drunken gloom > alloody

Ça faisait changement de son dernier passage au centre nautique, ça. C’était plus beau, comme journée. Dans tous les sens du terme. La dernière fois que Woody s’était trouvé ici, les pieds dans le sable juste à côté de l’installation de kayaks, c’était quand son ami lui avait demandé le service d’aller ranger dans le cabanon tous les kayaks et canoës à cause de la tempête qu’on annonçait. Et quelle tempête ça avait été, autant météorologique que dans le cœur de Woody, qui avait un peu fait le con avec Freja, égoïste envers Sara. Bref, pour le moment, il avait compartimenté ces événements dans un petit coin de sa tête, ne sachant pas trop comment gérer. Il avait décidé de venir faire un peu de bénévolat aujourd’hui, surtout pour ne pas être seul chez lui. C’était lourd, ces jours-ci, quand il était seul. Parce que Sara n’était véritablement plus là. Plus chez eux. Plus chez lui. Ça lui faisait du bien de voir des visages connus. Enfin … pas forcément tous. C’est exactement ce qu’il se fit comme réflexion en croisant le regard d’Ally, qui se dirigea vers lui avec un air décidé mais ses pas qui l’étaient plus ou moins. Elle avait l’air complètement saoule. Elle l’était. Des mois et des mois et des mois durant, ils avaient réussi à s’éviter au maximum. Aujourd’hui, elle lui rentrait dedans de plein fouet. Pourquoi. « Oui, c’est moi. » Dit-il d’un air détaché quand Ally le pointa du doigt. Puis elle commença à lui réciter leur histoire catastrophique, le traitant de méchant, d’être exécrable. Enfin, tout ça, elle l’avait dit entre deux vomis. Habituellement, ça ne lui aurait fait ni chaud ni froid, il aurait même ri un peu d’elle. Mais là, ses mots, il savait qu’ils étaient vrais. Après tout ce qu’il avait fait à tout le monde, autant à Ally elle-même qu’à Sara, Freja, Lily-Anaëlle. Woody avait pleinement conscience que tout ce que lui lançait la rouquine comme insultes, c’était vrai. Il soupira quand Ally fondit en larmes, et il posa sa main sur son épaule – le seul endroit qui n’était pas taché de vomi, en fait. « Ally … ne te donne pas en spectacle comme ça pour rien, tu vaux beaucoup mieux que ça. » Lui dit-il avec un regard soucieux. Elle n’allait pas bien, c’était franchement évident. Il poussa légèrement sur son épaule pour la guider jusqu’à la terrasse du bar, où il assit Ally et prit place devant elle. Il commanda à un serveur qui passait deux verres d’eau gazéifiée, avec une tranche de citron à l’intérieur. « Je m’excuse, Ally. Je sais que comme ça ça a l’air facile, parce que j’ai attendu que tu viennes vers moi pour le faire mais … c’est vrai quand même. Je m’excuse. T’as raison, j’suis un être exécrable. » Il leva les yeux vers elle. Elle faisait pitié, la pauvre Ally.

Il en avait fait un sacré bout de chemin, quand même, le Woody, depuis le premier moment où il avait posé ses yeux sur Ally. Certes, aux yeux de beaucoup il était encore le même con immature, mais il savait mieux que quiconque à quel point il avait changé. Autrefois, il ne pensait qu’à lui. Rien qu’à lui et sa gloire. Être populaire ou rien. Il se fichait bien des cœurs qu’il brisait ou des portes qu’il se fermait. Une dizaine d’autres s’ouvraient sur son passage. Woody était au sommet, quand il avait rencontré Ally. Elle n’avait donc été qu’une autre fille parmi tant d’autres. Aujourd’hui, Woody avait vieilli, quand même. Et, surtout, il était redescendu de son petit nuage. Il n’était plus un champion, il était un habitant comme un autre, et maintenant que le lycée était derrière lui, il n’en était plus le roi depuis longtemps. Il avait aussi appris à s’inquiéter des sentiments des autres. C’était surtout Sara qui lui avait pris cela. Freja, aussi. Les deux femmes de sa vie, mis à part sa mère et sa sœur. Bref, c’était exactement pour cette maturité acquise que Woody agissait ainsi avec Ally, aujourd’hui. Il prenait toute responsabilité et acceptait toute insulte. Il les méritait, il le savait. Le jeune homme voulut donc sauver Ally d’une humiliation publique, lui disant de ne pas se donner en spectacle pour lui. Il était attristé et amusé à la fois, par sa réplique. « Tu sais ce que je veux dire. » Il secoua la tête, exaspéré mais toujours autant amusé. Les filles saoules, ça le faisait rire, plus mature qu’avant ou pas. « J’sens que c’est pas juste moi dont il est question, là, hein ? » Demanda-t-il alors d’un ton compatissant alors qu’Ally parlait de son cœur brisé à plusieurs reprises.

