(intrigue) a bird without wings, a kite without strings -r.

Je rigolai en même temps que Freja, amusé par son humour et son rire, aussi. Son rire qui avait toujours allégé même le plus lourd de mes problèmes. Son rire franc, heureux. « Je savais pas que t’étais devin. » Continuais-je avec un mince sourire, essayant de ne pas baisser les yeux sur sa lingerie. Même si je préférais une femme complètement nue, dans sa beauté naturelle, il était certain qu’un beau déshabillé ne dérangeait aucun homme – peu importe son orientation sexuelle, d’ailleurs. De la lingerie, c’était beau, tout simplement. Elle m’expliqua ensuite avoir une obsession pour la lingerie, ce qui n’était franchement pas la chose à dire si elle voulait enlever la tension qui naissait en moi depuis que nous nous étions retrouvés aussi vulnérables l’un devant l’autre. Maintenant, à chaque fois que je verrais Freja, j’essaierais de deviner quel ensemble elle portait sous ses vêtements. Serions-nous encore des meilleurs amis, quand cette limite serait franchie ? Rien n’était moins sûr. « Ouais, non, moins non plus je sors jamais sans un joli ensemble. » Ajoutais-je, surtout pour me changer les idées. Rien de mieux qu’une belle blague bien placée. Mon regard se porta alors vers mon caleçon Calvin Klein, tout ce qu’il y a de plus normal, et je rigolai avec Freja.

Maintenant qu’il était temps de choisir le défi qui ferait en sorte que ma meilleure amie serait elle aussi complètement nue devant moi, je pris soin de choisir une activité dans laquelle j’étais doué : retenir mon souffle. Honnêtement, je ne connaissais pas les capacités de Freja pour ce défi, mais mes chances étaient plutôt bonnes. J’avais longtemps fait de la natation afin d’entraîner tous les muscles de mon corps, et puis j’avais surfé toute mon adolescence aussi, alors rester longtemps sous l’eau, ça me connaissait. Freja acquiesça avec une assurance qui me fit d’abord un peu peur, parce que si elle acceptait aussi facilement, peut-être était-ce parce que mon choix était aussi parfait pour elle. Je pris une grande inspiration alors que Freja faisait le grand décompte. Et go. J’aurais pu tenir encore près d’une minute quand la blonde reprit son souffle comme si elle avait été sur le point de perdre connaissance par manque d’oxygène. J’éclatai de rire. Sans plus attendre, fidèle à sa parole aussi, Freja retira le peu de vêtements qu’il lui restait. J’avalai difficilement alors que je regardai son soutien-gorge tomber au sol, et sa petite culotte frôler ses jambes de haut en bas, pour finalement se perdre sous ses pieds. Je relevai les yeux tranquillement vers son visage alors que Freja me demanda si j’étais déçu. Je secouai la tête, lentement, comme hypnotisé par sa beauté. La jeune femme se leva et vint s’asseoir à côté de moi, le dos à la cabane, son épaule frôlant la mienne. Je tournai la tête vers elle. Nos visages étaient à quelques centimètres l’un de l’autre. Je baissai le regard vers ses lèvres, puis le releva vers ses yeux pendant qu’elle me demandait et maintenant ? Et maintenant, oui ? Mes yeux glissèrent de nouveau vers son corps, sa poitrine plus précisément, et un frisson me parcourut. Mes doigts, posés tout près de la cuisse dénudée de Freja, se relevèrent légèrement pour que mon index et mon majeur puissent caresser sa peau, doucement. La faisant tressaillir. Je relevai les yeux vers les siens, et plongeai un regard intense dans ses yeux bleus. Mon visage s’avança doucement vers le sien. Nos nez se rencontrèrent les premiers, et j’inclinai légèrement la tête afin que nos lèvres puissent s’effleurer. La tension montait et montait, en flèche. Je posai finalement complètement mes lèvres sur les siennes et je l’embrassai, fermant les yeux et laissant exploser mon cœur. Après quelques secondes à peine, je me détachai d’elle subitement, les yeux toujours fermés et maintenant les sourcils froncés. « Je suis désolé. » Je rouvris les yeux pour découvrir un visage qui n’était pas celui de Sara et pourtant, je venais de l’embrasser. « Freja, je ne peux pas faire ça à Sara. » Et pourtant, j’avais tellement envie de la blonde, en ce moment. Plus que tout. Comme quoi, on ne peut pas aussi facilement sortir le côté séducteur et animal d’un homme …

