J'suis pas une pute, j'suis juste brisée. ➽ Elijah

J'suis pas une pute, j'suis juste brisée.
Malou & Elijah

En petite tenue comme toujours lorsqu'elle travaillait, Malou descendit les marches du podium pour se retrouver derrière les coulisses, son numéro terminé. Elle prit un moment pour passer les mains dans ses cheveux couleur flamme, puis se dirigea vers les vestiaires où toutes les filles du bar s'affairaient. Elle rejoint sa place en face d'un grand miroir pour aller se remaquiller, après cette performance plutôt éreintante. Rien qu'elle ne puisse surmonter, après tout elle était sportive et bien entraînée à ce genre d'endurance. Alors qu'elle sortait son rouge à lèvres, le patron s'approcha d'elle dans son dos. "Malou, finalement t'auras ta paie que la semaine prochaine, y a eu quelques soucis." La jeune femme tourna la tête d'un mouvement vif, plantant un regard dur et glacial dans celui de son supérieur - oui, vous pouvez appeler ça un mac si vous préférez -. "La semaine prochaine ? J'en ai vraiment besoin, j'étais censée l'avoir aujourd'hui putain..." protesta la rouquine avec force. C'était le genre de nouvelles dont elle se serait bien passé. Parce que pendant que son putain de boss à la con s'engraissait de thunes, elle avait un logement et de la bouffe à payer. D'autant plus que c'était la fin du mois et elle peinait à joindre les deux bouts. Mais bon, c'était ça le business de la prostitution : le boss s'en mettait plein les poches, les filles ne touchaient pas grand chose. Et comme le racolage était interdit, ou que celles qui le pratiquaient clandestinement ne bénéficiaient pas de la moindre protection contre d'éventuels clients violents ou pire, et bien elle n'avait pas trop le choix. "C'est comme ça. Si t'es pas contente, tu peux toujours te tirer. Sans ta paie." répondit le gérant avec un haussement d'épaules dédaigneux. La hargne se lut clairement dans le regard tout à coup allumé de flammes sombres de Malou, et elle ouvrit la bouche pour une réplique bien sentie, mais se contint. Elle ne gagnerait pas ce combat, elle en était consciente. Et autant elle ne supportait pas de fermer sa gueule et faire profil bas, autant elle savait qu'elle n'avait pas le choix. "De toute façon, un client te demande, chambre violette." Malou se mordit la langue et hocha la tête, sourcils froncés, avant de retourner à son maquillage. Deux minutes plus tard, après quelques petites retouches, la rouquine se leva, enfila un peignoir de dentelle noire transparente très fine et se rendit au lieu indiqué. Là où elle devrait satisfaire un énième client et mettre sa mauvaise humeur de côté. La jeune fille entra dans la chambre, adoptant cette démarche féline et totalement aguicheuse, se parant de son plus beau sourire envoûtant.

« Bonsoir. Je m'appelle Malou. J'espère que votre soirée s'est bien déroulée jusqu'ici. Dans tous les cas, je ferai tout ce qu'il faudrait pour la rendre encore meilleure. »

La première chose que Malou remarqua fut sans doute une chose très superficielle. C'est qu'elle avait la chance d'avoir un client plutôt canon. Non d'accord : vraiment canon. C'était sans doute stupide comme réflexion, mais dans la vie d'une prostituée, on ne rencontre pas que des mannequins, loin de là. La jeune femme rousse ne faisait plus attention, avec le temps et l'expérience, elle avait appris à ne pas se focaliser sur le physique, sinon elle était plutôt mal barré. Mais c'était toujours agréable d'avoir pour client un homme attirant. Néanmoins, sa courtoisie ne semblait pas être à la hauteur de son apparence. Ça aussi, Malou avait appris à l'ignorer. Elle avait eu le temps de tomber sur toutes sortes de clients. Les gentils, les lovers en manque d'affection un peu flippants, les silencieux, les psychopathes, les exécrables. Dans tous les cas, elle était obligée de faire bonne figure et de se taire. C'était son job. Dieu savait à quel point c'était difficile pour la jeune fille au vu de son tempérament impulsif et assez rebelle. Mais là encore, la vie ne lui avait pas laissé d'autre choix que de se laisser marcher sur les pieds, de temps à autres. De par son job, de par sa situation financière. Elle s'était construit une personnalité forte, capable d'encaisser ce genre de choses et de ne jamais remettre sa valeur en question. Personne ne peut vous faire sentir inférieur sans votre autorisation. C'était une phrase que Malou n'oubliait jamais et qu'elle appliquait à la perfection. Oui, elle n'était peut-être qu'une pute à la vie misérable. Mais elle gardait la tête haute. Elle savait ce qu'elle valait et qui elle était.

