time after time -r.

Le ciel s'abat à nouveau sur la tête d'Anna. Il est malade ? Il va mourir ? La jeune femme arrête instantanément de bouger, et même de pleurer. Elle est choquée. Comment cet homme si fort et puissant peut-il être autant malade ? Sur le moment, elle a du mal à croire Ayda. Elle pense à une ruse, à une idée de son père pour qu'elle rentre et qu'elle ne puisse plus repartir. Mais elle observe sa sœur et constate dans ses yeux qu'une profonde tristesse l'habite. Jusqu'à maintenant, elle s'imaginait égoïstement qu'elle était à l'origine de ce malheur chez sa sœur, qu'elle en était la seule responsable, mais c'était très présomptueux de sa part. Elle réalise à cet instant qu'en vérité, c'est le décès imminent de leur père qui provoque une telle tristesse chez elle, et Anna en est désolée. Elle en est très désolée, mais dans sa tête, elles n'ont pas eu le même père. Pour Anna, il n'était qu'ordres et intransigeance. Pour Ayda, par contre, il a été aimant et à l'écoute. Il a été un père. Du coup, elle bien moins touchée par cette annonce que ce à quoi elle aurait pu être confrontée.

Non, ce qui choque Anna, c'est qu'il veuille lui parler, à elle. Que pourrait-il bien lui dire après toutes ces années ? Qu'il ne regrette rien ? Qu'il la renie ? Elle ne voit rien de positif en tous cas. Ça ne lui ressemblerait pas, selon ses souvenirs. Mais est-ce qu'elle ne lui doit pas ça ? Malgré tout ce qu'il s'est passé, il est son père. Il est celui qui l'a élevée, et elle sait qu'il a fait du mieux qu'il pouvait, même s'il n'était pas capable de grand chose en ce qui la concernait. Elle est complètement perdue, mais elle finit par répondre :

Je te promets d'y réfléchir. Mais on sait toi et moi que nous n'avons vraiment pas eu le même père.

Anna baisse les yeux. Elle a honte de ne pas lui dire la vraie raison de son hésitation : si elle retourne en Turquie, elle a peur qu'on ne la laisse jamais repartir pour l'Australie. Elle a des amis ici, et elle sait qu'ils feraient tout pour l'aider, mais elle a quand même sacrément peur. Enfin, elle n'a pas bien le temps d'y penser puisque Ayda reprend la parole pour lui demander si elle veut savoir ce qu'ils deviennent.

Bien sûr que je veux savoir ! Je n'ai jamais voulu vous abandonner, je le devais, c'est tout. Mais maintenant que tu es là, je veux tout savoir.

Le sourire de la jeune animatrice est revenu. Il est tout léger, car elle est toujours ébranlée par tout ce qu'elle vient d'apprendre, mais son sourire est là malgré tout.

Est-ce que tu t'es mariée ? Je me souviens que même petite tu rêvais du jour où tu deviendrais la star de la journée !

Ce n'était pas un non. Alors tout espoir ne semblait pas perdu pour toi. Après tu te doutais bien qu'avec tout ce qui s'était passé, tu ne pouvais pas espérer qu'elle te dise oui de but en blanc. Elle avait raison, vous ne pouviez pas prétendre avoir eu le même père parce que vous n'avez pas reçu la même éducation. Mais tu avais tellement eu peur de décevoir ton père, et tu avais vu les colères dans lesquelles il pouvait rentrer quand Anna ne voulait pas rentrer dans les rangs. Toi tu étais toujours rentrée dans les rangs sans même chercher à te plaindre, ou a discuter. Tu ne le voulais pas. Mais pour essayer de motiver Anna à venir en Turquie, il fallait lui donner des raisons de se déplacer. Tu lui fis un grand sourire, même elle semblait encline à changer de sujet rapidement. « Je ne sais pas par où commencer tellement il y a des choses à te raconter ! » Tu fis une moue, tu avais plein de choses sur toi à lui raconter, elle allait sûrement aussi en savoir plus sur votre mère, et puis il y avait aussi votre frère, mais sa question se portait plus sur toi, et ton rêve d'être la princesse le jour de ton mariage. Tu aurais aimé ne pas avoir a parler de ce sujet en premier, ton regard s'était un peu assombri, mais ce n'était pas sa faute. « Je me suis mariée Anna, avec Tekin, un de mes camarades de classe quand j'étais qu'une enfant. J'ai voulu t'invité au mariage, à deux reprises, mais Papa m'en a empêché.. Tu aurais vu ma robe, j'étais si belle ! » Tu lui adressas un grand sourire, qui manquait d'éclat, parce que tu ne pouvais pas t'arrêter là, elle allait se réjouir pour toi, alors qu'au jour d'aujourd'hui, tu étais veuve et fiancée.. « On avait tout pour être heureux, on s'apprêtait à établir une vraie famille.. Quand il est décédé dans un accident, il y a un an.. » Et pourtant, à ton doigt, il y avait une bague, et une à ton cou. C'était des signaux différents, mais c'était aussi la tradition, et tu devais t'estimer heureuse d'avoir eu un an de répit.