« Je comprends. » Avait-elle murmuré, sans vraiment me convaincre. Sans se convaincre elle-même non plus, je pense. Freja s’était alors éloignée de moi. Je baissai les yeux. Je sentais qu’elle me filait entre les doigts. J’étais idiot, tellement idiot. Soit j’allais jusqu’au bout, soit je ne nous mettais pas dans une situation pareille. En mettant un point à notre action sans prévenir, j’avais gâché tout, tout, entre Freja et moi. J’aurais dû le voir venir, j’aurais dû réfléchir un peu plus, un peu mieux, avant qu’on se déshabille tous les deux. Après tout, ma meilleure amie m’avait donné une porte de sortie, tout à l’heure, ne m’obligeant pas à me déshabiller même après avoir perdu le défi. J’avais décidé de lui tenir tête, de tenir ma parole surtout. Et il avait fallu que j’insiste, après, pour lui lancer un défi qu’elle était certaine de perdre. Juste pour pouvoir la voir nue moi aussi. Parce que je le voulais. Parce que j’en avais besoin. C’était indescriptible. Comme si le corps de Freja avait été un mystère que je devais percer, que je devais découvrir pour apaiser mes désirs. Pourtant, ça n’avait pas apaisé mes désirs. Ça ne les avait que ravivés. Pour mieux me rappeler que tout n’était pas rose, présentement, avec Sara. Ce n’était pas une excuse. Ça ne le serait jamais. Mais j’imagine que je n’avais jamais vraiment été capable de faire face à mes problèmes de cœur. Ce n’était pas pour rien que j’avais été un célibataire et un coureur de jupons bien reconnu pendant toute ma vie. Ça me rattrapait, tout ça. Avec le retour de Sara, et la fin de sa relation avec Jamie, j’avais saisi l’opportunité de l’avoir pour moi une bonne fois pour toute. Parce que j’aimais Sara. De tout mon cœur. Encore aujourd’hui j’aurais pu le crier haut et fort. Mais je n’aimais pas l’amour. C’était là tout le problème. J’aimais Sara, mais je n’aimais pas être amoureux. Trop de contraintes. Trop de disputes. Trop de limites. Et je venais d’en franchir une avec Freja, et rien que parce que pour une fois j’avais voulu essayer d’être un bon petit ami, j’avais tout arrêté. Et gâché mon amitié la plus précieuse.

Freja, maintenant toute habillée, ne m’accordait pas un seul regard. Me sentant évidemment complètement ridicule à être là, tout nu devant elle, j’attrapai mon chandail qui était juste à côté de moi et je l’enfilai. Pour les caleçons et les pantalons, ce serait un peu plus compliqué sans l’aide de mon amie. Je me penchai malgré tout pour attraper les caleçons que la blonde avait posé tout près de mes pieds. Grâce à une flexibilité dûment acquise, j’arrivai à les attraper et à les envoyer vers le bout de mes pieds. À l’aide de mes mains, je passai chacun de mes pieds dans les trous de mon caleçon, et je les remontai le long de mes jambes, jusqu’à mes genoux. À partir de là, c’était plus difficile. Du coin de l’œil, Freja avait bien vu ma détresse, mais elle n’osait sans doute rien dire, même si je percevais une certaine hésitation. J’allais lui rendre la chose plus facile : « Je vais me débrouiller. Je n’ai pas besoin d’aide. » Déclarais-je avec une certaine dureté dans la voix. Je préférais me fermer moi aussi à elle plutôt que de chercher à tout régler en un claquement de doigts. C’était complètement enfantin, mais soit. Je me laissai finalement glisser afin d’être complètement allongé, et en me tortillant le torse, j’arrivai à faire glisser les caleçons sous mes fesses et à les ajuster correctement. À l’aide de mes bras, je me repoussai vers ma position initiale. Les pantalons attendraient. Jetant un regard à Freja, je commençai à me masser les jambes, plus que décidé à faire revenir mes sensations afin de pouvoir foutre le camp de cette situation plus qu’embarrassante. Je m’en voulais tellement. Et j’étais incapable de réparer mon erreur auprès d’elle. Je ne savais pas comment.

