sometimes shit happens (nathan)

Ciaràn n’aimait pas l’école. C’était une certitude, c’était un fait, c’était quelque chose qu’il haïssait du plus profond de son coeur. Pas seulement à cause de l’autorité que cela représentait, ni de la soumission dont il était censé faire preuve devant ses parents et leurs convictions ainsi que devant les professeurs, plus sévères qu’ailleurs ; parce qu’ici, les études, ça ne rigole pas, surtout à un tel niveau. Ciaràn se retrouvait obligé de travailler en dehors des heures de cours afin de rattraper ce pseudo-retard qu’il creusait de lui-même en préférant ennuyer ses camarades de cours ou carrément à dormir pendant que le prof continuait de blablater non sans jeter quelques coups d’oeil à cet individu au physique étrange qui jurait avec la quasi totalité des autres élèves. Depuis maintenant quelques années, Ciaràn avait un code vestimentaire bien à lui et totalement à l’écart des critères de normalité. Aujourd’hui encore, il avait opté pour un style tout à fait semblable à son caractère provocateur en arrivant avec des new rock un peu trop lourdes, un jean noir déchiré ça et là et n’oublions pas de préciser ce t-shirt abîmé avec un magnifique doigt d’honneur comme motif central. Si on veut aller plus loin en détail, on peut remarquer ses nombreux bracelets à clous ou de force en cuir ; et cette double chaîne bruyante qui heurtait sa cuisse et sa hanche droite à chaque mouvement.
Une fois arrivé dans ce lieu qu’il considérait plus comme une prison qu’une opportunité de vivre une belle vie, il s’assoit sur la bordure d’un mur à la recherche d’une quelconque victime à importuner. C’est alors qu’une tête familière apparaît dans son champ de vision - c’est là que ses iris clairs ne le quitte pas d’une seconde, et s’élançant brusquement, il se dirige vers cet élève qui partage certains cours avec Ciaràn ; il lui heurte maladroitement l’épaule avant de s’emparer de son sac de cours, s’enfuyant en empruntant les couloirs menant vers différentes salles. Il se faufile entre la foule et s’arrête  avant un croisement, tenant le sac d’une main à la hauteur de la vision de Nathan - il avait retenu son prénom même si ce bouclé faisait plus parti de la décoration que de la classe en elle-même - avec un sourire provocateur et amusé. Puis il le met à son épaule, se retrouvant avec deux sacs sur le dos (ce qui, franchement, ne le dérangeait nullement, vu la consistance du sien qui se révélait être quasi nulle), en attendant l’arrivée de Nathan avec la même impatience qu’un chaton à qui on offrait un jouet.
Parce que ouais, dans ce contexte, on pouvait parfaitement associer Ciaràn au chat et Nathan au jouet.

J'étais en train de relire mes notes de Littérature et culture Européenne sur une étude comparée de Moby Dick et Le K. quand j'ai percuté quelque chose - ou plutôt quand quelque chose m'a percuté parce que, même si j'étais pas très stable et un peu tête en l'air, l'entrée était tellement bondée que j'avais pas le choix que de faire attention où je mettais les pieds si je voulais pas finir par terre. Et, donc, je suis quasiment certain que c'est pas moi qui ai percuté le gars mais lui - pas que je lui en voulais ou quoi que ce soit, mais mon bloc note a presque fini au sol et mon sac s'est décroché de mon épaule sous le choc. J'allais me pencher pour le ramasser mais il l'a attrapé juste sous mon nez, et j'ai soufflé un "Merci" parce que je pensais qu'il allait me le rendre : je vous explique même pas la tête que j'ai fait quand il s'est mis à courir, embarquant avec lui mon sac à travers les couloirs. Par réflexe j'ai lâché un "Mais-" plein d'incompréhension et il m'a fallu un temps avant d'assimiler qu'il venait de s'enfuir avec mon sac, celui avec toutes mes notes et ces livres que je devais impérativement rendre à la BU aujourd'hui, et c'était franchement le truc le plus étrange qui m'était jamais arrivé. Je veux dire voler un porte-feuilles okay, un téléphone d'accord, mais un sac de cours ? J'ai brièvement questionné ses motivations intérieures avant de me rendre compte que je n'en avais pas tellement le temps, à vrai dire, parce qu'il disparaissait bientôt au détour d'un couloir - je me suis mis à sprinter et heureusement que j'avais toujours été bon en athlétisme au lycée, parce qu'il galopait plus qu'autre chose mais j'ai tout de même réussi à le rattraper. J'ai remarqué un peu après que c'était parce qu'il s'était arrêté, en fait, et maintenant que je le voyais de près j'ai pu le reconnaître : il était dans la même section que moi. On partageait certains cours ensemble et je l'avais déjà remarqué, principalement parce qu'en TD on ne risquait pas de le louper, vu qu'il était toujours en train de manigancer contre quelqu'un ou de tenir tête aux profs. Si mes souvenirs étaient bons, il s'appelait Ciaràn. "Euh," J'ai dit en m'approchant, faisant attention de ne pas trébucher sur mes pieds pour ne pas trop avoir l'air idiot, "Salut. Je crois que tu as pris mon sac ? Tu pourrais me le rendre, s'il-te-plaît ?" Je lui ai souri en le saluant, quand même, et j'ai pointé du doigt le second sac qu'il portait sur son épaule - mon sac.