Voyant toute la détresse qui émanait d’Ally, Woody la traîna jusqu’aux bancs en osier du bar de la plage, où il l’installa et lui commanda une eau gazéifiée. « Ouais, ben je crois que t’en as eu assez, là, de la tequila. » C’était plutôt lui qui en aurait besoin d’une, là. Mais il se contenterait de l’eau, lui aussi. Pour le bien d’Ally qui trouverait sans doute le moyen d’inverser leurs verres s’il le fallait. Puis, avec toute la sincérité du monde, Woody s’excusa. Admettant ses fautes, admettant son attitude de merde. Il lui donnait tout. Il fronça les sourcils quand la rouquine mentionna un certain Levi, suite à son pardon. Oui, bon, elle lui pardonnait, mais elle était ivre. Il doutait de la validité de la chose. « C’est qui ce Levi ? » Demanda Woody. Comme l’eau pétillante était arrivée, Ally commença à en boire de grandes gorgées. Ça lui ferait du bien. « Mais qu’est-ce qu’il t’a fait, Ally ? » Demanda-t-il, avec tristesse, parce que de la voir dans cet état, quand même, ça ne l’amusait plus. Plus maintenant qu’il savait que ça cachait un grand chagrin d’amour. Woody savait, maintenant, ce que c'était que d'avoir son coeur brisé.

« Ben, au moins, la pointe de l’iceberg a pas causé le naufrage du Titanic, hein. Même que c’est la pointe de l’iceberg qui les a prévenus de ce qui s’en venait. » Affirma Woody, un peu sur le ton de la plaisanterie, même si ce n’était pas drôle du tout. C’était à la fois un moyen de défense et un moyen de protection, que d’utiliser l’humour. Dès qu’il se trouvait dans une situation plus ou moins malaisante, Woody faisait des blagues. Il pensait que ça détendait l’atmosphère, mais ça ne fonctionnait pas toujours. Surtout quand il se trouvait en compagnie d’une ex complètement bourrée qui lui en voulait encore pour son attitude de con. Malgré cela, elle l’avait suivi jusqu’à la terrasse et buvait son eau pétillante. À contrecœur, peut-être, mais elle la buvait. C’était l’important.

Woody avait commis l’erreur irréparable en questionna Ally sur ce Levi dont elle parlait, et qui avait visiblement passé son cœur au Vitamix. Le jeune homme soupira imperceptiblement en se calant dans le fond de sa chaise alors que la rouquine commençait à déblatérer sur son histoire d’amour brisée, en beuglant et en pleurant. Les gens autour les regardaient, inévitablement. Il l’écoutait, avec une certaine attention, même s’il n’avait pas du tout envie d’entendre parler de tous ces détails. Finalement, il ne voulait pas savoir qui c’était, ce Levi. Mais il était trop tard, et il ne pouvait quand même pas partir et laissa Ally dans cet état. Même son eau pétillante ne la sauverait pas. Bon, Woody ne savait toujours pas ce qu’il avait fait, après tout son premier monologue. Il le lui demanda alors, essayant de montrer une certaine inquiétude pour la rouquine, même si en gros elle lui faisait plus honte qu’autre chose. Surtout quand elle cria qu’il lui avait brisé le cœur. Woody écarquilla les yeux en regardant autour de lui, paniqué. « Chut, chut … » Il attrapa la main d’Ally, comme si ce geste allait la calmer et surtout la faire taire. « Oui, tous les hommes sont des cons, Ally. Tu devrais te tourner vers les femmes. » Proposa-t-il. Honnêtement, il ne savait pas quoi dire. Il était pourri pour aider un cœur brisé. Il avait beau vouloir changer, Woody n’en avait quand même rien à foutre de toutes ces conneries. Il avait bien assez des siennes.