Anna ne peut pas dire oui à la demande de sa sœur de revenir en Turquie pour parler à leur père. Elle ne peut pas accepter, comme ça, sans même y réfléchir, sans en parler à Anton et à Cameron, sans connaître leur avis sur la question. Elle a terriblement peur de retourner là-bas, parce qu'elle a le sentiment que si elle y va, elle ne pourra plus jamais en partir. Elle a peur de ce qu'elle trouvera, peur d'être violentée. Elle ne sait pas ce qui va l'y attendre, et ça la terrorise. Pourtant, elle ne dit pas non pour autant. Elle n'arrive pas à dire non à sa sœur qui espère tant qu'elle viendra avec elle ! Elle sent aussi qu'elle n'a pas vraiment le choix de peur de regretter le jour où leur père aura quitté ce monde. En bref, c'est très compliqué et Anna est ravie de voir qu'Ayda n'insiste pas lorsqu'elle accepte seulement d'y réfléchir.

La conversation se tourne finalement vers la vie d'Ayda. Ann' lui demande si elle s'est mariée, se rappelant parfaitement qu'elle rêvait de ce jour sacré depuis sa plus tendre enfance. Mais le regard de la cadette s'assombrit. L'animatrice grimace un peu, se rendant compte qu'elle a sûrement fait une gaffe... Mais elle écoute Ayda lui parler de Tekin, l'homme qu'elle a épousé. Elle lui avoue qu'elle a voulu l'inviter par deux fois et en apprenant ça, Anna frissonne. Quelques minutes plus tôt, elle a accusé sa petite sœur de ne pas avoir fait de démarche pour la contacter, mais elle se rend compte qu'elle a vraiment essayé, et plus d'une fois ! L'animatrice baisse alors les yeux un instant avant de les relever pour sourire à sœur quand elle lui parle de sa robe.

Je suis sûre que tu étais parfaite. Dit-elle, avant qu'Ayda n'ajoute que son mari bien-aimé est décédé dans un accident. Anna affiche un air désolé et prend les mains de la jeune turque dans les siennes.

Oh Ayda, si j'avais su ! Je suis vraiment désolée. Ça a dû être terrible.

Mais en posant le regard sur les mains de sa soeur, Ann' remarque qu'une bague orne l'un de ses doigts. Prise d'un nouveau frisson, l'animatrice regarde Ayda dans les yeux et demande :

Est-ce que... Il y a un autre homme ?

Elle sait qu'il ne fait pas bon pour une femme d'être seule trop longtemps en Turquie, surtout dans leur famille qui se doit d'être parfaite en apparence. Et elle se demande si ce nouvel homme dans la vie de sa sœur a été choisi par leur père ou par la jeune femme. Elle espère de tous cœur qu'Ayda ne finira pas ses jours avec un homme qu'elle n'aime pas, ou pire, qui ne la respectera pas.