« Bien sûr. »

Répondit donc Malou d'une voix doucereuse et sensuelle en esquissant un sourire en coin, s'approchant du lit tout en enlevant son peignoir transparent qui glissa le long de ses épaules et de son corps aux courbes bien dessinées, pour venir s'échouer sur le sol sans un bruit. Là voilà, dans toute sa splendeur - si on peut appeler ça de la splendeur -, tout juste vêtue d'un tanga rouge affriolant et d'un bustier de la même teinte, tout aussi transparent et lacé dans le dos. Elijah lui pose quelques questions sur les modalités.

« Mon but est de vous donner autant de plaisir que possible, vous pouvez donc me toucher, mais s'embrasser est à éviter, sauf si cela vous est réellement indispensable. Je ne pratique pas le sado-masochisme ni la sodomie. A priori, tout le reste est autorisé. »

Répondit la rouquine tout en s'agenouillant devant le jeune homme. C'était étrange de parler de détails techniques, mais ce n'était pas la première fois qu'on lui posait des questions et elle y répondait professionnellement, comme si elle devait expliquer le fonctionnement d'un appareil électro-ménager. Parce qu'au final c'était à ça que ça se résumait. Elle trouvait respectueux qu'on lui demande, d'un autre côté elle avait parfois envie d'envoyer un client sur les roses : ce n'est pas parce qu'elle vendait son corps que l'acte en soi était différent. On couche ensemble, tu poses des questions sur le coup si tu veux tenter des trucs, ou t'essaies directement et j'te dirai si ça me plaît pas, normal quoi. Rien de différent que quand on couchait avec quelqu'un qu'on ne payait pas.

« D'autres questions ? »

Reprit Malou à voix basse tandis qu'elle déshabillait le jeune homme en faisant glisser ses doigts sur son torse musclé pour lui retirer son t-shirt. Elle descendit ses mains, embrassant son corps au passage, pour descendre plein sud. Elle défit la ceinture d'Elijah et s'appliqua à faire ce que vous aurez deviné, pour entamer cette séance avec cet homme visiblement pressé.

Malou ne s'offusquait plus des attitudes désagréables et insultantes de certains clients. Cela lui demandait beaucoup d'efforts de prendre sur elle, mais elle n'avait pas trop le choix. Et elle n'était jamais tombée sur un client vraiment insupportable. Ils défoulaient leurs frustrations sur elle et puis voilà. Parfois implicitement, parfois à haute voix. Alors pour le moment, le ton acerbe de cet Elijah ne l'atteint pas plus que ça. Son job à elle, c'est de lui faire plaisir, de le contenter du mieux qu'elle le peut, mais dans tous les cas ça se résume simplement à des préliminaires et puis à coucher avec lui. Après, elle pourra partir. C'est ce qu'elle fait quasiment tous les soirs. C'est sans doute triste de voir ça comme ça, mais quand on en fait son métier, mieux vaut voir cela mécaniquement, avec le plus de recul et de détachement possible.

Malgré les soins qu'elle prodigue au jeune homme, avec autant de délicatesse et de sensualité que possible, il ne semble pas particulièrement... Excité. La jolie rouquine ne se laisse pas décourager pour autant, après tout, elle a vu des tas de cas similaires et ça ne veut rien dire. Elijah reprend alors la parole et demande s'il peut lui poser une question personnelle. Après une seconde de réflexion, Malou se redresse et s'assied sur le lit à côté du beau brun, sans cesser de caresser son torse et son ventre, mais toute son attention focalisée sur ce qu'il avait à lui dire.

« Demandez toujours. »

Répond la jeune fille en le fixant de ses yeux clairs et profonds. C'est sans doute un peu risqué d'autoriser un client à poser une question personnelle, mais elle n'est pas obligée de répondre. Autant écouter ce qui lui titillait l'esprit. Et puis elle était curieuse de savoir ce qu'il pouvait bien avoir à lui poser comme question.