J’attendais, j’attendais que le temps passe, que la tempête se calme, autant au-dehors qu’en-dedans – ici, entre Freja et moi. Je savais déjà laquelle se calmerait avant l’autre. Parce que Freja et moi avions deux sales caractères, et même si nous nous adorions, je savais qu’une situation comme celle-là pouvait tout autant nous rapprocher comme jamais, ou nous éloigner pour toujours. J’avais comme la mauvaise impression que cette fois, ce serait la deuxième situation qui se dessinerait entre nous deux. Parce que nous avions commis l’irréparable. Nous avions glissé jusqu’en bas de cette pente abrupte et dangereuse. Nous n’avions pas bien calculé les risques. Voilà que nous étions en chute libre. Trop loin l’un de l’autre pour pouvoir au moins tomber main dans la main. Je relevai les yeux vers Freja alors que celle-ci se dirigeait vers la porte de la cabane, afin de l’ouvrir, sans doute pour foutre le camp d’ici. Foutre le camp de nous. Le vent s’engouffra dans la cabane dans un sifflement épouvantable, balayant tout sur son passage et surtout les cheveux de la blonde qui s’emmêlèrent derrière elle avant qu’elle ne referme la porte en y mettant toute la force qu’elle avait. La porte claqua. Le silence revint. Enfin, silence, c’était relatif. Au dehors on entendait les vagues s’écraser avec violence sur la plage et le vent qui soufflait sur tout ce qui se trouvait sur son passage. On ne devait rien y voir, dehors, avec le sable et la pluie dans l’air.

Freja, obligée de rester ici malgré son envie pressante de fuir le problème, retourna s’asseoir mais cette fois du côté opposé d’où je me trouvais. Soulignant qu’on ne pouvait pas sortir maintenant – comme si je ne m’en étais pas rendu compte -, Freja me demanda alors de lui expliquer pourquoi mes jambes ne fonctionnent plus. Si mon visage avait pu être encore plus fermé, il l’aurait été. Je lui lançai un regard sérieux, avant de rebaisser les yeux en laissant ma main glisser sur le sable qui reposait sur le sol du cabanon. « Je ne pense pas que ce soit le moment d’aborder la raison … » Je relevai les yeux vers Freja, mais elle arborait un regard implacable qui m’obligea à lui obéir malgré tout. Malgré moi. Je soupirai, en me replaçant un peu mieux contre le mur. « J’ai la sclérose en plaques. Je le sais depuis huit ans. C’est pour ça que j’ai arrêté le vélo de montagnes. » Freja le savait mieux que quiconque, mon arrêt de compétition de vélo de montagnes avait été l’un des pires moments de ma vie. J’avais dit à tout le monde que je prenais ma retraite au sommet de ma carrière pour qu’on ait ce souvenir-là, mais c’était surtout parce que j’ignorais encore combien de temps j’aurais pu continuer avant que ma maladie ne prenne le dessus. « Je suis atteint de la forme cyclique, j’ai des poussées, des sortes de crises, qui durent des jours ou des mois, avant d’aller en rémission. Jusqu’à maintenant c’est ma vision et mes jambes qui écopent le plus. Éventuellement ce sera tout mon corps. » Expliquais-je à Freja, cette maladie étant souvent plus ou moins connue dans son intégralité. Je n’osais plus trop la regarder. Je me sentais stupide de lancer cette bombe alors que nous étions dans une ambiance aussi glaciale. Mais elle l’avait demandé. Elle avait voulu savoir.

J’avais tout déballé à Freja, surtout parce qu’elle me l’avait demandé sans trop me laisser le choix plutôt que par envie. Disons que le fait d’aborder un sujet aussi lourd après ce qui venait de se passer ne me plaisait guère. Il y avait une raison pour laquelle je gardais ma maladie bien secrètement gardée : je détestais en parler. À cause de la pitié, de la compassion et du chagrin que la sclérose en plaques entraînait avec elle. Ça et ma fierté, mon indépendance et ma vie. Je ne voulais pas que la blonde passe par-dessus ce que nous venions de vivre juste parce que j’étais malade. Peut-être que d’autres personnes auraient justement profité de ce moment pour passer l’éponge sur les difficultés passées et jouer aux victimes, mais pas moi. Ma maladie était un fardeau, pas un moyen de me tirer d’affaires. Malgré tout, j’avais tout dit. Au fond de moi, je savais qu’à un moment ou à un autre, Freja allait le savoir. C’était inévitable. Elle avait le droit de savoir. Et maintenant que nous nous trouvions devant le fait accompli, devant la faiblesse de mon corps et l’inaptitude de mes jambes, je n’avais eu d’autre chose que de me plier à ses volontés.