Décidément, Woody ne savait vraiment pas quoi répondre à une femme qui avait le cœur brisé. Pas pour rien qu’il ne cessait de se foutre les pieds dans les plats à chaque fois que Sara avait de la peine à cause de quelque chose de con qu’il avait fait. Une femme qui pleure, ça lui foutait la trouille, parce qu’il perdait tous ses moyens, tout son contrôle. La seule façon pour lui de se sortir de la merde c’était en ayant recours à l’humour. Et son humour à lui ne faisait que très rarement rire une fille en aussi grand chagrin. Ally en était la preuve, puisqu’elle le dévisageait avec un sourcil haussé pour lui témoigner de son incompréhension face à sa remarque à propos de l’iceberg dans le Titanic. Il baissa les yeux un moment, avant de tenter de l’apaiser, surtout pour qu’elle arrête de gueuler et d’attirer tous les regards sur eux. Plus pour relever la stupidité de sa généralisation, Woody proposa à Ally de se tourner vers les femmes, qui tomba dans le panneau et se mit à critiquer les femmes aussi. « Va pour le chien, alors. Si c’est ce qui te fera plaisir. » Honnêtement, il n’avait plus aucune idée de ce qu’il devait faire, alors quand la rouquine lui demanda de lui appeler un taxi, il fallait lever les bras au ciel pour remercier Dieu. Sauf que le gentil Woody avait essayé de reprendre le dessus, alors plutôt que le taxi, il avait répondu : « J’vais aller te reconduire chez toi. Ça te sauvera un peu d’argent. » Ça compenserait pour le prix de l’alcool qu’elle avait ingurgité avant de venir à la plage, pensa-t-il. « Termine ton verre d’eau et on y va. » Lui ordonna-t-il. Plus elle avait d’eau dans son corps, moins il y avait de risque qu’elle vomisse dans sa voiture.

Woody haussa les épaules à la remarque d’Ally quand à son tas d’fric. « Et alors ? J’ai ma propre clinique et j’fais pas mal de fric aussi grâce à ça, et pourtant, j’refuserai jamais d’économiser 15 ou 20$ si on me le propose. » Mais bon, si Ally était devenue à ce point riche qu’elle se fichait de jeter son argent par les fenêtres sans aucune raison, soit. Il n’allait pas argumenter là-dessus. Elle faisait bien ce qu’elle voulait, et ce n’était surtout pas Woody qui allait essayer de lui faire changer d’idée plus que ça. Il lui avait fait valoir son opinion, maintenant c’était à elle de choisir. Elle rentrerait en taxi si elle le voulait, au fond ça lui simplifierait la vie à lui. Il n’aurait pas à l’entendre pleurer du côté passager. Il n’aurait pas à brûler des feux rouges pour arriver le plus tôt possible chez elle. Bref, Ally avait calé son verre d’eau et avait roté d’une façon très masculine, ce qui fit sourire Woody. Il secoua la tête. Cette femme était une vraie boîte à surprises. La rouquine était fin prête, et elle avait accepté son offre, finalement. Quand elle mentionna le fait qu’elle pourrait vomir dans sa voiture, Woody soupira. « Donne-moi deux secondes, je vais aller demander un sac au serveur. » Le jeune homme délaissa la rouquine moins d’une minute et quand il revint, ils se dirigèrent ensemble vers la voiture du physiothérapeute. Il ouvrit la porte à Ally, pas tant par galanterie que pour s’assurer qu’elle arriverait à monter à bord. Une fois bien installée, il referma la porte et contourna sa voiture pour s’asseoir côté conducteur. « Tu te souviens de ton adresse, au moins ? » Demanda-t-il. Il aurait dû y songer avant, à celle-là.