Elle affirma que tu devais être parfaite. Oh oui, tu l'étais, tu étais une vraie princesse. Et tu n'avais avec toi une photo de ce jour, qui ne t'avait pas quitté depuis le mariage. Tu regrettais ne pas être aussi fertile que la femme de ton frère, sinon tu aurais eu des neveux ou nièces à lui présenter. Mais la seule chose qui te restait de ta vie de femme mariée, c'était une alliance et des photos. Tu lui donna pour qu'elle puisse la regarder, et qu'elle puisse la garder. Sur le cliché, il y a avait toi, ton mari et votre mère. Au moins, si elle décidait de ne pas venir, elle aurait une photo plus ou moins récente d'elle, et pourrait mieux s'en souvenir. « Je ne pouvais pas te prévenir, j'aurais aimé t'avoir à mes côtés pour traverser ça, avoir un gros câlin de ma sœur.. Heureusement, j'avais maman pour m'aider à traverser ça » Une larme coulait le long de ta joue, ça restait très dur pour toi d'en parler alors que ça faisait un an. Mais c'était un souvenir qui restait douloureux. Tu l'essuyais rapidement, et la question d'Anna était celle que tu attendais, ça faisait peut-être longtemps qu'elle n'était plus avec vous, mais elle semblait toujours aussi bien connaître les traditions. « Tu connais les traditions, une femme ne doit pas rester seule trop long, j'ai pu avoir une année, mais j'ai du m'engager avec un nouvel homme il y a quelques semaines maintenant. Je ne le connais pas trop encore, mais il a l'air d'un homme très gentil ! » Tu aurais aimé lui dire qu'il était un homme bon, et que tu l'aimais, mais tu devais avouer que tu n'étais pas sûre d'aimer à nouveau. Tu avais connu l'amour, et le bonheur, certes tu les avais perdu, mais tu n'étais pas prête à te remarier, pas prête à céder à nouveau aux traditions. Tu aurais aimé avoir pris la décision, mais elle revenait à ton père et tu n'avais pas ton mot à dire.  « A part ça, Asken est marié lui aussi, sa femme est très gentille, et il est même devenu papa d'une petite Aleyna » Tu lui adressas un grand sourire, tu cherchais la photo dans ton sac, mais tu n'arrivais pas à mettre la main dessus.

Anna prend la photo d'Ayda dans ses main et l'observe avec émotion. Une larme vient perler au coin de son œil. Elle est tellement heureuse que sa sœur ait eu un mariage exactement comme elle le voulait et avec un homme qu'elle aimait. Et puis elle ressens aussi un vide en elle, comme si elle venait de découvrir que même sans elle, la vie de sa famille avait continué. C'est un sentiment qu'elle n'aurait jamais pensé ressentir, et pourtant il la prend au tripes. Revoir sa mère, même en photo, la remue énormément. Mais elle tente malgré tout de garder une contenance. De ne pas flancher. Pour elle-même déjà, parce qu'elle vient de pleurer plus que de raison, mais aussi pour sa sœur qui vient de lui apprendre le décès de son mari bien-aimé il y a de cela un an. Ann' prend les mains d'Ayda dans les siennes. Si seulement elle avait su... Elle serait peut-être rentrée, elle n'en sait rien. Elle aurait au moins tenté de la contacter, lui faire savoir qu'elle était là pour elle, mais il avait fallu que leur père bloque leur correspondance. L'animatrice ressent une vague de colère envers cet homme, une colère qu'elle n'avait pas ressenti depuis si longtemps. Comment avait-il pu être aussi égoïste ? Elle lui en veut tellement... Mais Ayda est là aujourd'hui, et elle préfère se concentrer sur elle que de penser à lui.

Je sais... Je sais que si tu avais pu, tu me l'aurais dit, et je t'aurais soutenue. Mais tu es là maintenant et je compte bien tout savoir de ta vie.

Anna sourit un instant, mais déchante vite en remarquant la bague qu'elle a au doigt malgré le décès de son mari. Les souvenirs de traditions remontent à la surface, comme s'ils n'avait jamais disparus, et un frisson parcours son corps. Elle lui pose la question qui lui brûle les lèvres : y a-t-il un autre homme ? Sous-entendu : est-ce qu'on lui a imposé de se remarier ? Ann' écoute la réponse de sa sœur avec attention, sans quitter ses mains.

Ayda... Ça n'est pas suffisant... Le mariage ne devrait pas être une obligation, certainement pas après ce que tu a vécu...