Sa première réaction fut de me demander pourquoi je ne lui en avais jamais parlé. Question tout à fait légitime, je ne m’imaginais pas m’en sortir sans avoir à y répondre. Freja devait comprendre que c’était plutôt le contraire, pourquoi le lui dire à elle et pas aux autres ? Parce que oui, la blonde faisait effectivement maintenant partie des rares personnes à être au courant pour sa maladie. Merde, même sa propre sœur ne le savait pas encore. Mes parents, mon frère et Sara savaient. Ça se résumait pas mal à ça, pour le portrait des membres de mon cercle secret. Ce n’était sans doute pas ce que Freja voulait entendre, par contre. Je m’en doutais bien. « Ce n’est pas une maladie facile à gérer, pour moi. Je ne vis que par la force de mon corps. Sans mon corps, je n’ai plus d’identité, tu comprends ? Le jour où je ne pourrai plus fonctionner correctement … le jour où j’aurai perdu toute indépendance … je ne serai plus Woody. Je ne serai plus. Et j’imagine que moins les gens autour de moi savent, plus je suis capable d’oublier. Oublier ce qui s’en vient, ce qui m’attend. C’est plus facile pour moi de faire comme si ça n’existait pas. » Je soupirai. Ma voix tremblait. Je ne parlais que rarement de ma maladie, alors d’entendre tout cela à haute voix, c’était déroutant. Effrayant. Ce qui ne faisait que confirmer mes raisons de ne pas le dire aux autres. Je n’arrivais plus à gérer mes émotions.  

Freja me permis de revenir à un niveau plus cognitif et moins émotionnel en me demandant si ça se manifestait souvent, si j’en souffrais. « De plus en plus, je dirais. Au début, ça ne m’arrivait pas vraiment. Juste quelques inconforts ici et là, des engourdissements … Maintenant, je te dirais que plus ou moins une ou deux fois par mois, j’ai une crise, peu importe de quelle nature. Et presque en permanence tous les autres symptômes qui viennent avec, la fatigue, les maux de tête, les tremblements, la douleur à certains endroits … » Heureusement, pour le moment, ce n’était que ça. Plus tard, je deviendrais peut-être incontinent, aveugle, j’aurais peut-être des pertes de mémoire, des dysfonctions érectiles, même.

Freja se leva finalement d’où elle était et vint se rasseoir à côté de moi, comme tout à l’heure, même si nous n’étions plus aussi près l’un de l’autre. Elle me dit alors que ça ne changeait en rien ce qu’il venait de se passer. « J’espère bien que non. » Avouais-je avec un mince sourire. « Et j’espère que ça ne change rien du tout, en fait. Rien à ce qui s’est passé, rien à ce qui se passera. » Je ne voulais pas que Freja me voit différemment, maintenant qu’elle me savait malade.

En hochant la tête, je relevai la tête vers Freja pour lui offrir un sourire désolé. Bien franchement, j’aurais préféré le lui annoncer avant, moi aussi. Je réalisais que ça me faisait du bien de lui en parler, qu’elle m’écoutait et qu’elle me posait les vraies questions. Celles dont elle voulait connaître la réponse. Elle ne se retenait pas de peur de rendre tout cela trop réel, malgré ce que j’en avais dit. De façon étonnante, je préférais cela. Freja était d’une bonne écoute et visiblement, j’avais besoin d’en parler. Le fait de garder ma maladie pour moi – et pour quelques autres personnes – avait fait en sorte que ce secret était devenu une montagne toxique à l’intérieur de moi. Une boule bien trop anxiogène dans mon estomac. Une telle pression venait d’être relâchée après en avoir parlé à ma meilleure amie. « Je comprends aussi. Je suis désolé de ne pas te l’avoir dit. J’aurais aimé t’avoir aussi, dans mes moments difficiles. Parce que tu as toujours su comment me remonter le moral. Mais tu sais, tu étais quand même là, et tu m'aidais à ta manière, sans le savoir ... » Lui avouais-je en souriant. Comme tout à l’heure, alors que j’avais dû piler sur ma fierté et ramper dans ma honte afin de me rendre jusqu’à cette foutue cabane, dans cette foutue tempête. Avoir été secouru par n’importe qui d’autre, j’aurais conservé une attitude froide. Freja avait été capable de me faire passer par-dessus ça.

