son mariage plus d’une fois. Et il avait toujours subsisté un espoir, malgré cette idée abominable de le savoir dans les draps d’autres femmes, qu’il avait peut-être mise enceinte une autre que madame Emery, qu’un enfant serait né de ses multiples adultères et que donc Don ne serait pas seul, mais ça encore, il n’en avait jamais parlé à personne.
Ce matin pourtant en voyant débarquer cette jeune femme brune au comptoir de son agence, Donovan pensa à tout autre chose et était à mille lieux de comprendre la raison de sa venue. D’ailleurs il allait retourner à son bureau lorsqu’elle l’apostropha. Il se retourna donc, prit un air aimable mais ne put s’empêcher d’arquer un sourcil de surprise. « Oui c’est bien moi, que puis-je pour vous ? » En vérité il savait qui était la jeune femme, il ne se souvenait plus bien de son nom ni de quoi que ce soit de concret sur elle, il la connaissait en tant que petite amie officielle de Julian Callaway, l’une des personne qu’il détestait le plus dans cette ville et c’était totalement réciproque. Alors lorsqu’il vit arriver la jolie brune, il crut d’emblée qu’elle venait pour parler d’un énième différent entre eux deux. Et s’il n’avait pas lu l’urgence dans ses yeux il l’aurait probablement gentiment envoyé promener mais voilà, elle semblait sérieuse et déterminé, intimidée aussi… et cette attitude éveilla son intérêt. « J’ai un rendez-vous dans quelques minutes mais je peux vous accorder un instant. Venez dans mon bureau on sera plus tranquille. » La galanterie le fit passer après elle et il la laissa pénétrer dans son antre.

Une fois entré dans le bureau, porte fermé et seul avec la jeune brune, Donovan senti encore plus le malaise s’immiscer. Il ne savait pas bien comment se tenir et même s’il tentait de rester impassible il sentait bien que ce qu’elle avait à lui dire était délicat. Il la laissa s’installer dans un des luxueux fauteuils qui composaient son espace personnel, lui voulut aller s’assoir à sa place, celle derrière le bureau en bois massif, la place qui en imposait, qui demandait le respect et qui le faisait dominer ceux qu’il avait face à lui, en position de force. Mais il se détourna de ce but, il resta finalement plutôt prêt d’elle, se callant simplement contre le meuble, pas totalement assis, comme pour se donner la possibilité de s’enfuir à tout moment. Il la voyait l’observer sous toutes les coutures, au moins autant mal à l’aise que lui, quelqu’un d’extérieur à la scène les aurait surement trouvé comiques ces deux-là. Donovan s’attendait à ce qu’elle lui parle de Julian, même s’il ne se souvenait pas la dernière fois qu’il avait croisé cet homme. Puisqu’ils s’évitaient proprement… les deux hommes ne s’aimaient pas et c’était peu dire. Une rivalité qui remontait à l’enfance, attisée par le fait que Donovan se soit mis en couple avec Victoria, la meilleure amie de Julian et que ce dernier se sente l’âme d’un chevalier blanc concernant la blonde. Mais leur histoire ne regardait pas le beau gosse et Donovan ne se cachait pas pour le lui dire. Il n’aimait pas son air supérieur de coq de bassecour qui se croyait au-dessus de tous, cet air pédant et trop sûr de lui, presque flegmatique, à toute épreuve. Il y avait peu de gens que Donovan n’aimait pas et Julian faisait assurément parti du petit lot. Pour ce qui était de sa petite amie, il lui souhaitait bien du courage, elle devait en avoir besoin pour supporter l’autre blond, pourtant elle avait l’air gentille, il ne comprenait pas ce qu’elle pouvait lui trouver et encore moins ce qu’elle faisait ici. Les choses ne s’arrangeraient pas entre les deux hommes, Victoria avait déjà vainement essayé.