Elle est dépitée. Sa sœur a grandi dans un environnement plein d'endoctrinements, et contrairement à elle, elle ne s'est pas rebellée. Elle a pris les choses comme elles venaient, sans se poser la question de savoir si c'est bien ou mal, et Anna en est désolée. Elle baisse les yeux en remuant la tête de gauche à droite lentement. Elle ne sait pas quoi faire pour l'aider, pour qu'elle réalise à quel point tout ceci est mauvais pour elle !

Je sais que tu as toujours accepté les traditions comme étant les tiennes mais est-ce vraiment ce que tu souhaites ? Te marier avec un homme que tu ne connais qu'à peine ?

Elle aimerait la faire réagir, qu'elle se rende compte que la vie qu'on a décidé pour elle n'est pas la seule qui s'offre à elle, mais elle ne veut pas non plus qu'elle se braque, ou qu'elle soit malheureuse. Pour rien au monde elle ne la voudrait malheureuse. Enfin, Ayda finit par mentionner Asken, leur frère aîné. Oui, encore un "A". Leur parents doivent aimer cette lettre. Bref, Anna apprend qu'elle a une petite nièce : Aleyna.

Un prénom en "a" ? Il a voulu perpétuer une nouvelle tradition ?

Anna rit doucement. Sous-entendu : comme s'il n'y en avait pas assez. Mais Ayda cherche quelque chose dans son sac.

Tu as besoin d'aide ? Demande gentiment la jeune femme, tout en portant son regard sur sa montre. Sa pause est malheureusement bientôt terminée. D'un air contrit, Anna le dit à sa sœur.

Je suis vraiment désolée mais je vais devoir retourner travailler, il est presque l'heure. Est-ce que tu as un numéro que je puisse te joindre ?

Elle espère la revoir très vite, et d'ailleurs une idée lui passe par la tête.

Est-ce que tu es libre ce soir ? Je voudrais te faire découvrir ma vie, et t'emmener danser !

Spoiler:

Tu l'écoutais sans pour autant répondre, parce que tu n'avais pas de réponse à lui donner. Tu l'avais écouter attentivement, chacun de ses mots, mais au fur et à mesure qu'ils sortaient de sa bouche, ça sonnait comme un blasphème de la religion. Tu ne pouvais pas lui dire que tu allais y réfléchir, parce que ça serait dire que tu compter désobéir aux règles auxquelles tu avais toujours respectées jusque là. Tu ne voulais pas en entendre parler une seconde de plus, alors tu hochais docilement la tête pour lui faire comprendre que tu y penserais. Et tu y pensais déjà, pourquoi devrais-tu épouser un homme que tu n'aimes pas quand tu n'as pas encore fini de faire ton deuil ? Tu lui fis un grand sourire en pensant à sa remarque sur le prénom de votre nièce, c'est vrai que c'était encore un prénom en A. Mais pour le coup, tu ne savais pas trop pourquoi, tu avais une idée en tête mais peut-être que tu te mettais complètement le doigt dans l'oeil. « Je pense qu'en quelques sorte, le prénom en A permet d'établir, je ne sais pas moi, une sorte de connexion entre nous tous ! » Tu continuais de fouiller dans ton sac mais elle ne semblait pas s'y trouver, elle devait être dans ta valise, ce n'était pas très grave en soi parce que tu aurais le temps de lui en montrer une - de lui en donner une même - avant que tu repartes d'ici. Tu lèves les yeux vers elle, tu te sens vite triste, tu ne pensais pas que la pause déjeuner passerait aussi vite, et tu ne t'attendais pas non plus à ce qu'elle te propose de sortir ce soir. Tu te levais à ton tour, pour la prendre dans tes bras une dernière fois avant de la quitter, tu voulais en profiter parce qu'au fond de toi tu avais peur de ne pas la revoir.. « Je n'ai pas de téléphone, mais je suis à l'hôtel pour le moment, chambre 15, tu peux me joindre facilement ! J'attends ton appel An' ! » Tu lui adressas un grand sourire, lui adressant un signe de la main pendant qu'elle s'éloignait jusqu'à disparaître de ton champ de vision.