the course of true love never did run smooth. (alex)

Elle sortait d'un long sommeil, la tête douloureuse, vide, le calme plat et le corps fatigué. Il avait fallu un moment pour que ses yeux s'acclimatent aux lumières. Comme si sortir de l'obscurité était un effort que son corps ne voulait pas donner. Sûrement les effets qu'une énorme gueule de bois avaient sur elle parce que les souvenirs d'une possible soirée semblaient tous s'être évaporés. Elle avait la sensation désagréable que quelque chose clochait. Allongée dans un lit d'hôpital, seule, perfusée, le bruit inquiétant du moniteur à côté du lit et sans aucun souvenir de ce qu'elle avait pu faire la vieille lui donnèrent la nausée, envahie par la panique. Une infirmière arriva dans la chambre, un sourire chaleureux au coin des lèvres, ravie de la voir réveillée. Sa voix était douce, rassurante alors qu'elle lui posait des questions basiques et répondait à celles que Alex se posait. Victime d'un accident de surf, pas de gueule de bois. « Je vais prévenir votre ami que vous êtes réveillée. » Encore endormie, elle acquiesça simplement, ne prenant pas le temps de se demander qui était cet ami. Son corps répondait difficilement aux ordres que lui donnait son cerveau, elle était incapable de s'assoir correctement. Lorsque la porte s'ouvre, une dizaine de minutes après la sortie de l'infirmière, elle fut surprise de voir la silhouette de Hamilton entrer dans la chambre. Elle pensa qu'il venait lui faire une mauvaise blague mais il ne lui laissa pas le temps de parler ou de réagir. Ses grands bras s'enroulèrent autour de son corps encore en sommeil. « Je suis content de te revoir, tu te l'ai joué belle au bois dormant, mais mes baisers réussissaient pas à te réveiller. » Il semblait réellement heureux. C'était une blague. Elle mit un certain temps avant de trouver la force de réagir. Ses mains s'agitaient tout doucement alors qu'elle gigotait dans son étreinte pour l'obliger à s'éloigner, cherchant à rétablir une distance entre leurs deux corps qui n'auraient jamais dû se toucher. « Qu'est-ce que tu fais ? Lâche-moi. » Sa voix était faible. Parler lui demandait un nouvel effort. Son regard croisa rapidement celui de Cliff et elle fronça les sourcils sous l'incompréhension. « Tu m'as embrassé ? » Et elle colla sa main contre sa bouche.

Le regard posé sur Cliff, elle cherchait une explication pour justifier sa présence dans sa chambre. Ce n'était ni logique, ni désiré. Elle ne voulait pas de lui ici, parce qu'il n'avait aucune raison de se tenir là où son père, son frère ou sa mère auraient dû être. Elle pouvait expliquer chaque point qui la poussait à ne pas apprécier Cliff Hamilton mais donner un sens à sa présence ou son inquiétude était une nouvelle énigme. « C'est bon tu vas pas crier au viol non plus, je peux aller t'acheter un bain de bouche en bas si t'y tiens. » Il avait l'air contrarié et elle lui adressa une moue étonnée. Elle ne comprenait pas ce qu'il faisait dans sa chambre, ni pourquoi il semblait fâché, ni comment ils auraient pu s'embrasser sans qu'elle n'en garde le moindre souvenir. C'était illogique. Qu'il ait osé la prendre dans ses bras, ça faisait déjà beaucoup à encaisser, alors un baiser, ça relevait du surréalisme. Elle retirait lentement ses doigts contre sa bouche, laissant un soupir s'échapper d'entre ses lèvres sans jamais lâcher Cliff du regard. Ses réactions semblaient imprévisibles. C'est seulement en posant ses yeux sur le verre rempli d'eau qu'elle réalise avoir soudainement soif. Elle marmonna rapidement « merci » avant de boire une longue et interminable gorgée. « Tu m'en veux de pas avoir été là à ton réveil ? Tu peux demander aux infirmières, il était obligé de me traîner hors de ta chambre. Je crois même qu'ils m'appelaient la sangsue dans mon dos. » Il la regardait toujours. Avec une pointe d'amusement, une touche de complicité, comme un homme regarderait la femme qui lui plait. C'est à ce moment-là qu'elle compris que rien de tout ça n'était normal. Elle reprit une gorgée d'eau glacée, persuadée d'être victime d'hallucinations et posa une main tremblante sur son front. Elle était terrorisée et il s'amusait de la situation. « C'est pas drôle, j'ai mal à la tête. Pourquoi t'es ici, Cliff ? Je comprends rien de ce que tu racontes. Où sont mes parents ? » Ses traits s'adoucissent presque aussitôt alors qu'elle vient croiser ses mains par-dessus les draps. « Et j'imagine que t'embrasses mal, parce que je m'en souviens pas. » Elle osait un sourire moqueur, relevant les yeux pour l'observer à côté du lit.