Il a soupiré et j'ai pas pu m'empêcher de rougir un peu - c'était certainement le truc le moins bon à faire dans l'immédiat, mais je n'avais jamais spécialement été très à l'aise avec les gens de mon âge. J'avais appris à me taire et à passer inaperçu assez tôt dans ma scolarité et il me manquait pas mal d'étapes dans le processus "établir une discussion cool avec un type de sa classe" et, honnêtement, j'étais déjà assez nerveux sans qu'il ne se mette à soupirer comme si j'étais une plaie. Ca me donnait envie de m'excuser alors que c'était lui qui devrait, mais il sembla ne pas s'en formaliser parce qu'il se mit à s'asseoir d'un coup - en tailleur. En plein milieu du couloir. Comme s'il n'y avait personne autour. Il a ensuite tapoté la place à côté de lui et je supposais que c'était une invitation à venir m'asseoir moi aussi, et j'ai pesé le pour et le contre un moment avant de finalement le rejoindre. J'espérai juste qu'il n'allait pas en profiter pour partir en courant et se barrer avec mon sac. Il ne le fit pas. "On est en plein milieu du passage." (Honnêtement, nous incorporer tous les deux dans un "on" était franchement bizarre), "Ca gêne les autres élèves .. Tu voudrais pas, euh, reculer un peu ? Contre le mur ?" J'ai demandé après avoir manqué de me prendre un genou en pleine face, parce que quand je disais en plein milieu c'était vraiment en plein milieu. Il ne semblait pas pour autant s'en soucier parce qu'il ouvrit mon sac et checka curieusement tout ce qui était à l'intérieur - j'ai pas pu m'empêcher de le comparer à un enfant, sur le coup. Il touchait à tout ce qui traînait et examinait les livres comme s'il les découvrait alors que c'était le programme. Il a fini par découvrir un grand intérêt à mes notes et pendant qu'il les lisait je l'ai oeillé discrètement : il avait les yeux les plus bleus que j'avais jamais vu et il était habillé comme s'il sortait tout droit d'un festival de Punk-rock. Il avait un beau visage, cependant, avec des traits presque doux, et le mélange était captivant. "Ah bon ?" J'ai répondu et, quand je disais que je savais pas comment aborder les gens et maintenir une conversation avec quelqu'un que je ne connaissais pas, ce n'était pas une blague. J'ai fini par reporter mon attention sur mes chaussures parce que je n'étais pas à l'aise pour fixer les gens, non plus, même s'il sembla aussitôt reparti dans le cours plus intéressant que moi. Je pouvais pas l'en blâmer, à vrai dire, mais à côté je ne savais pas trop quoi faire de moi-même. Normalement j'aurais juste fuit comme la conversation semblait terminée, sauf que récupérer mon sac était quand même assez important. Finalement, il a enchaîné sur le seul sujet où j'étais bon à parler - les études. Ca sonnait probablement un peu pathétique, dit comme ça, mais c'était ce que c'était et je lui ai souris. "Bien sûr ! De quoi tu as besoin ? Tu as des difficultés sur un cours précis ? Je peux essayer de t'aider, même si on doit pas avoir les mêmes options. Le programme est vraiment chargé cette année, hein ?" J'ai pouffé mais, en fait, après coup, je me suis rendu compte à quel point c'était bizarre comme requête - je me suis dis qu'en cours il n'avait franchement pas l'air très intéressé et attentif et que ce n'était pas étonnant, s'il ratait, mais je m'en suis voulu de le juger sur ça alors que je ne le connaissais pas et j'ai arrêté de supposer. "Oh - mais non ! C'est okay. Enfin, je veux dire, euh. Tu n'es pas obligé de te sentir redevable ou quoi et de me donner quelque chose en échange, c'est juste des cours, mais, hm. Récupérer mon sac serait super, en effet. S'il te plaît."