Et pourtant lorsque Eileen, elle venait de le lui dire, avait ouvert la bouche, il comprit que sa présence ici ne concernait pas Julian et fut alors d’autant plus mal à l’aise. Elle semblait hésiter à sauter le pas, nerveuse, n’arrêtant pas de se tordre les doigts, Donovan eut soudainement envie de la prendre par les épaules et de la secouer comme un poirier pour qu’elle crache enfin le morceau. Mais il resta calme, la laissant prendre son temps, fronçant les sourcils tout de même, curieux, presque effrayé par son attitude. « J’avoue que vous ne me rassurez pas mais… prenez votre temps, allez-y, n'ayez pas peur, personne ne peut nous entendre. » Il voulut lui donner un coup de pouce maladroit. Et enfin elle parla, après avoir accroché son regard trop bleu de se prunelles dorées, le forçant à la regarder et à l’écouter. Elle lui parla de papiers, de choses découvertes, il était perdu. Et enfin sa dernière phrase, tombant comme un couperet acéré. Je pense que vous êtes mon frère. Il parut probablement interdit, ne sachant trop quoi répondre à cette révélation à laquelle il ne s’attendait pas le moins du monde en se levant ce matin.

Et en même temps ce ne fut pas une telle surprise, pas un raz de marée qui l'aurait submergé, non. Juste la confirmation de ce qu’il pensait, attendait, depuis des années déjà. Alors son père avait bien réussi à en mettre une autre enceinte… Il fut presque soulagé de le savoir, heureux ? Je ne peux pas vous le confirmer, il fallait tout de même que la pilule soit avalée. Et encore, il allait devoir questionner la jeune Bennett, s’assurer qu’elle lui disait bien la vérité, comprendre quelles étaient ses réelles attentions. Parce que vous devez comprendre que lorsqu’on porte le nom Emery on rencontre tout un tas de gens qui veulent devenir votre ami, ou se rapprocher de vous de toute façon possible, des sangsues qui tentent simplement de profiter de votre argent, de votre nom, votre renommée, sans vergogne. Alors même si la brunette semblait sincère, il ne pouvait pas la laisser dans sa vie, l’accueillir à bras ouverts sans se blinder avant. Il fallait rester pragmatique tout de même. Alors il hocha la tête lentement, préparant sa réponse. « Je vois. Depuis combien de temps êtes-vous au courant ? Et quels sont ces… papiers dont vous me parlez ? Des papiers d’adoption ? Avez-vous rencontré Peter mon… vot… notre père ? » Il espérait que non, l’homme qu’il était aurait surement effrayé la jolie brune. Il tentait de la sonder, la regardait d’un autre œil, cherchant les ressemblances, dans les traits du visage, les expressions. Mais rien ne lui sautait aux yeux.