La blonde me demanda alors si j’en souffrais souvent, ce à quoi je lui répondis en toute honnêteté. Pour mieux comprendre encore, Freja me demanda alors si la maladie évoluait vite. J’haussai les épaules. « Je dirais que ça fait un an que je sens que la maladie me rattrape … Ça fait un an que mes jambes me font défaut. » L’une des toutes premières chutes dues à leur dysfonctionnement s’était produite sur la patinoire, lors du marché de Noël de Bowen de l’année dernière, alors que je patinais avec Sara. Déjà un an depuis ce moment où nous avions choisi de devenir un couple. Un an plus tard, tout cela était tellement confus dans ma tête. Juste un an. Et j’avais déjà réussi à tout foutre en l’air – ou si ce n’était pas encore fait, ce qui s’était passé aujourd’hui le causerait certainement. « Et depuis deux mois j’ai du mal avec ma vision. Alors j’crois bien que ça va empirer plus rapidement, à partir de maintenant, oui … Mais je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Chaque cas est unique. » Informais-je Freja. Les médecins n’étaient pas vraiment capables de prévoir, eux non plus, quelle serait la prochaine étape. La prochaine perte. La prochaine défaillance.

Afin de ne pas ignorer le problème qui régnait tout de même toujours entre nous, Freja me dit que toutes ces révélations ne changeaient en rien ce qui s’était passé. Moi, je lui confiai espérer que ça ne changerait rien entre nous. Que tout ce qui s’était passé aujourd’hui, autant notre moment de faiblesse que ma faiblesse maladive grandissante, ne changeraient rien à ce que nous étions. Freja et Woody. J’hochai la tête à sa réponse, bien conscient qu’elle était sincère. Je savais que Freja avait du mal à s’ouvrir aux autres. Et elle l’avait fait pour moi. Et j’en avais profité. J’en avais profité, inconsciemment, pour la blesser. Sans le vouloir. « Je sais, Freja. Je sais … » Je baissai les yeux, ne sachant pas comment réparer mon erreur. « Je ne sais pas quoi te dire … je le voulais … je te voulais … c’est difficile de me l’expliquer même à moi-même, t’es ma meilleure amie … mais j’en avais besoin. Je m’en veux que ça t’aie blessée. Vraiment. Tu sais bien que je ne te ferais jamais du mal délibérément ... » C’était tout ce que j’avais trouvé à dire, parce que j’étais tellement confus.

Un an déjà, oui. Le temps passait tellement vite, et dans mon cas c’était la pire des constatations à avoir. Plus le temps filait, plus je me rapprochais de ce moment où je perdrais tout. J’avais pourtant l’impression que cette première chute datait d’hier mais non. Douze mois s’étaient écoulés et des chutes, des crises, j’en avais eues quelques-unes. Certaines que j’avais vécues dans le silence, d’autres que j’avais vécues avec l’aide de Sara ou de ma famille. Pour la majorité, seul. Parce que je ne voulais pas que mes proches voient la progression de ma maladie. J’étais moi-même tellement effrayé, je ne voulais pas les angoisser eux aussi face à cette évolution rapide de la sclérose en plaques, dans mon cas. Juste le visage de Freja au moment où je lui avais fait part de cette lourde année me confirmait que je faisais bien de garder certaines informations pour moi, parfois.

Ma meilleure amie me demanda alors qui était au courant, à part elle. Je regardai le mur en bois devant moi. Ces personnes se comptaient sur les doigts de ma main. Je tournai la tête vers la blonde, la regardant alors que je lui répondais : « Sara. Ce serait assez difficile de le lui cacher, maintenant qu’on vit ensemble. » Et après ce qui venait de se passer entre Freja et moi, ça me faisait tellement bizarre de déclarer ça, nonchalamment. Sara et moi vivions ensemble, et j’embrassais Freja ici, pendant la tempête. Je chassai rapidement cela de mes pensées, et je terminai de répondre à mon amie : « Y'a aussi mes parents, et puis mon frère. Nevaeh le sait pas encore alors … si jamais tu la croises … » Je ne terminai pas ma phrase, mais évidemment Freja comprit qu’elle devait se faire discrète par rapport à cela. Je savais que ma sœur allait être dévastée par la nouvelle, et c’est pour cela que depuis son retour de Sydney, j’avais été incapable de le lui annoncer. Pendant des années, en fait pendant tout le parcours universitaire de ma sœur, j’avais justifié mon silence en disant que j’attendais qu’elle soit de retour pour de bon, pour le lui annoncer à un moment autre que durant le temps des fêtes et surtout, pour le lui annoncer en face à face. Maintenant, elle était de retour depuis des mois, et je n’avais plus d’excuses.

