END| L.& L. A Whole New World

N’ayant jamais été doué pour lire les sentiments des autres, trop submergé par mes propres émotions, je ne savais comprendre les signaux que Lou me lançait. Même lorsqu’elle avait penché sa nuque sur le côté, laissant ses cheveux tomber sur le côté et libérant sa peau, j’avais laissé ma vague de désir me recouvrir sans jamais comprendre que la même venait de déferler sur la jeune femme. J’avais si peu d’estime de ma propre personne que je n’arrivais pas à concevoir que quelqu’un d’autre puisse poser ce genre de regard sur moi. Ressentir ce genre de désir, de passion. Je m’arrêtai donc net, réalisant que la perception que j’avais de la situation était sans doute erronée. Comme tout le reste de mon existence. Je n’avais jamais été capable de concevoir le monde comme les autres. Ma réalité avait toujours été altérée par mon anormalité. Je ne voyais pas pourquoi ce moment présent serait différent de tous les autres.

Après avoir pris mes distances, Lou se retourna vers moi, plongeant son regard dans le mien. Je ne comprenais toujours pas comment elle faisait pour savoir exactement où regarder. Pour me calmer, pour me couper de cette émotion trop intense que je ressentais, je voulus mettre fin à ce moment. Couper tout contact. Alors je proposai à Lou de la raccompagner chez elle. Même si le trouillard en moi aurait préféré fuir, je ne voulais pas la laisser rentrer seule. Le fait qu’elle soit aveugle n’y était même pas pour grand-chose. Il faisait nuit et les rues n’étaient pas toujours sécuritaires, même dans une petite ville comme Bowen. À la sortie des bars, on pouvait croiser des gens qui n’étaient plus tout à fait eux-mêmes. Je ne voulais pas risque que quelque chose lui arrive. « D’accord. » Je savais exactement où c’était. Ce n’était pas l’endroit le plus magnifique qui soit pour habiter, c’était surtout pour les touristes voulant économiser le plus possible. Lou venait d’arriver et je pouvais comprendre qu’elle n’ait rien trouvé de mieux.

C’est alors que la jeune femme caressa ma joue et s’excusa. Je fronçai les sourcils. « Pourquoi être désolée ? » À ce que je sache, c’était moi le fautif dans l’histoire, à avoir laissé la tempête en moi tout foutre en l’air.

Les paroles de Lou firent naître la confusion en moi. Comme si je me regardais dans un miroir, ses mots me percutèrent parce que j’avais l’impression de m’entendre réfléchir à voix haute. Insécure, j’avais cru être à l’origine du malaise, être le seul à m’être laissé emporter par l’ouragan d’émotions intenses et passionnées. Apparemment, Lou s’était elle aussi laissée aller, et je n’avais rien vu du tout. Rien vu passer. Rien ressenti émanant d’elle. Je me rendis alors compte à quel point je n’étais pas en contact avec les autres. À quel point je n’arrivais pas à fusionner avec quelqu’un d’autre. Pourtant, je ne me supportais pas, alors pourquoi n’étais-je capable que de ressentir ce qu’il y avait en moi et pas en les autres ?

En réalisant cela, je ne pus m’empêcher de sourire. Surtout devant les joues rouges de Lou. Un sourire timide, un sourire heureux, un sourire soulagé. J’essayais de le retenir, gêné, même si je prenais conscience que Lou ne pouvait même pas deviner mon expression faciale. Je me retins malgré tout, et reprenant mon sérieux malgré que j’étais content de ne pas être le seul à avoir ressenti cette connexion entre nous, je déclarai : « Je ne fuis pas. » C’était une simple affirmation, franche, sérieuse. « Allez, viens. » J’attrapai la main de la jeune femme et commençai à marcher en direction de l’auberge, vers la sortie de la forêt qui y était la plus proche. De toute façon, le moment de tout à l’heure était passé. Je ne voulais pas briser le souvenir que j’avais de cette proximité magique.

Pour le temps qu’il restait à marcher, nos pas furent ponctués de silence ou de discussions futiles. Après une dizaine de minutes, nous étions déjà devant l’auberge. Je me tournai donc vers Lou au moment où nous furent devant la porte au numéro qu’elle m’avait indiqué. C’était une petite auberge, il n’y avait pas beaucoup de chambres. Et comme les autres hébergés ne dormaient pas bien loin, ce n’était pas le moment d’entamer une quelconque autre discussion. Je lâchai donc la main de Lou, aucunement brusquement, au contraire, un peu à contre-cœur. « J’espère que tu sauras trouver le sommeil avant le matin. » Il était malheureusement déjà presque l’heure à laquelle je devais me lever pour aller travailler. Je doutais donc fortement pouvoir dormir à mon retour. Au moins si l’un de nous deux pouvait trouver ce calme.