Dans son esprit, Cliff n'aurait jamais dû être là. Ils n'étaient pas amis et ne s'étaient jamais inquiétés l'un pour l'autre. Mais en le voyant ainsi, partagé entre la contrariété et le soulagement, Alex chercha les mots qu'il aurait voulu entendre. Elle était perdue et son corps semblait épuisé, malgré tous ces jours passés à dormir. Elle n'avait pas souvenir avoir embrassé Cliff et plus il en parlait, plus la panique venait la paralyser. Elle tremblotait sous les draps, serrant plus fort ses mains l'une contre l'autre. « Faire la blague de l'amnésie, c'est marrant que dans les films Alex... » Elle baissa la tête, comme si on l'a sermonné pour avoir préparé une bêtise. Cliff paraissait tellement croire à ce qu'il disait qu'elle douta, relevant un regard timide vers le sien. Elle ne se rappelait peut-être pas de son accident mais elle était persuadée de ne rien avoir oublié de sa vie. Et Cliff, définitivement, n'en faisait pas parti. Il était seulement le garçon qui l'agaçait toujours. « Je pense que tes parents vont pas tarder, ils ont dû être prévenus aussi, mais je peux les appeler pour être sûr stu veux. Je peux faire venir un médecin pour ton mal de crâne aussi. » Il était prévenant, trop attentionné et elle dû se retenir pour ne pas lui demander à quoi il jouait à agir de cette façon. Sa douleur à la tête ne semblait qu'amplifier. C'était peut-être normal après avoir été victime d'un accident, elle n'en savait rien et releva simplement les épaules. « Non, pas besoin de les rappeler. Je veux dire, t'as raison, ils vont peut-être bientôt arrivés. Par contre je dis pas non pour un autre verre d'eau et qu'un médecin vienne. » A nouveau elle le regarda un long moment, fouillant sa mémoire à la recherche d'un indice, d'un souvenir qu'ils auraient en commun. Une soirée arrosée qu'ils auraient pu passer ensemble et où tout aurait dérapé. Elle se sentait stupide et frotta ses yeux fatigués avant de tendre timidement le verre dans sa direction. « On avait bu quand on s'est embrassés ? Ça s'est passé quand ? Je blague pas, je te crois même pas. » Il disait qu'elle blaguait, il disait tout un tas de mots et de phrases qui ne prenaient aucun sens dans son esprit. Peut-être que son égo d'homme était vexé qu'elle ait oublié tout ça.

« Je te promets c'est pas de l'alcool dans celui-là. Je vais prévenir un médecin et je t'explique tout. » Elle ne le retenait même pas, le laissant quitter la chambre pour trouver un médecin qui soignerait la douleur à sa tête. Elle aurait peut-être simplement aimé avoir une explication, des mots à poser sur cette histoire de baiser qui sortait de l'imaginaire. Depuis que ses yeux s'étaient posés sur la silhouette imposante de Cliff, plus rien ne semblait normal. Le seul homme qui n'avait pas sa place à ses côtés était le premier à s'inquiéter et vouloir la prendre dans ses bras. Elle vida son deuxième verre, pressée de retrouver la fraicheur de l'eau alors que Cliff revenait dans la chambre. Sans savoir pourquoi, elle était tirée entre le soulagement de ne plus être seule et tétanisée qu'il invente encore tous un tas de mensonges sur eux. En le regardant resté de l'autre côté du lit, elle se dit qu'il était vraiment vexé. Il avait dit que les infirmières avaient eu du mal à l'éloigner de son lit et elle s'en voulait d'avoir été maladroite dans le choix de ses mots. « Quelqu'un va arriver. » D'un mouvement presque imperceptible de la tête, elle acquiesça une nouvelle fois. « Je sais pas par où commencer. On sort ensemble depuis deux ans, on s'embrasse quotidiennement, pas toujours à cause de l'alcool. Tu dors chez moi trois jours par semaine, parce que quatre ce serait comme si on vivait ensemble d'après toi. » Sans comprendre, de sa bouche s'échappa un rire amusé, loin d'être discrète. Un rire qui se transforma en un simple sourire sur ses lèvres fines. Elle dû se mordre l'intérieur des joues pour arrêter, trouvant ridicule ce mélange d'amusement et de nervosité qui l'envahissait. Dans l'esprit de Cliff, leur vie semblait presque parfaite, drôle aussi. Il avait l'air sincère et la panique l'enveloppa à nouveau. « C'est normal. Je suis d'accord. A cinq jours chez toi, on pourra envisager le mariage. A six, les enfants. Je vais finir par croire que c'est toi qu'es tombé sur la tête. » Elle ricane, face à l'absurdité de ses propres mots. « Pardon, c'était déplacé. Mais tu penses pas que si on sortait ensemble, je m'en souviendrai ? Y a deux ans, on finissait le lycée. T'es pas allé à la fac ? » A nouveau calme et sincère, son sourire retombait. Elle cherchait du regard son téléphone ou un journal pour savoir le jour, le mois, l'année, terrorisée en imaginant son cerveau avoir oublié deux années de sa vie. « On est quel jour ? »