La question arrête net la jeune femme dans ses caresses sensuelles. Elle reste un instant silencieuse, c'est pas tous les jours qu'elle entend de telles interrogations de la part d'un client. Finalement, Malou relève son regard bleu clair pour le planter dans celui de son client du moment. Pour tout dire, elle ne sait pas très bien comment le prendre. La première phrase a le don de l'irriter, c'est sûr. Comment ose-t-il juger son travail ainsi, comme si c'était une corvée répugnante que personne au monde ne voudrait faire, et qui fait de la peine aux gens mieux lotis ? Ah oui c'est vrai. C'est la réalité en fait, c'est exactement ce que son boulot représente. Quelque chose de dégueulasse, de mal vu, de difficile à supporter. Malou baisse les yeux quelques secondes vers ses jambes dénudées, réfléchissant réellement à la question d'Elijah. C'était pas comme si elle allait pleurer non plus, vous faites pas d'illusions. Mais qu'un client s'intéresse à son ressenti la turlupine réellement.

« Mon job c'est de faire plaisir au client. Alors j'suis forcée d'y prendre du plaisir aussi, ou au moins de le faire croire. Sinon ça marche pas. »

Finit-elle par répondre après s'être éclaircie la voix. La rouquine reposa son regard sur Elijah. Si elle devait l'analyser, elle aurait dit que lui aussi, il donnait l'impression d'en avoir bavé dans la vie. Mais c'était son client, pas son pote, et elle était prostituée, pas psychologue. Alors elle se devait de n'en avoir rien à foutre. Prendre de la distance, ne pas s'attarder sur les émotions. Ne pas chercher à comprendre. Ne pas poser de questions, jamais.

« C'est rare de prendre du plaisir. Mais ça peut arriver. Dans ces cas-là, c'est... C'est un des rares points positifs du métier, je suppose. »

Ajouta Malou d'une petite voix, avec un haussement d'épaules. En effet, il lui était arrivé d'éprouver du plaisir, uniquement charnel bien entendu, quand elle tombait sur des hommes attirants, ou avec du charme, ou qui savaient réellement bien s'y prendre. Mais encore une fois, elle n'était pas autorisée à s'y attarder. C'était un client comme un autre, point barre. Elle faisait ce qu'elle lui demandait et voilà.

Malou était légèrement par surprise par cet intérêt soudain de son client. Elle ne l'aurait pas admis, mais ça l'attendrissait quelque peu. Un bref moment, en tout cas. Mais la jeune femme rousse n'était pas du genre à se laisser aller. Garder ce masque auquel elle avait travaillé durant tant d'années, à tel point que ça faisait maintenant partie intégrante d'elle. Elle était devenue cette façade froide et intouchable qu'elle s'était construite. Ou en tout cas elle était persuadée de l'être. De ne pas avoir laissé la moindre trace de l'ancienne Malou persister. Toutefois c'était faux. Mais c'était plus simple de se mentir à soi-même. Elle n'avait pas le choix, c'était une question de survie, c'était pour ça qu'elle était devenue ainsi. Si elle ne devenait pas cette statue de glace antipathique et distante, elle ne pourrait pas supporter tout ce qu'elle avait traversé. Elle n'aurait plus pu se regarder dans un miroir en constatant où elle en était arrivée.

« Je n'ai pas le luxe de me permettre de penser à moi. »

Répliqua la rouquine, sur un ton dans lequel perçait l'amertume, malgré qu'elle ai dit cette phrase sur un ton léger. Elle ne faisait pas ce job par plaisir, enfin elle s'était habituée avec le temps, mais une prostituée a des rêves, comme tout le monde. Elle en avait, des rêves, des idées, des illusions, des "si j'avais l'argent", des "si j'avais encore une famille". Mais qui viendrait imaginer qu'une pute de bas étage avait des rêves ? Bien sûr que non, c'est qu'une salope trop fainéante ou trop stupide pour se trouver un autre travail pour survivre, puis elle a qu'à s'adresser aux services sociaux ou une connerie du genre, mais c'est qu'une pauvre fille cette sale traînée, elle s'est foutue dans la merde toute seule, elle n'a rien dans le crâne c'est certain, et après on va nous demander de la respecter. Oui, c'était exactement ce genre de réflexions que Malou lisait dans le regard des gens. Ou alors c'était de la pitié, mais le discours restait plus ou moins semblable. Alors oui, elle était agressive et même parfois hautaine. Parce qu'elle n'avait que ça à faire : regarder droit devant elle, ignorer, lever la tête bien haut. Intouchable. Il n'y avait plus rien à détruire en elle, de toute manière. Tout ce qui lui restait, c'était le respect qu'elle avait pour elle-même.