C’est fou de se dire que votre existence pouvait parfois être bouleversée en un seul et court instant, par un regard échangé ou une phrase prononcée. Celle de Donovan venait de changer et ce grâce au petit bout de femme assis en face de lui. Elle semblait s’être un peu détendue depuis qu’elle avait enfin dit ce qu’elle avait à dire, pourtant rien ne semblait gagné pour Eileen, parce que ce qu’elle venait d’annoncer à Donovan ça n’était pas rien, elle était venu jusqu’à lui pour lui avouer qu’elle était sa sœur, que son père avait trompé sa mère et que de cette erreur était né un enfant, mais il en voulait la preuve, il voulait être capable de lui faire confiance. Et puis c’était difficile à avaler tout de même, surtout que l’arrivée de la brunette dans sa vie faisait écho à une toute autre histoire, la sienne, très personnelle, celle de sa plus grosse erreur. Il avait lui aussi trompé celle qu’il aimait. Trompé n’était pas le mot puisque techniquement ils étaient séparés à ce moment, mais son cœur lui appartenait toujours et pourtant Donovan avait couché avec une autre que Victoria et de cet affront été né un enfant, son fils, Jonathan. Fils illégitime de l’héritier Emery, un enfant qu’au départ il n’avait même pas voulu connaitre et qui ne portait toujours pas son nom. L’arrivée d’Eileen lui rappelait brusquement ses erreurs passées et il ne put s’empêcher de songer que la vie, de façon ironique et cruelle, rapprochait Donovan de son père, qu’il lui ressemblait peut-être un peu, sur l’un des aspects les moins enviables de sa personnalité.
« Des lettres vous me dites, des photos… c’est étrange de la part de Peter… » Il fronça les sourcils, tentant de se mettre à la place de son père, de le comprendre même un peu. « Il est plutôt du genre à verser une grosse somme d’argent et à faire pression pour se débarrasser d’un… problème… Ils étaient amants ? Votre mère et lui ? » Il se doutait bien que depuis quelques années Peter n’était plus amoureux de Charlotte, sa mère, qu’il cohabitait avec elle parce qu’un couple comme le leur de se sépare pas, pourtant il avait beaucoup de mal à l’imaginer amoureux d’une autre. « Votre père pense que vous êtes sa fille biologique, c’est ce que vous voulez dire alors, s’il n’est pas au courant ? » L’histoire semblait complexe, pourtant Donovan avait envie d’y croire, il sentait qu’il pouvait avoir confiance en cette fille. « Peter n’est pas quelqu’un de très intéressant à rencontrer, sauf si on en veut à son argent… » Il était sincère, l’idée qu’elle rencontre leur père n’avait pas beaucoup de sens aujourd’hui, il l’avait rejetée une fois, c’était bien suffisant… mais Don voyait bien qu’elle essayait de lui faire passer le message qu’elle voulait le connaitre, lui. C’était bien courageux de venir le rencontrer ici, sans connaitre sa réaction. « J’ai toujours su, en quelque sorte, qu’il avait eu d’autres femmes que ma mère, mais je ne savais pas qu’il avait eu des enfants… c’est tellement inattendu et pourtant… j’avoue ne pas être surpris. » Il s’assit sur le fauteuil à côté de celui d’Eileen, pour se rapprocher d’elle et se mettre dans une position plus confortable. « Tu as d’autres frères et sœurs ? » Notez l’arrivée du tutoiement, après tout il allait devoir se faire à l’idée qu’il avait une petite sœur, dans le fond, cette idée le ravissait.

La passion nous entraine, nous pousse et finit par imposer sa loi et nous lui obéissons. Que pouvons-nous faire d'autre? La passion est la source des moments les plus rares, la joie de l'amour, la lucidité de la haine, la jouissance de la douleur…

Et si Peter et la mère d’Eileen s’étaient réellement aimés ? S’il n’avait pas été Monsieur Emery, homme marié qui trompe sa femme… s’il avait eu la possibilité de changer de vie et d’être heureux avec cette autre. Donovan tentait de se mettre à la place de son père, de lui trouver une excuse, parce que la passion était une excuse valable. On ne sait jamais quand l’amour frappe à la porte, on pouvait le croiser dans un simple regard au détour d’une rue, à la terrasse d’un café ou avec une collègue, un regard, un sourire, quelques simples mots et le cœur s’emballe et on n’y peut plus rien, et on oublie tout, esclave de cette pulsion, qu’on sait souvent destructrice, mais quand l’amour, la passion, même charnelle, s’empare de nous, de tout notre être, quelle solution avons-nous d’autre que d’en devenir esclave ? En un sens Donovan voulait croire que son père avait connu ce genre de sentiment pour la mère d’Eileen, qu’il avait réellement ressenti quelque chose pour elle, ça donnerait un sens à cette naissance, ça l’excuserait presque… en espérant que ça ne soit pas une simple histoire de sexe, d’objet que la pauvre femme aurait été pour cet homme que Donovan pensait sans cœur, d’ailleurs n’avait-il pas coupé les ponts à l’annonce de la grossesse…n’avait-il pas refusé de connaitre sa fille... Mais comment Donovan pouvait-il le savoir ? Il n’aurait jamais le fin mot de l’histoire et dans ce genre de cas, il y a toujours des victimes, sa mère, celle d’Eileen et Eileen elle-même, gamine élevée dans le mensonge, le seul vrai gagnant à la fin c’était Peter, comme toujours. Et alors qu’il avait d’abord tenté d’excuser son père, Donovan éprouvait soudain une rancœur énorme pour cet homme qui faisait tant de mal autour de lui. Il écoutait la brunette en silence, leur je ne sais quoi… il sentait que pour elle aussi toute cette histoire était difficile à admettre. Réaliser que sa mère lui mentait depuis sa naissance, avait menti à son mari, comment se construire une identité sur de tels mensonges. Le jeune homme sentait que sa sœur avait besoin d’un appui mais il n’était pas sûr d’être capable de le lui apporter. « Je pense qu’il ne faut rien dire à votre père… parfois les liens du sang ne sont rien comparé au lien qu’on se crée. Il vous a élevé, vous aime parce que pour lui vous êtes sa fille sans aucun doute, lui dire… ça le briserait. » Peut-être que ça n’aiderait pas, mais il se sentait obligé de lui donner ce conseil, même idiot.