Son regard restait figé sur Cliff parce que actuellement, jusqu'à l'arrivée du médecin, Alex pensait qu'il était le seul à détenir les réponses à toutes ses questions. Comme si – malgré son désir à vouloir leur prêter une relation amoureuse impossible – il était le seul à pouvoir l'aider. Il prit quelques minutes pour sortir son téléphone, tapoter dessus et elle eut un sourire au coin des lèvres en le voyant s'approcher. Sa proximité lui paraissait toujours inappropriée mais au moins, il semblait moins vexé. « Le 27 avril 2016, t'as 29 ans... » Elle secouait le visage, regrettant ce geste en sentant la douleur à sa tête prendre possession de son corps tout entier. Vingt-neuf ans. Elle n'avait pas besoin de faire le calcul pour comprendre que, si Cliff disait la vérité, les huit ou neuf dernières années de sa vie avaient été effacées. Ça ressemblait à un cauchemar. Le verre qu'elle tenait toujours dans ses mains s'écrasa contre le sol. Elle bougonnait, croisant les bras sous sa poitrine pour cacher ses tremblements, tout en s'enfonçant dans les oreillers installés derrière son dos. C'était ce qu'elle avait demandé. Une réponse à sa question. « Pour ton information je suis bien allé à la fac, je suis même devenu avocat. » Son esprit lui renvoya l'image de Cliff, avec dix ans de moins, sans barbe, l'étudiant énervant dont elle avait un jour collé la porte de son casier et les affaires qui se trouvaient à l'intérieur. Et aussitôt, elle sourit. « Prépare toi, t'as pris quelques rides depuis le lycée. » Il colla son téléphone sous son visage. Sur la photo, c'était elle, une coupe dans les mains, quelques années de plus au compteur. « Photoshop existe, tu sais. » Triste, elle le suppliait timidement du regard de la rassurer. Elle ne savait pas si c'était le résultat de son accident mais elle eut soudainement envie de pleurer et de vomir. L'intégralité de son corps était secoué par la panique alors qu'au même moment, la machine reliait à son rythme cardiaque émit des bruits irréguliers. D'un geste, elle s'emparait de son téléphone et s'allongea sous le drap pour ne plus voir Cliff. « Les avocats sont ennuyeux, ça te correspond bien. » marmonna-t-elle dans un sourire, faisant défiler les photos sur l'écran sans son autorisation. Elle prenait conscience des années qu'elle venait peut-être de perdre en une fraction de seconde. « Si tu dis la vérité Cliff, raconte-moi autre chose. Qui est le Premier Ministre ? Ou, qui a remporté la dernière coupe du monde de foot ? Et je travaille où ? »