Elijah la ramena à la réalité en s'excusant, assurant qu'il ne pourrait rien faire pour elle ce soir. Bon, focus, retour à pourquoi elle était là. Sûrement pas pour discuter. Retour dans la peau de Malou la "professionnelle" comme on dit poliment. Elle était payée pour satisfaire sexuellement le jeune homme, c'était son domaine d'expertise alors elle devait faire bonne figure. Elle reprit un sourire confiant, légèrement provocant. Il ne pensait pas pouvoir faire quelque chose ce soir. Mais la jeune femme avait de la ressource.

« C'est vous qu'il faut satisfaire, pas moi. Ne vous inquiétez pas. »

Reprit-elle d'une voix sucrée, plongeant son regard bleu ciel dans celui d'Elijah. Sans plus attendre, elle se plaça à califourchon sur lui, sa poitrine à seulement quelques centimètres du visage du jeune homme, avant de se pencher pour poser ses lèvres dans le cou du beau brun, ses mains délicates descendant le long de son torse. Et elle était pas mal douée avec ses lèvres et sa langue, peu importe de l'endroit dont elle s'occupait. Elle n'allait pas abandonner comme ça, juste parce qu'il pensait qu'il ne pouvait pas la satisfaire ou être satisfait. De toute manière elle n'avait pas le choix, c'était dans le contrat, il a payé pour une heure, alors elle se doit de tout essayer.

Finalement, il n'avait pas l'air si antipathique que ça. Son air bougon s'était quelque peu dissipé et il laissait tomber son masque de pierre pour quelque chose de plus sensible. Il semblait presque ressentir de la compassion pour elle. Un instant, Malou se fit la réflexion qu'ils n'étaient pas si différents. Elle aussi, avait été une fille pétillante et pleine de vie. C'était il y a bien longtemps. Mais dans le fond, elle était toujours cette fille. Dissimulée sous des tonnes de barricades agressives et froides, voilà tout. La proposition d'Elijah la surprit toutefois, si bien qu'elle ne répondit pas tout de suite. Il était venu ici pour quelque chose de précis, non ? C'était pas comme si un bar à putes pouvait laisser penser à des ambiguïtés. Il avait payé pour elle. Elle ou n'importe quelle autre fille d'ailleurs. Mais le jeune homme avait l'air de s'être ravisé, et en un sens, Malou se sentit touchée. Bien évidemment, elle ne connaissait absolument pas ses motivations et ne souhaitait pas spécialement les connaître. Rester dans une relation strictement professionnelle, de client à employée, était un mot d'ordre. Mais le regard du beau brun la faisait hésiter.

La rouquine ne put retenir un petit rire quand il affirma que si l'attirance et le plaisir n'étaient pas réciproques, il préférait ne rien faire. Pourtant, c'était pas l'endroit dans lequel on mettait les pieds lorsqu'on désirait une relation passionnelle dans laquelle le plaisir était partagé. Quelle ironie. Mais il semblait tout à coup si compréhensif qu'elle ne fit aucune remarque, et cessa ses caresses. Bien. S'il ne désirait rien faire, elle n'allait pas l'y forcer. N'empêche, pour une fois qu'elle avait un client plutôt beaugosse, c'était dommage. Mais soit. S'il voulait faire la discussion, ça lui changerait un peu de d'habitude.

« C'est vous qui décidez, après tout. »

Finit par répondre Malou avec un petit haussement d'épaules. Elle se releva pour venir s'allonger sur le dos dans le lit, le regard perdu sur le plafond nu, un petit soupir lui échappant. Cette soirée était décidément bien étrange. Mais pas si déplaisante que ça. Elle aurait pu tomber sur bien pire qu'un jeune homme aux requêtes un peu étranges.

« Très bien, de quoi voulez-vous parler ? »

Reprit la jolie rousse en tournant la tête vers Elijah, le regard interrogateur. Elle ne comptait pas le questionner sur sa vie, déjà en temps normal, quand elle était hors de son lieu de travail, elle ne le faisait pas, alors ici... C'était pas son genre de se renseigner sur ses clients, elle n'avait pas son mot à dire.