La réflexion d’Eileen sur le compte de Peter fit sourire Donovan, il ne pouvait que valider ce qu’elle disait, un jour elle serait peut-être confrontée à leur père, mais il espérait que ça serait le plus tard possible, il voulait l’y préparer, qu’elle se blinde pour ne pas souffrir d’avantage, cet homme pouvait faire des ravages et il en avait déjà assez fait avec elle. « Il ne sait pas ce qu’il manque… » Petit hochement de tête. A cette réflexion Don se demanda soudainement si Julian était au courant de tout ça, mais il la questionnerait plus tard sur ce sujet. Julian et Peter dans une même réflexion, le rapprochement avait de quoi être hilarant pour celui qui ne supportait pas le jeune Callaway.

La question suivante fut assez déstabilisante pour notre homme qui fut pris de court. Que ressentait-il vraiment à cette annonce… il devait laisser un temps de la réflexion. C’est là qu’il s’installa dans le fauteuil près d’Eileen, le regard grave, ailleurs, perdu en lui-même. Puis il la fixa, un demi-sourire aux lèvres, il n'était pas bon pour parler à cœur ouvert mais il allait tout de même tenter. « Eh bien, il va falloir que je m’habitue à l’idée, j’ai toujours été un gamin solitaire, dans l’enfance ça m’aurait beaucoup plu de ne pas être seul, ça m’aurait aidé surement. Aujourd’hui je m’en sors mieux mais c’est toujours agréable d’être à deux. » Il réfléchit encore un instant avant de sortir avec plus de douceur, sur le ton de la confidence. « Je crois que j’ai attendu une visite comme celle-ci toute ma vie. » Il sourit presque gêné de cette soudaine proximité, de ce lien qu’il sentait se créer entre eux, encore ténu mais bien présent. Pour combler le blanc il la questionna sur elle, si elle avait des frères et sœurs.
« Oui, un fils c’était suffisant pour mon père, dès ma naissance j’ai eu un chemin de vie tout tracé. Fils, tu suivras les pas de ton père ! Hum… enfin c’est l’idée. Je crois que ma mère aurait aimé d’autres enfants, mais il semblerait qu’ils aient essayé et que ça n’ait pas marché. ». Il haussa les épaules, mi déçu mi résigné.

Ils se trouvaient donc là, dans la grande pièce de vie de Léo, qui lui servait aussi de bureau puisqu’il travaillait chez lui. Peu à peu chacun se détendait, ils apprenaient à se connaître, doucement, sans se brusquer. Il y avait de quoi être bouleversé, toute leur vie venait de changer en l’espace de quelques minutes. Ils avaient tous deux passé une vingtaine d’années seuls, maintenant ils étaient deux, ils allaient devoir apprendre à vivre avec le fait d’être frère et soeur, c’était extraordinaire et effrayant à la fois, l’idée même était fascinante. Léo n’avait pas pris peur, pour lui il n’y avait que du positif dans l’histoire, il avait toujours soupçonné son père d’être volage, il en avait aujourd’hui la confirmation, en soit ça ne changeait rien, l’estime qu’il avait de cet homme était déjà au plus bas et pour le reste, il allait juste devoir découvrir qui est sa jeune soeur. Pour Eileen par contre c’était une toute autre affaire, elle avait grandit dans le mensonge, elle se voyait tiraillée entre ses envies de vérités, de justice et les conséquences que cela pourrait avoir, le jeune homme imaginait que ça n’allait pas être simple, mais il entrevoyait en elle une jeune femme avec beaucoup de coeur et suffisamment de discernement pour faire les bon choix. Tout irait bien, il le sentait. Elle faisait déjà preuve de sagesse dans les propos qu’elle tenait en rapport à son père, en effet, il ne méritait pas de voir toute sa vie chamboulée aussi violemment. Aucun père ne méritait ce genre de choses, lui qui l’avait élevée, qui l’aimait comme sa chaire, le pauvre homme ne supporterait sûrement pas cet affront fait par sa femme.