Il hocha la tête. Il ne pouvait savoir qu’elle habitait toujours cette maison, mais au moins, ça lui simplifiait la tâche. Même si Ally s’endormait ou était trop saoule pour lui donner les bonnes directions, il savait quand même où aller. « Boucle ta ceinture, alors. » Qu’il lui ordonna tout en démarrant la voiture. Voyant du coin de l’œil que la rouquine avait du mal à la boucler, justement, ne trouvant pas la fente, le jeune homme lâcha le volant et l’aida à s’attacher. Putain, Ally. Après ça, il commença à rouler en direction de la maison d’enfance de la jeune femme. Elle avait le regard perdu de l’autre côté de la vitre, et Woody ne voulut pas la déranger pour le moment. Et puis comme ça il avait un peu la paix, au moins. Disons que son épisode de larmes de tout à l’heure était encore dans la tête de Woody, le terrorisant malgré le silence actuel. Il ne désirait pas que ça se reproduise. Finalement, ils arrivaient tout près de la maison d’Ally, dans le quartier où ils avaient si souvent marché main dans la main, même si Woody trouvait ça con. C’était pour lui faire plaisir et un jour avoir la chance d’accéder à son entre-jambes, mais ça ne s’était jamais produit entre eux. Tant d’effort, si peu de résultats. « Je me souviens plus, c’est à droite ou à gauche, ici ? » Bah oui, ça faisait quand même plus de dix ans, et il ne traînait plus vraiment dans ce coin de la ville. Elle se tourna alors, s’excusant de ne pas avoir prêté attention à ses paroles. Il soupira. « Droite ou gauche ? » Plus sèchement. Honnêtement, il ne savait pas trop pourquoi c’était à lui de ramasser Ally à la petite cuillère. Ce putain de Levi aurait pu s’en occuper, d’elle. S’il avait un minimum de cœur. Ou alors une meilleure amie à elle, déjà ça ferait plus de sens. Mais lui ? Bordel.

Quand Ally lui demanda d’arrêter la voiture, Woody s’exécuta tout de suite, pensant qu’elle allait vomir et qu’elle voulait simplement avoir de l’air ou régurgiter sur l’asphalte plutôt que sur son tapis d’auto. Il se rangea donc sur le côté de la rue et à sa grande surprise, Ally sortit et claqua la porte avant de tourner à droite et de commencer à marcher, sans doute en direction de chez elle. « What the fuck just happened ? » Se demanda Woody à voix haute, soupirant, grognant et secouant la tête avant de repartir sur la route et de suivre Ally. Il ne mit pas bien de temps à rattraper la distance qui le séparait de la rouquine, disons que sa démarche n’était pas des plus rapides. Il aurait même pu parier qu’elle s’écraserait dans le gazon avant d’arriver à bon port. Il baissa la fenêtre du côté passager en arrivant à côté d’Ally, et celle-ci en profitant pour l’envoyer se faire foutre et lui faire un doigt d’honneur. Il haussa les sourcils, n’en revenant pas de son immaturité. Il arrêta sa voiture, en plein milieu de la route, en sortit et marcha vers la rousse. Elle venait de terminer de vomir. Il s’en foutait. « Non mais c’est quoi ton problème, Ally ? » Lança-t-il avec autant de haine qu’elle. « J’avais pas à prendre soin de toi, j’avais pas à t’écouter brailler comme une gamine, j’avais pas à te raccompagner chez toi. I didn’t sign up for this. Mais je l’ai fait quand même, et toi tu fais encore ta victime ?! » Continua-t-il à lui crier dessus.