Devant les précautions que prenait Elijah dans ses paroles, Malou se retourna pour s'allonger sur le ventre, appuyée sur ses avant-bras, et plongea son regard bleu ciel dans celui du jeune homme, curieuse. Il semblait s'être déridé depuis tout à l'heure, tout de même. Et elle qui remballait toujours tout le monde et aboyait sur tous ceux qui désiraient juste être sympa, et bien pour une fois, elle était plus détendue. Peut-être parce qu'elle se disait que de toute façon, elle n'allait plus jamais revoir cet homme. Il n'y avait aucun risque qu'ils se lient d'une quelconque manière. Il était le client, pour une heure. Puis basta. Pas de risque de rapprochement, pas de risque d'abandon, de déception et de souffrance. C'était ainsi que Malou fonctionnait. Depuis longtemps. Depuis la disparition de ses parents. La question d'Elijah ralluma néanmoins un éclair de douleur dans son regard. C'était la question à un million de dollars. Le pourquoi du comment Malou en était arrivée là. En gros, pourquoi était-elle ce qu'elle était aujourd'hui.

« C'est tout ce que j'ai dans la vie. Ce job. Rien d'autre. Pas de diplôme, aucune formation, pas de famille, pas de réel chez-moi. Pas d'argent. Alors... Les choses dégénèrent vite, à ce stade. Les choses ont pas été faciles quand j'étais ado. J'me suis adaptée, voilà tout. Pour survivre. »

Malou ne comptait pas rentrer dans les détails, loin de là. Elle n'allait sûrement pas lui balancer la mort de ses parents, les fugues de ses familles d'accueil, sa vie dans la rue, ce qu'elle avait subi, ce qu'elle avait surmonté, son entrée dans l'industrie du sexe. Mais cette brève explication de sa part devait suffire à lui faire le topo.

« Et vous, qu'est-ce qui vous a amené dans la chambre d'une pute ? »

Fit Malou en toute franchise, plantant son regard implacable dans celui de son interlocuteur. La question était honnête, évidemment ce n'était pas un jugement, ç'aurait été cocasse venant de sa part. Mais on y percevait une petite pointe d'ironie quand même. Parce qu'elle lui retournait la question en un sens, même si elle ne souhaitait pas le mettre mal à l'aise non plus. Il se montrait curieux, alors elle avait décidé d'en faire de même. Puis bon, ils avait encore 45 minutes à tuer.

Je vois, je vois... Non, tu vois sûrement pas mon grand. Mais c'est pas grave, t'es gentil quand même. Et t'as sûrement vécu de merde que je verrai jamais non plus. C'était ce que Malou se disait, arborant un petit sourire sans joie. Elle cherchait dans sa mémoire pour tenter de se rappeler un soir où un client lui avait parlé de la sorte. Mais soit c'était trop loin, soit ça n'était jamais arrivé. Elijah parvenait à éveiller légèrement sa sympathie, elle baissait sa garde. Rien qu'un peu, mais c'était déjà un pas vers l'avant.

Ce fut au tour du jeune homme de lui répondre. Réponse qui ne l'étonna pas, il était sûrement pas le premier à débarquer ici après une mauvaise journée et une rasade d'alcool. La rouquine hocha la tête sans mot dire, son explication lui suffisait, et puis elle n'avait rien à ajouter de toute manière. Elijah rajouta, lui, par contre. Malou fixa son regard clair sur son client lorsqu'il précisa que cela faisait maintenant six ans que sa femme était morte. La jeune femme se mordit la lèvre. La mort des proches, elle connaissait. Finalement, son "je vois" n'était pas si déplacé. Bon, c'était clairement pas comparable, mais tout de même. Malgré sa façade de glace et son épaisse carapace caractérielle, Malou n'était pas insensible et était bel et bien capable d'éprouver de la compassion. Beaucoup de compassion. La révélation d'Elijah l'avait touchée, en vérité, même si elle ne comptait pas l'admettre.

« Ouais, c'est pas le genre d'anniversaire qu'on a envie de fêter, j'suppose... »

Répondit-elle à mi-voix en baissant les yeux. Elle se rassit sur le lit, contemplant ses jambes sans mot dire. La tristesse, cette vieille ennemie à qui elle faisait la guerre depuis bien longtemps. C'était pas aujourd'hui qu'elle gagnerait, cette connasse. Avec le temps, Malou connaissait bien des ruses pour déjouer les plans de cette émotion dévastatrice.

« J't'aurais bien proposé un verre si on avait été dans un bar et que j'étais pas une pute. Mais c'est pas le cas. Puis c'est pas ça qui va te consoler, de toute manière... »

Souffla la jolie rousse dans un soupir, ayant baissé le ton de sa voix qui s'était faite bien plus douce et compatissante. Elle ne perdait pas ce cynisme défaitiste, cette vague ironie mélancolique. Mais le but n'était clairement pas de faire rire, comme toujours avec elle.