Regarder des photos devenait rapidement une source de distraction rigolote. Mais elle détestait ce sentiment. Celui de sentir qu'elle avait oublié quelque chose d'important mais de ne pas savoir quoi. Cette sensation de ne pas comprendre. Ce n'était pas comme oublier l'endroit où elle avait posé ses clés et les retrouver par hasard sous un coussin. C'était mille fois pire. « Le premier ministre est Malcolm Turnbull, tu l'aimes pas vraiment et tu passes ton temps à lui trouver des surnoms ridicules. Pour ce qui est du foot, je suis pas sûr, mais je crois que c'est l'Allemagne. Pour ce qui est de ton job, t'es flic... » S'arrêtant sur un cliché qui la représentait – allongée sur un canapé, la bouche ouverte, probablement là pour faire la sieste – elle décrocha son regard du téléphone pour mieux observer Cliff. Elle était surprise, forcément, dans le mauvais sens. Son expression se décomposa presque aussitôt sous l'étonnement, incapable de s'imaginer en tenue de flic avec une arme dans les mains alors qu'elle avait toujours eu du mal avec l'autorité. « Le reste est privé, fouille pas dans mes photos, tu fais vraiment ta flic là c'est pas cool. » Il s'était approché pour lui reprendre le téléphone. Gênée d'avoir mal agis ou de piétiner sur sa vie personnelle, elle cachait ses mains sous le drap et baissait la tête. « Pardon. » L'espace d'un instant, elle resta simplement là, à regarder le drap pour se concentrer sur le bruit à nouveau régulier de son rythme cardiaque. Elle passa une main sur son front tout en se remémorant le peu d'informations qu'elle détenait à présent. « T'as peur que je tombe sur des photos d'une autre femme ? » Un sourire amusé revenait sur ses lèvres, un peu timide, un peu joueur alors qu'elle se redressait à nouveau dans le lit pour mieux le regarder. Elle reconnaissait l'adolescent de ses souvenirs derrière ses traits d'adultes. Elle le fixait toujours trop, oubliant que ça pouvait paraître déplacé, impoli. Son sourire s'élargit à l'instant où elle pensa que, si réellement ils étaient en couple (mais elle n'y croyait pas), elle sortait avec un homme plutôt beau. Insupportable, chiant, mais beau. « Je suis vraiment flic ? C'est ridicule, j'aime pas les armes à feu. Mais attends, fais-moi plaisir, est-ce que je t'ai déjà arrêté et mis les menottes ? » S'imaginer comptable lui aurait paru plus crédible mais penser qu'elle pouvait avoir arrêté l'insupportable Cliff Hamilton lui faisait plaisir. « Et donc, t'étais en prison et t'as eu le coup de foudre pour moi, c'est ça notre histoire ? »

Parler de leur hypothétique relation amoureuse la mettait mal à l'aise. Parce qu'elle ne savait pas quoi penser, faire ou dire. Peu importe qu'elle y mette tout son cœur pour le croire, elle avait oublié comment l'aimer et elle le sentait dans le regard de Cliff. Elle commençait déjà à le décevoir. Les souvenirs avaient disparu, ils s'étaient évaporés avec tous les sentiments qu'elle avait un jour éprouvé pour lui. Elle le blessait peut-être avec son indifférence mais il n'en montrait rien. Il souriait, il blaguait, il était complice, joueur et prévenant mais elle avait beau essayé, ses joues se teintaient de rouge et son rythme cardiaque s'affolait encore. Elle n'était pas encore prête à l'écouter parler de leur vie intime finalement. « Voilà c'est ça, visites conjugales olé olé, tu m'envoyais des paquets surprises avec tes sous-vêtements usagés pour m'occuper en cellule. C'était le bon temps. » Elle ignorait ce qu'elle cherchait à obtenir en lui posant des questions sur leur relation. Lui, semblait totalement s'amuser de la situation et à exagérer chaque petit détail. Gênée, elle tente un sourire avant de simplement détourner le regard. Elle était incapable de plaisanter comme lui pouvait faire, parce que dans son esprit, ils n'étaient ni complices, ni amoureux. « Ou alors t'es championne de surf et tu m'as acheté en me refilant tous les cadeaux de tes sponsors. » A ce moment précis, elle aurait aimé que le médecin arrive pour s'occuper de son mal de crâne épuisant. Elle secouait la tête, préférant arrêter de croire Cliff qui prenait plaisir à la torturer avec des souvenirs qui paraissaient faux. Championne de surf, c'était beaucoup trop beau. « Ne te vexe pas mais j'ai du mal à te croire. Quand tu dis qu'on sort ensemble ou que je suis flic. On s'est jamais vraiment apprécié toi et moi. Alors m'imaginer essayer de te passer les menottes ou t'embrasser, ça me fait bizarre. » Elle essayait de rire, plus pour cacher sa gêne et ses joues légèrement roses, que pour plaisanter. Son esprit ne s'arrêtait plus d'imaginer la scène entre elle et Cliff. Elle releva le drap pour sortir ses jambes et venir poser ses pieds sur le sol froid de la pièce. Son regard croisa celui de Cliff avant qu'elle n'observe à nouveau le téléphone dans sa main, définitivement curieuse. Il fallait le récupérer. « Je crois que j'ai faim. Pas toi ? » Maintenant que sa soif avait été comblée, son ventre se réveillait à son tour, gargouillant, affamé. Elle était toujours branchée aux machines, ne pouvant pas faire plus que s'assoir sur le fauteuil à côté du lit alors qu'elle aurait voulu sortir de la chambre.