Finalement, nous avions beau avoir été en mesure de nous éloigner de l’événement qui venait de se produire entre elle et moi pendant dix minutes, Freja ne tarda pas à en parler de nouveau. Parce qu’il restait encore des choses à dire à propos de ce baiser. Ce n’était pas qu’un acte sans importance. C’était lourd de conséquences. Et de signification. Je le savais autant qu’elle. Et notre amitié ne survivrait peut-être pas si nous n’en parlions pas à cœur ouvert. Je lui avouai donc le besoin que j’avais ressenti de le faire. Elle partageait ce besoin. Et elle le ressentait encore. À ces mots, mon corps se figea. Je ne m’attendais pas à ce que nous retournions sur cette voie-là. J’en fus déstabilisé, d’où l’absence de réponse pour le moment. Je regardais Freja, les yeux à la fois apeurés, à la fois brillants. « C’est dangereux, Freja, ce qu’on fait, là. » Avouais-je en avalant de travers, silencieusement. Ma respiration changea de nouveau, parce que j’étais nerveux et que l’ambiance était étrange de nouveau. Cette attraction entre Freja et moi, elle me rendait tellement confus. Je secouai légèrement la tête, presque imperceptiblement. « Ce ne serait pas juste. Envers Sara mais surtout envers toi, Freja. Ce ne serait pas juste que je succombe de nouveau … » Je pris sa main dans la mienne et je la serrai. « Entre Sara et moi, c’est tendu, ces temps-ci … Je ne voudrais pas agir de la sorte avec toi rien que pour ça … Et … et je ne dis pas que cette attirance ne provient que de mes problèmes avec Sara non … non mais … mais je ne sais pas. Je ne sais pas où j’en suis et je ne veux pas t’en faire payer le prix. » Avouais-je à regret, parce que ses lèvres, j’avais ce désir grandissant d’y goûter de nouveau, moi aussi.

Spoiler:

« Merci. » Avait tout simplement répondu Woody quand Freja lui promit de ne jamais en parler à Nevaeh, à moins bien sûr qu’elle ne le sache. Si Woody trouvait le courage de lui en parler un jour. Ce n’était pas gagné de si tôt. Dès que l’occasion se présentait, il prenait peur et reculait devant la nouvelle. Lui-même avait encore tellement de mal à gérer, comment pouvait-il s’attendre à ce que sa sœur prenne bien la nouvelle ? Surtout qu’elle avait été mise à l’écart pendant tout ce temps. Mais plus il la faisait attendre, pire ce serait. Il le savait. C’était pareil pour Freja, et aujourd’hui n’aurait pas été le jour de cette révélation choc s’il n’avait pas été question de ses jambes qui l’avaient lâché d’un coup, sans prévenir. Maintenant que la colère était un peu retombée entre eux, Freja et Woody étaient encore retombés dans cette sorte de tourbillon d’émotions confuses, cette ambiance lourde et légère à la fois. Il ne savait vraiment plus où donner de la tête. Il ne savait plus quelle émotion considérer, quelle voix écouter. Alors il décida d’y aller pour la raison, cette fois, puisqu’il s’était abandonné à son cœur dix minutes plus tôt. Il regrettait déjà, d’ailleurs, d’avoir opté pour la raison cette fois. Les lèvres de Freja auraient été plus rassurantes que la demande de pardon de la blonde. « Tu n’as pas à t’excuser. Ce serait plus fort que moi aussi si … si d’autres personnes à qui je tiens n’étaient pas impliquées … » Enfin, ces autres personnes, ce n’était que Sara. Mais il n’avait plus envie de prononcer son prénom en compagnie de Freja. C’était trop étrange. Ça les éloignait trop. D’ailleurs, Freja se leva, et cette fois Woody savait que c’était pour de bon. Pour partir. Elle en avait assez. Elle n’en pouvait plus. Lui non plus n’en pouvait plus ; de se retenir, de se raisonner. Elle se dirigea vers la porte et, en l’ouvrant, ils constatèrent tous les deux que la tempête s’était calmée. Ils pourraient rentrer chez eux sans trop de mal. Tout de même, Freja se tourna vers Woody et lui demanda s’il serait en mesure de rentrer chez lui par lui-même. Il hocha la tête, ne lâchant pas son regard. « Oui, t’en fais pas … Je vais m’en tirer. » Un demi-sourire se dessina sur son visage. « Au revoir, Frej’. » Qu’il dit, parce qu’il ne tirait pas une croix sur eux malgré les complications à venir. Il n’allait pas baisser les bras devant leur relation unique dont il ne pourrait se séparer. Alors il la regarda partir, soupirant quand la porte se referma, et attendit. Peut-être que cette attente lui permettrait d’y voir plus clair ….

TERMINÉ.