Les paroles bienfaitrices de la brunette furent plus qu’agréables à l’oreille de Léo. Lui le gamin solitaire qui avait passé une bonne partie de son enfance à jouer sans personne, préférant un bouquin à une partie de foot. Même s’il avait bien changé et que depuis il avait appris à se sociabiliser, même s’il avait aujourd’hui sa bande d’amis qu’il considérait comme des frères, il lui arrivait toujours de resentir ce vide, cette réminiscence de l’enfance, des jours moins joyeux. Alors savoir qu’il avait une soeur, quelque part dans cette ville, un bout de femme qui n’attendait qu’un geste de sa part, qu’un mot pour le connaître, pour renforcer ce lien du sang en un réel lien affectif, il y avait quelque chose de réconfortant dans cette idée. “Oui, maintenant qu’on s’est rencontré… et que tu n’as pas défailli, on va pouvoir rattraper les années perdues !” Il lui sourit chaleureusement. “Tu veux boire quelque chose ? Je ne t’ai rien proposé encore…” Il en oubliait les règles élémentaires d’accueil.

La réflexion de la cadette arracha un sourire en coin à Léo, son copain.... Julian, il semblait étrangement qu’elle ne soit pas au courant du désamour qui liait les deux jeunes hommes depuis tant d’années. Mais en un sens, même si Léo ne l’appréciait pas, il savait que son parcours était semblable au sien et qu’ils se ressemblaient bien plus que ce que chacun voulait bien avouer. Cependant il ne dit rien sur le sujet à Eileen, cette partie là de l’histoire elle l’apprendrait bien assez tôt, de sa bouche ou de celle de Julian qui ne devait pas encore être au courant que sa jolie petite amie et lui partageaient maintenant un lien indéfectible, parions qu’il n’appréciera pas la nouvelle ! Il lui désigna la grande pièce d’un geste du bras. “Cette maison, toute ma vie c’est un cri de liberté et un réel affront à mon père. Lorsqu’il a appris que j’arrêtais mes études de droit il m’aurait tué… si seulement le meurtre ne menait pas en prison ! Il voulait que je prenne sa suite au cabinet, que je devienne un requin des affaires, ça n’est pas pour rien que son empire s’appelle Emerson&fils. Et franchement, j’ai bien failli la suivre cette fameuse route toute tracée. Mais je me félicite chaque jour d’y avoir renoncé et d’avoir réalisé mon rêve. Je suis libre, je voyage où bon me semble et ça me fait gagner ma vie. Je n’ai pas à me plaindre mais pourtant je ne vis pas dans l'opulence, comme le montre ma maison, elle est petite, simple, fonctionnelle, tout le contraire du manoir que s’est fait construire mon père. Je me suis affranchi. Mais pour ça j’ai du renoncer à lui et à un quelconque lien père/fils.” Il haussa les épaules, même s’il ne regrettait pas son choix, il aurait tout de même apprécier d’être épaulé par une figure paternelle digne de ce nom. “Ne t’excuse pas, ta question était légitime.” Il lui sourit, amusé par cette fille qui se voulait un peu grande gueule à défendre ses idéaux mais trop sage pour les assumer totalement. “Deux soeurs pour le prix d’une… c’est mon jour de chance alors !” Il se tourna vers une photo discrète posée sur un meuble près d’eux. Celle-ci, en noir et blanc, représentait un nouveau né, c’est lui qui avait pris ce cliché, le jour de la naissance de Jonathan. Il la pris et la tendit à Eileen. “Puisque tu m’apprends que j’ai une soeur. Il faut que je te présente ton neveux. Il s’appelle Jonathan, il a six mois.” C’est presque ému que Léo mettait Eileen au courant de l’existence de son fils, lui même avait du mal à réaliser qu’il était père, mais il partageait cette information avec tendresse.