Ciaràn ne savait vraiment pas. Il ne savait foutrement pas que l'autre allait ainsi bavarder pour une simple question. C'est pas qu'il aime pas parler, Ciaràn, c'est juste que venant d'un mec qui ne pipait pas mot à chaque cours, ça l'a vachement surpris. Il roule des yeux, il prend une respiration, et il l'écoute, comme si sa voix n'était que musique. Il se tait, il est sage, pour une fois. Ciaràn avait l'impression d'être comme un enfant qui admirait pour la première fois le tas de cadeaux sous le sapin de Noël - ou comme un oiseau qui battait des ailes et explorait chaque recoin du ciel à la recherche de découverte. Ciaràn, là, avait en face de lui un passionné de lettres et ça devait bien faire un moment qu'il n'avait pas pris la peine d'écouter aussi attentivement un acharné. Il se savait attiré par la musique et par les iroquoises, il se savait aimer la liberté et l'Angleterre - mais il ne savait pas ce que ça donnait, chez les autres. Du moins, il ne savait plus quel sentiment ça faisait de se trouver en face de quelqu'un qui parlait autant avec intérêt. Ce n'était pas un sujet qui l'intéressait réellement, lui, mais ça ravive doucement une envie de s'y remettre et de peut-être réussir à faire quelque chose dans ces foutues études. Et le fait de réussir à aimer étudier ne faisait qu'accroître cette admiration envers Nathan, bien qu'il le cachait facilement avec ce visage de glace qu'il abordait quotidiennement. Une face pâle et une bouche sévère, des yeux cernés et continuellement indifférents.
Il serre un peu le sac de Nathan, et un léger sourire se dessina sur ses lèvres - un de ces sourires francs qui manque souvent à son panel. Il le lui redonna avec plaisir avant de récupérer le sien, qu'il avait mit de côté et qui n'avait pas été épargné par le passage des autres étudiants. Ciaràn se sentit bien con d'avoir mal jugé ce gars qu'il croyait si timide - parce qu'en fait, fallait juste trouver les bons sujets pour le faire parler.
Le brun se relève et lui tend la main afin d'aider le bouclé à faire de même. « Langue des signes. » Il marque une certaine pause, jouant avec les nombreuses bagues qui décoraient ses doigts fins. « J'suis vraiment une tanche. » Il met le sac sur son dos et observe Nathan en attendant une réponse positive de sa part. « J'suis un peu nul en tout, mais j'me débrouille. Sauf en ça. Et je l'ai pas choisis » Ca sonnait plus comme un râlement, un ras-le-bol surtout, mais c'était la seule explication qu'il avait à son incompétence quasi comique dans cette option.

"Oh, c'est l'une de mes matières préférées !" Je me suis exclamé parce que, eh bien, ça l'était - j'étais plutôt bon, d'ailleurs. Maintenant que j'y pensais c'est vrai que Ciaràn était avec moi, dans ce cours - et qu'il dormait beaucoup, aussi. C'était assez drôle, parce qu'en cinq minutes il m'avait prouvé que l'image de cancre qu'il reflétait était bien plus complexe que ça, parce qu'il devait bien s'en soucier, de ses études, pour me demander de l'aide. En plus, sans que je m'y attende, il tendit sa main pour m'aider à me relever et je me suis tout à coup sentir super nerveux - je me suis dit que peut-être ce n'était qu'un piège et qu'il allait me lâcher en plein milieu et se foutre de moi après et que cette histoire de langue des signes n'était que du pipeau et, okay, je sonnais un peu parano mais on ne jouait pas dans la même cour. Lui, dans la formation, tout le monde le connaissait - et moi, à côté .. Mais, bon. Au final je lui ai souris, j'ai pris sa main en tentant d'ignorer la sensation de sa peau contre la mienne et je me suis redressé, mentalement préparé à tout. Sauf que .. rien. Il ne m'a pas fait tomber ou quoi, et sur le coup ça m'a presque étonné. Mais dans le bon sens : je me suis retrouvé à sourire comme un débile alors qu'il me regardait même pas. "Je suis sûr que non ! On est toujours meilleur que ce que l'on croit. Et puis, tu sais, c'est une option. Ce n'est pas le plus gros coefficient. Tu te situes où, à peu près, de niveau ? Tu sais, même si tu as un peu de retard, c'est pas grave - le niveau est pas bien haut. Ca va être rapide à rattraper, si tu le veux vraiment." J'ai répondu, en même temps que galérer à remettre mon sac sur mon dos - je lui ai fais un sourire pour l'encourager, même si je doutais que ce soit vraiment très efficace, et j'ai mimé des doigts "je vais t'apprendre". "Pourquoi tu ne l'as pas choisi ?" Sur l'instant, j'ai cherché à faire des hypothèses mais j'ai pas compris, parce que les options étaient aux choix des élèves et qu'il y avait des choix dans le choix, en plus. Ca m'a semblé un peu bizarre, et ça m'a un peu rendu triste de voir qu'il n'avait pas franchement l'air d'aimer la matière. Inévitablement, du coup, je me suis retrouvé à tenter de la lui faire apprécier. "Je suis venu dans cette université en partie pour cette option, moi. Je veux dire, tu imagines ce que ça doit faire, d'être sourd ou malentendant et de ne pas pouvoir parler aux gens parce que eux, ils ne te comprennent pas ? Tu as des choses à dire mais il n'y a personne pour les entendre. C'est horrible. Je pense que la langue des signes devrait être plus accessible. Et puis, en plus, elle n'est comparable à aucune langue - il n'y a pas d'histoire de pronoms ou de verbes. Elle passe par la gestuelle et les expressions du corps et du visage, et c'est super intéressant. C'est totalement différent."